ONU eau potable : quelques progrès, beaucoup de retard à rattraper !

Résumé du Rapport du JMP UNICEF-OMS (2020-2022).

Enfants se rendant à pied à une rivière voisine pour s’approvisionner en eau au Laos @ADB

Le « Rapport sur les progrès en matière d’eau potable et d’assainissement et d’hygiène » est le document de référence pour le suivi de l’Objectif 6 des Objectifs de Développement Durable (ODD) 2015-2030 de l’ONU. Il s’agit d’une étude regroupant les données d’un nombre maximal de pays, menée conjointement par l’OMS et l’UNICEF au sein d’un programme commun de surveillance (le Joint Monitoring Program – JMP) qui est le dépositaire des données mondiales sur l’approvisionnement en eau, l’assainissement et l’hygiène. Le JMP produit un rapport tous les trois ans pour faire état des progrès en la matière en publiant des données fiables.

Le dernier rapport, sorti le 6 juillet 2023, fait état des avancées en matière d’accès à l’eau mais également des progrès qu’il reste à faire pour atteindre les ODD tout en présentant les enjeux qui rejoigne l’ODD 5 concernant l’égalité des genres. La présente synthèse reprend la structure même du rapport et permet d’avoir un aperçu des données clés collectées et mises en perspective par rapport aux objectifs pour 2030.

Des progrès à intensifier…

Ce rapport présente des estimations nationales, régionales et mondiales actualisées, concernant l’accès à l’eau, l’assainissement et l’hygiène des ménages sur la période 2000-2022. L’accès universel et équitable à l’eau potable, à l’hygiène et à l’assainissement d’ici 2030 constitue un des Objectifs de Développement Durable de l’ONU et des pays membres.

Pour atteindre les cibles de l’ODD 6 d’ici à 2030, il faudra multiplier par six les taux de progression actuels concernant la gestion sécurisée de l’eau potable, par cinq pour la gestion sécurisée de l’assainissement et par trois pour la fourniture de services d’hygiène de base.

Dans les pays à faible revenu, la réalisation de la couverture universelle des services AEPHA de base d’ici 2030 nécessitera une accélération spectaculaire des taux de progrès actuels.

…Pour atteindre des objectifs conjoints

Les progrès en matière d’eau potable, d’assainissement, de santé et d’hygiène sont indispensables à la réalisation de l’ODD 5, qui vise à “réaliser l’égalité des sexes et l’autonomisation de toutes les femmes et les filles” et le présent rapport met l’accent sur le genre pour refléter cet aspect.

En effet, il existe de nombreux liens entre ces deux ODD :

  • 1,8 milliard de personnes s’approvisionnent en eau potable dans des sources d’approvisionnement situées à l’extérieur des habitations et dans sept cas sur dix, les femmes et les filles sont les principales responsables de la collecte de l’eau.
  • Dans presque tous les pays disposant de données comparables la charge du transport de l’eau reste significativement plus lourde pour les femmes et les filles que pour les hommes. L’estimation établie dans le rapport comprend la collecte à partir de sources d’eau potable améliorées et non améliorées.
  • Plus d’un demi-milliard de personnes partagent des sanitaires et points d’eau avec d’autres ménages. Les données émergentes montrent que parmi ces personnes, les femmes sont plus susceptibles que les hommes de se sentir mal à l’aise ou peu en sécurité avec les installations sanitaires, notamment lorsqu’elles marchent seules après la tombée de la nuit.
  • L’absence d’installations pour le lavage des mains a un impact plus fort sur les adolescentes et les femmes qui sont les principales responsables des enfants et des tâches ménagères dans de nombreux pays du monde.
  • Des services eau-assainissement-hygiène (EAH souvent dénommé WASH) inadéquats limitent la capacité des adolescentes et des femmes, ainsi que des autres personnes qui ont leurs règles, de gérer leurs menstruations en toute sécurité et en toute intimité.

Les services d’eau potable

Depuis 2015, la couverture en eau potable gérée est passée de 69 % à 73 %, passant de 56 % à 62 % dans les zones en milieu rural et de 80 % à 81 % en milieu urbain.

En 2022, une personne sur cinq manquait d’eau potable gérée en sécurité et cet accès varie largement selon les régions du monde.

Quelques données clés :

  • En 2022, 73 % de la population mondiale utilise des services d’eau potable gérés en toute sécurité, 62 % en milieu rural et 81 % en milieu urbain.
  • 2,2 milliards de personnes n’ont pas accès à de l’eau potable gérée en toute sécurité dont 1,5 milliard à des services de base, 292 millions à des services limités, 296 millions avec des services non améliorés et 115 millions à de l’eau de surface.
  • Les estimations concernant les services gérés en toute sécurité sont disponibles pour 142 pays et six des huit régions des ODD, représentant 51 % de la population mondiale.
  • Pour parvenir à un accès universel à des services gérés en toute sécurité d’ici à 2030 il faudra multiplier par six les taux de progression actuels (20 fois dans les pays les moins avancés, 19 fois dans les contextes fragiles)

Les services d’assainissement

Depuis 2015, la couverture de l’assainissement a augmenté de 49 % à 57 %, passant de 36 % à 46 % dans les zones rurales et de 60 % à 65 % dans les zones urbaines.

En 2022, deux personnes sur 5 n’avaient pas d’accès sécurisé à l’assainissement et cet accès varie largement selon les régions du monde.

Quelques données clés :

  • En 2022, 57 % de la population mondiale utilise des services d’assainissement gérés en toute sécurité, 46 % en milieu rural et 65 % en milieu urbain.
  • 3,5 milliards de personnes n’ont pas accès à des services d’assainissement gérés en toute sécurité, dont 1,9 milliard à des services de base, 570 millions à des services limités, 545 millions à des services non améliorés et 419 millions pratiquant la défécation à l’air libre.
  • Les estimations concernant les services gérés en toute sécurité étaient disponibles pour 135 pays et sept des huit régions des ODD, représentant 86 % de la population mondiale.
  • L’accès universel à des services gérés en toute sécurité d’ici à 2030 nécessitera de multiplier par cinq les taux de progrès actuels, par 16 dans les pays les moins avancés et par 15 dans les contextes fragiles.

Les services d’hygiène

Depuis 2015, la couverture des services d’hygiène a augmenté de 67 % à 75 %, passant de 53 % à 65 % en dans les zones rurales, mais est restée largement inchangée, à 83 %, dans les zones urbaines.

En 2022, une personne sur quatre n’a pas accès aux services d’hygiène de base, mais quatre régions n’ont pas de données suffisantes sur le sujet.

En 2022, une personne sur quatre manque d’accès aux services d’hygiène de base (certaines régions ne fournissent pas de données)

Quelques données clés :

  • En 2022, 75 % de la population mondiale utilise des services d’hygiène de base, 65 % en milieu rural et 83 % en milieu urbain.
  • 2 milliards de personnes manquent de services d’hygiène de base, dont 1,3 milliard à des services limités et 653 millions sans installations.
  • Des estimations concernant les services de base étaient disponibles pour 84 pays et quatre des huit régions des ODD, représentant 69 % de la population mondiale.
  • Pour parvenir à un accès universel aux services d’hygiène de base d’ici à 2030, il faudra multiplier par trois les taux de progrès actuels (par 12 dans les pays les moins avancés et par huit dans les contextes fragiles).

La santé et l’hygiène menstruelle

53 pays disposaient de données pour au moins un indicateur de santé menstruelle en 2022, et les trois quarts d’entre eux étaient des pays à revenu faible ou moyen inférieur.

Les adolescentes et les femmes ont accès à des protections hygiéniques et à un lieu privé pour se laver et se changer dans la plupart des régions du monde. Cependant elles ne participent pas à l’école, au travail ou à des activités sociales pendant leurs règles.

Quelques données clés :

  • 53 pays disposent de données pour au moins un indicateur de santé menstruelle en 2022, et les trois quarts d’entre eux étaient à faible revenu ou à revenu intermédiaire de la tranche inférieure.
  • Les adolescentes et les femmes vivant dans les zones rurales sont plus susceptibles d’utiliser du matériel menstruel réutilisable ou de ne pas utiliser de matériel du tout.
  • Les adolescentes et les femmes appartenant au quintile de richesse le plus pauvre et celles rencontrant des difficultés matérielles sont plus susceptibles de ne pas disposer d’un endroit privé pour se laver et se changer à la maison.
  • De nombreuses adolescentes et femmes ne participent pas à l’école, au travail ou à des activités sociales pendant les règles mais il existe des différences significatives entre les pays et à l’intérieur de ceux-ci.

D’où proviennent les données de l’étude ?

La question est importante car tous les Etats n’effectuent pas les mêmes mesures, ainsi, certaines régions du monde ne peuvent fournir aucunes données sur certaines thématiques précises. Il existe une disparité entre les Etats selon leur niveau de richesse mais également selon les thématiques. C’est pourquoi il n’y a pas le même nombre de données disponibles, mesurables ou accessibles dans tous les domaines.

En définitive, les progrès sont encore nombreux pour atteindre les objectifs d’ici 2030.

Le Rapport JMP de l’UNICEF et de l’OMS a l’immense mérite d’exister et d’indiquer ce qui reste à réaliser pour atteindre l’Objectif 6 des 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) décidé par les Etats membres de l’ONU en 2015. Le Sommet mondial des ODD qui aura lieu à New-York le 18 septembre prochain répondra t’il aux attentes et propositions des acteurs de l’eau pour y parvenir sans oublier personne ! A suivre dans une prochaine édition de Défis Humanitaires.

 

Cette synthèse propose les données majeures de l’étude, le rapport entier (en anglais) étant disponible ici : https://washdata.org/reports/jmp-2023-wash-households-gender-pullout-launch

Synthèse établie par Camille CHAMBON

Miroir mon beau miroir, dis-moi que je suis la plus belle…

Les associations humanitaires touchées par une forme contemporaine de narcissisme ?  

Il fut un temps, pas si lointain, où les débats qui passionnaient les CA et les AG des ONG humanitaires portaient sur les enjeux de l’intervention dans tel ou tel pays ; comment travailler en Somalie ; quels défis à prendre en compte pour opérer en Afghanistan, en Bosnie, en Tchétchénie, en Irak, en Syrie… Les chefs de mission (on ne parlait pas encore de directeurs pays) étaient souvent présents, pour témoigner des réalités et des difficultés quotidiennes de leur terrain… Ce qui habitait l’assemblée était une question simple « comment mieux aider, plus efficacement, et en touchant plus de personnes, dans tel ou tel endroit du monde ? ».

Avant d’aller plus loin, il me faut être clair et honnête. Cette préoccupation essentielle du sort des personnes secourues, de l’efficacité et efficience de l’aide apportée, est toujours bien au cœur du travail quotidien, de l’engagement professionnel et personnel de l’immense majorité des salariés et volontaires des ONG humanitaires. Mais quelque chose, depuis plusieurs années, envahit l’univers mental des humanitaires, captant et mobilisant de plus en plus de « ressources dédiées » humaines ou financières, de temps de réflexion et de travail… au détriment, peut-être, de la mission essentielle, fondatrice, de l’humanitaire, qui est de secourir des êtres humains en détresse dans les situations les plus difficiles ? Mission suffisamment ardue et complexe pour nécessiter l’entièreté du temps et des ressources à notre disposition… Cette chose qui vient nous accaparer chaque jour un peu plus ne finit-elle pas par ressembler à une forme contemporaine de narcissisme involontaire ? Involontaire car induit et produit par l’époque et les injonctions du système humanitaire au sens large, et des bailleurs de fonds en particulier.

Les partenaires d’ECHO distribuent des produits non alimentaires aux réfugiés syriens dans un point de distribution à Dohuk, dans le nord de l’Irak. Crédit photo : OIM Irak

Car on peut se demander si les injonctions des bailleurs n’ont pas engendré et favorisé l’émergence de nouvelles convictions, grâce à des concepts ayant le vent en poupe, tels que « l’intersectionnalité des luttes », qui est devenue, dans le monde humanitaire « l’intersectionnalité des problématiques » ? Les bailleurs, encouragés par un système conquis et consentant, ont commencé par faire comprendre aux ONG que « Oui, vous faites de l’humanitaire, vous secourez des gens, c’est bien… Mais ça ne suffit plus… Nous aimerions vous voir faire de l’humanitaire 100 % vert, écologique et « durable », et aussi que vous nous signifiez que vous mettez en œuvre des mesures visibles, actives, des stratégies favorisant « l’inclusivité », la « diversité », et aussi que vous vous impliquiez plus ouvertement dans une « politique de genre positive », et peut-être si possible la défense de certaines minorités opprimées en raison de leur orientation… »…

Bien sûr, toutes ces causes sont en soi importantes et respectables (je pense notamment au changement climatique qui nous concerne tous, et auquel les humanitaires doivent de plus en plus répondre en termes d’impact sur les populations vulnérables). Par ailleurs, personne n’a bien sûr « obéi » aux injonctions des bailleurs et du système humanitaire, mais chacun a commencé à se considérer nécessairement concerné par cette nouvelle intersectionnalité des problématiques… Les injonctions n’ont-elles pas rencontré des convictions portées par l’époque et souvent sincèrement embrassées par nombre de travailleurs humanitaires ? Une mutation ne s’est-elle pas opérée, et, en assez peu de temps, finalement, ne nous a-t’elle pas fait passer d’un humanitaire apolitique à un humanitaire qui, aujourd’hui, se voudrait politique par nature et militant de nombreuses causes excédant le périmètre de sa mission essentielle et, parfois, tenté par une forme d’idéal révolutionnaire, où « sauver des vies », serait un but de plus en plus concurrencé par celui de « changer le monde » ? Sans parler du fait que depuis l’origine, les ONG humanitaires, par nature et vocation, ont toujours pratiqué l’ouverture à la diversité et le respect comme la prise en compte de toutes les différences, de toutes les minorités et, pendant longtemps, sans ressentir le besoin de l’afficher…

Et le narcissisme, dans tout cela ? Inévitablement, le besoin de se distinguer dans un univers assez concurrentiel malgré ses idéaux, dépendant massivement des financements institutionnels, et par ailleurs la tentation de se considérer comme d’authentiques militants du progrès, et non plus seulement comme de « simples » humanitaires engagés, n’a-t’il pas engendré celui-ci, dans une forme contemporaine, imprégnée d’influences idéologiques et de souci de soi ?

Ce souci de soi ne risque-t’il pas de devenir, dans l’humanitaire, un moteur, une préoccupation un jour aussi forte que le souci de l’autre ? Comment ne pas ressentir, parfois, ce sentiment que les ONG humanitaires sont de plus en plus préoccupées d’elles-mêmes, avançant en se contemplant dans un miroir, habitées par cette question lancinante « Miroir, mon beau miroir, dis-moi que je suis la plus belle ONG… » ?

La nature informelle des camps de fortune ne permet pas d’assurer un assainissement adéquat pour les réfugiés rohingyas sans papiers au Bangladesh. Crédit photo : EU/ECHO/Pierre Prakash

En d’autres termes, un observateur étranger à notre monde préoccupé de lui-même ne pourrait-il pas, parfois, avoir le sentiment de regarder une sorte de concours de beauté entre organisations humanitaires ?  C’est un peu, en effet, à qui présentera la plus belle stratégie environnementale, la plus belle « politique d’induction » des membres issus de la diversité, la plus séduisante démarche d’inclusivité… Est-il anecdotique de voir OXFAM communiquer avec éloquence, ces derniers jours, à propos de la publication de son « guide du langage inclusif » présenté comme une traduction de son « engagement pour une décolonisation en pratique » ?

En effet, une ambition affichée de dépasser radicalement l’action humanitaire concrète (laquelle ne secoure plus, mais « sert » les bénéficiaires, étrange glissement sémantique…) ne semble pas nuire, au contraire. Ne s’agit-il pas maintenant, pour certaines ONG, de « décoloniser » ou « déblanchir » l’humanitaire ? Ne perçoit-on pas de plus en plus l’aspiration revendiquée de ne plus être seulement de simples acteurs concrets de la solidarité humaine, mais aussi et surtout d’exemplaires militants d’une grande révolution qui se doit d’être planétaire ? Militants dont l’objectif ne serait plus de juste secourir, mais « d’élever » les bénéficiaires sur l’échelle de la dignité humaine dont nous, humanitaires, serions les géomètres et les arpenteurs par essence ?

Mais ces préoccupations, si l’on prend un peu de recul, n’agitent-elles pas essentiellement l’Occident, lequel plaquerait aux populations aidées ses obsessions idéologiques du moment ? Ce faisant, les « décoloniaux » humanitaires, nouveaux croisés du progrès, ne seraient-ils pas pris en flagrant délit de… néo-colonialisme ? Un comble…

Ne serait-il temps pour les humanitaires de délaisser le miroir dans lequel il leur arrive – pas toujours à leur initiative – de se mirer pour retrouver leur boussole, celle de leur mission essentielle, le souci de l’autre, la solidarité envers nos frères humains, nos égaux en dignité et en valeurs, qui ont peut-être surtout besoin de secours concrets ? A propos de boussole, ne pourrait-on pas l’utiliser en se posant, à chaque débat sur la nécessité d’engager telle ou telle nouvelle « politique », la question de savoir si ladite politique améliorera, ou pas, l’efficacité et l’efficience de notre action sur le terrain ?  Si la réponse est non… Car qui trop embrasse mal étreint… Je suis persuadé que la sincérité et la vigueur de l’engagement de la plupart des humanitaires, que je constate chaque jour, n’en souffrirait pas…

Pierre Brunet

Ecrivain et humanitaire