La solidarité soumise à rude épreuve.

Point de contrôle installé sur le Pont Hakari. Crédit Photo : Jora @TheScarmind (Twitter)

Arméniens de l’Artsakh, Aide Publique au Développement et à l’humanitaire, accès à l’eau potable.

L’escalade quotidienne des menaces contre les Arméniens impose son rythme à une diplomatie sur la défensive dont on espère la paix mais qui peine à endiguer les risques.

L’Azerbaïdjan installe le 23 avril un check-point militaire à l’entrée même du corridor de Latchine au niveau du pont de Hakari tout en maintenant celui situé depuis le 12 décembre à Chouchi, à l’entrée de Stepanakert, la capitale de l’Artsakh.

Le vendredi 28 avril, l’Azerbaïdjan bloque durant près de 14h un convoi de véhicules Russes de ravitaillement de l’Artsakh.

Les Russes confirment l’emploi de drones azéris contre l’artsakh et affirme avoir des moyens de prévention contre ceux-ci. Au même moment, le fabricant de drones turcs Baykar passe un contrat de partenariat et la construction d’une usine de fabrication avec l’Azerbaïdjan.

Samedi 29 avril, des tirs azéris blessent un soldat arménien dans le village de Tegh dans la province arménienne du Syunik à l’entrée du corridor de Latchine.

Au même moment, les autorités aéronautiques turques annulent sans préavis l’autorisation accordée à la compagnie Flyone Armenia d’effectuer des vols vers l’Europe en utilisant l’espace aérien turc.

Loin de se calmer, nous devons craindre que cette escalade qui semble graduée, progressive et systématique ne se poursuivre plus loin pour asphyxier l’Artsakh et éroder la volonté de résistance de l’Arménie.

Le risque de dérapage et d’expansion sont si sérieux que l’Iran vient de déclarer : « Toute intrusion sur le territoire de l’Arménie entraînera une réponse des forces armées iraniennes ».

Faudra-t-il qu’un conflit éclate pour que le Conseil de Sécurité des Nations-Unies ne se saisisse trop tard de ce danger ?

Le ministre arménien des Affaires étrangères, Ararat Mirzoyan et la ministre française de l’Europe et des Affaires étrangères Catherine Colonna au Mémorial du génocide arménien et ont déposé des fleurs devant la flamme éternelle au mémorial du génocide des Arméniens de Tsitsernakaberd à Erévan. Crédit Photo : MEAE

Catherine Colonna, ministre française de l’Europe et des Affaires Etrangères, vient justement d’effectuer une mission diplomatique en Azerbaïdjan puis en Arménie. « Faire la paix est possible. Cela suppose vision, détermination et courage » a-t-elle déclaré. Mais ces conditions existent-elles et surtout peuvent-elles converger. Le soutien de la France à l’Arménie a-t-il été à la hauteur du discours officiel, de l’histoire et d’une menace existentielle.

Catherine Colonna s’est également rendue au Mémorial du génocide de Tsitsernakaberd à Erevan au moment du douloureux anniversaire du génocide arménien en 1915 qui fit plus d’un million de victimes. Génocide toujours nié par la Turquie officielle.

Elle a également apporté son soutien à la mission d’observation de l’Union Européenne basée à Djermouk qui vise à stabiliser les frontières entre les deux pays après l’annexion en septembre 2022 d’un territoire arménien d’environ 170 km2 selon des experts. C’est curieux comme cela ressemble à l’annexion de territoires du nord-est de la Syrie par l’armée Turque.

De nouvelles séries de discussions entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan vont se dérouler à Washington. Qu’en sortira t’-il d’effectif pour la paix et la justice.

Et nous, que pouvons nous faire. Nous, simples citoyens, responsable d’association, de fondation, de collectivités locales, nous responsable politique, économique ou culturel. Surtout, ne pas attendre et manifester concrètement de divers manières notre solidarité avec l’Arménie et l’Artsakh menacées.

Comité interministériel de la coopération internationale et du développement à Matignon le 08.02.18. Crédit : Benoît Granier, Matignon

Le Conseil Présidentiel du Développement se réunit pour la seconde fois.

Le premier Conseil a eu lieu en décembre 2020 et le second va avoir lieu entre le 3 et le 5 mai 2023 au moment même où est publié cette édition ! Nous en reparlerons donc dans la prochaine édition, mais je souhaite d’ores et déjà l’évoquer avec vous compte-tenu des enjeux.

Ce Conseil Présidentiel du Développement est important car c’est lui prend les décisions principales qui vont fixer le cadre du prochain Conseil Interministériel de la Coopération au Développement (CICID) qui aura lieu début juin et qui précisera le budget de l’aide humanitaire dont les priorités seront à l’ordre du jour de la 6ème Conférence Nationale Humanitaire (CNH) qui aura lieu cet automne sous la présidence d’Emmanuel Macron.

On se souvient que le précédent Conseil avait été immédiatement suivi d’une conférence de presse à l’Elysée avec Jean-Yves le Drian et Bruno Le Maire. Jean-Yves le Drian avait alors déclaré que « le pays était revenu dans le jeu » de l’Aide Publique au Développement en se fixant alors l’objectif de consacrer 0,55% de son revenu national brut (RNB) à l’APD, alors qu’il en consacrait 0,37% en 2017 après une baisse continue sous la présidence de François Hollande qui avait déjà commencé avec Nicolas Sarkozy.

 

Crédit : OCDE

Ce premier Conseil en décembre 2020 a été rapidement suivi par une Loi de Programmation de développement solidaire (LOP-DSLIM) qui a confirmé cet objectif de 0,55% dont nous savons aujourd’hui qu’il représente 15,9 milliards de dollars contre 10,9 en 2019. Mais le plus important pour l’avenir est résumé dans une lettre ouverte du 28 avril au Président de la République de Coordination SUD signé par son président, Olivier Bruyeron et 37 ONG et qui déclare « La France doit tenir son engagement de consacrer 0,7% de son revenu national brut à l’action (ou « aide ») publique pour le développement d’ici 2025, soit environ 21,4 milliards d’euros, comme cela a été défini dans la loi de développement solidaire adoptée le 4 août 2021 » (Lire la lettre ouverte).

On voit bien l’effort et la progression que cela représente pour « impulser ce nouvel élan » qui répond notamment aux conséquences de la pandémie de la Covid 19, à la guerre en Ukraine et à la forte augmentation du nombre de déplacés, réfugiés et de personnes à secourir dans le monde.

L’enjeu principal de ce Conseil Présidentiel du Développement est donc celui des 0,7% du RNB pour l’APD et de sa trajectoire sur la durée du quinquennat jusqu’en 2027.

Il y a aussi d’autres enjeux pour les ONG. Le premier consiste à ce que 15% de l’APD bilatérale de la France soit mis en œuvre par les ONG. Et le second est qu’au moins 13% de l’APD (moyenne des pays membres du CAD de l’OCDE), voire 20% comme d’autres pays, soit affecté à l’aide humanitaire. Celle-ci est aujourd’hui largement sous financé face à la recrudescence des besoins vitaux de populations pauvres confrontées à des conflits, à des épidémies, à des catastrophes naturelles et aux

conséquences du changement climatique. Ne pas répondre à ces urgences, c’est prendre le risque de leur amplification et du désespoir propice à la radicalisation et à l’immigration forcée.

Nous reviendrons sur ce second Conseil Présidentiel du Développement dans notre prochaine édition le 31 mai.

L’urgence de l’accès à l’eau potable au Sud Soudan. Crédit : Vincent Tremeau

Quel bilan pour la Conférence de l’ONU sur l’Objectif 6 de l’Eau des ODD.

Quel bilan pour la Conférence de l’ONU sur l’Objectif 6 de l’Eau des ODD.

En introduction de cette Conférence du 22 au 24 avril à New-York, l’ONU a déclaré redouter une crise de l’eau douce dans le monde. Et pourtant, cette conférence était seulement la seconde sur l’eau depuis celle de Mar del Plata en 1977 en Argentine ! Il faudrait peut-être en tirer les leçons sur le mode de fonctionnement des Nations-Unies face aux grands enjeux collectifs de notre monde.

Alors, quel est le bilan. Si celui reste à approfondir et consolider, on peut dire que nous sommes aujourd’hui au milieu du gué. D’un côté, les participants ont noté une prise de conscience mondiale et un véritable « Momentum politique à New-York » comme le déclare Gérard Payen, vice-président du Partenariat Français pour l’Eau (PFE). A l’inverse et comme cela était d’ailleurs annoncé, aucune décision n’a été prise, il n’y a aucun plan d’action mondial, les budgets sont très insuffisants et la gouvernance reste à ajuster aux défis !

Pour avoir un point de repère indiscutable, rappelons que nous sommes à mi-parcours des Objectifs de Développement Durable pris par les Etats à l’ONU en 2015 et que nous sommes très en retard, singulièrement sur l’objectif de l’eau. L’enjeu est de se donner les moyens pour réaliser les engagements pris.

Parmi les bonnes nouvelles, on peut noter les 700 engagements de l’Agenda de l’action pour l’eau ou « Water action agenda », dont beaucoup ne sont toutefois pas opérationnels. Retenons également le fort engagement de la France qui par la voix de son ministre Christophe Béchu qui a déclaré « La France est prête à s’engager (…) en appelant de nos vœux la nomination d’un envoyé spécial auprès du Secrétaire général des Nations-Unies, doté d’un mandat fort, adapté et inclusif… ». C’est la position portée aujourd’hui par 150 Etats dont la Suisse, l’Allemagne, la France qui sont prêts à assurer le financement de ce poste stratégique.

Nous pourrions être confiants quand nous entendons qu’Antonio Guterres qui déclare que « l’eau doit être au centre de l’agenda politique mondial », que l’eau est un bien public mondial et alors qu’il évoque la nomination d’un envoyé spécial pour l’eau avant le sommet mondial des ODD en septembre à l’ONU à New-York.

Assemblée plénière de la conférence de l’Eau, à l’ONU. New York, le 22 mars 2023. Photo Crédit : IISD/ENB | Angeles Estrada.

Mais, nous savons également que le même Secrétaire général n’est au départ pas favorable à ce poste et que les agences des Nations-Unies concernées par l’eau, et elles sont plus d’une vingtaine, sont en concurrence sur les ressources et sur l’influence. Les freins sont aussi là ! Si nous devons être réalistes sur les enjeux géopolitiques contradictoires de l’eau et sur la concurrence entre agences, cela devrait-il empêcher les décisions qui s’imposent face à l’immense défis mondial de l’eau.

La dynamique dans cette voie est enclenchée. Ainsi de cet « appel à l’action » ou « call to action » (lien ici) lancé par des organisations humanitaires et qui a déjà réuni plus de 170 organisations signataires dont celles de deux pays, la Suisse et la France. Nous devons soutenir cette dynamique afin qu’elle réunisse toujours plus de signataires en perspective de la prochaine échéance décisive qui sera celle du Sommet mondial des ODD à New-York le 18 septembre 2023.

Comme le dit Marie-Laure Vercambre, directrice générale du PFE, si nous voulons sortir « …d’un processus désordonné, nous avons le plus grand besoin de vision et de cadre ».

Pour ce Sommet le 18 septembre, il nous faut la nomination d’un représentant spécial avec un mandat robuste, du leadership et une équipe à la hauteur. Il nous faut aussi une réunion régulière des Etats pour impulser l’Objectif 6 pour l’eau d’ici 2030. Il nous faut un plan d’action mondial et le financement nécessaire estimé à 1000 milliards de dollars par an qui permettront notamment de soutenir les pays les plus démunis, notamment en Afrique sub-saharienne, sans oublier l’aide humanitaire pour l’eau aux victimes des conflits, des pandémies et du réchauffement climatique.

Conclusion.

L’Artsakh, l’APD et l’eau ne sont-elles pas liées, même de loin et à distance, par la géopolitique, les moyens d’existence, la solidarité, les biens communs.

On devrait plus s’inquiéter du risque de guerre dans le Caucase du sud et du sort de la minorité menacée que sont les Arméniens de l’Artsakh.

Antoine de Saint Exupéry écrivait dans Terre des hommes » : L’eau n’est pas nécessaire à la vie, elle est la vie ». Partageons là avant qu’elle ne devienne un objet de conflit.

L’Aide Publique au Développement est la preuve d’une solidarité concrète avec les pays qui ont un urgent besoin de paix et de développement pour leur population toujours plus nombreuses. C’est non seulement une assurance vie pour ces populations mais une assurance de coexistence pacifique face aux risques de radicalisation et de mouvements migratoires massifs.

Josep Borell, le chef de la diplomatie européenne déclarait récemment : « Le système mondial risque de se fragmenter ». Je crains que la guerre mondialisée en Ukraine ne soit le signal de cette fragmentation. Dans tous les cas, ne devons-nous pas sauvegarder à tout prix la solidarité avec ceux pour lesquels elle est juste la vie si ce n’est la survie.

Alain Boinet.

Haut-Karabagh et risque de guerre dans le Caucase du sud

Habitants du Haut-Karabagh qui défendent leurs droits. @EdgarHarutyunyan

C’est Anders Fogh Rasmussen, ancien Secrétaire général de l’OTAN et premier ministre du Danemark de retour du Caucase qui déclare « Le risque d’une guerre ouverte entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan dans un futur proche est réel et sous-estimé » et d’ajouter « L’union Européenne doit signifier au régime d’Aliyev (ndlr Ilham Aliyev président de l’Azerbaïdjan) que ces violations ne resteront pas impunies ». Car si guerre il devait y avoir, c’est le président Ilham Aliyev qui en prendrait l’initiative, lui qui renomme désormais l’Arménie comme l’Azerbaïdjan occidental !

En effet, il n’y a pas un jour qui passe sans incident armé et le Haut-Karabagh ou Artsakh est depuis le 12 décembre coupé de l’Arménie par les Azéris dans le corridor de Latchine qui les relie et ce malgré les condamnations internationales qui se succèdent, dont celle récente et sans appel de la Cour Internationale de Justice qui est l’organe judiciaire de l’ONU.

Le motif en est le blocus imposé aux 120.000 arméniens de l’enclave du Haut-Karabagh. Le blocus utilisé comme arme de guerre est une violation flagrante des Conventions de Genève et du Droit International Humanitaire qui selon l’expérience que nous avons conduit le plus souvent au pire. Combien de temps la Communauté Internationale peut-elle le supporter sans chercher à y mettre un terme au plus vite pacifiquement.

Drapeaux de l’Artsakh, flottant en protestation contre le blocage du corridor de Latchin. @EdgarHarutyunyan

Savez-vous que cette situation est devenue explosive entre l’Azerbaïdjan et l’Iran qui organise de grandes manœuvres militaires aux frontières de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan. Savez-vous que les tensions s’exacerbent entre la Russie, l’Arménie et la mission de l’Union Européenne présente dans ce pays pour sécurises ses frontières. Et bien que cela soit une autre cause de préoccupation, voyez-vous les fortes tensions qui agitent la Géorgie avec les mêmes pays voisins.

N’est-il pas urgent d’éteindre la mèche allumée par le blocus du Haut-Karabagh avant que le feu ne se propage à toute la région et ne soit amplifiée et étendue par le jeu des Alliances. C’est Bernard Kouchner qui déclarait lors de la Conférence des intellectuels en soutien à l’Arménie et au Haut-Karabagh (Les intellectuels français en soutien à l’Arménie et au Haut-Karabagh au Sénat) « Il n’y a de solution que politique ». Il appartient aux politiques et en France au Président de la République de rendre cette solution possible

La levée du blocus assortie de garanties internationales serait la meilleure réponse à ce risque potentiel de conflit. En attendant, l’idée de convoi humanitaire pour la population du Haut-Karabagh fait son chemin comme celui plus récent d’une grande marche pacifique internationale pour rouvrir le corridor. Je suis prêt à y participer car j’ai toujours refusé le blocus des populations utilisé comme arme de guerre, que ce soit en ravitaillant Sarajevo et les enclaves en Bosnie, à Kaboul et en franchissant clandestinement ou sans autorisation les frontières en Afghanistan, au Rwanda, en Roumanie lors de la révolution et dans bien d’autres pays comme en Syrie du Nord-Est plus récemment.

Nous sommes nos montagnes disent les Arméniens du Haut-Karabagh. Bernard Kouchner avec Patrice Franceschi et Alain Boinet devant le monument qui symbolise leur existence.

Nous étions en février 2021 au Nagorno-Karabagh avec Bernard Kouchner et Patrice Franceschi. Sur place, nous avons rencontré les handicapés de la guerre et leur douloureux exercice de réhabilitation, les champs de mines, les bâtiments détruits à Stepanakert, les populations réfugiées, les jeunes infirmières en formation, l’incertitude de l’avenir qui rongeait le moral de la population. Nous avons aussi assisté au Centre Charles Aznavour et au Centre Paul Eluard à de magnifiques activités artistiques avec de nombreux participants, chorale, orchestre, danse. Et nous sommes allés au monument national du Haut-Karabagh qui se nomme « Nous sommes nos montagnes » et, manifestement, ces montagnes ne veulent pas s’exiler.

L’histoire résonne encore aujourd’hui pour les petites nations martyrs. Souvenons-nous que le 24 avril est la journée de la commémoration du génocide arménien.

Alain Boinet.

PS/ Nous vous signalons la Conférence sur « Le blocus dans le Haut-Karabagh (Artsakh), le jeudi 13 avril de 15h à 18h à ‘Université Panthéon-Sorbonne. Entrée uniquement sur inscription. 

 

 

 

 

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