Identité, culture et biodiversité : le combat des peuples autochtones

Entre résilience et espoir, l’importance de la lutte pour la sauvegarde des peuples autochtones aux regards des enjeux actuels.

L’importance des liens entre les autochtones et la terre. @OHCR

Groupes sociaux et culturels distincts, les peuples autochtones entretiennent des liens ancestraux forts avec les ressources naturelles et les terres sur lesquelles ils vivent et dont ils dépendent. Celles-ci participent à forger leur identité, leur culture, mais également leur subsistance économique et leur mode de vie aussi bien matériel que spirituel.  Grâce à un mode d’organisation propre à chacun, les autochtones vivent de manière distincte de la société dominante, avec leurs propres us, coutumes et toujours en harmonie avec les terres sur lesquels ils se trouvent.

Les populations autochtones ne répondent pas à une définition précise, puisque selon la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, l’auto-identification est considérée comme un critère fondamental, celle-ci faisant référence à leur droit de déterminer leur propre identité ainsi que leur appartenance à un groupe conformément à leurs coutumes et traditions.

À ce jour, les populations autochtones représentent 476 millions de personnes réparties dans plus de 90 pays et 5000 groupes distincts, au sein desquels plus de 6700 langues sont parlées ou signées. Il s’agit d’une véritable diversité de populations, cultures et savoirs-vivres.

Pourtant, la situation des autochtones est alarmante : ils ne forment que 6,2% de la population mondiale, mais représentent 15% du nombre d’individus qui vivent dans l’extrême pauvreté mondiale. Les peuples autochtones, souvent invisibilisés, occultés, dépeignent une réalité dont il est nécessaire de se saisir, au regard des enjeux qu’ils représentent et des défis auxquels ils sont confrontés.

Des populations marginalisées, en proie à une pauvreté accrue

Selon un rapport publié à l’occasion du 30ème anniversaire de la Convention relative aux peuples indigènes et tribaux de 1989, les populations autochtones ont trois fois plus de risques de vivre dans une situation d’extrême pauvreté que le reste de la population.

Bien que les moyens de subsistance et les activités économique des autochtones évoluent – désormais environ 45% des autochtones ont un emploi en dehors du secteur agricole primaire – et qu’ils ont un taux d’activité supérieur à celui du reste de la population (63,3% contre 59,1%), ces données s’accompagnent de déséquilibres et inégalités importantes en termes d’emplois, de conditions de travail et de rémunération.

Photo ONU/F. Charton Une famille Cakchiquel dans le village de Patzutzun, au Guatemala.

Ce rapport met en exergue que 86% des populations autochtones œuvrent dans l’économie informelle, avec bien souvent de mauvaises conditions de travail et d’absence de protection sociale, contre 66% pour le reste de la population. Plus particulièrement et sans surprise, les femmes autochtones sont davantage touchées par ces difficultés d’emploi, puisqu’elles représentent 86,5%  dans le secteur de l’activité informelle.

S’agissant de l’éducation, le rapport indique que plus de la moitié (53,3%) des femmes autochtones qui travaillent n’ont reçu aucune éducation, les femmes autochtones vivant en Afrique sont les plus désavantagées – toutes régions et catégories de revenues confondues – avec un taux de 89,9% d’analphabétisation contre 62,2% de leurs homologues autochtones.

Les femmes autochtones sont également les plus représentés dans le travail familial (environ 34%) et, seulement un quart d’entre elles occupent un travail salarié, face à 51,1% des femmes non autochtones et 30,1% des hommes autochtone.

Enfin, et pour terminer sur les inégalités salariales, les individus autochtones gagnent en moyenne 18% de moins que le reste de la population au même poste.

Ces données analysées traduisent la nécessité, induite par la pauvreté, pour les populations autochtones d’occuper un emploi, même mal rémunéré et exercé dans de mauvaises conditions de travail, dans le but de générer un revenu pour tenter de subvenir à leurs besoins.

L’importance du droit foncier autochtone dans la lutte des ODD, notamment de l’Eau

Par leurs modes de vie différenciés de celui de la culture dominante du pays dans lequel ils se trouvent, les peuples autochtones sont fréquemment exclus, non pris en compte ou encore mal représentés dans les processus décisionnels sur des questions qui les concernent bien souvent directement, notamment sur des projets affectant leurs terres ou sur l’adoption de normes ou mesures législatives pouvant porter atteintes à leurs ressources et conditions de vie.

Ancrées dans un colonialisme exacerbé, les populations autochtones se sont souvent vues déplacées de leurs terres natales au profit d’entreprises et d’exploitations des ressources naturelles présentes sur leurs territoires.

Pourtant, si le système du droit coutumier conférant propriétés de leurs terres aux autochtones est instauré, il n’est que peu effectif et illusoire tant de nombreux gouvernements empiètent sur leurs terres en ne leur conférant que des parcelles de terrain en guise de propriétés et s’octroyant la quasi-totalité de leurs espaces.

Cette atteinte au droit foncier à des conséquences néfastes. Elle est vectrice de conflit, de précarité pour les populations autochtones vivant initialement de ces ressources, mais est également un danger pour l’environnement, notamment en menaçant les cultures et systèmes de savoirs mis en place par les populations autochtones et qui participent initialement à une meilleure intégrité écologique, à protéger la biodiversité et donc la santé environnementale à plus grande échelle.

En effet, l’Economiste en chef des Nations Unies, Elliot Harris, déclarait : « Garantir les droits collectifs des peuples autochtones sur les terres, les territoires et les ressources ne sert pas seulement à leur bien-être, mais aussi à relever certains des défis mondiaux les plus pressants, comme le changement climatique et la dégradation de l’environnement. »

Au cours de la Conférence des Nations-Unies sur l’Eau (22 au 25 mars 2023), les peuples autochtones, les Etats membres et le système des Nations Unies se sont mis en accord autour d’engagements conjoints pour transformer la gouvernance de l’eau, et s’adapter au climat, à la biodiversité. Depuis toujours, les populations autochtones gèrent et gouvernent les ressources en eau, quel que soit l’environnement dans lequel elles se trouvent, que l’eau soit présente en abondance ou en faible quantité sur des terres semi-arides ou très sèches. Les différentes méthodes, bien souvent ancestrales, des autochtones permettent d’arborer de nouvelles approches, extrêmement pertinentes et utiles dans la lutte contre la crise de l’eau douce. La conférence a permis de mettre en exergue les pratiques actuelles des autochtones dans la gestion de leurs ressources en eau, ainsi que d’établir une feuille de route pour favoriser l’inclusion de ces méthodes dans la gouvernance de l’eau mais également affirmer de nouveaux engagements dans la protection du droit foncier des autochtones, nécessaires au regard de l’implication des peuples autochtones dans la politique de gestion de l’eau qui contribue considérablement à répondre au changement climatique, aux systèmes alimentaires et au maintien de la biodiversité.

À titre d’exemple, une tribu de chasseurs-cueilleurs vieille de 40 000 ans obtient des droits légaux sur ses terres ancestrales en Tanzanie, ce qui lui permet de protéger ses forêts contre les agriculteurs et les éleveurs qui cherchent à les défricher. La déforestation dans le territoire central des Hadzabe a depuis diminué, alors qu’elle a augmenté de manière significative dans la région. Les populations d’éléphants d’Afrique, de chiens sauvages d’Afrique, de lions et de léopards, qui sont menacés d’extinction, ont augmenté et les Hadzabe ont gagné plus de 450 000 USD grâce à l’échange de droits d’émission de carbone. Pour en savoir plus, cliquez ici.

Les autochtones renvoient à des acteurs indispensables dans la lutte contre la crise de l’eau douce et dans le maintien de la biodiversité. Leurs différentes approches et méthodes de gouvernance des ressources est un atout clé au regard des enjeux climatiques actuels. Pour cela, il est donc primordial d’assurer et de sécuriser leurs droits fonciers, tout en adoptant une gouvernance plus inclusive et en promouvant des investissements publics adaptés aux cultures ancestrales et aux systèmes de gestion des populations autochtones ainsi que dans la lutte contre l’extinction des langues autochtones, élément clé dans la transmission des savoirs.

Des cultures menacées

À ce jour, sur les 6700 langues autochtones signées et parlées, 40% d’entre elles sont menacées, faute de locuteurs. La disparition d’une langue met en péril la transmission du patrimoine immatériel, des coutumes et des savoirs, qui peuvent s’avérer vitaux sur le plan culturel, sociétal mais également écologique au regard des défis actuels que nous devons relever (changement climatique, épuisement des ressources, maintien de la biodiversité). En 2022, le décès de Critina Calderon, dernière personne à parler parfaitement la langue du peuple yagan au Chili illustre la menace d’extinction des langues autochtones. Selon l’UNESCO, une langue disparait toutes les deux semaines et plus de 1500 d’entre elles seraient en voie d’extinction dans un avenir proche. 67% des langues répertoriées le sont dans des zones à forte biodiversité où les individus ont une parfaite connaissance de leur environnement, au sein duquel ils ont accumulé une multiplicité de savoirs écologiques, qui ont une valeur mondiale très importante.

« Des vocabulaires élaborés sont construits autour de sujets avec une importance économique, socioculturelle mais aussi écologique particulière », rapport de l’UNESCO.

UNICEF/Des fillettes d’une communauté autochtone lisent dans la cour de l’école primaire Ban Pho, dans la province de Lao Cai, au Viet Nam.

Les causes de disparitions des langues sont liées à la fois à la pratique, à la reconnaissance complexe de ces langues, à l’absence de diversité des langues utilisées mais également aux conséquences directes de l’oppression subie par les peuples. En effet, au Canada, on recense 1,7 millions d’autochtones et pourtant, c’est moins de 16% qui pratiquent une langue autochtone. L’ethnologue de la nation huronne-wendate Isabelle Picard, interrogée par Radio Canada estime que les gouvernements  « ont des responsabilités morales et politiques dans la transmission et conservation de ces langues », en rapport à la sombre affaire des pensionnats autochtones, mis en lumière récemment.

Ainsi donc, il est indispensable de mettre en œuvre des outils pour pouvoir perpétuer et faciliter l’enseignement de ces langues et empêcher cet héritage linguistique de disparaitre, dans un dessein impérieux pour la préservation de la diversité, l’identité et l’intégrité des peuples autochtones mais également des connaissances vitales servant aux enjeux climatiques actuels.

Vers une reconnaissance plus effective des peuples autochtones et de leurs droits

Au cours des vingt dernières années, la reconnaissance des droits des peuples autochtones a fortement progressé, comme en témoigne la mise en place de plusieurs instruments et mécanismes internationaux : la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones adoptée en 2007 et la Déclaration américaine sur les droits des peuples autochtones  en 2016, mais aussi la ratification par 23 pays depuis 1991 de la Convention relative aux peuples indigènes et tribaux, l’instauration de l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones, la création du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones et la mise en place d’un Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones.

En Juin 2019, le Canada a adopté une loi reconnaissant que « les langues autochtones font partie intégrante des cultures et des identités des peuples autochtones de la société canadienne » et créa un bureau du commissaire aux langues autochtones, efforts appréciés par le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Canada, Perry Bellegarde.

Photo : ONU/Mark Garten Tadodaho Sid Hill, chef de la nation Onondaga, prononce un discours à la Conférence mondiale des peuples autochtones.

Plus récemment, l’UNESCO se mobilise pour la sauvegarde du patrimoine culturel des autochtones. En 2022, dans le but de prolonger le travail de « l’année internationale des langues autochtones », l’ONU a décidé de lance une Décennie internationale des langues autochtones (2022-2032). Parmi les différentes actions mises en place, la publication de l’Atlas mondial des langues autochtones destiné à rassembler et diffuser les données relatives aux langues dans le monde et dans chaque pays, a été salué par le Rapporteur spécial des nations unies sur les droits des peuples autochtones, «  les langues autochtones jouent un rôle essentiel dans la définition de la relation autochtone avec la Terre mère, la préservation du territoire autochtone, la transmission de la vision du monde, de la science, de l’histoire et de la culture autochtones et l’éradication de la faim en maintenant l’intégrité des systèmes alimentaires autochtones ».

Dans ce même esprit, d’autres moyens voient le jour, comme le lancement d’un cours en ligne – un MOOC – portant sur l’initiation au Dongba, l’écriture de la minorité ethnique Naxi du Yunnan, en Chine. Celui-ci, disponible en quatre langues a pour but de toucher des milliers d’individus à travers le monde et de permettre de contribuer à la sauvegarde de ce patrimoine culturel. A l’instar, à la suite d’un débat multipartite à l’ONU sur le développement des médias communautaires autochtones, il a été décidé que de nombreux efforts seront fait pour promouvoir l’accès au contenu et aux services des médias dans les langues indigènes, notamment pour diffuser plus largement l’information pour les communautés locales et renforcer la voix des autochtones dans la couverture médiatique.

Toutes ces tendances sont induites par le Plan d’action global qui guide la mise en œuvre de la lutte pour la préservation de la culture des peuples autochtones, dans le cadre de cette Décennie. Le Plan aborde tous les aspects de la vie quotidienne des locuteurs. Il plaide pour un meilleur accès à l’alimentation, à la justice et aux services de santé, à la cohésion sociale, à l’autonomisation numérique, à la culture, à la biodiversité, à l’accès à l’emploi dans le contexte de la revitalisation, de la culture et de la durabilité des langues autochtones.

A l’orée de cette Décennie, le chemin est encore long et les efforts doivent se poursuivre. Il s’agit là d’une nécessité à la fois individuelle au regard de la protection identitaire et culturelle des individus mais également globale dans l’importance des éléments de réponses permises par les cultures autochtones dans la protection de la biodiversité et la gestion des ressources face aux enjeux climatiques actuels auxquels nous faisons face.

Legendre Inès

Sortir de l’inefficacité collective en mars 2023 ?

Alors qu’une « rare » conférence sur l’eau est prévue en mars 2023 aux Nations unies, Gérard Payen exhorte la communauté internationale à sortir de l’inertie pour faire de ce rendez-vous un évènement historique à la fois porteur de décisions politiques fortes et d’un agenda annuel afin d’atteindre l’Objectif 6 des ODD 2030 pour un accès universel à l’eau, l’assainissement et l’hygiène.

Nous remercions Solidarités International pour son accord de publication de cet article de Gérard Payen à paraître dans son Baromètre 2021 de l’eau, l’assainissement et de l’hygiène que nous publierons dans Défis Humanitaires à sa sortie.

Bassins de décantation de l’eau et participation communautaire pour creuser des tranchés à Béni en RDC  ©Solidarités International 2005

Les gouvernements discutent d’eau douce dans des événements internationaux en si grand nombre que leurs travaux sont aujourd’hui fragmentés, organisés en événements disparates, sans fil conducteur et peu coordonnés. Eux-mêmes, ainsi que la plupart des acteurs de la communauté internationale, ont du mal à s’y retrouver. ONU-Eau assure tant bien que mal une coordination technique mais la coordination au niveau politique des différentes actions liées à l’eau reste à inventer. Ces nombreux événements sont néanmoins utiles pour faire évoluer les connaissances et préparer des décisions futures. Par exemple, les Forums mondiaux de Mexico (2006) et d’Istanbul (2009) ont préparé la reconnaissance du droit de l’homme à l’eau potable en 2010, celui de Marseille (2012) et le Sommet de Budapest de 2013 ont contribué à l’adoption en 2015 d’un Objectif de Développement Durable (ODD) dédié à l’eau.

En mars 2023, une Conférence internationale sur l’Eau se tiendra sous l’égide des Nations unies. Elle rassemblera tous les gouvernements sous la co-présidence du Tadjikistan et des Pays-Bas. Ce sera un événement majeur car seules les réunions ONU peuvent donner lieu au niveau mondial à des décisions politiques considérées comme engageantes par les États et faisant l’objet de suivis opérationnels dans le temps. Les nombreuses réunions intergouvernementales organisées par des États en marge de l’ONU peuvent aboutir à des conclusions utiles mais celles-ci restent habituellement sans lendemain car sans mécanisme institutionnel de suivi. Aux Nations unies, la plupart des réunions dédiées à des sujets Eau sont organisées par des agences ONU ou des secrétariats de traités internationaux spécialisés dans un domaine particulier concernant une partie seulement des enjeux de l’eau. Une conférence internationale qui traite de l’ensemble des enjeux de l’eau douce (eaux de toutes sortes et assainissement) est ainsi un événement rarissime à l’ONU. Alors que les enjeux de l’eau sont croissants, interagissent chaque année davantage et sous-tendent une grande partie des ODD, cette conférence de 2023 sera donc une des très rares occasions de prendre au niveau mondial des décisions collectives utiles pour une meilleure gestion des enjeux de l’eau.

Assemblée Générale des Nations Unies, Septembre 2020

La vision cohérente des ODD

En 2015, une révolution a eu lieu. L’adoption des ODD a conduit pour la première fois les gouvernements à considérer tous les grands enjeux de l’Eau dans un programme mondial. Jusque-là, seuls l’eau potable et l’accès aux toilettes faisaient l’objet d’objectifs communs. En 2015, cette vision très partielle a été complétée par des objectifs sur la gestion des ressources en eau, celle des pollutions et des eaux usées, les écosystèmes hydriques, les inondations, la participation des citoyens, l’eau dans les écoles, l’adaptation aux changements climatiques, le fonctionnement des villes, etc. Bref, une vision complète des enjeux de l’eau est apparue. Vingt cibles ODD sont directement liées à l’Eau. Formidable ! Hélas, depuis 2015, cela n’a pas changé grand-chose au niveau intergouvernemental. Comme si les errements antérieurs avaient repris leurs droits. En 2018, lors du Forum politique ONU de haut niveau sur le développement durable (HLPF), les gouvernements ont parlé d’eau pendant trois heures mais n’ont rien décidé de nouveau. Pire, en octobre 2019 lors de leur premier Sommet ODD, ils se sont gargarisés de leurs progrès en matière d’accès à l’eau potable en flagrante contradiction avec les statistiques mondiales qui laissent entrevoir que l’accès universel à l’eau potable ciblé pour 2030 ne sera pas atteint avant le 23e siècle au rythme des politiques actuelles. Depuis 2015, il n’y a pas eu de travaux intergouvernementaux visant à reconnaître et à corriger les insuffisances vers l’atteinte des cibles ODD liées à l’eau. Ce manque d’activité sur l’ensemble des aspects de l’eau résulte de l’absence de forum politique ONU dédié à l’eau. Contrairement à la plupart des grandes thématiques des ODD qui ont chacune une plateforme intergouvernementale dédiée se réunissant régulièrement au niveau politique, l’Eau n’a pas cette chance et reste déshéritée politiquement. Le besoin de cohérence et d’efficacité collective est criant mais très peu discuté tant sont nombreux les acteurs institutionnels, pays ou agences ONU, qui voient plus d’intérêts au statu quo.

Château d’eau à Koniba, Mali ©Solidarites International 2019

Une réunion politique ONU sur l’Eau est un événement rare, bien trop rare

Certains disent que la Conférence internationale de 2023 sera la première depuis celle de Mar-del-Plata en 1977. C’est faire peu de cas de la réunion de 2005 de la Commission du Développement Durable de l’ONU qui a réuni tous les gouvernements pendant deux semaines et a conduit à une résolution ONU de neuf pages sur la gestion intégrée des ressources en eau, la préservation des écosystèmes, l’eau potable et l’assainissement, y compris le traitement et la réutilisation des eaux usées. Ceci étant, depuis 2005, les seules résolutions significatives ONU sur l’Eau ont été l’instauration de l’Année internationale de l’assainissement (2008), la reconnaissance en 2010 du Droit de l’homme à l’accès à l’eau potable et à l’assainissement et l’adoption en 2015 des ODD.

La Conférence ONU de 2023 sera ainsi l’un des très rares événements permettant des décisions sur l’ensemble des enjeux de l’Eau. Ce sera l’occasion de donner plus d’efficacité aux travaux intergouvernementaux sur l’Eau en décidant d’organiser chaque année, comme cela se fait pour les autres grandes thématiques des ODD, une réunion intergouvernementale ONU sur l’ensemble des cibles ODD liées à l’Eau. Cela permettrait à la fois d’assurer une cohérence politique aux nombreux travaux éparpillés actuellement et de s’organiser pour atteindre l’ODD 6 et tous les objectifs mondiaux liés à l’Eau. Une telle décision ne pourra être prise en 2023 que si les esprits s’y préparent activement et l’anticipent suffisamment. C’est l’un des principaux enjeux du 9ème Forum Mondial de l’Eau qui aura lieu à Dakar en 2022.

Kick-off meeting préparatoire au 9ème Forum Mondial de l’eau, printemps 2019 ©WorldWaterForum

La Conférence de 2023 décidera-t-elle de réunions politiques régulières des Nations unies sur l’ensemble des cibles ODD liées à l’Eau ? Si oui, cette conférence sera quasi-historique. Si cette occasion est manquée, la communauté internationale de l’eau ne pourra que se blâmer elle-même de la continuation de sa faible efficacité collective, du déficit d’attention politique portée à l’Eau et de la lenteur des progrès vers les cibles ODD liées à l’Eau.

Gérard Payen


Qui est Gérard Payen ?

Gérard Payen travaille depuis plus de 35 ans à la résolution de problèmes liés à l’eau dans tous les pays. Conseiller pour l’Eau du Secrétaire Général des Nations Unies (membre de UNSGAB) de 2004 à 2015, il a contribué à la reconnaissance des Droits de l’Homme à l’eau potable et à l’assainissement ainsi qu’à l’adoption des nombreux objectifs mondiaux de Développement Durable liés à l’eau. Il est aujourd’hui administrateur de 3 grandes associations françaises dédiées à l’Eau et continue à travailler à la mobilisation de la communauté internationale pour une meilleure gestion des problèmes liés à l’eau, ce qui passe par des politiques publiques plus ambitieuses. Simultanément depuis 2009, il conseille les agences des Nations Unies qui produisent les statistiques mondiales relatives à l’Eau. Impressionné par le nombre d’idées fausses sur la nature des problèmes liés à l’eau, idées qui gênent les pouvoirs publics dans leurs prises des décisions, il a publié en 2013 un livre pour démonter ces idées reçues.