Les humanitaires face à la guerre à Gaza

Oui il faut appeler au respect du Droit International Humanitaire

Non il ne faut pas avoir d’angle mort dans notre discours.

Un article de Pierre Brunet

Des Palestiniens fouillent les décombres de leurs maisons détruites par les frappes israéliennes dans le nord de la bande de Gaza. UN Photo: Shareef Sarhan 07-08-2014

Les évènements à Gaza, suite à l’attaque terroriste perpétrée par le Hamas sur le sol d’Israël le 7 octobre dernier, marquent un tournant dans ce qu’on peut appeler « la parole humanitaire ». Rappelons les faits : le 7 octobre ont été commises, à l’intérieur des frontières de l’état d’Israël, des attaques terroristes d’une barbarie et d’une cruauté inouïes, entraînant la mort dans des conditions atroces de plus de 1.200 personnes, hommes, femmes, enfants, et l’enlèvement de près de 240 otages. Ceci constitue des crimes contre l’humanité injustifiables. Par ailleurs, le Hamas a tiré dès le 7 octobre plus de 3.000 roquettes sur des villes en Israël. Ces attaques ont entraîné la réaction israélienne, sous la forme d’une opération militaire dans la bande de Gaza. Opération légitime dans son principe, car quel état au monde resterait sans réagir après de telles actions ? Israël a le droit de se défendre, comme n’importe quel pays.

Sans ce 7 octobre, l’armée israélienne n’aurait pas lancé d’offensive à Gaza pour y anéantir l’appareil militaire du Hamas. Ce rappel est essentiel, tant on peut avoir l’impression, devant un discours humanitaire au sens large (ONG, ONU…), que les dirigeants israéliens auraient pris la décision, subitement et sans raison, d’entrer dans ce territoire pour y semer la mort et la destruction. Ce n’est pas le cas, et les humanitaires le savent.

Pourquoi alors leur discours, souvent légitime, semble-t’il aussi frappé d’hémiplégie ? Et pourquoi ce discours fait-il preuve d’une empathie minimale envers les victimes israéliennes du 7 octobre, ainsi qu’envers le sort des otages ? Pourquoi certaines ONG défenseures des droits de l’homme, ou telle figure d’association sans frontières, refusent-elles de qualifier le Hamas pour ce qu’il est, une organisation terroriste ? Pourquoi les organisations et collectifs luttant contre les violences faites aux femmes sont-elles muettes devant les crimes infligés à des femmes et fillettes le 7 octobre ? Parce que celles-ci sont Israéliennes ? En revanche nous assistons – non sans raison, car la situation de la population de Gaza est terrible – à une empathie absolue envers celle-ci, et à une dénonciation permanente des « crimes de guerre » commis par Tsahal….  Sans jamais évoquer la lourde part de responsabilité du Hamas dans la tragédie que subissent les Gazaouis. Les humanitaires, qui s’affirment neutres et impartiaux, seraient-ils soumis, dans ce contexte palestinien, à leur « angle mort » ?

Cette question est importante. Car nous, « Les humanitaires », sommes encore considérés, dans un monde de fake news et de manipulation, comme « disant la vérité ». Si nous nous taisons sur la part de responsabilité du Hamas, le grand public, rarement spécialiste de la question, pense que celle-ci est négligeable. Or, est-ce bien le cas ?

Aide humanitaire à Gaza, 28 novembre 2023 Crédits photo : Twitter @UNRWA

Avant d’avancer une réponse, posons que les ONG, l’ONU, les humanitaires, sont dans leur rôle en demandant à Israël le respect du Droit International Humanitaire (DIH). Rappelons quand même que la première violation massive du DIH, dans l’épisode en cours, a été l’attaque du 7 octobre… Le blocus par Israël (au début des opérations) du carburant, de l’électricité, de l’approvisionnement en eau, etc., était contraire à ce DIH et inacceptable, tout comme par exemple les frappes comme celle qui a visé un convoi d’évacuation de MSF le 18 novembre dernier, faisant un mort et un blessé parmi le personnel palestinien de l’ONG, ou encore celle du 21 novembre contre l’hôpital Al-Awda qui a tué trois médecins, dont deux travaillant pour MSF. Enfin, la violence des frappes aériennes sur la bande de Gaza entraine un nombre effroyablement élevé de victimes civiles, ce qu’il est légitime de dénoncer. Mais faut-il pour autant que l’ONU et les ONG reprennent, sans précaution, les chiffres présentés par le ministère de la santé du Hamas, lequel a comme intérêt revendiqué que ceux-ci soient le plus élevés possible ?

Cela nous amène à la question de la responsabilité du Hamas, angle mort du discours humanitaire. Cette responsabilité est systématiquement ignorée par celui-ci. En français, le verbe « ignorer » a deux sens : le premier signifie ne pas savoir, le second faire comme si on ne savait pas. Il est difficile de croire que les ONG, notamment celles opérant à Gaza, ne savent pas. Pourquoi ont-elles donc choisi de chausser des œillères, et d’abord, qu’est-ce qu’elles ne souhaitent pas évoquer ? Quelques rappels, entre autres :

  • Le Hamas utilise délibérément la population gazaouie comme boucliers humains, l’empêchant autant que possible de quitter les zones de combat (barrages, tirs) et aggravant ainsi le nombre de victimes civiles.
  • Le Hamas utilise les mosquées, écoles, crèches, etc comme centres d’activité militaire, stockage d’armement, ainsi que les hôpitaux (ce qui est contraire au DIH). De même, le Hamas utilise les ambulances pour transporter ses combattants et dirigeants.
  • Le Hamas a procédé à des vols massifs de carburant (utilisé pour ses tunnels et roquettes) notamment de l’ONU, entraînant une pénurie empêchant de faire fonctionner l’usine de désalinisation d’eau de mer, des pompes, la centrale électrique ou les générateurs et appareils vitaux des hôpitaux. De même le Hamas détourne l’électricité de centres hospitaliers pour ses tunnels.
  • Le Hamas revendique de faire en sorte que les pertes civiles palestiniennes soient maximales, ainsi qu’en témoigne la récente déclaration d’Ismaël Haniyeh, chef du Bureau politique du Hamas : « … Nous avons besoin du sang des femmes, des enfants et des vieillards (palestiniens) pour éveiller en nous l’esprit de notre révolution… ».
  • Le Hamas affiche ouvertement n’avoir aucun souci de protection envers la population de Gaza sous son contrôle, ainsi qu’en témoigne la récente déclaration de Mousa Abu Marzouk, membre du Bureau politique du Hamas, à un journaliste : « …Le sort du peuple gazaoui n’est pas de notre responsabilité, ce sont des réfugiés, c’est à l’ONU de s’en occuper… ».

Rappelons que L’Union européenne a condamné le 12 novembre dernier « l’utilisation par le Hamas d’hôpitaux et de civils comme boucliers humains » dans la bande de Gaza.

L’Assemblée générale adopte une résolution sur « la protection des civils et le respect des obligations juridiques et humanitaires ». Elle a été adoptée par vote enregistré avec 120 voix pour, 14 contre et 45 abstentions. Le 30 octobre 2023, crédits photo : UN Info

Ainsi le Hamas porte une grave responsabilité dans les souffrances et pénuries subies par la population de Gaza. Reconnaître cette réalité peut être inconfortable en termes de sécurité, pour des ONG y opérant. Mais faut-il pour autant faire preuve de complaisance envers le Hamas ?  De même, si l’on se dit préoccupé, à juste titre, par le sort des populations prises sous le feu, pourquoi s’opposer aux consignes de l’armée israélienne demandant à la population gazouie de se déplacer vers le Sud afin, autant que possible, de minimiser les pertes civiles ? N’est-ce pas incohérent et contradictoire ? On ne peut accuser Israël de faire trop de victimes civiles et en même temps l’accuser de chercher à éviter celles-ci. Car il ne s’agit pas de « déplacements forcés » comme on le lit trop souvent, mais d’appels à quitter les zones de combat.

Enfin, la formule « territoire occupé » couramment utilisée par les ONG pour désigner Gaza oblige à rappeler que Gaza a été évacué par Israël en septembre 2005… Et la prise de contrôle (dans le sang) par le Hamas du territoire s’est faite en 2007.

Il ne s’agit pas ici de dédouaner Israël de ses fautes commises par ailleurs : la colonisation illégale israélienne en Cisjordanie et les attaques qu’y mènent les colons contre la population palestinienne, avec de nombreux Palestiniens tués, sont criminelles, et doivent cesser. Mais les crimes des colons en Cisjordanie, qu’il faut condamner, ne peuvent justifier le 7 octobre, qui relève d’une autre nature.

Au-delà du 7 octobre et de la guerre à Gaza, il me semble qu’il existe deux fondamentaux. Israël a le droit d’exister en sécurité à l’intérieur de ses frontières. Les Palestiniens ont droit à avoir un état viable.

En conclusion, j’aimerais dire à mes amis humanitaires : oui à la dénonciation du nombre inacceptable de victimes civiles, oui aux demandes de respect du DIH et d’accès humanitaire aux populations prises dans la guerre à Gaza, mais évitons de cultiver un angle mort dans notre discours sur la situation. Car présenter cet angle mort, c’est faire le jeu du Hamas, organisation terroriste coupable de crimes monstrueux, laquelle considère la population gazouie comme un matériau sacrifiable, et a pour objectif proclamé la disparition d’un état membre de l’ONU. Est-ce là le rôle d’organisations humanitaires ?

Alors que j’écris ces lignes, une trêve permettant l’échange de 50 otages du Hamas contre 150 prisonniers palestiniens en Israël, et l’acheminement d’aide humanitaire à Gaza, est en cours avec 69 otages déjà libérés et plusieurs centaines de camions d’aide arrivés (rappel : plus de 2.000 camions entrés à Gaza depuis le début de la guerre…). Un espoir au cœur d’une guerre sans merci.

 

L’auteur de cet article précise que ses propos n’engagent que lui dans le but de participer à ce débat sur le Droit Humanitaire International.

 

Pierre Brunet

Ecrivain et humanitaire

Pierre Brunet est romancier et membre du Conseil d’administration de l’ONG SOLIDARITES INTERNATIONAL. Il s’engage dans l’humanitaire au Rwanda en 1994, puis en 1995 en Bosnie, et est depuis retourné sur le terrain (Afghanistan en 2003, jungle de Calais en 2016, camps de migrants en Grèce et Macédoine en 2016, Irak et Nord-Est de la Syrie en 2019, Ukraine en 2023). Les romans de Pierre Brunet sont publiés chez Calmann-Lévy : « Barnum » en 2006, « JAB » en 2008, « Fenicia » en 2014 et « Le triangle d’incertitude » en 2017. Ancien journaliste, Pierre Brunet publie régulièrement des articles d’analyse, d’opinion, ou des chroniques.

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