SOS Arméniens de l’Artsakh

Agir face au risque de famine, d’épuration ethnique, voire de génocide.

Manifestation à Stepanakert, capitale de l’Artsakh, contre le blocus du corridor de Latchine par l’Azerbaïdjan. Photo Davit Chahramanyan AFP.

La situation humanitaire est devenue dramatique pour la population arménienne de l’Artsakh victime d’un blocus total de l’Azerbaïdjan qui a coupé la seule voie d’accès vers l’Arménie, le corridor de Latchine, ainsi que l’acheminement régulier en gaz et en électricité.

Jusqu’à présent, le contingent Russe de maintien de la paix ravitaillait vaille que vaille la population depuis le 22 décembre et le CICR apportait médicaments et évacuait les malades graves vers l’Arménie.

Depuis le 15 juin, le président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, a décidé d’imposer un blocus total accélérant ainsi une crise humanitaire qu’il utilise comme arme de guerre. Voilà sa réponse à la Cour Internationale de Justice (CIJ) de l’ONU et aux nombreux pays et organisations qui demandent la réouverture du corridor de Latchine conformément au Droit International Humanitaire (DIH).

C’est ainsi, au moment même où la population souffre de multiples pénuries, qu’un convoi de ravitaillement de 361 tonnes de produits de première nécessité (1) se trouve immobilisé depuis le 26 juillet près du village de Kornidzor à l’entrée du corridor.

Camions bloqués à l’entrée du corridor de Lachine. Twitter : @Anne_Hidalgo

C’est également le cas depuis le 31 août du convoi de 10 camions de produits humanitaires de première nécessité envoyés par des collectivités locales en France (2) à l’appel de la maire de Paris, Anne Hidalgo, avec Xavier Bertrand, président la Région Grand Est, et Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat, accompagnés d’une douzaine d’élus et du représentant de l’Artsakh en France, Hovhannès Guevorkian.

La situation humanitaire de la population se dégrade dangereusement, le temps est compté.

La situation humanitaire déjà difficile se dégrade dorénavant très rapidement pour les 120.000 habitants de l’Artsakh, parmi lesquels 20.000 personnes âgées, 30.000 enfants, 2000 femmes enceintes, 9000 personnes handicapées, 4700 personnes souffrant de diabètes et 8450 personnes souffrant de maladies cardiovasculaires comme l’a déclaré le ministre des Affaires étrangères d’Arménie, Mr Ararat Mirzoyan, lors de la séance du Conseil de Sécurité des Nations-Unies consacré à l’Artsakh le 16 août.

Lors de cette séance, Mme Edem Worsonu, Directrice des Opérations et de la communication du Bureau Commun des Affaires Humanitaires ou OCHA, a notamment déclaré : « Le droit international humanitaire est très clair. Les parties au conflit doivent permettre et faciliter l’acheminement rapide et sans entrave de l’aide humanitaire pour tous les civils dans le besoin ».

C’est exactement le contraire qui se produit avec ce blocus total de l’Azerbaïdjan puisque qu’aucune organisation humanitaire ne peut apporter de secours à une population isolée qui en a pourtant un urgent besoin quotidien. Le CICR, seule organisation qui était autorisée à opérer a pourtant vu son action brusquement interrompue. La dernière livraison de médicaments remonte au 7 juillet et celle de nourriture au 14 juin.

Magasin vide à Stepanakert. Twitter : @ArtsakhOmbuds

Le défenseur des droits de l’homme de l’Artsakh, Gegham Stepanian, a récemment publié un rapport (3). La santé publique se dégrade dangereusement alors que le lait maternisé est épuisé, que les établissements médicaux sont victimes de constantes coupures d’électricité ou que les cas d’anémie ne cessent d’augmenter parmi les femmes enceintes. L’agriculture qui représente l’activité principale est gravement affectée par le manque de carburant, d’engrais, de nourriture pour le bétail et par les tirs réguliers des positions azerbaïdjanaises qui interdisent les récoltes comme cela s’est produit récemment encore dans le village de Sarushen.  L’approvisionnement même en eau potable diminue en raison de la pénurie de carburant et les infections intestinales chez les enfants se multiplient. Le ramassage des déchets atteint un « point dangereusement critique, les cas de leishmaniose ont doublé, l’absence de transports publics rendra impossible la rentrée d’environ 20.000 étudiants.

Eviter le pire maintenant !

Pour les humanitaires, loin de toute considération politique, la seule cause qui vaille est celle de sauver des vies en danger en évitant l’engrenage du pire qui est en cours selon de nombreux observateurs et témoignages. Le dilemme pour les acteurs humanitaires, c’est qu’ils sont empêchés de secourir la population en Artsakh puisque l’accès leur en est interdit par l’Azerbaïdjan.

Loin de se résigner, les humanitaires peuvent se mobiliser par un fort et rapide plaidoyer afin d’obtenir l’envoi d’une mission internationale d’évaluation des besoins humanitaire de la population et la réouverture du corridor de Latchine.  Ils peuvent aussi se préparer à secourir quand le corridor s’ouvrira enfin sous des pressions internationales grandissantes.

Au nom du devoir de protéger, les humanitaires n’ont laissé tomber personne au Kosovo, au Timor Oriental, en Afghanistan, au Myanmar, Au Mali, en Libye ou en Syrie et jusqu’en Corée du nord. Ils peuvent faire de même pour les 120.000 habitants de l’Artsakh menacés par la disette et l’abandon.

Selon un récent rapport de Luis Moreno Ocampo, ancien procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI), l’engrenage déclenché par l’Azerbaïdjan caractérise une menace génocidaire. Il ajoute : « Sans changement radical immédiat, ce groupe d’Arméniens sera détruit dans quelques semaines ».  La Cour Internationale de Justice de l’ONU ne s’y est pas trompée le 6 juillet en demandant à nouveau à l’Azerbaïdjan d’assurer « … la circulation sans entrave des personnes, des véhicules et des marchandises le long du corridor de Latchine dans les deux sens » comme de très nombreux pays et organisations internationales comme l’Union Européenne par la voix de son Haut représentant pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borell.

La délégation d’élus français devant l’un des camions fournissant des biens de première nécessité. @Anne_Hidalgo

Le président français, Emmanuel Macron, a annoncé lors de la Conférence des ambassadeurs de France à Paris fin août : « nous prendrons à nouveau une initiative diplomatique en ce sens sur un plan international ». Comment ne pas en attendre la réouverture du corridor de Latchine à l’aide humanitaire.

L’enjeu est décisif car il n’y a que deux options possibles face à la dégradation accélérée des conditions de vie de la population de l’Artsack. Est-ce le président azéri Ilham Aliyev qui va imposer un blocus durable avec ses funestes conséquences, ou est-ce que ce sont toutes celles et tous ceux qui exigent le respect du Droit International Humanitaire pour sauver la population d’une famine qui pourrait ressembler à celle pratiquée par Staline dans les années 1932-1033 en Ukraine sous le nom de l’Holodomor !

Aujourd’hui, le temps joue avec la vie des 120.000 habitants de l’Artsakh. Le temps de la diplomatie est compté. Elle se doit de réussir pour éviter le pire à venir et préserver la paix. Sans aide humanitaire rapide pour l’Artsakh, il n’y aura non seulement pas de paix, mais la guerre reviendra sans doute. A l’inverse, la réouverture du corridor à l’aide humanitaire est la condition préalable d’une solution politique pacifique négociée dans un cadre international.

Après le génocide au Rwanda, qui serait prêt à assumer aujourd’hui la responsabilité d’une famine suivie d’une épuration ethnique et d’un génocide possible des Arméniens de l’Artsakh ?

 

Alain Boinet

Président de Défis Humanitaires.

 

  1. Ce convoi de 19 camions de ravitaillement contient des denrées et produits pharmaceutiques dont 60 tonnes de sucre en poudre, 40 tonnes d’huile, 100 tonnes de farine, 80 tonnes de pâtes et féculent, 20 tonnes de sel, 40 tonnes de lait en poudre, 12 tonnes d’alimentation infantile et 9 tonnes de médicaments.
  2. Déclaration commune au président de la République pour que la France soutiennent les arméniens d’Artsakh
  3. Téléchargez la traduction du rapport en français réalisée par Défis Humanitaires : Artsakh situation humanitaire 23.8.2023 VF 

La version initiale en anglais est accessible ici à l’aide de ce lien Rapport en anglais du rapport sur la situation humanitaire du Défenseur des droits de l’Artsakh

 

Découvrez les articles de la 80ème édition de Défis Humanitaires :

ONU eau potable : quelques progrès, beaucoup de retard à rattraper !

Résumé du Rapport du JMP UNICEF-OMS (2020-2022).

Enfants se rendant à pied à une rivière voisine pour s’approvisionner en eau au Laos @ADB

Le « Rapport sur les progrès en matière d’eau potable et d’assainissement et d’hygiène » est le document de référence pour le suivi de l’Objectif 6 des Objectifs de Développement Durable (ODD) 2015-2030 de l’ONU. Il s’agit d’une étude regroupant les données d’un nombre maximal de pays, menée conjointement par l’OMS et l’UNICEF au sein d’un programme commun de surveillance (le Joint Monitoring Program – JMP) qui est le dépositaire des données mondiales sur l’approvisionnement en eau, l’assainissement et l’hygiène. Le JMP produit un rapport tous les trois ans pour faire état des progrès en la matière en publiant des données fiables.

Le dernier rapport, sorti le 6 juillet 2023, fait état des avancées en matière d’accès à l’eau mais également des progrès qu’il reste à faire pour atteindre les ODD tout en présentant les enjeux qui rejoigne l’ODD 5 concernant l’égalité des genres. La présente synthèse reprend la structure même du rapport et permet d’avoir un aperçu des données clés collectées et mises en perspective par rapport aux objectifs pour 2030.

Des progrès à intensifier…

Ce rapport présente des estimations nationales, régionales et mondiales actualisées, concernant l’accès à l’eau, l’assainissement et l’hygiène des ménages sur la période 2000-2022. L’accès universel et équitable à l’eau potable, à l’hygiène et à l’assainissement d’ici 2030 constitue un des Objectifs de Développement Durable de l’ONU et des pays membres.

Pour atteindre les cibles de l’ODD 6 d’ici à 2030, il faudra multiplier par six les taux de progression actuels concernant la gestion sécurisée de l’eau potable, par cinq pour la gestion sécurisée de l’assainissement et par trois pour la fourniture de services d’hygiène de base.

Dans les pays à faible revenu, la réalisation de la couverture universelle des services AEPHA de base d’ici 2030 nécessitera une accélération spectaculaire des taux de progrès actuels.

…Pour atteindre des objectifs conjoints

Les progrès en matière d’eau potable, d’assainissement, de santé et d’hygiène sont indispensables à la réalisation de l’ODD 5, qui vise à “réaliser l’égalité des sexes et l’autonomisation de toutes les femmes et les filles” et le présent rapport met l’accent sur le genre pour refléter cet aspect.

En effet, il existe de nombreux liens entre ces deux ODD :

  • 1,8 milliard de personnes s’approvisionnent en eau potable dans des sources d’approvisionnement situées à l’extérieur des habitations et dans sept cas sur dix, les femmes et les filles sont les principales responsables de la collecte de l’eau.
  • Dans presque tous les pays disposant de données comparables la charge du transport de l’eau reste significativement plus lourde pour les femmes et les filles que pour les hommes. L’estimation établie dans le rapport comprend la collecte à partir de sources d’eau potable améliorées et non améliorées.
  • Plus d’un demi-milliard de personnes partagent des sanitaires et points d’eau avec d’autres ménages. Les données émergentes montrent que parmi ces personnes, les femmes sont plus susceptibles que les hommes de se sentir mal à l’aise ou peu en sécurité avec les installations sanitaires, notamment lorsqu’elles marchent seules après la tombée de la nuit.
  • L’absence d’installations pour le lavage des mains a un impact plus fort sur les adolescentes et les femmes qui sont les principales responsables des enfants et des tâches ménagères dans de nombreux pays du monde.
  • Des services eau-assainissement-hygiène (EAH souvent dénommé WASH) inadéquats limitent la capacité des adolescentes et des femmes, ainsi que des autres personnes qui ont leurs règles, de gérer leurs menstruations en toute sécurité et en toute intimité.

Les services d’eau potable

Depuis 2015, la couverture en eau potable gérée est passée de 69 % à 73 %, passant de 56 % à 62 % dans les zones en milieu rural et de 80 % à 81 % en milieu urbain.

En 2022, une personne sur cinq manquait d’eau potable gérée en sécurité et cet accès varie largement selon les régions du monde.

Quelques données clés :

  • En 2022, 73 % de la population mondiale utilise des services d’eau potable gérés en toute sécurité, 62 % en milieu rural et 81 % en milieu urbain.
  • 2,2 milliards de personnes n’ont pas accès à de l’eau potable gérée en toute sécurité dont 1,5 milliard à des services de base, 292 millions à des services limités, 296 millions avec des services non améliorés et 115 millions à de l’eau de surface.
  • Les estimations concernant les services gérés en toute sécurité sont disponibles pour 142 pays et six des huit régions des ODD, représentant 51 % de la population mondiale.
  • Pour parvenir à un accès universel à des services gérés en toute sécurité d’ici à 2030 il faudra multiplier par six les taux de progression actuels (20 fois dans les pays les moins avancés, 19 fois dans les contextes fragiles)

Les services d’assainissement

Depuis 2015, la couverture de l’assainissement a augmenté de 49 % à 57 %, passant de 36 % à 46 % dans les zones rurales et de 60 % à 65 % dans les zones urbaines.

En 2022, deux personnes sur 5 n’avaient pas d’accès sécurisé à l’assainissement et cet accès varie largement selon les régions du monde.

Quelques données clés :

  • En 2022, 57 % de la population mondiale utilise des services d’assainissement gérés en toute sécurité, 46 % en milieu rural et 65 % en milieu urbain.
  • 3,5 milliards de personnes n’ont pas accès à des services d’assainissement gérés en toute sécurité, dont 1,9 milliard à des services de base, 570 millions à des services limités, 545 millions à des services non améliorés et 419 millions pratiquant la défécation à l’air libre.
  • Les estimations concernant les services gérés en toute sécurité étaient disponibles pour 135 pays et sept des huit régions des ODD, représentant 86 % de la population mondiale.
  • L’accès universel à des services gérés en toute sécurité d’ici à 2030 nécessitera de multiplier par cinq les taux de progrès actuels, par 16 dans les pays les moins avancés et par 15 dans les contextes fragiles.

Les services d’hygiène

Depuis 2015, la couverture des services d’hygiène a augmenté de 67 % à 75 %, passant de 53 % à 65 % en dans les zones rurales, mais est restée largement inchangée, à 83 %, dans les zones urbaines.

En 2022, une personne sur quatre n’a pas accès aux services d’hygiène de base, mais quatre régions n’ont pas de données suffisantes sur le sujet.

En 2022, une personne sur quatre manque d’accès aux services d’hygiène de base (certaines régions ne fournissent pas de données)

Quelques données clés :

  • En 2022, 75 % de la population mondiale utilise des services d’hygiène de base, 65 % en milieu rural et 83 % en milieu urbain.
  • 2 milliards de personnes manquent de services d’hygiène de base, dont 1,3 milliard à des services limités et 653 millions sans installations.
  • Des estimations concernant les services de base étaient disponibles pour 84 pays et quatre des huit régions des ODD, représentant 69 % de la population mondiale.
  • Pour parvenir à un accès universel aux services d’hygiène de base d’ici à 2030, il faudra multiplier par trois les taux de progrès actuels (par 12 dans les pays les moins avancés et par huit dans les contextes fragiles).

La santé et l’hygiène menstruelle

53 pays disposaient de données pour au moins un indicateur de santé menstruelle en 2022, et les trois quarts d’entre eux étaient des pays à revenu faible ou moyen inférieur.

Les adolescentes et les femmes ont accès à des protections hygiéniques et à un lieu privé pour se laver et se changer dans la plupart des régions du monde. Cependant elles ne participent pas à l’école, au travail ou à des activités sociales pendant leurs règles.

Quelques données clés :

  • 53 pays disposent de données pour au moins un indicateur de santé menstruelle en 2022, et les trois quarts d’entre eux étaient à faible revenu ou à revenu intermédiaire de la tranche inférieure.
  • Les adolescentes et les femmes vivant dans les zones rurales sont plus susceptibles d’utiliser du matériel menstruel réutilisable ou de ne pas utiliser de matériel du tout.
  • Les adolescentes et les femmes appartenant au quintile de richesse le plus pauvre et celles rencontrant des difficultés matérielles sont plus susceptibles de ne pas disposer d’un endroit privé pour se laver et se changer à la maison.
  • De nombreuses adolescentes et femmes ne participent pas à l’école, au travail ou à des activités sociales pendant les règles mais il existe des différences significatives entre les pays et à l’intérieur de ceux-ci.

D’où proviennent les données de l’étude ?

La question est importante car tous les Etats n’effectuent pas les mêmes mesures, ainsi, certaines régions du monde ne peuvent fournir aucunes données sur certaines thématiques précises. Il existe une disparité entre les Etats selon leur niveau de richesse mais également selon les thématiques. C’est pourquoi il n’y a pas le même nombre de données disponibles, mesurables ou accessibles dans tous les domaines.

En définitive, les progrès sont encore nombreux pour atteindre les objectifs d’ici 2030.

Le Rapport JMP de l’UNICEF et de l’OMS a l’immense mérite d’exister et d’indiquer ce qui reste à réaliser pour atteindre l’Objectif 6 des 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) décidé par les Etats membres de l’ONU en 2015. Le Sommet mondial des ODD qui aura lieu à New-York le 18 septembre prochain répondra t’il aux attentes et propositions des acteurs de l’eau pour y parvenir sans oublier personne ! A suivre dans une prochaine édition de Défis Humanitaires.

 

Cette synthèse propose les données majeures de l’étude, le rapport entier (en anglais) étant disponible ici : https://washdata.org/reports/jmp-2023-wash-households-gender-pullout-launch

Synthèse établie par Camille CHAMBON