A Gaza avec Première Urgence Internationale

Entretien avec Amal ABOU EL GHAYT – HUART, Chargée de communication

Destructions à Gaza en 2021 – ©Fadi Harroudah, Première Urgence Internationale

Alain Boinet : Amal, peux-tu expliquer pour nos lecteurs quels étaient vos programmes humanitaires dans la bande de Gaza avant le 7 octobre ?

Amal ABOU EL GHAYT – HUART : Première Urgence Internationale a démarré ses activités dans le Territoire Palestinien Occupé, d’abord dans le Nord de la Cisjordanie entre 2002 et 2003, avec pour objectif de soutenir les communautés impactées par les restrictions de mouvement, notamment celles situées à proximité du mur de séparation.

Il s’agissait alors d’accompagner les petites entreprises telles que des boulangeries, des menuiseries et autres activités génératrices de revenus afin de limiter les conséquences négatives d’un isolement des familles lié au morcellement progressif du territoire.

Petit à petit Première Urgence Internationale a développé sa présence sur plusieurs districts et a renforcé ses programmes sur d’autres secteurs d’intervention tels que l’accès à l’eau, à l’hygiène et à l’assainissement ainsi que la sécurité alimentaire et l’appui aux activités agricoles.

En parallèle de cela, plusieurs actions d’urgence ont été menées suivant les pics de tension provoqués au fil des années sur cette partie du territoire.

En décembre 2008 la guerre est déclenchée dans la Bande de Gaza causant de nombreuses victimes parmi les civils et une destruction importante des infrastructures. Première Urgence Internationale décide alors d’aider les familles déplacées à la suite des bombardements à travers la distribution de kits d’hygiène et autres biens de première nécessité comme des citernes d’eau. L’organisation va également fournir des consommables médicaux à différents établissements de santé ; une opération qui sera renouvelée en 2012, 2014, 2021 et 2022 dans le cadre des opérations militaires israéliennes successives dans la Bande de Gaza.

Lorsqu’on fait le bilan de toutes ces années, on peut noter qu’une double approche est nécessaire : à savoir garantir à la population civile des moyens de subsistance sur le long terme, pour prévenir les effets négatifs des restrictions de mouvement, mais aussi avoir une capacité à déployer une aide d’urgence à grande échelle tant que le conflit n’est pas résolu.

En 2017, Première Urgence Internationale se lance dans une aventure assez inédite grâce à un partenariat avec le British Council. La Bande de Gaza contient des sites archéologiques remontant à l’époque byzantine. Certains agriculteurs ont découvert des vestiges alors qu’ils cultivaient leur terre. Parmi les sites les plus connus aujourd’hui : le Monastère de Saint Hilarion appelé « Tell Um El-Amr » est le plus ancien et le plus grand de Palestine. Découvert en 1997, il a fait l’objet de plusieurs campagnes de reconnaissance archéologiques, menées sous la direction de l’Ecole Biblique et Archéologique Française de Jérusalem (EBAF). En 2012, celui-ci est inscrit sur la liste indicative du patrimoine de la Palestine par l’UNESCO.

Les équipes de Première Urgence Internationale vont apporter leur appui dans la préservation et la protection des vestiges du site Saint-Hilarion ainsi que l’Eglise byzantine de Jabālīyah, avec pour objectif d’intégrer les jeunes vivant dans la Bande de Gaza dans cette démarche de valorisation du patrimoine culturel palestinien, et ainsi ouvrir de nouvelles perspectives et susciter de nouvelles vocations.

Site de Saint Hilarion dans la Bande de Gaza – ©Fadi Harroudah, Première Urgence Internationale

Le programme INTIQAL voit le jour, ce terme désigne en arabe « la transition » ou « la transmission », des mots qui résonnent à la fois comme un défi et comme un gage d’espoir pour les nouvelles générations palestiniennes. L’Agence Française de Développement décide en 2022 de soutenir ce projet à travers un financement qui permettra de développer des activités économiques et de formation autour des sites découverts sur une durée de 5 ans.

Première Urgence Internationale était heureuse de publier en 2023 le portrait d’Asma[1], la première femme archéologue de Gaza qui a rejoint l’équipe après ses études d’histoire et d’archéologie. Asma devait venir à Paris accompagnée de 3 autres jeunes au musée du Louvre dans le cadre du Salon International du Patrimoine Culturel prévu début novembre 2023. Elle devait présenter son travail et faire rayonner sa culture auprès d’un public venu du monde entier. Elle aurait été fière de raconter ce voyage aux autres jeunes de Gaza. Nous étions tous mobilisés depuis la mission en Palestine jusqu’au siège de Première Urgence Internationale pour faire de ce moment quelque chose d’inoubliable.

Nous avons malheureusement dû revoir nos plans…

Alain Boinet : Après l’attaque du Hamas en Israël le 7 octobre et à la suite des bombardements israéliens, à quelle situation vos équipes se sont-elles alors trouvées confrontées ?

Amal ABOU EL GHAYT – HUART : On peut noter plusieurs phases significatives. Dès le 7 octobre l’ensemble des équipes en Palestine comme celle au siège en région parisienne mesurent la gravité de la situation. Celle-ci rappelle les réflexes développés au cours des guerres antérieures, à savoir un confinement immédiat des équipes pour se protéger des bombardements et un conditionnement psychologique à basculer vers une situation humanitaire d’urgence de grande ampleur.

Une cellule de crise est immédiatement ouverte au siège de l’organisation pour suivre heure par heure l’évolution du contexte et sécuriser nos équipes sur place.

Comme à chaque fois l’inconnue reste la durée des bombardements qui détermine l’intensité des dommages et des besoins.

Mais cette fois, les victimes civiles sont des deux côtés, et la prise d’otage des civils israéliens marque un tournant majeur dans ce conflit. L’opération sera longue et dramatique pour des millions de personnes.

L’annonce du gouvernement israélien d’un blocus total sur la Bande de Gaza privant les populations d’eau, d’électricité, de gaz et de fuel, nous laisse craindre le pire. Nos équipes sur place comme l’ensemble de la population doit pouvoir compter sur les stocks d’eau et de nourriture disponibles sans savoir le temps que cela prendra, ni combien de jours ils vont pouvoir tenir. Aucune personne, aucun bien ne peut entrer ou sortir de Gaza.

Lors des opérations militaires israéliennes antérieures, les expatriés des organisations avaient la possibilité de sortir par le Nord en empruntant le passage d’Erez. Des corridors humanitaires étaient ouverts à Rafah et à Kerem Shalom pour laisser passer l’aide lors des trêves. Cette fois aucun passage n’est permis.

Certains membres de nos équipes ont dû quitter leur domicile car il a été lourdement impacté par un bombardement à proximité, certains ont pu rejoindre d’autres membres de leur famille, d’autres se sont mis à l’abri au sein des communautés.

La deuxième phase marquante a été l’annonce d’une opération terrestre entrant par le nord de la Bande de Gaza et l’injonction de l’armée israélienne de quitter cette partie du territoire. Nos équipes ont dû se déplacer comme près de 400 000 personnes vers le sud, en espérant être à l’abri des attaques. Or de nombreux missiles ont été tirés y compris dans le sud dans des quartiers résidentiels de Khan Younes et à Rafah. On comprend alors qu’aucune zone n’est sécurisée sur l’ensemble du territoire.

Alain Boinet : Depuis, quelles sont les conséquences humanitaires pour la population gazaouie ?

Amal ABOU EL GHAYT – HUART : Les premières attaques ont rapidement provoqué le déplacement de près 600 000 personnes. Après l’annonce de l’armée israélienne d’une attaque terrestre dans le nord, 400 000 personnes ont à leur tour pris la route du Sud. La Bande de Gaza qui compte 2.3 millions de personnes voit plus de la moitié de sa population s’entasser dans une zone, qui était déjà densément peuplée avant cela.

Les destructions sont massives, des établissements de santé sont touchés au même titre que les habitations. Le nombre de personnes civiles tuées par les bombardements augmente chaque jour.

Les écoles de l’UNRWA[2] se sont transformées en centres d’accueil des populations déplacées comme ce fut le cas lors des opérations militaires israéliennes précédentes de 2008, 2012, 2014 et 2021.

Celles-ci ont très vite atteint leur capacité : le 27 octobre, plus de 640 000 personnes sont recensées dans 150 écoles de l’UNRWA sur l’ensemble de la Bande de Gaza, où l’accès à des sanitaires et à des conditions d’hygiène minimales devient très complexe.

Les hôpitaux doivent compter uniquement sur des générateurs pour assurer la continuité de leurs services ; les établissements de santé ont été saturés dès les premières attaques. Des images fortes sont parues dans les médias où l’on voyait des cadavres disposés dans la rue car les morgues ne pouvaient plus contenir les corps des défunts. Les équipes de secours et la population se sont mobilisées comme elles ont pu pour enterrer les morts et limiter les risques sanitaires associés.

Les hôpitaux ont eux aussi été bombardés, comme celui d’Al-Ahli Arab alors qu’il était en activité et abritait des personnes déplacées. Les autres principaux hôpitaux de Gaza comme celui d’Al-Shifa, d’Al Quds ou encore l’hôpital indonésien ont reçu des messages réguliers de l’armée israélienne d’évacuer immédiatement car des attaques seraient lancées. L’Organisation Mondiale de la Santé déclare de son côté que cette évacuation est impossible. De nombreux patients se trouvent sous assistance respiratoire : évacuer pour aller où, comment ? Alors que l’ensemble de la Bande de Gaza est bombardé.

Destructions à Gaza en 2021 – ©Fadi Harroudah, Première Urgence Internationale

Alain Boinet : Des convois d’aide humanitaires ont commencé à arriver à Gaza, comment cela se déroule-t-il et pouvez-vous poursuivre vos programmes ?

Amal ABOU EL GHAYT – HUART : L’ouverture du point de passage de Rafah est longue car il faut obtenir l’accord des trois parties, à savoir l’Egypte d’un côté, les autorités de Gaza et Israël. Le Croissant Rouge Egyptien est mandaté pour coordonner l’aide humanitaire jusqu’à Rafah, pour ensuite passer le relais au Croissant Rouge Palestinien de l’autre côté de la frontière. Des centaines de camions étaient prêts à rentrer chargés d’aide humanitaire avec des médicaments, du matériel pour les secours et les soins de santé, de l’eau, des produits d’hygiène et autres. Or le passage lui-même a été plusieurs fois bombardé, la zone du sud n’a pas été épargnée par les attaques, comment assurer un convoi sans qu’un cessez-le-feu ne soit garanti, ne serait-ce que le temps de la livraison de cette aide ?

Les camions sont également contrôlés pour éviter que des armes n’entrent dans la Bande de Gaza, il faut par conséquent suivre tout un processus d’accréditation depuis l’Egypte pour faire partie des convois.

Première Urgence Internationale a déployé une équipe en renfort depuis l’Egypte pour préparer des kits d’urgence qui seront distribués aux personnes civiles vivant à Gaza dès que le passage est de nouveau ouvert. Des colis alimentaires, des kits d’urgence pour la mise à l’abri ainsi que des médicaments sont actuellement approvisionnés pour un départ.

Il est prévu que cette équipe en Egypte regagne la Bande de Gaza dès que cela est possible pour appuyer nos collègues sur place déjà mobilisés avec les quelques moyens dont ils disposent.

Lors du tout premier convoi, une vingtaine de camions seulement a pu traverser la frontière après plusieurs jours de négociation. Il s’agit à présent d’augmenter significativement la fréquence de ces convois, car la situation à Gaza est dramatique sur le plan humanitaire : les civils n’ont plus la possibilité de se nourrir correctement, certains boivent l’eau de mer car les machines de désalinisation de l’eau ne peuvent plus fonctionner par manque d’électricité et de fuel. Selon un rapport d’OCHA daté du 16 octobre 2023, la consommation moyenne d’eau, toutes sources confondues et pour tous les besoins, est tombée à seulement trois litres par jour et par personne.

En parallèle du convoi humanitaire depuis l’Egypte, Première Urgence Internationale a pu orienter une partie de ses fonds pour une aide immédiate ciblée sur 300 familles identifiées parmi les personnes déplacées. Les commerces qui disposent encore de quelques réserves en nourriture, en eau et autres produits essentiels ouvrent de manière ponctuelle entre les frappes ce qui permet un approvisionnement certes limité, mais essentiel pour se procurer du pain, du lait et autre. Nos équipes à Gaza se sont mobilisées malgré les conditions sécuritaires précaires pour délivrer cette aide. Plusieurs membres de l’équipe ont été volontaires pour reprendre le travail, alors qu’ils devaient dans le même temps s’occuper de leurs proches et se protéger des bombardements.

Par ailleurs, 30 malles de médicaments ont été intégrées au fret humanitaire organisé depuis la France par le Centre de Crise et de Soutien : chaque malle permet de prendre en charge 500 patients (pédiatrie, urgence et médecine générale).

Plusieurs autres volets ont été ouverts pour répondre aux besoins immédiats en eau, hygiène et assainissement dès que les conditions sécuritaires le permettront.

Enfin il est également important de mentionner que l’ensemble du Territoire Palestinien Occupé est sous tension. Les équipes en Cisjordanie sont elles aussi confrontées à une situation d’urgence. 109 personnes sont décédées en Cisjordanie et plus de 2 000 personnes blessées à la suite d’affrontements qui ont éclaté entre Palestiniens et colons israéliens. Certains accès ont été coupés à la suite de l’intervention de l’armée israélienne, la situation à Gaza provoque le soulèvement de cette autre partie du Territoire. Nous redoutons un embrasement général de la situation.

Alain Boinet : On parle d’une possible évacuation des ressortissants étrangers de Gaza. Allez-vous faire sortir vos expatriés étrangers et comment pourrez-vous poursuivre ou reprendre vos programmes ?

Amal ABOU EL GHAYT – HUART : Notre équipe à Gaza est essentiellement palestinienne, et nous comptons en effet deux personnes expatriées. Il est prévu que nos deux internationaux sortent de Gaza dès que cela est possible parce que leur situation personnelle le demande. En revanche il est prévu que d’autres expatriés viennent renforcer l’équipe à Gaza dans le cadre de l’opération d’urgence dès que cela est possible.

Les programmes quant à eux se poursuivent lorsque les conditions sécuritaires le permettent. Nous avons évoqué plus haut des actions immédiates qui ont déjà pu être déployées, il s’agit de renforcer celles-ci dans les jours et les semaines à venir.

Soutien au Centre de réadaptation fonctionnelle de Gaza, 2021 – crédit Première Urgence Internationale

Alain Boinet : Face à une guerre qui risque de durer et à une possible offensive terrestre de l’armée israélienne, comment pensez-vous pouvoir ou pas continuer votre aide humanitaire ?

Amal ABOU EL GHAYT – HUART : D’abord en réallouant nos ressources aussi bien humaines, financières que matérielles vers la réponse d’urgence. Dès que les hostilités vont cesser, nous pourrons mesurer l’ampleur des dommages. Les besoins sont déjà colossaux en matière de santé, de nutrition, mais aussi de traumatisme des populations et des personnes aidantes qui n’ont eu à ce jour aucun répit.

Lors de la guerre de 2014, les bombardements ont été continus durant 51 jours. Il n’est pas question de battre ce record. Aujourd’hui nous sommes à 23 jours de bombardements intensifs nuit et jour et nous renouvelons nos appels auprès des belligérants et des Etats membres de l’ONU à décréter un cessez-le-feu immédiat et durable.

Les infrastructures sont à genoux, les hôpitaux comme les réseaux d’eau et d’électricité ont été sérieusement endommagés, il va falloir énormément de moyens pour revenir à une situation minimale d’accès aux services essentiels. Cela prendra beaucoup de temps.

Nos programmes de développement seront eux aussi lourdement impactés. Nos équipes ont besoin d’une trêve pour souffler et voir de quelle manière Première Urgence Internationale peut être utile dans ce drame.

Alain Boinet : Comment peut-on à Gaza respecter les principes humanitaires de neutralité, d’impartialité et d’indépendance face à un conflit extrême.

Amal ABOU EL GHAYT – HUART : La position de Première Urgence Internationale a été claire dès le départ en condamnant toutes les formes de violence commises à l’égard des personnes civiles, qu’elles soient israéliennes ou palestiniennes. Dès le 8 octobre nous lancions un appel aux belligérants de Gaza, d’Israël et du Liban pour que les populations civiles soient épargnées et que l’espace humanitaire soit respecté.

Ce genre de situation nous amène à être humble car nous sommes vite impuissants face à l’intensité d’une telle violence. Notre mandat consiste à aider les personnes civiles victimes où qu’elles se trouvent et qu’elle que soit leur origine. La prise en charge des victimes des drames successifs en Israël et sur le Territoire palestinien occupé montre une asymétrie dans la capacité à garantir un espace protégé et sécurisé à la population.

Aucune personne civile ne doit payer le prix d’un conflit armé et notre message s’il veut bien être entendu est de sanctuariser l’espace humanitaire pour que les civils puissent être épargnés des combats, ne soient pas pris en otage et qu’ils aient accès aux services vitaux. L’impartialité tient dans ce principe fondamental de l’action humanitaire.

Il est par ailleurs important de noter que la sécurité de notre personnel sur le terrain est notre responsabilité. Nous prenons soin de ne pas les exposer à des situations à risques où leur sécurité serait menacée. Chaque mot est pesé pour ne pas porter atteinte à l’objectif prioritaire de notre mandat, à savoir d’accéder aux populations civiles victimes pour leur délivrer une aide humanitaire.

Alain Boinet : Comment souhaites-tu conclure cet entretien ?

Amal ABOU EL GHAYT – HUART : Par un message d’espoir, qu’Asma ait toujours envie de poursuivre son métier d’archéologue, et que passé cette période tragique, les populations de Gaza comme de l’ensemble du Territoire palestinien occupé et d’Israël trouvent la force de surmonter leur traumatisme et d’œuvrer ensemble à une solution politique durable.

En tant que travailleurs humanitaires, nous poursuivons notre action tant que nous le pouvons, pour témoigner de notre solidarité auprès des civils et répondre aux besoins immédiats. Nous espérons que des solutions de long terme soient trouvées pour éviter que ce type de drame ne se répète ni ne se généralise.

Amal ABOU EL GHAYT – HUART

 

[1] Lien vers la vidéo disponible en bas de l’article

[2] United Nations Relief and Works Agency (UNRWA) est l’agence des Nations Unies en charge des personnes réfugiées palestiniens au Proche-Orient

 

Liens utiles :

[Communiqué] Première Urgence Internationale lance un appel aux belligérants de Gaza, d’Israël et du Liban pour protéger la vie des populations civiles. – (premiere-urgence.org)

[Communiqué] Gaza : le nouvel ultimatum met en danger plus d’un million de civils – (premiere-urgence.org)

[Communiqué] – Gaza : Il faut agir vite ! – (premiere-urgence.org)

Retrouvez ici le portrait d’Asma, la première femme archéologue de Gaza

INTIQAL – Les trésors de Palestine

Découverte d’un sarcophage en plomb dans la nécropole romaine d’Ard-al-Moharbeen à Gaza – (premiere-urgence.org)

 

Amal ABOU EL GHAYT – HUART

Amal ABOU EL GHAYT – HUART travaille actuellement au sein du Service Communication de Première Urgence Internationale. Après des études en langues étrangères, elle poursuit sa formation avec un Master en gestion de programmes humanitaires en 2005 avant d’occuper plusieurs fonctions de coordination opérationnelle au sein de différentes ONG humanitaires. Ses 12 ans d’expérience opérationnelle sur différentes zones géographiques (Maghreb, Moyen-Orient, Asie, Europe et Amérique Latine) seront complétés par des actions de plaidoyer qu’elle pilote au sein du Secours Islamique France de 2016 à 2018 et participera à des initiatives collectives de plaidoyer à l’occasion du Sommet Humanitaire Mondial d’Istanbul en 2016, à l’adoption des Pactes Mondiaux sur les migrations en 2018 ainsi qu’à l’écriture de la première stratégie humanitaire de la France la même année aux côtés d’autres ONG.

Elle participera également de manière bénévole à la gouvernance de plusieurs structures comme la Coordination Humanitaire et Développement (CHD), Action Contre la Faim ou encore le Comité de pilotage « Apprendre et Innover face aux crises » du Groupe URD.

Depuis 2021, elle appuie les différentes missions de Première Urgence Internationale à travers le monde sur les relations presse et la communication, mais aussi sur les questions de plaidoyer humanitaire.

L’humanitaire face au dérèglement géopolitique généralisé

Château d’eau endommagé, 2021, Gaza Crédits : Robin LloydECHO

L’humanitaire que nous connaissons aujourd’hui et depuis des décennies va-t-il succomber à la multiplication des conflits, au terrorisme comme au retour de la guerre de haute intensité sur fond de fragmentation-recomposition du monde et du retour des peuples, des nations et des empires.

L’humanitaire dont nous parlons ici est celui de l’accès des victimes des conflits, catastrophes et grandes épidémies aux secours dont ils ont un urgent besoin pour vivre. Cet humanitaire est celui des principes de neutralité politique, de l’impartialité de l’aide fondée sur les seuls besoins sans distinction d’aucune sorte ainsi que de l’indépendance des ONG à l’égard des acteurs politiques. Enfin, notre humanitaire est celui du Droit International humanitaires (DIH) qui a pour objectif de règlementer et au fond d’humaniser le déroulement des guerres.

La guerre aujourd’hui change-t-elle les conditions de l’action humanitaire ?

Que constatons-nous aujourd’hui ? Nous voyons d’une part une expédition sanglante du Hamas aller massacrer des civils israéliens, enlever des otages et d’autre part l’Etat D’Israël, qui a le droit de se défendre, employer des moyens militaires massifs sur le territoire minuscule de Gaza ou combattants et population palestinienne sont très imbriqués au prix de nombreuses victimes civiles. Le DIH risque bien de se perdre si on ne revient pas à minima à un approvisionnement régulier de la population et des hôpitaux, avec des zones de sécurité sures, sans parler de la protection des otages et des civils.

En Ukraine, nous avons vu la Russie, membre permanent du Conseils de sécurité de l’ONU, envahir un pays aux frontières internationalement reconnues, au nom d’une guerre de reconquête préventive, générant des crimes contre l’humanité, une guerre de très haute intensité, ainsi qu’une certaine incompréhension de la neutralité comme de l’impartialité des secours. La guerre dure, les Ukrainiens sont la première réponse à leurs propres besoins, les territoires séparatistes de la Crimée, de Donetsk et de Louhansk à l’est du pays sont inaccessibles aux humanitaires qui, par ailleurs, doivent encore et toujours démontrer leur raison d’être et leur plus-value.

En Afghanistan, après 20 ans de guerre des Etats-Unis et de l’OTAN contre les Talibans afghans, ceux-ci l’ayant finalement emporté, imposent la charia et conduisent les humanitaires à devoir choisir entre secours pour des millions d’Afghans face à la famine et respect des droits humains de ces mêmes Afghans, singulièrement des Afghanes. Chacun détermine son action en fonction de la priorité de son mandat !

Sur la route de l’exode forcé de plus de 100 000 Arméniens du Haut-Karabagh vers l’Arménie. @Twitter

Dans le Caucase du sud, nous avons vu un Etat, l’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie et par une Russie passive, imposer un blocus total durant 9 mois à 120.000 Arméniens du Haut-Karabakh ou Artsakh qu’aucune organisation humanitaire ne pouvait plus secourir. Puis lancer une attaque éclair pour les chasser en quelques jours de leur terre ancestrale en violation du DIH et des négociations qui avaient alors lieu. L’enjeu de l’aide internationale est déterminant maintenant pour l’Arménie elle-même menacée.

Nous pourrions multiplier les exemples à d’autres régions comme dans le cas de pays du Sahel qui exportent une déstabilisation à tout l’ouest de l’Afrique ou encore à l’Asie Pacifique en voie de militarisation accélérée autour de Taïwan. Il n’est pas non plus nécessaire d’examiner en détail le Moyen-Orient au bord de l’explosion à partir de l’épicentre de Gaza qui est tout à la fois un révélateur et un accélérateur des antagonismes. Ce n’est un mystère pour personne que de constater que l’offensive sanglante du Hamas est une guerre par procuration entre l’Iran et les pays arabes visant à faire échouer les Accord d’Abraham entre Israël et ces pays Arabes sur fond de cause palestinienne.

De 1980 à 2023, quel changement d’époque ?

La guerre n’est pas nouvelle, ni le terrorisme, ni les crimes de guerre, ni même les génocides. Ce qui change en revanche c’est cette multiplication des guerres sur fond de recomposition conflictuelle du monde et l’affaiblissement manifeste de l’ONU.

Dans les années 1980, au temps du conflit Est-Ouest, les guerres se déroulaient pour l’essentiel à la périphérie des « deux grands ». Nous avions affaire à des « petites guerres » sans fin où les humanitaires ont alors trouvé leur place entre légitimité de la solidarité et nécessité des secours dans des pays pauvres peu structurés et en guerre civile. Ce type de situation existe encore mais il n’est plus le seul modèle.

De surcroit, ce qui complique toute approche binaire entre guerre injuste et paix juste, c’est la théorie de la guerre dite juste qui répond à des critères énoncés depuis l’antiquité romaine par Cicéron, puis par Saint Thomas d’Aquin au Moyen-Age jusqu’aux Conventions de Genève de l’après-seconde guerre mondiale. Et de bien distinguer en latin le « jus ad Bellum » sur les causes justes d’une guerre, le « jus in Bello » sur les comportements justes et le « jus post Bellum » sur les accords de paix équitables. Sans oublier le devoir de résistance, développé par les partisans du devoir d’ingérence comme Bernard Kouchner.

Des soldats de l’armée irakienne patrouillent dans les rues le 1er mars 2006 à Mossoul, en Irak, à l’appui de l’opération Iraqi Freedom pour reprendre la ville contrôlée par Daech. (Photo de l’armée américaine par Spc. Clydell Kinchen)(Photo de l’armée américaine par Spc. Clydell Kinchen)

En 2023, nous vivons un double mouvement de fond qui se superpose. Il y a le foyer actif du terrorisme porté par des minorités agissantes de l’islamisme le plus radical. Il y a simultanément une puissante aspiration à un monde multipolaire de ce que l’on nomme le sud global qui s’affirme face au monde dit occidental et ses valeurs et qui pourrait affaiblir le DIH si nous ne savons pas le promouvoir comme une valeur commune pour tous sans distinction. Si l’on veut éviter le risque d’une guerre des civilisations, il va falloir trouver une alternative commune à des civilisations distinctes.

Le danger d’une politisation de l’humanitaire.

Dans ce contexte extrêmement déstabilisant pour le monde humanitaire, certains pourraient avoir la tentation dangereuse de politiser l’humanitaire pour faire valoir leurs propres préférences personnelles et promouvoir tel ou tel système de pensée ou idéologie. Nous devons les mettre en garde de s’imposer à eux-mêmes la critique récurrente qu’ils opposent aux Etats ou organisations internationales quand ils les accusent d’instrumentaliser parfois l’aide humanitaire à des fins politiques.

Pour celles et ceux qui souhaiteraient néanmoins poursuivre dans cette voie partisane, il me semble que le chemin le plus court serait de s’engager politiquement sans utiliser un paravent humanitaire qui aurait tout à perdre en légitimité, en cohérence et en confiance, notamment auprès de leurs partenaires et des opinions publiques, ici comme sur le terrain. Sans même parler des divisions internes que cela générerait au sein de chaque organisation et de la communauté humanitaire elle-même.

Henri Dunant
“Un souvenir de Solférino”

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Poursuivre dans la voie humanitaire dite « dunantiste » en référence au fondateur de la Croix Rouge, Henri Dunant, lors de la bataille de Solférino en 1859, qui fonde les principes humanitaires déjà évoqués (humanité, neutralité, impartialité, indépendance), ce qui ne nous dispense pas de réfléchir à ce que les Allemands appellent « zeitenwende » ou changement d’époque et ses conséquences sur les nouveaux contextes conflictuels de l’aide humanitaire.

La nécessité de s’adapter sans se renier.

Cela ne dispense pas non plus les humanitaires de faire leur « aggiornamento » et d’évaluer leurs limites comme force de proposition, d’influence et d’efficacité au service des populations en danger. Le système humanitaire lui-même semble atteindre des limites, connait des contraintes à l’utilité discutable, est l’objet d’« injonctions contradictoires », est victime de la bureaucratie, d’une normalisation devenue folle et tuant l’initiative, exacerbe souvent la concurrence plutôt que de promouvoir la complémentarité !

Dans cette revue en ligne « Défis Humanitaires », nous avons engagé cette réflexion et nous allons la poursuivre comme avec cet éditorial qui y participe.

Ainsi, je crois que le respect de valeurs dites universelles peut et doit être compatible avec le respect de la diversité humaine qui est une richesse. Diversité des peuples et des cultures qui veulent être reconnues et respectées et dont les plus minoritaires sont par définition les plus menacées de disparition ou d’oppression. On protège bien et à raison la biodiversité. Protégeons également l’humanité une et diverse.

L’humanitaire est plus que jamais nécessaire pour sauver de plus en plus de vies menacées. La ligne de crête humanitaire est toujours la voie de l’engagement humaniste, de l’impartialité, de la prise de risque pour permettre l’accès des populations en danger aux secours.

La situation humanitaire internationale comme les modalités de son action seront au cœur de la 5ème Conférence Nationale Humanitaire (CNH) qui se tiendra à Paris et qui sera l’occasion de présenter la 3ème édition de la Stratégie Humanitaire de la France pour la période 2023 – 2027.

Alain Boinet.

Président de Défis Humanitaires.

 

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Alain Boinet

Alain Boinet est le président de la Revue en ligne Défis Humanitaires www.defishumanitaires.com  et le fondateur de l’association humanitaire Solidarités Humanitaires dont il a été directeur général durant 35 ans. Par ailleurs, il est membre du Groupe de Concertation Humanitaire auprès du Centre de Crise et de Soutien du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, membre du Conseil d’administration de Solidarités International, du Partenariat Français pour l’eau (PFE), de la Fondation Véolia, du Think Tank (re)sources.

 

 

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