EXCLUSIF : Entretien avec Eric Chevallier, Directeur du Centre de Crise et de Soutien du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

Eric Chevallier – Directeur du Centre de Crise et de Soutien, MEAE – a une longue expérience des crises et de l’action humanitaire. A l’issue de la récente Conférence Nationale Humanitaire à Paris et au moment où l’organisation et les moyens du CDCS augmentent, nous lui avons posé une série de questions pour les lecteurs de Défis Humanitaires. Nous le remercions pour cet entretien exclusif.

Alain Boinet : La 5ème Conférence Nationale Humanitaire (CNH) s’est tenue le 17 décembre dernier depuis Paris en vidéo conférence. Quel bilan en fais-tu, sur le plan de l’organisation et de la participation ainsi que sur les 4 tables-rondes sur : l’impact des mesures anti-terroristes sur l’aide humanitaire, le DIH et l’accès de l’aide, le triple nexus humanitaire-développement-paix et le climat ?

Eric Chevallier :

J’en tire un bilan objectivement positif, pour plusieurs raisons. Premièrement, cette CNH a été maintenue malgré la pandémie. Bien sûr, le format ajusté en termes de participation physique a pu générer des frustrations, ce qui doit être entendu, mais cela ne doit pas invalider le succès de cet évènement.

Deuxièmement, elle est le fruit d’une dynamique partenariale, d’une co-construction entre l’Etat et les actrices et acteurs humanitaires qui a été remarquable. Cette approche, et c’est très important, a réellement fonctionné, parce qu’elle était conçue, dès la mise en place du comité de pilotage, de manière conjointe et paritaire. Aux travaux de ce comité de pilotage se sont ajoutés deux autres processus, eux aussi paritaires. Sur la question de l’accès bancaire d’abord, mais aussi sur la question spécifique de la protection du personnel humanitaire à la suite des évènements tragiques qui ont touché ACTED  et nous tous le 9 août 2020. Ces trois dynamiques ont convergé vers la CNH.

Le troisième élément du succès de la CNH est le niveau de participation (plus de 500 personnes) et de représentation. A la demande des acteurs humanitaires, ce dernier a été relevé si l’on compare aux éditions précédentes, avec notamment la présence pour la première fois d’un Président de la République, en l’occurrence le Président Macron, qui a tenu à maintenir sa participation malgré la situation (Emmanuel Macron a été testé positif à la Covid-19 le jour même, ndlr), bien sûr du Ministre Jean-Yves Le Drian, mais aussi de plusieurs Prix Nobel de la Paix, du Commissaire européen en charge de la gestion des crises, Janez Lenarčič, du secrétaire général adjoint des Nations unies en charge des affaires humanitaires, Marc Lowcock, ou encore du président du CICR, Peter Maurer. La participation du Président de la République marque l’intérêt pour ces questions au sommet de l’État et la volonté d’implication de l’administration.

Quatrièmement, les contributions des tables rondes et des présentations en plénière ont été très riches.

Désormais, l’heure est au suivi de la CNH et à la mise en œuvre de ce qui a été décidé durant la conférence, et de ce point de vue, je suis très heureux que l’on puisse désormais compter sur un dispositif interministériel de suivi des 17 engagements du Président de la République. Cela va permettre l’implication de l’ensemble des acteurs ministériels concernés dans la mise en œuvre de ces recommandations. Les acteurs humanitaires qui resteront bien sur associés vont rester vigilants. Je le sais et je le comprends parfaitement.

Déclaration du Président de la République lors de la 5ème Conférence Nationale Humanitaire en vidéo conférence, ©Judith Litvine/MEAE

A.B : Comme tu viens de le souligner, c’est la première fois qu’un Président de la République, préside et conclu la CNH depuis sa 1ère édition en 2011. C’est un signal positif pour la communauté humanitaire et une étape marquante dans un long processus dans ses relations avec les pouvoirs publics. Quels sont les principaux engagements annoncés par le Chef de l’État.

E.C :

Le Président de la République a pris 17 engagements qui peuvent être rassemblés dans 7 thématiques principales. Une première concerne les questions de développement et tient aux droits de tirage spéciaux. Vient ensuite la question des budgets consacrés à l’action d’urgence (action humanitaire et stabilisation) avec pour objectif d’atteindre les 500 millions d’euros d’ici 2022, et qui s’inscrit dans la stratégie humanitaire de la République française, consacrée par une décision du CICID (Conseil Interministériel pour la Coopération Internationale et le Développement). Par ailleurs, la prise en compte des enjeux environnementaux dans l’aide humanitaire, est une thématique qui mérite d’être développée et qui émane des acteurs humanitaires eux -mêmes. Un autre point est celui de la préservation de l’espace humanitaire, avec un certain nombre de mesures qui se déclinent au niveau national bien sûr, mais aussi européen et international, et pour lequel le Président souhaite que la France ait un rôle moteur. Une autre thématique est celle de l’accès bancaire, dont on sait que c’est un sujet majeur. Ensuite, les questions de renforcement du respect du DIH, qui va prendre des formes différentes mais complémentaires. Enfin, le dernier point est celui de la lutte contre l’impunité des attaques contre les travailleurs humanitaires.

A.B : Les acteurs humanitaires ont bien perçu les avancées et progrès contenus dans la déclaration du Président de la République. Cependant, il y aussi quelques regrets et attentes. En effet, après 3 ans de concertation avec les pouvoirs publics, il n’y a pas eu d’avancée significative sur la question des transferts bancaires rendus difficiles du fait du régime des sanctions et des mesures anti-terroristes. De même, les ONG humanitaires espéraient une exemption dans le code pénal français sur la base du Droit International Humanitaire.  Il y a donc de la déception et aussi de l’inquiétude sur les conséquences que cela pourrait entrainer comme risque pour les acteurs humanitaires. Va-t-on reprendre ces dossiers pour avancer ?

E.C :

Dire que le Président de la République n’a pas répondu à ces enjeux n’est pas exact.

Lorsque l’on regarde les 17 engagements, un certain nombre concerne l’accès bancaire, en demandant à ce que dans les six mois à venir des modalités concrètes soient clarifiées. C’est ce à quoi nous travaillons, et cela fait partie du plan d’action pour lequel le Président de la République a donné des orientations. Cela reste techniquement complexe. Nous espérons que cela constituera des avancées concrètes et opérationnelles, et c’est ce que le Président de la République a demandé à la dynamique interministérielle.

Quant à l’inscription dans le code pénal, et compte tenu d’un certain nombre d’implications et de contraintes, le choix s’est porté sur une instruction du Garde des Sceaux qui va être envoyée aux Parquets dans le but de les sensibiliser à cette question spécifique.

Ce n’est peut-être pas exactement ce que souhaitaient certaines ONG mais c’est une mesure concrète importante avec des implications réelles.

 

AB : Le Commissaire européen à l’action humanitaire, M.Janez Lenarcic a proposé que l’ensemble des bailleurs s’alignent sur le principe de non criblage des bénéficiaires finaux de l’aide, comme le pratique d’ailleurs le CDCS mais pas l’Agence Française de Développement (AFD). Comment pourrait-on concrétiser cette proposition au niveau international ?

E.C :

Là encore, cela fait partie des 17 engagements présidentiels. Au sujet de l’aide humanitaire, le Droit International Humanitaire (DIH) permet que l’Union Européenne, mais aussi les Nations Unies et le CICR, respectent le principe de non-criblage des bénéficiaires finaux. Le Président de la République a sans aucune ambigüité et avec force indiqué que c’est la position de la France. Une zone plus complexe est celle de l’aide qui n’est pas qualifiée ou qualifiable d’humanitaire. À ce niveau le travail se poursuit.

A.B : Est-ce le contexte dans lequel cette aide est mise en œuvre qui constitue un critère discriminant entre criblage et non-criblage ?

E.C :

Je laisse le travail se poursuivre sur le sujet.

A.B : Peut-on imaginer une déclaration commune des Institutions et bailleurs concernés qui déboucherait sur une initiative permettant une amélioration de l’application du DIH ?

E.C :

Je tiens à souligner deux points. D’abord, la chance que nous avons d’avoir un Commissaire européen à la gestion des crises tel que Janez Lenarčič, dont je tiens à saluer l’engagement humanitaire, tant institutionnellement que sur le terrain. J’ai pu le constater directement lors d’une mission conjointe que nous avons menée en Éthiopie et au Soudan en décembre dernier. Rappelons que l’Union Européenne (UE) et ses pays membres sont ensemble le premier bailleur mondial de l’aide humanitaire. Ensuite, le CDCS considère essentiel que, sur le sujet de l’action humanitaire répondant à des besoins humanitaires, tous les bailleurs respectent le DIH, à savoir la non-discrimination des bénéficiaires finaux. Un sujet connexe est posé pour les acteurs du développement. C’est un point sur lequel il y a encore du travail. Mais je le rappelle, le Président de la République et le Ministre Jean-Yves Le Drian ont tous les deux rappelé qu’il ne devait pas y avoir de criblage des bénéficiaires finaux en situation de risque humanitaire.

Jean-Yves Le Drian, Ministre de l’Europe et des Affaires Étrangères, lors de la Conférence Nationale Humanitaire, le 17 décembre 2020, ©Judith Litvine/MEAE

A.B : Le Président de la République a confirmé les engagements pris sur l’augmentation de l’Aide Publique au Développement (APD) de la France à hauteur de 0.55% du RND en 2022 dont 500 millions d’euros pour l’humanitaire. Dans cette perspective, quel a été le montant du Fonds d’Urgence Humanitaire (FUH) en 2020, quel sera-t-il en 2021 et quelle sera la répartition entre aide humanitaire, stabilisation, aide alimentaire programmée et les organisations internationales (NUOI).

E.C :

À l’intérieur de cette confirmation des objectifs de l’APD, le Président de la République a confirmé les engagements de triplement de l’aide humanitaire entre 2018 et 2022 – avec un passage de 150 millions d’euros en 2018, à 500 millions d’euros en 2022. Trois lignes budgétaires principales existent pour cette aide humanitaire. Elles passent essentiellement par le FUH géré par le CDCS, et par l’Aide Alimentaire Programmée, et par le soutien aux Agences des Nations Unies au travers de deux autres directions du ministère la DGM et NUOI, avec à peu près les mêmes enveloppes. L’augmentation est très claire, et on est passé en Loi de finance initiale de 150 millions d’euros en 2018, à 287 millions en 2020, puis à 330 millions en 2021, avec pour objectif de monter à 500 millions d’euros en 2022. Pour ce qui concerne le CDCS il y a une progression vraiment importante, puisqu’en 2020 nous étions en loi de finance initiale à 80 millions d’euros, et la déclinaison pour notre enveloppe en 2021 est de 110 millions.

Stock humantaire du CDCS pour le Pacifique Sud, ©CDCS

A.B : Lors de la CNH, Mark Lowcock, le secrétaire général adjoint des Nations-Unies aux affaires humanitaires, a souligné que 235 millions de personnes nécessitaient cette année une aide humanitaire, contre 168 millions en 2020, soit une augmentation de 40%. De son côté, David Beasley, directeur exécutif du PAM, dit craindre une « pandémie de la famine » et précise que 270 millions de personnes seront confrontées à une faim extrême en 2021. Serons-nous capables de répondre à ces besoins et quelle est la stratégie du CDCS et ses priorités ?  Quels sont les pays qui te préoccupent le plus ?

E.C :

Effectivement, tout le monde est frappé par le croisement de ces deux courbes que sont d’une part l’augmentation des moyens, et d’autre part la restriction de l’espace humanitaire et de la capacité à agir des acteurs. La pandémie a considérablement aggravé le croisement de ces courbes. Il faut essayer de mobiliser davantage de moyens et d’augmenter l’efficacité et l’efficience. Cela passe par la résolution d’un certain nombre de problèmes liés à l’espace humanitaire. On revient là aux autres sujets abordés par le Président de la République, mais aussi à des sujets qui ont été au cœur de la préparation de la CNH et notamment de la table ronde sur les enseignements à tirer de la pandémie : la mutualisation des moyens et la localisation. Cela fera partie des priorités transversales de l’action du CDCS cette année. Il faut faire de la mutualisation une priorité, et le CDCS continuera de soutenir les initiatives qui vont dans ce sens, a l’image du travail réalisé par le Réseau Logistique Humanitaire – qui, en cette période bien sombre, a été un succès remarquable en matière de mutualisation des moyens logistiques par les ONG – soutenu par la France et l’Union européenne.

Pont aérien humanitaire européen avec le Réseau Logistique Humanitaire, ©CDCS

A.B : Le CDCS a lancé il y a un an une évaluation du FUH (Fond d’Urgence Humanitaire) dont les résultats viennent d’être rendu publics. Quel bilan en faire et quelles sont les évolutions à en attendre en matière de renforcement du CDCS, de financement pluri annuel et le FUH ne risque-t’-il de perdre ses réelles capacités de réactivité reconnues par tous les acteurs ?

E.C :

C’est une question importante. Je trouve positif que nous ayons, depuis l’automne 2018 à la faveur de ma prise de fonction comme directeur du CDCS, engagé un travail très important de renforcement de la redevabilité. C’est une condition sine qua none de l’augmentation des moyens, sans méconnaître ce que cela fait peser sur l’action des humanitaires. Nous avons à ce titre créé une unité audit et évaluation qui permet de faire un travail à la fois interne et externe. Puis nous avons voulu aller plus loin en souhaitant une évaluation externe de l’outil que représente le FUH avec un comité de pilotage présidé par Benoit Miribel, dont je tiens d’ailleurs à saluer le travail. Je pense que cela fait partie d’une transparence qui est impérative, et que cela permet d’être plus efficace et efficient. Un certain nombre de propositions ont été présentées lors d’une réunion, à distance, rassemblant une centaine de personnes, ce qui témoigne de l’intérêt de l’ensemble des acteurs pour ce sujet. Nous travaillons sur chacune de ces propositions pour voir si nous pouvons les mettre en œuvre et de quelle manière. Elles sont étudiées chacune très sérieusement.

Pour répondre à la question sur le financement pluriannuel, j’ai souligné, lors de la réunion de restitution, la nécessité de faire très attention de trouver la bonne « ligne de crête » entre des injonctions qui peuvent paraître contradictoires. En effet, l’évaluation – qui a aussi été conduite sur le terrain et interrogé de nombreux acteurs – a souligné, pour s’en féliciter, le caractère réactif, flexible et rapide de cet outil. Ce sont des critères et des qualités essentiels, consubstantiels du FUH, avec l’avantage pour les acteurs humanitaires de pouvoir ensuite aller chercher d’autres financements. Cependant, j’entends les recommandations qui demandent une programmation pluriannuelle et davantage de planification avec les autres outils dans le cadre du nexus notamment. Mais il ne faut pas que cela se fasse au détriment des qualités reconnues de ce fond d’urgence. C’est pour cela que je parle de « ligne de crête », et c’est pour cela que je dis que toutes les propositions vont être analysées sérieusement à l’aune de ces injonctions parfois contradictoires au moins en apparence.

 

Aide humanitaire envoyée au Liban en Août 2020, ©CDCS

A.B : Benoit Miribel a souligné, lors la récente restitution publique de l’évaluation du FUH, qu’à chaque fois qu’il y avait complémentarité entre la société civile et les pouvoirs publics, il y a eu de grands progrès. Ainsi, il y a 10 ans, le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Bernard Kouchner, dont tu étais le conseiller spécial, nous avait confié à Benoit Miribel et moi-même un rapport « Analyses et propositions sur l’action humanitaire dans les situations de crise et de post-crise ». Ce rapport a contribué, en lien avec le CDCS, à des progrès majeurs pour l’action humanitaire en France, avec la création du Groupe d’Action Humanitaire, de la Conférence Nationale Humanitaire et de la Stratégie Humanitaire de la République Française (SHRF). Or, une réforme de l’APD a récemment été lancé et celle-ci inclue l’aide humanitaire. Par ailleurs, la Stratégie de la République Française arrive à échéance en 2022 et une une nouvelle phase de cette Stratégie pour la période 2O23-2027 est à anticiper. N’est-ce pas le moment de faire coïncider, si ce n’est de coordonner, cette réforme de l’APD avec l’actualisation de la stratégie humanitaire (SHRF) et de ses moyens ?

E.C :

Cette CNH s’est tenue à mi-parcours de la stratégie humanitaire française, et nous avons devant nous encore au moins 18 mois pour tirer les leçons nécessaires. Je voudrais rappeler qu’au Parlement, la discussion du projet de loi développement porté par le ministre Jean-Yves Le Drian est en cours. C’était un projet de loi très attendu, qui dans le contexte actuel n’allait pas forcément de soi, et qui désormais est inscrit à l’agenda de l’Assemblée nationale et du Sénat. Je ne souhaite pas préempter le débat parlementaire. Je crois qu’il faut aujourd’hui laisser aux parlementaires l’opportunité de se saisir de ce dossier de l’humanitaire. J’ai été frappé très positivement par la forte implication de plusieurs parlementaires très impliqués et très bons connaisseurs des enjeux dans la préparation et le déroulement de la CNH. C’est là un signal fort pour l’aide humanitaire et le développement.

Eric Chevallier à Sinjar (Irak) sur le chantier de construction du futur bloc opératoire – octobre 2019, ©CDCS

A.BSouhaites-tu compléter cet entretien en le concluant ?

E.C :

Je vais conclure par une note peut-être plus personnelle, pour dire que je suis très heureux d’avoir pris la direction du CDCS à l’automne 2018. Je trouve que nous sommes dans une période riche du point de vue de l’action humanitaire et du dialogue entre l’État et les acteurs non-gouvernementaux. Les défis sont certes plus grands, mais la possibilité de travailler de concert s’accroit, et cela dans le respect des uns et des autres. Je connais le monde humanitaire de l’intérieur, bien que ce ne soit plus ma fonction aujourd’hui, et c’est pour ça que je peux en comprendre les enjeux actuels. On peut travailler ensemble tout en respectant, naturellement, les missions, les périmètres et les identités de chacun. Nous avons fait beaucoup de progrès de ce point de vue lorsque l’on regarde les décennies précédentes, au cours desquelles régnait une forme d’incompréhension. Je crois que nous avons collectivement fait tomber nombre d’a priori et de postures qui faisaient obstacle à un véritable dialogue et à la construction d’un partenariat. Cela n’empêche pas que chacun défende son identité et ses préoccupations, de façon claire, franche et constructive. Lorsque je quitterai le CDCS, ce sera avec la satisfaction profonde d’avoir, je l’espère, contribué à densifier cette dynamique. Il reste du chemin à parcourir, mais c’est une évolution positive et crantée, qui devrait faire barrière à un retour en arrière non-souhaitable. Pour cela il faut maintenir un dialogue de confiance, là encore sincère et franc. Je suis relativement confiant sur ce sujet, car si l’on a pu faire tout cela depuis trois ans c’est parce qu’il y a une équipe formidable au sein du CDCS qui s’est professionnalisée, et qui s’est appropriée ces problématiques dans un souci du dialogue riche et constant. C’est un capital qui ne se perdra pas. Et je tiens vraiment à remercier l’équipe du CDCS singulièrement celle en charge de l’humanitaire et la stabilisation pour l’engagement, le dévouement et le travail absolument remarquable grâce auxquels nous avons pu avancer.

Qui est Eric Chevallier ?

Diplômé de l’Université de Paris V – École de médecine et de Sciences-Po Paris, Eric Chevallier a près de 30 ans d’expérience dans la diplomatie française et dans le domaine des crises et des conflits.

Il a été ambassadeur en Syrie de 2009 à 2012, puis ambassadeur pour la Syrie de 2012 à 2014 suite à la fermeture de l’ambassade, avant d’être nommé ambassadeur de France au Qatar. De 2007 à 2009, il a travaillé comme conseiller spécial auprès du Ministre des affaires étrangères. Auparavant, il a été directeur des missions internationales de l’ONG Médecins du monde. Il a également été successivement délégué adjoint et coordinateur national au ministère des affaires étrangères pour l’aide française aux pays frappés par le tsunami. Il a également occupé les postes de directeur adjoint pour le suivi des crises internationales au Secrétariat général de la défense nationale, de conseiller spécial du ministre de la santé, de conseiller spécial du Représentant Spécial du Secrétaire général des Nations unies pour la mission des Nations unies au Kosovo (MINUK), de conseiller technique du secrétaire d’État à la santé, de délégué général de l’ONG Aide médicale internationale, de membre de l’équipe de création de l’ONUSIDA ainsi que de responsable de programme au Centre international de l’enfance.

Eric Chevallier a été nommé Chevalier de la Légion d’honneur en 2012.

L’ACTION HUMANITAIRE D’URGENCE ET LA STABILISATION EN ZONE DE CRISE

 Les deux missions du CDCS sont la sécurité des Français à l’étranger d’une part, et la  réponse humanitaire et le soutien à la stabilisation d’autre part. La réponse humanitaire  vise à répondre aux besoins vitaux des populations confrontées à des crises d’ampleur.  Le soutien à la stabilisation intervient en appui à la sortie de crise dans les contextes  post-conflit, pour répondre aux besoins des populations et soutenir le relèvement de  l’État.

 FAITS MARQUANTS 2020

    • Un budget total exécuté de 126 millions d’euros en 2020 (contre 92 millions d’euros en 2019).
  • 72,3 millions d’euros inscrits en loi de finances initiale 2020 (contre 45 millions d’euros en 2019).
  •  53,7 millions d’euros de crédits additionnels octroyés en cours d’année pour répondre à des besoins humanitaires spécifiques ou à des priorités politiques (programme présidentiel pour la Syrie, conséquences de la Covid-19, fonds de soutien aux victimes de violences ethniques et religieuses au Moyen-Orient).
    • 250 projets financés dans 31 pays.
    • 86 ONG financées, sur plus d’une centaine de partenaires publics et privés.
    • Un soutien important aux ONG françaises, qui reçoivent près de 70% des financements accordés aux ONG.

Le Triple Nexus à l’épreuve du terrain : humanitaire-développement-paix.

Dans cet article, Sonia Rahal, directrice adjointe au Sahel et lac Tchad basée à Dakar pour l’ONG humanitaire Solidarités International, présente la position qu’elle a exposée durant la Conférence Nationale Humanitaire du 17 décembre à Paris dans le cadre de la table-ronde intitulée « Nexus humanitaire – développement – Paix ».  Cette table ronde réunissait des représentants de l’OCDE, de l’AFD, du HCR, de la Commission Européenne (EPLO), de l’ONG ENDA au Mali et de Solidarités International.

Rappelons ici que si le double nexus a été mis en avant lors du 1er Sommet Humanitaire Mondial en mai 2016 à Genève, le triple nexus ajoute la question spécifique de la paix et donc de la sécurité et des militaires et provoquent de nombreux débats comme cet article en témoigne.


Concept en vogue mais qui cache des débats de longue date, le nexus répond avant tout à un constat. Le constat que les personnes en situation de crise n’expérimentent pas des réalités compartimentées mais ont à la fois des besoins conjoncturels d’assistance humanitaire et des besoins structurels de développement.

Les crises prolongées sont devenues la norme

Ce constat est d’autant plus pertinent dans les contextes fragiles ou de crise prolongée caractérisés par une violence épisodique, des déplacements multiples et des désastres climatiques ou sanitaires. Aujourd’hui, les crises prolongées sont la norme : deux tiers de l’aide humanitaire sont ainsi destinés à des crises au long cours dont la durée moyenne est de 7 ans[i]. L’un des principaux défis rencontrés par les acteurs de l’aide humanitaire dans les crises prolongées est que l’action humanitaire seule ne peut répondre à tous les besoins des populations. Faute d’efforts de développement suffisants dans ces contextes fragiles, les humanitaires ont souvent dû étirer leurs mandats et aller parfois au-delà de leur expertise initiale pour combler des gaps.

Le Nexus et la réforme

Le Nexus s’inscrit aussi dans un débat plus large de réforme des Nations Unies. Le Sommet Humanitaire Mondial en 2016 exhorte ainsi à transcender le fossé entre humanitaire et développement et à intégrer les acteurs de la paix. Cette nouvelle manière de travailler (New Way Of Working) défend ainsi une vision où les acteurs humanitaires, de développement et de paix travaillent de concert vers des résultats collectifs, sur la base de leurs avantages comparatifs et en fonction de la spécificité du contexte.

Goundam, région de Tombouctou, Mali. L’association Solidarités International est présente au Mali depuis 2012 et travaille au plus proche des populations. / ©Solidarités International

La question clivante du pilier « Paix »

Pour bon nombre d’ONG, notamment les ONG à mandat multiple, l’intégration du développement est nécessaire et la question n’est pas de savoir s’il faut lier efforts humanitaires et de développement mais plutôt quand et comment. Par contre, la réserve des humanitaires est grande quand il s’agit d’intégrer le troisième pilier de la paix en vue du triple nexus dont la définition et l’opérationnalisation sont sujets à débat. Ce troisième pilier est ainsi appréhendé de manière très différente selon les acteurs : si pour les États et les militaires, le pilier paix est perçu sous le prisme sécuritaire comme impliquant des mesures politico-militaires ; les communautés et la société civile l’appréhendent comme une absence de violence et une forme de paix sociale. Difficile d’envisager des synergies entre acteurs humanitaires, du développement et de la paix, quand le flou demeure sur la définition.

Le risque de compromettre les principes humanitaires

Bien que bon nombre d’ONG aient intégré le principe de « Ne pas nuire », les approches sensibles au conflit ou des projets de cohésion sociale, peu d’entre elles considèrent avoir un mandat de construction de la paix. La crainte que les principes humanitaires se dissolvent dans le triple nexus au profit d’un agenda politique de sécurisation et stabilisation n’est pas sans fondement.

Ainsi, au Mali, où le débat autour du triple nexus a été vif, les ONG soulignent une pression constante de la part des militaires et des politiques pour abandonner toute forme d’indépendance. Nous avons ainsi vu des bailleurs demandant à ce que des évaluations de besoins soient conduites par des forces militaires ou réclamant plus de renseignement dans les rapports de projet ou encore une représentation diplomatique appelant les ONG à supporter un contingent militaire afin de favoriser son acceptation par les populations. Ce mélange des genres est extrêmement préjudiciable à l’action humanitaire et à la sécurité des humanitaires et des populations civiles. Rappelons qu’au Mali, il y a eu 55 enlèvements d’humanitaires en 2020 par des groupes armés non étatiques. Ceci est révélateur d’un climat de suspicion envers les humanitaires.

Goundam, région de Tombouctou, Mali / ©Solidarités International

Les principes humanitaires de neutralité, indépendance et impartialité ne sont pas seulement un cadre théorique et idéologique. Ils guident nos politiques et procédures, ils reflètent également des engagements pris par les États comme le Consensus Européen sur l’Aide humanitaire adopté par l’Union européenne. Le respect des principes humanitaires garantit surtout notre accès humanitaire en nous permettant d’être perçu comme un acteur neutre, indépendant et impartial et de négocier l’accès aux populations dans des contextes souvent hautement volatiles.

Recommandations

Garantir une distinction entre les mandats des différents acteurs :

Il est crucial de distinguer les opérations militaires des opérations humanitaires et civiles afin de garantir l’espace humanitaire et les principes humanitaires. L’aide humanitaire ne doit pas être utilisée au profit d’un agenda politique ou sécuritaire et doit être uniquement déployée en fonction des besoins des populations.

Cela n’empêche pas le dialogue entre acteurs humanitaires et acteurs militaires : il faut renforcer la coordination civilo-militaire lors des rencontres avec un absentéisme important ou un niveau de représentation inadéquat. Ces interactions entre acteurs civils et militaires sont fondamentales dans les situations d’urgence humanitaire, chacun dans son rôle et ses responsabilités. Il faut aussi renforcer les formations pour que les acteurs militaires soient sensibilisés au Droit International Humanitaire (DIH) et aux principes humanitaires.

Il faut aussi être très prudent quant aux activités civilo-militaires des forces armées qui visent à gagner l’acceptation des populations telles que les Quick Impact Project (QIP) qui peuvent se confondre avec les actions des humanitaires. Les ONG plaident pour que ces activités soient des projets liés aux infrastructures plutôt que des distributions de vivres ou de médicaments, pour éviter une duplication d’aide et une confusion des rôles. Enfin, les forces militaires doivent toujours communiquer en amont sur ces activités, ce qui n’est pas toujours le cas.

Opérations Barkhane, Mali.

Adapter les mécanismes et instruments de financement :

Les crises prolongées ont exacerbé les besoins humanitaires et parfois impacté négativement les gains du développement. Nous faisons face à des besoins à grande échelle dans des contextes où les infrastructures et les services publics sont faibles ou absents. Au Sahel, où 24 millions de personnes ont besoin d’une assistance humanitaire, les plans de réponse humanitaires sont financés à moins de 50%. Il faut donc adapter les instruments et mécanismes de financement pour opérer dans des contextes fragiles et nous avons besoin de financement multi-annuel et flexible. Il faut aussi que les bailleurs puissent traduire en pratique l’ambition du double nexus. Bien qu’il y ait eu des initiatives dans ce sens (Commission Européenne avec ECHO, DEVCO et les contrats cadres, crisis modifier pour les financements américains d’USAID), il faut un dialogue renforcé et concerté entre bailleurs humanitaires et de développements qui travaillent encore très souvent en silos ainsi que des instruments et mécanismes de financement plus souples. Pour autant, il faut s’assurer que les budgets d’aide au développement et d’aide humanitaire restent séparés et indépendants pour éviter toute politisation de l’aide humanitaire.

S’assurer de la participation de la société civile :

Les sociétés civiles locales jouent un rôle clé dans la réponse aux besoins humanitaires et de développement en travaillant vers cet objectif de « Ne laisser personne derrière ». Le risque de centraliser la prise de décision à travers l’approche suggérée par les Nations Unies dans la Nouvelle manière de travailler (New Way Of Working, NWOW) à travers les objectifs conjoints est de ne pas refléter la voix des populations dans une approche top-down. Toute approche nexus doit donc inclure la participation de la société civile et des acteurs locaux à toutes les phases du cycle du projet de l’élaboration à la mise en œuvre et au suivi de projet. Travailler avec des acteurs locaux qui sont présents avant, pendant et après la crise augmente la probabilité que les objectifs de court et long terme soient atteints.

Le débat autour du Nexus a le mérite de faire réfléchir ensemble acteurs humanitaires, de développement et militaires à ces défis de l’aide et de la paix dans des crises prolongées. Il permet de réaffirmer également la nécessité que les acteurs de développement s’engagent dans ces contextes fragiles et que les mécanismes et instruments de financement s’adaptent aux réalités du terrain. Enfin, dans un contexte grandissant de politisation de l’aide, il est fondamental de rappeler que le respect des principes humanitaires est conditionnel à toute action humanitaire, et d’œuvrer dans ce sens.

Sonial Rahal

Directrice des Opérations adjointe au Sahel et Lac Tchad

Solidarités International

[i] Namitha Sadanand and Estefanie Hechenberg, Sphere Standards in Protracted Crises, A case study of DRC and Haiti, 2017

Qui est Sonia Rahal ?

Sonia Rahal a rejoint l’ONG Solidarités International en Janvier 2020 en tant que Directrice du bureau régional de Dakar. De 2015 à 2020, elle a effectué de nombreuses missions humanitaires avec l’ONG Save the Children dans divers contextes tels que le Sahel, la crise syrienne au Liban et la crise Ebola en Afrique de l’ouest.

Avant de rejoindre le secteur humanitaire, elle a travaillé plusieurs années dans le développement en Afrique de l’ouest, dans le secteur de la microfinance. Elle est titulaire d’un Master de l’Université Paris V en Droit et Politiques du Développement et d’un Bachelor en Economie et Politique de l’Université de Montréal.

 


Pour en savoir plus sur la CNH :