Interview de Dominic Crowley, président de VOICE, sur le Forum Humanitaire Européen

Premier forum humanitaire européen. @ECHO

Défis Humanitaires : Lors de la première édition du FHE à Bruxelles en mars 2022, les ONG ont regretté le manque de résultats concrets, ainsi que le manque de consultation et de partage d’informations de la part des organisateurs en amont du Forum. Qu’en est-il de cette deuxième édition, coorganisée par la DG ECHO et la présidence suédoise ?

Dominic Crowley : Il est d’abord nécessaire de reconnaître quelques résultats tangibles au FHE 2022, notamment en ce qui concerne la publication de notes d’orientation sur les critères environnementaux minimaux, la logistique humanitaire ou encore sur la programmation d’activités de transferts monétaires (CASH programming).

Il est également important de noter que le FHE 2022, le premier de son genre, était un premier essai pour les organisateurs, nécessitant un certain degré d’apprentissage par la pratique dans sa conception et sa livraison.

Le Forum a certainement atteint l’objectif d’attirer une plus grande attention des décideurs de l’Union Européenne (UE), y compris les représentants des États membres, sur les besoins humanitaires, et de donner à la communauté humanitaire au sens large la chance de s’engager plus directement avec les décideurs politiques.

VOICE a positivement accueilli le fait que la déclaration des co-organisateurs, à l’issue du Forum, se concentre sur les principales préoccupations de nos membres, notamment la nécessité de respecter le droit humanitaire international, de combler le déficit de financement humanitaire en croissance, de financer davantage la prévention des catastrophes liées au climat et de renforcer les capacités des organisations locales.

A bien des égards, la déclaration des co-organisateurs a repris les questions soulevées par VOICE dans sa déclaration avant le Forum humanitaire européen, qui appelait l’UE et ses États membres à utiliser le Forum pour relever les défis liés à l’augmentation des besoins humanitaires, pour identifier des solutions pour préserver l’espace humanitaire et garantir la fourniture d’une aide fondée sur les principes humanitaires.

Faire avancer ces questions clés d’une manière qui fasse une différence pour l’ampleur et la nature des besoins sur le terrain, et pour l’accès sûr des travailleurs humanitaires aux populations touchées par les crises, reste le principal défi pour nous tous.

En ce qui concerne le FHE 2023, nous apprécions le fait que la DG ECHO ait mis en place une Task Force des partenaires pour soutenir la préparation du Forum de cette année. VOICE, ainsi que des représentants des Nations Unions, de la IFRC et du CICR se sont réunis régulièrement au cours des années 2022 et 2023, afin d’aider ECHO à définir l’ordre du jour du Forum et afin de favoriser un meilleur partage d’information.

S’il est rassurant de constater que les questions humanitaires les plus urgentes figurent au programme du Forum (crise climatique, nexus Humanitaire-Développement-Paix, respect du droit international humanitaire, adhésion aux principes humanitaires, accès humanitaire et déficit de financement de l’aide humanitaire), le fait qu’elles reflètent un grand nombre des questions déjà soulevées lors du dernier Forum témoigne de l’ampleur des défis à relever.

Nous jugeons encourageant que la Task Force des partenaires a pu parvenir à un accord avec ECHO sur l’inclusion d’un panel sur le genre, et nous avons plaidé pour qu’une diversité d’ONG – nationales et internationales – soit représentée dans les échanges.

Nous saluons également le fait que la Conférence des partenaires de la DG ECHO, qui avait été suspendue depuis 2019 en raison du COVID-19, soit rétablie par le biais d’une série de réunions, dont le Segment des partenaires du 22 mars.

Les attaques contre les civils et les infrastructures, ainsi que les conflits entre groupes armés étatiques et non étatiques ont entraîné des déplacements massifs de population dans toute la région de l’Afrique de l’Ouest, provoquant une famine sans précédent. Union européenne, 2022 (photographe : Andrew Caballero-Reynolds)

Défis Humanitaires : Le Forum humanitaire européen 2023 vise à « proposer conjointement des approches innovantes, durables et efficaces pour relever les défis actuels du monde humanitaire ». Quelles sont vos attentes pour cette édition du forum ?

Dominic Crowley : Ma principale attente à l’égard du FHE est qu’il devrait donner aux principales parties prenantes politiques l’occasion de concentrer leur attention sur le niveau record des besoins humanitaires mondiaux, et le déficit de financement record pour répondre à ces besoins. Par conséquent, mon principal espoir est que tous les États membres de l’UE s’engagent et proposent des solutions spécifiques pour augmenter le niveau de financement afin de soutenir les communautés dans le besoin.

Pour revenir à votre question précédente, et comme indiqué dans notre déclaration à l’issue du Forum 2022, tous les efforts doivent être faits pour s’assurer que ce Forum combine des discussions utiles et intéressantes avec des résultats spécifiques et adaptés pour répondre aux principaux défis auxquels les acteurs humanitaires sont confrontés dans leur mise en œuvre d’une aide humanitaire fondée sur les principes.

Les conflits, la crise climatique et le sous-financement chronique des crises humanitaires sont tous interconnectés et portent les besoins humanitaires à des niveaux record. Si nous n’agissons pas maintenant, ces besoins risquent de s’aggraver encore, et nous pourrions atteindre un point de basculement où il sera très difficile d’avoir un impact significatif sur leur niveau.

Défis Humanitaires : Assurant la présidence du Conseil de l’Union européenne pour ce premier semestre de l’année, la Suède préside les réunions du COHAFA (Aide humanitaire et alimentaire de l’UE) et est le dernier membre du trio (France, République tchèque et Suède) qui a fixé conjointement certaines priorités globales de janvier 2022 à juin 2023. Ces priorités comprennent le changement climatique, le droit international humanitaire, la protection des humanitaires et les liens entre l’humanitaire, le développement et la paix. Comment la Suède progresse-t-elle sur ces priorités et quelles devraient être, selon vous, les priorités pour les six prochains mois ?

Dominic Crowley : VOICE s’est engagé auprès des Présidences du Conseil avant et pendant leurs mandats. Nous avons travaillé avec nos ONG membres et les plateformes nationales en France, en République tchèque et maintenant en Suède, qui a commencé sa présidence en janvier 2023, afin de s’assurer qu’elles prennent en compte les priorités des ONG humanitaires et, surtout, les communautés touchées par les crises qu’elles soutiennent.

En collaboration avec FoRS, la plate-forme nationale tchèque des ONG, nous avons organisé une table ronde à Prague pour réfléchir au contexte humanitaire mondial et régional du point de vue des donateurs et des ONG, en examinant l’impact du conflit ukrainien sur la fourniture d’une aide humanitaire fondée sur des principes, et en identifiant des solutions pour faire face à l’augmentation des besoins et au manque de financement avant le FHE 2023.

Au cours de cette table ronde, VOICE a réitéré les messages énoncés dans notre Policy Resolution, « Un appel urgent à la protection de l’aide humanitaire fondée sur les principes humanitaire », dans laquelle nous avons formulé des recommandations à l’UE et à ses États membres pour qu’ils défendent systématiquement l’aide humanitaire fondée sur les principes dans le monde entier, protègent les civils et soutiennent l’accès à l’aide humanitaire.

Un des panels de la table ronde de Prague “Nouvelles tendances humanitaires et défis de l’aide à la lumière du conflit en Ukraine”. @VOICE

Sur le nexus Humanitaire-Développement-paix et la crise climatique, nous apportons l’expertise de nos membres à travers notre groupe de travail « Résilience-Nexus ». Au niveau de l’UE, il y a beaucoup de discussions autour du triple nexus comme solution clé à de nombreux défis. Cependant, nous aimerions voir comment l’UE et ses États membres prévoient de le rendre opérationnel, compte tenu des différents cadres et outils financiers et, en particulier, des préoccupations des ONG humanitaires quant au risque croissant de politisation et d’instrumentalisation de l’aide humanitaire comme conséquence des approches nexus. Le point de vue de VOICE est que toute approche nexus doit être en accord avec les principes fondamentaux de l’aide humanitaire – humanité, impartialité, neutralité et indépendance – et être informée par chaque contexte spécifique.

De plus, la crise climatique est une autre question clé sur laquelle nous travaillons. Le changement climatique fait partie des causes profondes des crises humanitaires dans le monde, alimentant les conflits, générant de l’insécurité alimentaire, des pénuries d’eau, des déplacements et menaçant les moyens de subsistance. Dans la lutte contre les effets du changement climatique, le rôle des donateurs est vital. Nous pensons que l’UE et ses États membres doivent augmenter les financements visant à renforcer la résilience climatique afin que les communautés les plus marginalisées puissent mettre en place des mesures d’atténuation des catastrophes climatiques et renforcer leur résilience.

De nombreuses discussions ont lieu au niveau de l’UE, et nous nous réjouissons de l’attention portée par les présidences du Conseil à ces domaines clés. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour renforcer la résilience climatique, pour rendre opérationnel le nexus HDP et pour assurer la promotion du DIH.

Nous espérons que la présidence suédoise fera des progrès significatifs dans ces domaines au cours des prochains mois, et que le prochain Trio maintiendra ces sujets comme prioritaires, et renforcera les engagements et les actions des Etats membres pour surmonter ces défis connexes.

Défis Humanitaires : Les priorités du Trio comprennent également un effort mondial pour augmenter les ressources financières dédiées à l’action humanitaire face à des besoins croissants. Entre 2018 et 2021, selon le Financial Tracking Service, le budget de l’aide humanitaire internationale a régulièrement augmenté, passant de 15 à 19 milliards de dollars, tandis que le financement requis est passé de 25 à 38 milliards de dollars. La poursuite de la guerre en Ukraine et les tremblements de terre en Turquie et en Syrie vont encore augmenter ces chiffres. Qu’attendez-vous du FHE pour mieux répondre financièrement aux besoins humanitaires dans le monde ?

Dominic Crowley : Le conflit en Ukraine et ses répercussions économiques mondiales ont exacerbé les besoins humanitaires, déjà à un niveau record en raison de l’impact des “trois C” – conflit, changement climatique et COVID-19 – et du sous-financement chronique des crises. Comme vous l’indiquez à juste titre, une personne sur 23 a aujourd’hui besoin d’une aide humanitaire (GHO 2023) – un niveau de besoins sans précédent, qui n’a cessé de croître au cours des dernières années.

Ma principale préoccupation est cependant de savoir si l’Ukraine et l’impact des tremblements de terre en Turquie et en Syrie augmenteront le budget humanitaire mondial, ou si ces crises plus récentes exercent une pression supplémentaire sur des budgets mondiaux déjà surchargés.

L’UE, avec ses États membres, était traditionnellement le plus grand donateur d’aide humanitaire. Bien que figurant toujours parmi les donateurs les plus importants (FTS, UNOCHA), depuis 2021, les États-Unis sont désormais le plus grand donateur individuel. Plus inquiétant encore, seul deux Etats membre de l’UE (sur 27) figurent parmi les dix premiers donateurs humanitaires mondiaux. L’UE et ses États membres doivent faire plus, et nous sommes heureux de constater que les citoyens de l’UE y sont favorables : selon le dernier Eurobaromètre, 91 % des personnes interrogées pensent qu’il est important que l’UE finance des activités d’aide humanitaire, et 89 % pensent que l’UE devrait maintenir ou augmenter le niveau de soutien aux personnes ayant besoin d’aide humanitaire. Le Forum pourrait être l’occasion d’obtenir un engagement sérieux de la part des Etats membres pour augmenter le financement de l’aide humanitaire.

Chaque année, VOICE demande à l’UE d’atteindre davantage de personnes dans le besoin dans le monde en garantissant des financements supplémentaires, flexibles et prévisibles. Nous demandons à l’UE et aux Etats membre d’être des donateurs se basant sur les principes humanitaires et d’allouer des fonds sur la base des besoins humanitaires identifiés plutôt que sur des considérations politiques ou économiques.

Le conflit en Ukraine a mis en évidence le risque d’application de normes différentes aux crises humanitaires et, plus largement, la nécessité de respecter les principes humanitaires. La rapidité et l’ampleur du financement des donateurs pour la crise ukrainienne ont été remarquables et devraient être reproduites pour toutes les crises humanitaires. Toute personne dans le besoin devrait recevoir une aide humanitaire et une protection juste et équitable.

Des réfugiés ukrainiens marchent sur un pont dans la zone tampon de la frontière avec la Pologne au poste frontière de Zosin-Ustyluh, en Ukraine occidentale, le 6 mars 2022. – Plus de 1,5 million de réfugiés ont fui l’Ukraine dans la semaine qui a suivi l’invasion par les Russes le 24 février 2022, dont plus de la moitié vers la Pologne, selon l’agence des Nations unies pour les réfugiés. (Photo de Daniel LEAL / AFP)

Défis Humanitaires : Quel est le point de vue des ONG humanitaires sur la manière de fournir une aide plus efficace avec les moyens disponibles pour mieux répondre aux besoins croissants ?

Dominic Crowley : Compte tenu du déficit de financement croissant, la nécessité de créer un système humanitaire plus efficient et efficace est plus pertinente que jamais.

La nécessité de disposer de financement prévisible est l’un des principaux appels des ONG humanitaires, et c’est l’un des engagements du Grand Bargain 2.0 qui a été confirmé par les donateurs et les acteurs humanitaires en juin 2021.

Conformément aux priorités du Grand Bargain 2.0, la localisation est essentielle pour une aide plus efficace. VOICE se félicite de la récente initiative de la DG ECHO de rédiger une note d’orientation “Promouvoir des partenariats équitables avec les intervenants locaux dans les contextes humanitaires”. VOICE a été consulté sur ce document et nous attendons avec impatience de voir la version finale de ce document lors de la session dédiée pendant le FHE 2023.

Les ONG réalisent la majorité des projets humanitaires dans le monde et doivent être en mesure de s’adapter à un contexte humanitaire en constante évolution. Pour faciliter cela, elles ont besoin d’un financement prévisible, fourni au moment où elles en ont besoin, flexible et à plus long terme afin de garantir la continuité des projets. La réponse à la pandémie de COVID-19 a montré que davantage de flexibilité dans la réalisation des projets est possible et utile. Il suffit d’avoir la volonté politique de la concrétiser.

Toutefois, le déficit de financement ne peut pas être entièrement comblé par de nouveaux gains d’efficacité. L’essentiel est qu’il faut davantage de fonds, et que l’incapacité persistante à répondre aux besoins humanitaires au cours de la dernière décennie a laissé un nombre toujours plus grand de personnes plus vulnérables aux chocs – y compris certaines qui auraient pu être capables d’y faire face auparavant.

Le président de VOICE, Dominic Crowley, s’est exprimé lors de l’événement ” Funding imbalances : Comment une hiérarchisation inégale des priorités et un financement insuffisant affectent l’aide humanitaire. @VOICE

Défis Humanitaires : Le 9 décembre 2022, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la résolution 2664 portant sur l’exemption humanitaire à ses régimes de sanctions. Pensez-vous que ce sera le cas dans tous les pays où les organisations humanitaires opèrent et que doivent faire les ONG humanitaires pour se protéger des risques financiers et juridiques ?

Dominic Crowley : En un sens, c’est la grande question sans réponse. Bien sûr, j’aimerais pouvoir y répondre par l’affirmative, mais la vie est rarement aussi simple.

Les mesures antiterroristes, les sanctions et les restrictions qui en découlent constituent un défi majeur pour l’exécution d’une action fondée sur les principes humanitaires. Selon les conclusions de notre rapport d’enquête 2021, 42% des personnes interrogées parmi les travailleurs humanitaires ont déclaré que ces mesures affectaient les décisions relatives à leur programmation, les empêchant de mener certaines activités humanitaires, ou entravant l’accès aux zones où les besoins sont aigus. Les sanctions et les mesures antiterroristes sont des outils de politique étrangère et de sécurité qui peuvent entraîner des risques et des défis juridiques, financiers, de réputation et de sécurité pour les organisations humanitaires opérant dans des environnements sanctionnés, et ce sont les civils vulnérables pris dans ces crises qui finissent trop souvent par payer le prix ultime de ces mesures.

La résolution du Conseil de sécurité des Nations unies établissant une exemption humanitaire permanente à tous les régimes de sanctions actuels et futurs des Nations unies – si elle est mise en œuvre par tous les gouvernements – serait une mesure historique, et nous espérons que l’UE et ses États membres adopteront l’exemption dans tous leurs régimes de sanctions, y compris les régimes de sanctions autonomes de l’UE.

Défis Humanitaires : Comment souhaitez-vous conclure cet entretien ?

Dominic Crowley : L’un des défis les plus difficiles auxquels nous sommes confrontés – et que je n’ai pas vraiment abordé dans mes réponses précédentes – est la détérioration constante et alarmante de l’insécurité alimentaire mondiale. Selon le Global Hunger Index, 44 pays présentent des niveaux de faim “alarmants” ou “graves”, et 46 autres ne parviendront pas à atteindre un niveau “faible” de faim d’ici à 2030. Comme on pouvait s’y attendre, l’Afrique subsaharienne et l’Asie du Sud sont les régions où les niveaux de faim sont les plus élevés. Malgré les appels urgents répétés à l’action, les progrès mondiaux dans la lutte contre la faim ont stagné, voire se sont inversés ces dernières années, et l’objectif de développement durable 2, qui consiste à atteindre la faim zéro d’ici 2030, semble plus éloigné que jamais.

Comme je l’ai dit précédemment, les facteurs interconnectés que sont les conflits, les catastrophes météorologiques extrêmes et les conséquences économiques du COVID-19, ainsi que l’impact du conflit en Ukraine sur l’exportation de céréales et d’engrais, ont aggravé une situation déjà désastreuse.

Une grave sécheresse menace de famine la Somalie, où l’ONU estime que 5,5 millions de personnes sont menacées. Des jeunes filles font la queue dans un centre d’alimentation à Mogadiscio. UN Photo/Tobin Jones

Comme nous pouvons le constater dans notre récent VOICE out loud « Lutter contre la faim : un regard humanitaire », les ONG humanitaires mettent leur expertise et leur professionnalisme au service de cette lutte, en mettant en place des programmes d’adaptation au climat pour renforcer la résilience des communautés par le biais d’actions préventives, de réduction des risques de catastrophe, de mécanismes de réponse rapide et de flexibilité, ainsi qu’en travaillant avec d’autres acteurs pour promouvoir des réponses multisectorielles. Mais cela ne suffit pas. Nous avons besoin d’une volonté politique. L’UE et ses États membres doivent répondre sérieusement à l’appel urgent lancé par nos membres et intensifier leurs efforts pour s’attaquer aux causes sous-jacentes de l’insécurité alimentaire.

J’ai été heureux de voir que l’une des sessions du FHE 2023 est “Répondre à une crise alimentaire mondiale sans précédent et éviter la famine”. Le Forum est une occasion clé pour l’UE d’aller collectivement au-delà de ses engagements actuels, et d’apporter une contribution plus significative à la lutte contre l’insécurité alimentaire, qui tue, détruit des vies et la dignité humaine, et nous affecte tous.

Je voudrais profiter de cette occasion pour terminer cet entretien sur une note positive. Je pense sincèrement que l’engagement collectif de la communauté humanitaire au sens large à travailler en collaboration pour répondre au niveau record et croissant des besoins est plus fort maintenant que jamais. Nous savons ce qu’il faut faire pour relever certains des principaux défis, et j’espère que le FHE 2023 sera l’occasion pour l’UE et ses États membres de prendre de véritables mesures collectives pour mieux répondre au niveau record des besoins.

Dominic Crowley

Président de VOICE

Au cours des 25 dernières années, Dominic a travaillé avec des ONGs, d’abord dans divers contextes de conflit et, depuis 2000, avec Concern Worldwide en Irlande, où il est directeur Urgence depuis 2013. Il est chargé de développer et de superviser la politique humanitaire de l’organisation et dirige une équipe de 25 personnes responsable d’un large éventail de politiques sectorielles et d’interventions d’urgence. Il a été déployé dans de nombreuses catastrophes majeures au cours de la dernière décennie et possède une connaissance approfondie des enjeux de programmation.
Avec 12 ans de participation au Conseil d’Administration de VOICE, Dominic a une mémoire institutionnelle considérable du réseau et a contribué de manière significative à établir VOICE comme un réseau crédible pour défendre la pertinence, le rôle et la diversité des ONG d’aide humanitaire, et pour évaluer et analyser les changements de notre environnement opérationnel.
L’expérience et l’engagement de Dominic lui permettent de combiner des éléments de politique avec la pratique des réalités du terrain. Il estime qu’il est essentiel que la politique et le plaidoyer en matière d’aide humanitaire soient fondés sur les réalités des programmes et que ces-derniers s’appuient systématiquement sur les principes et les normes humanitaires fondamentaux. Dominic a une connaissance approfondie des enjeux auxquels sont confrontés les ONGs humanitaires au 21ème siècle, et est très engagé pour relever ces défis.

 

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Avec vous, Défis Humanitaires fête sa 60ème édition

Camp de réfugiés maliens à M’Berra en Mauritanie

Chère lectrice, cher lecteur,

D’abord et surtout, où que vous soyez, je vous présente mes vœux les meilleurs pour vous et votre famille, pour tous vos projets. Avec une pensée fraternelle pour les acteurs humanitaires qui viennent au secours des personnes en danger et les accompagnent dans l’urgence puis ensuite à retrouver autonomie et développement.

Nous fêtons aujourd’hui ensemble la 60ème édition de Défis Humanitaires depuis 2018, il y a maintenant 4 ans. Alors, en ce début d’année propice à un bilan, avons-nous été fidèles à notre projet et à notre mission, avons-nous progressé ? A l’origine, vous vous souvenez, nous nous sommes fixés trois objectifs principaux : promouvoir l’humanitaire, comprendre les liens entre humanitaire et géopolitique, enfin évaluer les grands défis et les menaces que nous devons relever.

Quel est le bilan ?

Promouvoir et penser l’humanitaire.

Notre constat établissait alors que si l’humanitaire bénéficiait d’une réelle popularité dans les situations de conflit, de catastrophe et d’épidémie, il existait aussi une grande méconnaissance de ses capacités et caractéristiques chez la plupart des décideurs, journalistes, parlementaires et universitaires.

L’humanitaire est un peu mieux connu, entre autre grâce à des rapports annuels comme le Global Humanitaire Assistance Report (GHAR), le Rapport des besoins humanitaires de l’ONU (OCHA), la dernière Conférence Nationale Humanitaire (CNH) en France en décembre 2020 et, prochainement, le Forum Humanitaire Européen à Bruxelles. Le secteur est également connu grâce au travail de centres d’analyse et de recherche, de revues et des acteurs humanitaires eux-mêmes qui contribuent à faire connaître l’humanitaire. Défis Humanitaires y a contribué avec ses 60 éditions et la publication de son Etude sur les ONG humanitaires en France. Cependant, l’observation fait apparaître, parmi d’autres, 3 faiblesses du secteur.

D’une part, l’humanitaire ne parvient pas à secourir toutes les populations en danger pourtant bien identifiées. Ensuite, si l’humanitaire connait une progression considérable dans ses capacités d’évaluation, d’action ciblée et de financement, il s’enferme trop dans sa technicité, dans un élargissement qui peut diluer l’essentiel, dans sa dépendance aux idéologies à la mode, au risque de s’éloigner de son cœur d’action qui réside dans l’accès aux populations en danger.

De plus, l’humanitaire vit trop tourné sur lui-même avec une vision simplificatrice du monde. Le risque, c’est de faire des « bénéficiaires », des « victimes » des clients indifférenciés de l’aide comme d’autres, mieux lotis, le sont d’une société de consommation anonyme et lucrative.

Depuis des années, nous parlons beaucoup de localisation de l’aide, réalité en devenir qui n’a pas encore vraiment trouvé sa solution et son efficacité. Mais, concernant cette localisation dans sa dimension identitaire multiple, ne devrions-nous pas commencer par résoudre le débat simpliste qui tourne en rond entre universalisme et particularisme. Oui, nous sommes bien une seule et même humanité qui nous fait une obligation de solidarité à chaque fois qu’une partie, même petite, de cette humanité est en danger. Et, simultanément, ne devons-nous pas reconnaître la réalité d’une grande diversité de peuples, langues, cultures, religions, modes de vie, croyances, ethnies et nations ? Respecter la dignité des êtres humains, celle des plus vulnérables en particulier, suppose de reconnaître et de respecter leur identité propre comme constitutive de l’humanité. Ce double réalisme pourrait aussi contribuer à construire la localisation de la solidarité dans sa complémentarité entre les divers acteurs humanitaires.

Penser le lien entre humanitaire et géopolitique.

Au fond, toute crise, tout conflit, toute guerre est par nature politique et ses chocs entrainent des destructions et des déplacements forcés de population qui nécessitent une réponse humanitaire. Si l’humanitaire doit appliquer ses principes de neutralité politique, d’impartialité des secours et d’indépendance des organisations pour accéder aux populations en danger, la compréhension géopolitique des crises, des peuples et des nations est une condition pour que l’aide gagne en efficacité sans pour autant la politiser.

En 2021, je me suis rendu en Arménie et en Artsakh, cette enclave peuplée d’Arméniens en territoire Azéri. Je suis aussi allé en Syrie du nord-est auto administré par une coalition kurde-arable et chrétienne coincé entre la Turquie et le Gouvernement de Damas. Le constat est simple, dans les conflits, les plus menacés sont souvent les minorités, les plus vulnérables. Mon propos ici est de dire que si le principe d’impartialité humanitaire doit s’appliquer, il doit aussi évaluer où se trouvent les plus grands dangers pour les personnes des communautés majoritaires comme des populations minoritaires, avec une attention particulière pour ces minorités qui sont les plus fragiles. Pensons au Yézidis comme au Ouïghours !

Alors que nous publions cette 60ème édition de Défis Humanitaires, il me semble que nous avons bien traité cette problématique humanitaire-géopolitique, particulièrement au Moyen-Orient, au Sahel ou en Afghanistan. Nos limites, dans ce domaine comme dans les autres, sont plutôt celles de nos moyens sur lesquels je reviendrai à la fin de cette lettre.

Evaluer et documenter les grands défis et menaces.

Si nous avons bien couvert celui de l’accès à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène, besoin vital qui ne cesse de s’affirmer comme une priorité mondiale grandissante, dans une moindre mesure nous avons abordé la problématique de la sécurité alimentaire ainsi que de l’innovation. En revanche, nous n’avons pas assez abordé le changement climatique, ses conséquences dans la vie des populations et les mesures d’adaptation à prendre pour leur protection. De même, bien que revenant régulièrement sur la grande question de la démographie et de ses multiples conséquences, les études à ce sujet n’ont pas été à la dimension de l’enjeu, en particulier en Afrique.

Des résultats chiffrés positifs.

Défis Humanitaires a donc publié 60 éditions depuis 4 ans, ce qui représente 220 articles et interviews que vous pouvez retrouver dans nos archives qui constituent ainsi une base de données toujours consultable. Articles et interviews réalisés bénévolement par une centaine d’auteurs que nous souhaitons ici remercier chaleureusement pour leur contribution de qualité.

Durant cette période, entre 2018 et 2021, le nombre de lectrices et lecteurs a quadruplé et le nombre de vues a triplé. En 2021, les articles et interviews les plus lus ont été ceux consacrés au triple nexus, à l’aide humanitaire mondiale, au Mali et au Sahel, à la philanthropie, à la réflexion sur la nature même de l’humanitaire, sur l’aide humanitaire de la Commission Européenne avec ECHO, enfin sur la crise en Afghanistan.

Tout ce travail a été réalisé depuis 4 ans bénévolement. La croissance forte du nombre de lecteurs traduit bien une attente, si ce n’est une demande, et cela nous encourage et nous stimule pour faire mieux encore. Mais nos capacités ont atteint leurs limites actuelles qu’il nous faut dépasser en 2022. Nous avons besoin de vous pour y parvenir.

Défis Humanitaires en 2022.  

Je vous remercie de soutenir Défis Humanitaires. Alain Boinet, président.

Cette année, nous publierons une édition chaque mois en cherchant à actualiser les sujets que vous consultez le plus. Mais également des reportages et des témoignages venant du terrain, un retour sur les grandes crises humanitaires passées, avec le recul du temps. Nous souhaitons également publier la seconde édition de notre « Etude sur les ONG humanitaires entre 2006 et 2020 ». Celle-ci représente un très important travail de collecte, de mise en forme et d’analyse utile à tout l’écosystème humanitaire, tant pour mesurer le développement du secteur et ses caractéristiques que d’établir un état des lieux sur la sécurité des humanitaires, l’évolution du secteur, les loi antiterroristes et l’exemption humanitaire et enfin, l’état des financements.

Pour mener à bien ces projets, Défis Humanitaires, site humanitaire gratuit, a besoin de tout votre soutien (faire un don). Dans ce but, j’ai récemment lancé une campagne de financement participatif avec l’objectif de réunir 10.000 euros. Début janvier, nous avons déjà réuni un tiers de cette somme.  Vous pouvez m’aider en devenant vous-même acteur du projet de Défis Humanitaires en faisant un don (*). Quel qu’en soit le montant, votre don (faire un don) est le bienvenu et participera concrètement à une mission humanitaire utile à tous.

Je vous remercie personnellement pour votre générosité et vous souhaite une bonne lecture de cette 60ème édition. Merci.

Alain Boinet.

Président de Défis Humanitaires.

info@defishumanitaires.com

 

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