Témoignages d’Arménie. Comment revivre pour les réfugiés de l’Artsakh ?

Les trois témoignages qui suivent ont été réalisés à Goris en Arménie le 2 décembre auprès de Kariné et Albert, réfugiés de l’Artsakh, ainsi que de Carmen qui est la directrice du Centre Culturel Francophone de Goris qui a assuré la traduction en direct et que nous remercions pour son appui pour ces entretiens.

Des Arméniens fuyant le Haut-Karabakh ou Artsakh lors de l’attaque de l’Azerbaïdjan les 19 et 20 septembre reçoivent une aide humanitaire à Goris, en Arménie. © IOM

Pour mémoire, 100.000 Arméniens ont été chassé de leur terre ancestrale du Haut-Karabagh ou Artsakh par la force d’une offensive militaire de l’Azerbaïdjan les 19 et 20 septembre 2023 après un blocus qui aura duré plus de 9 mois ! Aujourd’hui, la moitié des réfugiés se trouvent à Erevan, la capitale, et les autres sont répartis dans les diverses provinces dont celle du Syunik au sud du pays. Parmi ces réfugiés, 60.000 étaient cultivateurs et éleveurs.

 

Entretien avec Kariné.

 

Alain Boinet : Bonjour Madame, pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs.

Kariné : Je m’appelle Kariné, je suis la mère d’Albert. J’ai trois enfants : deux filles et un fils. Tous mes enfants sont mariés. Une de mes filles habite à Goris, mon autre fille a aussi été déplacée d’Artsakh. Puis, il y a mon fils Albert qui habite à Goris. J’ai maintenant neuf petits-enfants.

AB : Avant de vous réfugier en Arménie, quelle était votre vie au Haut-Karabagh/Artsakh ?

Kariné : Avant la guerre je travaillais dans un magasin mais le salaire n’était pas très élevé. Ensuite, j’ai commencé à travailler dans une école en tant que femme de ménage. Après la guerre, en 2020 (ndlr la guerre des 44 jours), nous sommes venus à Goris et nous sommes resté un an et six mois. Ensuite, nous sommes repartis en Artsakh. J’ai commencé à travailler dans cette école car le directeur et les profs étaient très aimables. Le 19 septembre, le jour de la guerre, j’étais à l’école. Quand il y a eu le bombardement je suis restée quatre heures à l’école. Les enfants aussi étaient à l’école. Le personnel nous a demandé de descendre au rez-de-chaussée. Puis, le soir on nous a demandé d’aller au bâtiment du gouvernement. Mes deux petits enfants dormaient. Nous avons récupéré des vêtements grâce aux militaires russes. Aucune nouvelle d’Albert. On nous demandait de quitter l’Arstakh et je pleurais car je n’avais aucune nouvelle de mon fils Albert. Je ne voulais pas quitter l’Artsakh sans avoir de ses nouvelles.

Après Albert a envoyé un message en disant qu’ils étaient dans un blocus avec ses amis mais qu’ils n’arrivaient pas à sortir. J’ai transmis cette information au chef des Russes, aux personnes du gouvernement. Mais ils m’ont dit qu’il ne fallait pas que je m’inquiète car ils pouvaient se débrouiller. Finalement, je ne sais pas comment mais Albert et ses trois amis ont pu s’échapper de ce blocus par les montagnes. Un jour, ma fille m’a dit qu’elle avait une bonne nouvelle et elle a annoncé qu’Albert était vivant en pleurant. La deuxième fois, nous avons été déplacés de la même manière, sans les vêtements sans rien nous avons quitté notre pays.

AB : Maintenant que faites-vous ? Comment voyez-vous l’avenir ?

Kariné : L’avenir c’est la paix. L’avenir ne dépend pas de nous.

AB : Comment avez-vous été accueilli en Arménie ?

Kariné : Je remercie beaucoup l’aide que nous avons reçu et j’aimerais bien rester dans la région de Syunik. Comment ne pas remercier les personnes qui nous ont aidé si avant nous n’avions rien, même pas de matelas et maintenant nous avons beaucoup de choses. Nous n’avions pas de vêtements, les gens ont fait des dons de vêtements et de beaucoup d’autres choses. Mais en Artsakh notre mode de vie était très bien, mon salaire était de 120 000 dram, celui d’Albert était de 400 000 dram. Vraiment notre vie là-bas était bien.

AB : J’ai gouté une crêpe « jingalov hats » que vous vendez dans votre petite échoppe sur la place de Goris, pouvez-vous nous en parler ?

Kariné : Nous ne louons pas cette petite boutique on nous l’a proposé. Je paye juste l’électricité. J’arrive à vendre mes produits et à acheter du beurre, de la viande et des œufs pour les enfants. Donc c’est bien, ça marche quand même.

Kariné dans sa boutique

AB : Et la famille, comment ça va ?

Kariné : Hier soir quand je suis rentrée à la maison ma belle-fille m’a dit que c’était devenu notre petit business. A qui pouvons-nous nous adresser pour nous donner 1000 dram, 5 000 dram, pour que nous puissions acheter du beurre ou de la viande ? Ma belle-fille m’a dit qu’elle était reconnaissante de ce que je faisais. Puis comme ça je peux acheter des bonbons pour mes petits-enfants !

AB : Vos petits enfants vont-ils à l’école ?

Kariné : Pas encore, les petits enfants ne vont pas à l’école, ils sont trop jeunes. Mais il y a un centre de loisir dans lequel l’ainée va de temps en temps. Les autres aussi sont très petits, 3ans, 1 an et demi et le dernier a 18 jours.

AB : Si nous pouvions envoyer un message au président de la République française. Que lui diriez-vous ?

Kariné : Mon premier message serait d’avoir une maison pour que nous puissions rester ici. Mais je n’imagine plus retourner d’où nous venons, nous avons été déplacés deux fois, je n’imagine pas une troisième fois, la sécurité là-bas n’est pas assurée. Mais vraiment la vie était très belle là-bas. Même le goût des jingalov hats que je préparais là-bas n’était pas le même, elles étaient plus délicieuses, mieux qu’ici. La terre là-bas n’est pas la même. Le goût n’est pas le même. Même celui de la pomme de terre ou de l’eau est différent.

AB : Quel âge avez-vous ?

Kariné : J’ai 59 ans. Je ne suis pas très âgée mais j’ai connu beaucoup de douleur et de souffrance.

AB : C’est la paix ici. J’espère que vous aurez bientôt une maison et que vous pourrez vivre en paix en Arménie.

Kariné : J’ai une demande à faire. Si jamais il y a des gens qui peuvent aussi aider ma fille. Elle ne va pas très bien. Quand il y avait des drones azéris qui passaient sur Goris son fils qui avait 5 ans a eu peur et n’arrive plus à parler comme il faut. On lui a proposé de voir des spécialistes pour qu’ils s’occupent de lui, mais pour cela il faut payer 4 000 dram (ndlr environ 9 euros) à peu près pour une heure.

Mais comme nous n’avons pas la capacité de payer, c’est un peu compliqué. Le 13 septembre 2022, il y avait des drones qui passaient au-dessus de Goris et chaque instant il avait l’impression qu’ils allaient lui tomber sur la tête. Ce qui a créé beaucoup de peur en lui. Un jour, il jouait dehors avec d’autres enfants et au moment où ils ont vu les drones ils sont partis en courant sauf lui qui est resté seul et a prit très peur depuis.

AB: Je n’ai pas de solution immédiate, mais je peux en parler. Il faudrait peut-être voir ici à Goris avec Médecins du Monde qui parfois apporte une aide psychosociale.

Kariné : Merci.

Alain Boinet : Merci Kariné.

Kariné avec l’une de ses petites filles.

 

Entretien avec Albert.

 

AB : Bonjour Albert et merci pour cet entretien. Pouvez-vous nous raconter votre histoire.

Albert : Ma famille et moi-même habitions à Hartashen en Artsakh, un village de la région de Hadrut. Nous avons été déplacés à Stepanakert la capitale en 2020, juste après la guerre quand les Azéris ont occupé Hadrut. J’ai été blessé durant la guerre et j’ai dû subir une opération. Après cela, l’état nous a donné à ma famille et moi, une maison à Stepanakert. Nous avons alors commencé à y vivre mais nous n’avions rien, nous n’avons pas réussi à récupérer nos affaires.

C’est en 2023 que nous sommes venus à Goris dans la province du Syunik en Arménie, nous avions été déplacés déjà deux fois. Depuis, ma famille et moi habitons à Goris. Nous remercions toutes les associations ainsi que toutes les personnes qui nous aident pour que nous puissions continuer à vivre à Goris. Je travaille à Goris mais j’aimerais bien avoir une maison ici, avoir des cochons, des poules, quelque chose pour que nous puissions continuer à développer tout ce que nous avons maintenant afin de pouvoir continuer à vivre ici.

AB : Qu’est ce qui s’est passé pour vous les 19 et 20 septembre en Artsakh et qu’avez-vous fait ?

Albert : Je n’ai pas envie de me rappeler de ce que j’ai vécu, c’était vraiment dangereux. Ce que je peux dire c’est que j’ai passé sept jours dans un blocus fait par les azéris. J’y étais avec des amis, nous étions loin de nos familles. Heureusement, un de mes amis avait un portable, j’ai donc réussi à échanger un peu avec ma famille. Le septième jour, nous avons vu qu’il n’y avait aucune solution pour sortir de ce blocus. Nous avons appelé le gouvernement à venir pour qu’ils puissent nous sortir de cet endroit. Nous n’avons reçu aucune aide. Nous avons alors commencé à fuir dans les montagnes pour aller jusqu’à Stepanakert. Le 19 septembre 2023, tous les habitants de l’Artsakh quittaient leurs vies, leurs maisons. C’est là que nous avons commencé à sortir de l’Artsakh et c’est peut-être grâce à dieu que nous sommes arrivés à Goris.

AB : Pouvez-vous nous parler de votre famille ?

Albert : Ma famille est composée de huit personnes. J’ai trois filles et depuis le 10 septembre mon quatrième enfant est né, un fils. Nous habitons aussi avec ma mère et mon père donc au total, ma famille est composée de huit personnes.

AB : Avant de devoir fuir l’Artsakh et de vous réfugier en Arménie, que faisiez-vous ?

Albert : A Hadrout, j’étais militaire mais nous avions aussi des champs où nous cultivions du blé. Nous avions des poules, des cochons, des moutons, nous avions presque tout, des canards aussi. Ma mère travaillait à l’école, mon père était chauffeur et ma femme était la secrétaire de l’école. Dans le village de Shosh de la région d’Askeran nous avions toujours des poules desquelles nous vendions les œufs. Nous sommes une famille de travailleurs. Je continuais par ailleurs à faire mon service militaire à l’armée.

AB : Comment s’est déroulé votre arrivée en Arménie et comment vivez-vous aujourd’hui ?

Albert : L’accueil était bien, normal. A Goris dès notre arrivée, c’est ma fille qui nous a accueilli chez elle, elle a été mariée à Goris. Par la suite, nous avons loué un autre appartement dans le vieux Goris et chaque mois nous payons 100,000 dram (ndlr environ 220 euros). Je remercie énormément tous les gens qui ont été à nos côtés. Maintenant ma famille et moi préparons du Jingalov hats, une sorte de crêpe, une spécialité de l’Artsakh.

AB : Comment voyez-vous l’avenir ?

Albert : J’aimerais que la paix domine dans notre pays. J’aimerais posséder une maison et un travail. Je ne veux pas avoir à compter sur quelqu’un tous les jours. J’espère avoir ma maison, mon jardin et pouvoir compter seulement sur moi-même. Nous sommes une famille de travailleurs, nous avons l’habitude de travailler. Mais mon souhait principal reste que la paix domine dans notre pays.

Kariné avec son fils Albert et une de ses filles sur la grande place de Goris devant une Tour Eiffel miniature.

AB : Avez-vous reçu une aide depuis votre arrivée ?

Albert : Dès le début, l’état nous a donné de la nourriture, des couches pour les enfants et nous avons également reçu 100 000 dram (ndlr 220 euros), puis 40 000 dram, puis 10 000 dram. Puis durant six mois d’affilé, l’état nous a donné 50,000 dram pour louer une maison. Après, il y a également eu des associations qui ont fait d’autres donations. Par exemple, certaines associations françaises ont donné des frigos, des machines à laver, des lits pliants. Mes parents n’ont pas encore reçu leur retraite. Maintenant, je compte aussi sur moi-même.

AB : Où souhaitez-vous vous installer, vivre et travailler ?

Albert : Je préfère rester dans la région de Syunik ici à Goris, peut être dans le village de Verishen qui se trouve près de Goris. J’aimerais bien y trouver une maison et y rester.

AB : Vous avez je crois des problèmes de santé ?

Albert : J’ai 34 ans, j’ai été blessé. C’était très difficile, jusqu’à maintenant j’en garde des séquelles. Je vis avec la peur, le stress, les gestes neurotiques. Parfois je pense que je vais tomber, j’ai la tête qui tourne. Quand j’ai été blessé je suis allé à la maison des soldats pour obtenir des soins, des pansements. Jusqu’à maintenant j’ai toujours des problèmes à la jambe.

AB : Vous avez des enfants ?

Albert : Ma fille ainée s’appelle Kaliné Balyan, elle a 4 ans. La deuxième s’appelle Iana Balyan, elle a 3 ans. Ma troisième fille s’appelle Ariana Balyan et elle a 1 an et demi. Puis mon fils Boris Balyan est né le 10 novembre 2023, donc a à peu près un mois.

AB : Comment voyez-vous l’avenir ?

Albert : Je m’excuse de trop vous parler de mes problèmes. En tout cas, ce que je souhaite c’est d’avoir une maison afin de pouvoir commencer à travailler et, voir même après, pouvoir aider les autres. Je n’ai pas envie d’avoir l’aide de l’état. Le plus important pour moi c’est d’avoir une maison, juste ça maintenant.

AB : Où voulez-vous vous vivre maintenant ?

Albert : Je ne veux pas aller à Erevan (ndlr capitale de l’Arménie) car pour aller là-bas il faut être riche et de toute façon je préfère ici, je m’y sens bien. Quand je faisais mon service militaire j’avais laissé ma machine à Fizouli. Puis quand nous étions à Stepanakart (ndlr capitale de l’Artsakh) l’état nous a demandé d’aller équiper la maison car ils nous avaient donné 3 millions de dram (ndlr environ 6700 euros) et notre mode de vie, notre vie était très bien là-bas, nous vivions vraiment comme il faut.

AB : J’ai entendu parler de programmes de réhabilitation ou de construction de maisons pour les réfugiés.

Albert : Oui j’ai entendu parler de ce projet la qui est en cours. Du projet de réhabilitation à Goris, en Arménie. Mais si j’ai bien compris, ils ont commencé à regarder le dossier de mes proches. C’est-à-dire, leur demander des documents pour construire un dossier et pouvoir donner des maisons à mes amis.

AB: Je peux vous dire que Le Fond Arménien de France réalise une mission d’évaluation pour un programme de construction de maisons, avec des terres et une aide pour relancer l’activité agricole, l’élevage. Hier, nous avons vu 13 maisons neuves qui ont été construites à Shurnuk avec un lopin de terre, un petit bâtiment pour les poules, les cochons, les moutons et un accès à l’eau potable pour le village.

Nous étions récemment à la préfecture du Syunik à Kapan, où on nous a dit qu’il y avait un programme du gouvernement au niveau national pour acheter des maisons et les réhabiliter. Puis ces maisons seront réparties entre des réfugiés qui auront un contrat avec les modalités de propriété. L’action des autorités est aussi soutenue par des collectivités locales de France comme La Région Auvergne Rhône-Alpes qui a conclu un contrat de partenariat pour plusieurs années pour soutenir les réfugiés de l’Artsakh.  

 

Entretien avec Carmen.

 

AB :  Bonjour Carmen, pouvez-vous nous présenter le centre culturel à Goris ?

Carmen : Avec plaisir. Je suis Carmen, responsable du centre culturel francophone de Goris depuis 2017. Le centre francophone a été fondé en 2006 grâce aux efforts communs des municipalités de la ville de Vienne, de Goris et de SPFA (Solidarité Protestante France Arménie). C’est une coopération tripartite. Comme vous le savez, Goris est jumelée avec la ville de Vienne depuis 1992. Dès la fondation, nous avons toujours réalisé des projets éducatifs et culturels pour les francophiles et francophones. Il y a beaucoup d’autres projets comme le projet écologique. Nous organisons aussi chaque année des jeux intellectuels : « connaissez-vous la France ? » « Connaissez-vous l’Arménie ? ».

Elèves du Centre Culturel Francophone de Goris dans la province du Syunik.

Il y a également une collaboration avec l’école maternelle numéro cinq qui collabore depuis 30 ans avec la maison de la culture arménienne de Vienne. C’est la seule école maternelle où le français est obligatoirement enseigné. Il y a d’autres projets que nous organisons régulièrement. Par exemple, chaque année, le camp d’été accueille 80 francophiles et francophones durant lequel nous organisons des cours de français intensifs pour 4 groupes de différents niveaux. Ce camp dure 2 mois. Il y a aussi des projets très intéressants qu’on met en place avec SPFA.

Chaque année il y a une université d’été et tous les clubs francophones (avant on en comptait 7 mais comme maintenant il n’y a plus le club de Stepanakert, nous n’en comptons plus que 6). Nous nous regroupons chaque année pour organiser différents ateliers et réunions et c’est toujours grâce à SPFA. Il y a aussi des échanges qui sont organisés. La ville de Vienne invite des professeurs arméniens de français pour faire des formations professionnelles. Il y a également des services civiques : échanges entre les jeunes de Vienne et Goris. Notre but est de développer la francophonie à Goris.

Malheureusement, pendant la guerre le principe de notre activité a changé. En urgence, il y a toujours des choses à faire : aider les réfugiés, organiser l’aide, accueillir les délégations étrangères. C’est comme si le centre était un carrefour pour toutes les associations même pour les réfugiés. Nous sommes toujours prêts à aider les gens, à organiser des distributions. Après la guerre nous continuons toujours à organiser des cours de français gratuitement.

Cette année comme il y a des enfants d’Artsakh qui font leurs études dans les écoles de Goris, ils apprennent le français. Nous aimerions bien aussi avoir un groupe juste pour ces enfants la afin qu’ils puissent apprendre et améliorer leur niveau de français. Nous organisons aussi des choses pour pouvoir motiver ces enfants à apprendre le français. Vraiment nous pouvons dire que le centre est un foyer de bonheur pour les gens qui ont envie d’apprendre le français. Il y a même des gens qui viennent ici juste pour discuter, décider des choses pour l’avenir. Vraiment je suis contente qu’avec les amis de Vienne, de SPFA, avec nos collègues français, avec l’ambassade de France et avec d’autres associations françaises nous arrivons à avancer. Chaque instant de chaque jour, je remercie les personnes qui sont avec nous. Ce que je dis souvent c’est que : de temps en temps nous sommes loin mais nous sommes toujours avec nos amis.

J’espère bien qu’un jour, tous les principes que nous avions dès le début pourront perdurer à l’avenir. Mais pour moi le plus important est que la paix domine dans le monde entier. S’il y a la paix, il y a beaucoup de projets mais s’il y a la guerre, il n’y a aucun projet. C’est juste de la paix que nous rêvons tout le temps.

AB : Comment s’est déroulé l’arrivée des 100.000 réfugiés qui sont passés à Goris ?

Carmen : Le 19 septembre, il y avait un entretien sur zoom organisé par SPFA avec tous les responsables des clubs francophones. J’y participais. Et pendant que j’y participais j’étais sur Facebook et j’ai vu qu’il y avait la guerre. J’ai quitté l’appel et j’ai appelé la fille de mon parrain qui m’a dit « Carmen c’est la guerre ». C’est quelque chose que j’aimerais bien ne plus jamais connaitre car nous l’avons déjà vécu plusieurs fois. J’ai directement commencé à inviter les gens chez nous, au centre. J’ai toujours dit que les portes, comme toujours étaient ouvertes aux réfugiés. Nous sommes allés là où tous les minibus arrivaient à Goris. C’est là que s’organisaient des distributions de vêtements, de nourriture. Il y avait des gens qui venaient de Stepanakert, la route était très longue. La route de Stepanakert à Goris durait 40 heures, même 48 heures. Les gens avaient faim, ils avaient froid.

Avec les volontaires de Goris, les volontaires étrangers, nos amis français, différentes associations et la municipalité, nous étions sur place. Nous avions mis des tables pour proposer du thé, du café, de la nourriture, différentes choses. Puis le deuxième jour déjà, nous avions senti qu’ils avaient besoin d’autres choses. Des Arméniens, mêmes des français m’appelaient pour me demander « de quoi ont-ils besoin ? » la réponse était qu’ils avaient besoin de tout. De tout et n’importe quoi. Ils ont quitté leurs maisons comme ça sans être prévenus et donc sans rien.

Comme à Goris il y avait beaucoup de monde, il n’y avait plus de place dans les hôtels, dans les familles d’accueil, dans les Bed and Breakfast. Une partie des réfugiés sont allés dans différentes régions et à Erevan car il n’y avait plus de place ici. Le dernier jour était le pire car les réfugiés n’avaient ni voitures, ni moyens de déplacement, ils étaient juste sur place. Nous avons mis des matelas là-bas. Mais heureusement, sur place, personne n’est resté sans logement. L’état, la municipalité, les associations étaient présents. Même les francophones du centre sont allés faire de l’interprétariat pour qu’on puisse garder cette communication. Chacun, les petits, les grands, tout le monde avait envie d’aller les aider. Heureusement, je ne sais pas si nous avons réussi, mais dans l’urgence nous avons fait tout ce qui était dans notre possible.

Distribution de l’aide à des familles de réfugiés avec l’association l’œuvre d’Orient.

AB : Comment cela s’organise trois mois après l’arrivée des réfugiés ?

Carmen : Maintenant, heureusement, il y a des familles qui ont déjà trouvés des moyens. Une partie loue des maisons, une autre partie reste encore chez les familles d’accueil. Une autre partie reste dans les hôtels de Goris, une autre partie est allée dans différents villages. Il y a des réfugiés qui sont dans les villages frontaliers. Il y a des réfugiés qui n’ont pas envie de rester dans les villages frontaliers et maintenant leurs besoins sont par exemple d’équiper, de rénover leurs maisons et il y a cet espoir, déjà, de trouver une solution pour toujours. Il y a des gens qui disent je ne connais pas mon avenir mais il y a des réfugiés qui ont déjà décidé et qui disent « mon restaurant est déjà ici, on n’a pas envie de quitter cette ville ».

Il y a différents besoins et différentes décisions. Mais en tout cas, je pose tout le temps cette question : « est-ce que vous aimeriez bien vivre ici ? » une partie dit oui, une partie dit « ici mais pas dans les villages frontaliers ». Je suis très contente d’apprendre aussi que les réfugiés ont déjà envie de travailler. Ça c’est très important parce que ça signifie qu’ils n’attendent pas tout le temps que l’état, les associations distribuent des choses.

AB/ Carmen pouvez-vous nous présenter le Centre francophone de Goris.

Carmen : Le but du centre est de développer la francophonie, de garder les valeurs de la francophonie dans notre ville francophone, parce que dès l’époque soviétique, c’était le français qui avait été enseigné obligatoirement dans toutes les écoles de Goris. On peut vraiment dire que c’était une ville francophone. Maintenant, on fait beaucoup d’efforts pour parvenir à garder ces valeurs. Les enfants qui apprennent le français à l’école viennent au centre francophone pour perfectionner leur niveau.

Il y a différents niveaux, différents âges, différents groupes qui viennent pour participer gratuitement à ces cours. Et en vérité ce sont déjà des cours intensifs qui durent deux heures et trente minutes et tout au long de l’année. Notre but est de garder et de perfectionner le niveau de français des élèves qui viennent au centre. Nous commençons à enseigner le français dès 8 ans et jusqu’à 100 ans. Il y a des volontaires français, des échanges, l’occasion de vivre une expérience d’aller à Vienne à la demande de notre ville jumelle. Cet échange est très important.

AB : Comment fonctionne ce jumelage entre Goris et Vienne ?

Carmen : Dans le cadre du jumelage il y a toujours des échanges, des visites officielles ou non. Il y a toujours des projets qui sont très importants pour nous et pour nos amis viennois. Et vous savez pour améliorer le niveau, il est très important de communiquer régulièrement avec les Français. Par exemple, SPFA organise chaque année des voyages où ils nous invitent pour faire partie de leur délégation. Cela nous permet de participer au voyage et en même temps découvrir notre pays. Parce que c’est gratuit et ainsi nous pouvons communiquer avec les Français.

Il y a beaucoup de beaux projets auxquels nous participons toujours avec plaisir et à chaque fois nous attendons que de nouveaux projets arrivent pour pouvoir y participer. Comme ça nous changeons aussi notre mode de vie, nous ne pensons pas tout le temps à la guerre. C’est bien qu’ils gardent des projets comme ça. Je remercie toujours nos amis ainsi que les associations qui réalisent ces projets avec nous. Nous sommes toujours prêts à collaborer avec des gens qui ont envie de coopérer avec nous.

Centre Culturel Francophone de Goris avec Olivier Decottignies, ambassadeur de France en Arménie.

AB : Carmen, pouvez-vous nous parler du partenariat avec les collectivités locales ?

Carmen : Vraiment chaque collaboration est très importante. Comme Goris est jumelée avec Vienne depuis 1992, c’est déjà à l’échelle des villes. Il y a aussi déjà un accord de partenariat entre la région de Syunik et entre le département de l’Isère. Nous pouvons donc déjà mener beaucoup de projets et élargir les domaines. Nous pouvons dire qu’avant c’était juste Goris et Vienne, maintenant il y a un accord entre la région de Syunik et la Région Auvergne Rhône Alpes. Il y a aussi d’autres communes de notre région qui vont se jumeler avec des communes françaises. Donc beaucoup de jumelages qui donneront lieu à beaucoup de possibilités et d’ouvertures pour améliorer ce lien franco-Arménien.

AB : Comment fonctionnent les Centres francophones ?

Carmen : Cela fait déjà 17 ans que les clubs, qui sont un réseau, collaborent régulièrement. Il y a toujours des projets que l’on construit ensemble. Je collabore tous les jours avec le bureau de SPFA qui se trouve à Erevan. S’il y a des besoins, s’il y a des problèmes nous discutons tout le temps. S’il y a des choses qu’on voit qu’on peut faire ensemble, nous le faisons ensemble et c’est bien comme ça car on se rend compte qu’on n’est pas seul, pas isolé dans notre ville. On sait qu’il y a des gens qui sont dans différentes villes qui sont avec nous. L’idée que nous ne sommes pas seuls est très importante, savoir qu’on a un soutien de la part de SPFA, de la ville de Vienne et d’autres associations qui nous demandent tout le temps nos besoins. Cela se passe très bien.

Nous n’avons jamais eu de problèmes entre nous, ça a toujours été agréable de se rencontrer, de discuter, de proposer des choses pour l’avenir. Comme si c’était devenu une famille francophone où il y a justement cette atmosphère francophone. On invite toujours des Français. J’adore vraiment mon travail, je le fais avec plaisir, avec amour. Le plus important est l’amour et le respect qui doit exister.

Interview de Carmen pour Défis Humanitaires.

AB : Je vous remercie d’avoir organisé cette rencontre et la traduction de ces entretiens avec Kariné et Albert.

Carmen : Merci à vous pour votre présence, pour votre engagement pour tous vos efforts, pour votre soutien parce que la France a toujours été avec l’Arménie, aux côtés du peuple arménien. Je n’imagine pas ma vie sans la francophonie et je suis prête à continuer à travailler avec mes amis français jusqu’à ma mort, tant que je peux aider je le ferais avec plaisir.

AB : Merci Carmen pour ce que vous faîtes pour les réfugiés et pour la francophonie qui vous tient manifestement à cœur.

Carmen : Oui, la vie c’est la lutte, il faut lutter pour avancer. Lutter, construire jusqu’à la fin car il y a beaucoup de rêves à réaliser.

Alain Boinet : Je vous souhaite de réaliser ces rêves !

 

Découvrez :

 

Humanitaire : de l’Arménie au Sahel, du nord-est Syrien à Gaza et de l’aide en Ukraine.

Un éditorial d’Alain Boinet

Des Palestiniens fuyant le nord de la bande de Gaza © UNRWA Ashraf Amra

Nous arrivons dans le village de montagne de Schurnuk en Arménie. Il a été coupé en deux par la guerre. A gauche de la petite route, c’est dorénavant l’Azerbaïdjan et à droite l’Arménie qui se sent menacée. Une quinzaine de maisons sont en construction pour héberger les familles arméniennes chassées de leur ferme et une adduction d’eau de 3 km avec un réservoir sont en construction pour les alimenter en eau potable avec le soutien du Fonds Arménien de France. Plus loin, un fortin militaire Russe surveille une position de l’armée arménienne qui fait face à un poste Azéri.

Le lendemain, grâce à Carmen du Centre culturel francophone du SPFA de Goris, je rencontre des Arméniens chassés de l’Artsakh par l’Azerbaïdjan fin septembre. Kariné BalaÏan a 59 ans, elle a 3 enfants et 13 petits enfants, dont son fils Albert. Kariné essuie des larmes en évoquant la guerre. Elle a tout perdu avec sa famille en s’échappant de Stepanakert sous les bombes. Albert rêve d’une maison pour s’installer avec sa femme et ses 4 enfants dont le plus jeune né durant l’exode ! Albert a 34 ans et veut vivre à nouveau de son travail.

A Goris comme à Kapan, nous rencontrons une équipe d’experts de la Chambre d’Agriculture Auvergne Rhône-Alpes et de l’Isère qui évalue besoins et projets dans le cadre de la Convention de partenariat signée en mars entre la région du Syunik et Laurent Wauquiez pour la Région Auvergne Rhône-Alpes.

C’est aujourd’hui tout l’enjeu pour les 100.000 Arméniens chassés de l’Artsakh en quelques jours et traumatisés. On en trouve dans toutes les régions en Arménie. La moitié est hébergée dans des hôtels, des écoles, des bâtiments de l’Etat et les autres chez des parents ou dans des locations précaires en attendant de trouver un travail sachant que la moitié sont des ruraux, qu’il y a 30.000 enfants à scolariser et que beaucoup ont été perturbé par l’exode forcé sous les bombes.

En Arménie dans la région du Tavouch avec le vice-gouverneur Narek Ghushchyan, l’ambassadeur de France Olivier Decottignies, Dominique Vaysse, Conseillère adjointe de coopération et d’action culturelle, l’association des maires ruraux de France et son président Michel Fournier, le président de la Côte d’Or, Bruno Bethenod Courtage et Hélène Brégier-Brochet, le Fonds Arméniens de France avec son vice-président Michel Pazoumian et Défis Humanitaires avec Alain Boinet.

Comme dans la région du Syunik, celle du Tavouch accueille des réfugiés que nous avons eu l’occasion de rencontrer en visitant des projets scolaires et universitaires, de formation agricole et d’élevage avec l’ambassadeur de France en Arménie Olivier Decottignies, l’Association des Maires Ruraux de France, le Fonds Arménien de France avec le soutien du Conseil départemental des Hauts de Seine.

Je suis venu en Arménie pour réaliser un reportage pour Défis Humanitaires ainsi que pour identifier des besoins humanitaires et des acteurs de l’aide tels que des ONG, des fondations, des collectivités locales en France et ailleurs qui pourraient venir appuyer et renforcer, notamment dans les provinces frontalières du Syunik et du Tavouch qui sont sous la menace armée de l’Azerbaïdjan soutenue par la Turquie et Israël.

Tout l’enjeu c’est bien sûr la paix avec un traité de reconnaissance mutuelle entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan qui s’y refuse pour l’instant, ainsi qu’une régularisation des relations avec la Turquie. En attendant, soutenir les réfugiés et l’Arménie est sans doute une des meilleures solutions pour parvenir à un équilibre favorisant une paix juste dans cette région troublée du Caucase du sud.

Du Sahel au nord-est Syrien, de Gaza à l’Ukraine, un long chemin pour la solidarité.

Cette édition de Défis Humanitaire, la 12ème cette année, dresse un état des lieux de crises qui mobilisent l’action humanitaire comme celle des diplomates, des armées et des groupes djihadistes ou terroristes.

Où va le Sahel ?

Telle est la question que nous avons posé à Gilles Yabi, directeur général du Think Tank Wathi basé à Dakar au Sénégal. A l’écouter, on voit bien la conjonction entre les difficultés internes et les initiatives ou ingérences externes. Au Mali, au Burkina Faso ou au Niger, il note les faiblesses de la gouvernance, le poids historique de la présence française, l’ingérence des Russes et du groupe Wagner, la dimension régionale aux trois frontières dans le Liptako Gourma, les motivations diverses qui animent les recrues des groupes armés et le risque d’extension aux pays du Golfe de Guinée. A la question sur la démographie exponentielle en Afrique, il souligne l’absence de réponse à un phénomène majeur qui, s’il est un atout à long terme constitue un sérieux problème à court et moyen terme. Malgré une situation difficile, Gilles Yabi nous invite à garder confiance en l’avenir de l’Afrique qui a de nombreux atouts. Un entretien tout en nuances précises et pertinentes, que je vous recommande.

Dr Gilles Yabi lors d’une conférence au Think Tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest Wathi

Nord-est Syrien danger !

Patrice Franceschi, écrivain, bon connaisseur engagé rentre du Kurdistan syrien où Jean-Michel Blanquer, ancien ministre français de l’éducation, l’accompagnait porteur d’une lettre de soutien du Président de la République Française, Emmanuel Macron, pour les Forces Démocratiques Syriennes qui regroupent kurdes, chrétiens et tribus arabes. En effet, les Turcs déstabilisent la région qu’ils soumettent à des bombardements quotidiens, y compris la nuit, tout en rationnant l’eau du fleuve Euphrate pour affaiblir les capacités d’autosuffisance agricole de la population. Les Iraniens sont entrés en action avec leurs drones contre les FDS et les cellules dormantes de Daech sont toujours là, prêtes à repasser à l’action. Si l’action humanitaire est indispensable dans cette région, la solution se joue essentiellement sur les plans politiques et militaires. Pour bien comprendre cet imbroglio, la lecture de cet entretien est éclairante.

Jean-Michel Banquer, ancien ministre de l’Éducation nationale, avec Patrice Franceschi, Khaled Issa et des commandants des unités chrétiennes des Forces Démocratiques Syriennes en Syrie du nord-est.

Le droit International Humanitaire (DIH) à la peine entre Israël et le Hamas à Gaza.

Pierre Brunet qui pratique et réfléchit l’humanitaire depuis longtemps nous rappelle que c’est l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre en Israël et ses 1200 victimes tuées dans des conditions atroces qui a provoqué délibérément la guerre en cours. Il invite les humanitaires à ne pas ignorer l’emploi par le Hamas du bouclier humain de la population de Gaza condamnée d’ailleurs par l’Union Européenne. Simultanément, il condamne l’action violente et prédatrice des colons en Cisjordanie et la nécessité d’une solution à deux Etats, Israélien et Palestinien, vivant en paix. Pour Pierre Brunet, il s’agit de tenir la balance du Droit Humanitaire International équilibrée en évitant l’angle mort des responsabilités du Hamas et du « syndrome de Stockholm » tout en ravitaillant la population de Gaza en plaçant de facto Israël devant ses responsabilités. Comme nous le constatons tous, le respect du DIH est une exigence menacée dans ce conflit existentiel qui requiert un plaidoyer juste et déterminé.

La question de l’aide en Ukraine.

François Dupaquier, fondateur de U-Saved en Ukraine.

François Dupaquier est connu dans le milieu humanitaire et il a notamment créé une ONG Ukrainienne U-SAVED. Avec sa franchise directe et son expérience, il plaide ici avec conviction et arguments du transfert de risques des organisations internationales sur les partenaires locaux. Les exemples qu’il a vécus et documentés sont nombreux en matière de risques sécurité, financiers et administratifs.  En conclusion, il propose des pistes pour en sortir ! Un mot personnel à ce sujet : le transfert de risques n’est certainement pas humanitaire ! Je crois que la solution réside au contraire non dans la substitution mais dans la complémentarité des acteurs internationaux et nationaux sur le plan des principes et valeurs, au niveau opérationnel, administratif et financier. Cela reste encore à inventer, donc action.

Faire face aux risques physiques et mentaux dans l’action humanitaire avec CoCreate Humanity.

C’est la mission de l’association suisse CoCreate Humanity présentée dans cette édition par Hélène Ros, fondatrice avec Sébastien Couturier et Christophe Hensh, tous les trois issus du CICR et qui soutien les blessés, les kidnappés et les victimes de traumatisme divers. CoCreate Humanity a développé une démarche d’accompagnement humain qui fait ses preuves et qu’il faut remercier et soutenir.  Hélène nous présente cette démarche utile à partager.

La santé élargit son champ.

Madeleine Trentesaux, anthropologue, travaille sur le « One Health », ou en français « une santé durable », qui reconnaît les liens entre santé humaine, santé animale et santé environnementale. Le Forum une santé durable ou « One Sustainable Health Forum » agit pour intégrer son approche y compris dans les situations d’urgence humanitaire. Découvrez cette approche novatrice de la santé dans cette édition.

Qui veut l’humanitaire veut les moyens !

Conférence Nationale Humanitaire de 2021

Ce sera la question au centre de la prochaine Conférence Nationale Humanitaire (CNH) à Paris le 19 décembre au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE). Rappelons que la 1ère CNH a eut lieu en 2011 concrétisant les préconisations du Rapport Boinet-Miribel faîte au ministre à l’époque, Bernard Kouchner.

La CNH a été préparée par le Centre de Crise et de Soutien (CDCS) dirigé par Philippe Lalliot avec les ONG humanitaires membres du Groupe de Concertation Humanitaire (GCH).

Cette année, la CNH que l’on pourra suivre en présentiel ou à distance sur YouTube, a trois principales priorités :

  • Comment intégrer les enjeux de l’impact du changement climatique, de protection et de localisation pour agir efficacement sur les crises.
  • Comment protéger l’aide humanitaire et l’accès aux populations alors que le DIH est menacé.
  • Face à l’augmentation des besoins humanitaires dans le monde, quels financements pour une meilleure efficience de l’aide ?

La CNH sera ouverte par la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Catherine Colonna, avec un panel de personnalités et d’experts sur la dégradation du contexte de l’action humanitaire et de la multiplication des crises.

Cette CNH sera l’occasion de présenter la Stratégie Humanitaire de la République Française (SHRF) pour la période 2024-2027 qui fait suite aux deux précédentes. Cette Stratégie pour les 4 années à venir définit trois grandes priorités :

  • L’augmentation des moyens et des modalités de mise en œuvre pour plus d’efficacité.
  • Le respect du Droit International Humanitaire (DIH) avec le soutien de la diplomatie Française.
  • L’intégration du climat et de l’environnement, de la sécurité alimentaire, du genre et la simplification des procédures.

Dans une lettre adressée au printemps à la ministre, Catherine Colonna, je rappelais que « Le nombre de conflits a plus que doublé au cours de la décennie 2010-2020, le nombre de catastrophes liées au climat a augmenté chaque année depuis 2018, le nombre de réfugiés et déplacés par les conflits a doublé en 10 ans pour atteindre 100 millions d’êtres humains. L’insécurité alimentaire a augmenté de 35% ces cinq dernières années. Nous avons basculé dans une autre époque en une poignée d’années et surtout changé d’échelle et de rythme face à ces immenses défis. Dans ce monde, l’humanitaire est une assurance vitale pour les victimes des crises ».

Aussi, si l’augmentation des moyens financiers français a été considérable depuis 2018, celle-ci doit se poursuivre face à des besoins humanitaires évalués cette année à 50,5 milliards de dollars et auxquels il risque de manquer comme chaque année environ 50% du montant indispensable.

Financements français accordés à l’aide humanitaire ©CDCS Stratégie humanitaire de la République française 2023-2027

Aussi, si l’annonce d’une augmentation du budget humanitaire de la France à un milliard d’euros en 2025 est une très bonne nouvelle, il convient pour la suite d’aller au-delà et de réfléchir à la part de l’Aide Publique au Développement (APD) qui devrait être affecté à l’humanitaire. En effet, si la France est un des principaux contributeurs à l’APD dans le monde, le 4ème, sa part pour l’humanitaire est l’une des plus basses !

Il y a là une contradiction et une inadéquation par rapport aux réalités du monde actuel. Il serait pertinent et logique que la France affecte au moins 13,9% de son APD à l’humanitaire selon la moyenne des pays membres de l’OCDE, certains allant même jusqu’à 20 à 25%.

La Conférence Nationale Humanitaire le 19 décembre 2023 constituera l’occasion privilégiée d’en débattre afin de mieux répondre à l’écart croissant entre les besoins et les ressources qui concerne cette année 339 millions d’êtres humains dans le monde.

Conclusion

Face aux défis de la multiplication des crises et des victimes, à l’écart grandissant entre les besoins et les moyens pour secourir les populations en danger, à la mise en cause et à la violation du droit humanitaire international (DIH), l’enjeu humanitaire devient vital dans les relations internationales et doit être respecté et protégé par tous les acteurs car le DIH est moins un concept occidental qu’une valeur humaine partagée par toutes les civilisations, les cultures et les religions.

Je vous souhaite par avance de bonnes fêtes de Noël et de Nouvel An et vous remercie pour votre soutien (faireundon) pour Défis Humanitaires qui compte sur vous.

Alain Boinet

Alain Boinet est le président de la Revue en ligne Défis Humanitaires www.defishumanitaires.com  et le fondateur de l’association humanitaire Solidarités Humanitaires dont il a été directeur général durant 35 ans. Par ailleurs, il est membre du Groupe de Concertation Humanitaire auprès du Centre de Crise et de Soutien du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, membre du Conseil d’administration de Solidarités International, du Partenariat Français pour l’eau (PFE), de la Fondation Véolia, du Think Tank (re)sources.

 

 

 

 

Retrouvez l’édition 83 de Défis Humanitaires :