Faire vivre l’humanitaire… Un défi chaque fois recommencé…

La fonction crée l’organe… et l’humanitaire n’existe que par sa fonction… l’action. Mais comme les athlètes, les humanitaires « pensent » en temps réel leur action. Et il faut un organe pour mieux penser… afin de mieux agir. Il fallait donc qu’un site comme Défis Humanitaires surgisse. Grâce à Alain Boinet, son fondateur et par ailleurs fondateur de l’ONG humanitaire SOLIDARITES INTERNATIONAL, ce fut fait en février 2018.  

Dans une vidéo d’avril 2018, Alain Boinet en expose les objectifs. Parce que l’humanitaire fait face à d’immenses défis (augmentation des réfugiés, des crises complexes et durables, changement climatique, effondrement de la biodiversité, explosion démographique), il s’agit « D’être lucide pour pouvoir agir », de développer « Une plus grande intelligence des défis, des acteurs, des contextes, des capacités et des actions ». Trois raisons d’être à DH : faire connaître et reconnaître l’humanitaire, identifier les grands défis, resituer ceux-ci dans le contexte humanitaire et géopolitique. Quelques mois plus tard, Alain Boinet résume l’ambition du site : « faire vivre » l’humanitaire. Pour ce faire, la « lettre d’information » de DH est adressée à chaque numéro à plusieurs milliers de « décideurs » parmi les ONG, journalistes, institutions françaises, européennes et internationales, chercheurs et universitaires, acteurs de l’eau et amis.

Des soldats américains rejoints par l’armée nationale afghane lors de l’opération Shir Pacha dans les montagnes de Spira (21.11.2008) ©DAVID FURST / AFP – AFP

Faire vivre l’humanitaire… Le défi, presque quatre ans après, est-il relevé ? Avant de risquer un diagnostic, tentons une radiographie du site, un peu comme s’il s’agissait d’une personne… Si l’on examine les thèmes d’entrée de Défis Humanitaires (hors archives) tels qu’ils sont répertoriés en page d’accueil (sachant que de nombreux articles sont reliés à plusieurs thèmes d’entrée), que constatons-nous ?   

  • 80 entrées sur le thème « Tribunes et interviews ».   
  • 70 entrées sur le thème « Crises humanitaires », dont depuis 2020 pas mal de sujets COVID 19…  
  • 69 entrées sur le thème « ONG / sujets humanitaires ».  
  • 58 entrées sur le thème « Géopolitique ». L’accès à l’eau comme « sujet géopolitique » y est assez présent, entre autres…  
  • 53 entrées sur le thème « Réflexions ».   
  • 41 éditos, très souvent ancrés dans un réel géographique (Sahel, Syrie, Afghanistan, Arménie-Artsakh…), toujours axés sur un enjeu concret.  
  • 36 entrées sur le thème « Eau et assainissement », dont chaque année le baromètre de l’eau publié par SOLIDARITES INTERNATIONAL.  
  • 29 entrées sur le thème COVID 19… L’impact de la crise du COVID 19 sur l’orientation éditoriale du site est visible, comme sur l’orientation de la réflexion et de l’action humanitaire depuis début 2020.  
  • 22 entrées sur le thème « Innovations ».   
  • 21 entrées sur le thème « Etudes », dont, dont chaque année le « Global humanitarian assistance report » et en 2019 une remarquable étude DH « Les ONG humanitaires françaises à l’international ».  
  • 20 entrées sur le thème « Rendez-vous humanitaires ».   
  • 13 entrées sur le thème « Philanthropie ».  

Alors, comment résumer la « personnalité » du site DH ? Eh bien, si ce site était une personne, nous dirions que celle-ci, de nature lucide et réaliste, a un goût prononcé pour l’échange et l’expression des convictions, qu’elle suit l’évolution des crises avec une attention et un questionnement aigües, qu’elle aime partager ou produire des études nourrissant la réflexion, en partant des faits, du réel. Cette personne cultive un tropisme géopolitique, et poursuit un combat de longue haleine pour l’accès à l’eau. Elle est soucieuse de ne pas négliger les moyens de mieux agir que sont l’innovation et les ressources et, à l’exemple de la crise du COVID 19, sait adapter sa ligne directrice à l’irruption d’un évènement majeur et imprévu…

S’agissant de nourrir la réflexion, l’exemple emblématique est l’étude DH « Les ONG humanitaires françaises à l’international » exclusive et sans précédent, qui radiographie et dissèque l’évolution sur 10 ans (de 2006 à 2016) des 11 principales ONG françaises, avec pour chacune une présentation synthétique, et dont la seconde édition paraîtra début 2022.  

Il semble bien que la « personnalité » de DH parle aux abonnés. Les résultats d’un questionnaire adressé en 2018 aux lecteurs du site indiquait « un intérêt très marqué pour la géopolitique, pour l’innovation avec des demandes sur les stratégies multi-acteurs, les crises humanitaires et l’évolution de l’aide du côté des opérateurs terrain ».   

La diversité des thèmes et des traitements permet aux spécialistes, sur des sujets techniques comme l’EHA (Eau, Hygiène et Assainissement), l’impact humanitaire, le « triple nexus », le fundraising ou la mutualisation des ressources, d’échanger, de publier leurs avancées. A ce titre, pour ces spécialistes comme pour des chercheurs ou des étudiants, DH assume presque la fonction de « revue scientifique ».  

Forage et pompe manuelle pour alimenter en eau les jerricans des villageois de Djibo, au Burkina Faso ©Solidarités International

Plus spécifiquement, les acteurs de l’eau peuvent, dans DH, développer le pourquoi, le comment, le et le quand de leur engagement pour l’accès de tous à cette ressource vitale. En amont et en aval des grands rendez-vous sur cette question, tels que le Forum Mondial de l’Eau, dont la 9ème édition se tiendra en mars 2022 à Dakar au Sénégal, les travaux préparatoires, les données et les synthèses y sont diffusées, parfois sous forme d’interviews de décideurs. Les acteurs y trouvent, par ailleurs, régulièrement, les dernières initiatives, progrès techniques ou l’état de la recherche dans ce domaine. Un bon exemple est la publication, chaque année, du baromètre de l’eau publié par SOLIDARITES INTERNATIONAL, unique en son genre.  

Ailleurs, journalistes ou institutions acteurs de l’humanitaire peuvent y chercher ou y exprimer des analyses, des positions ou des enjeux aussi bien spécifiques que plus largement stratégiques. Chacun, qu’il soit à la recherche de données précises ou d’expression de convictions ou encore d’analyse approfondies sur des problématiques globales ou particulières, trouve à chaque édition au moins un thème / article, sur les quatre publiés, à même de l’intéresser.  

La ligne éditoriale de DH s’adresse clairement à des lecteurs déjà « initiés » aux questions humanitaires ou géostratégiques. Ce n’est pas un site grand public, mais un lieu d’échange et d’approfondissements des connaissances entre personnes ou institutions déjà « concernées » par ces sujets, et surtout entre acteurs de l’humanitaire au sens large. On peut se demander si, à la lecture de certains articles assez pointus, un béotien pourrait en saisir la richesse. D’ailleurs, un glossaire de l’humanitaire international régulièrement mis à jour pourrait avoir sa place en annexe du site.   

Pont aérien du Réseau Logistique Humanitaire pour faire face aux contraintes logistiques de la pandémie de Covid-19. ©Réseau Logistique Humanitaire.

En résumé, DH a clairement su trouver un rôle jusque-là assumé par aucun autre site spécialisé. Ce constat positif ne veut pas dire qu’il n’y a pas à enrichir le contenu proposé. A titre personnel, je verrais trois axes à renforcer :  

  • Développer une « mise en dialogue » et en perspective des crises qui ont marqué l’évolution de l’humanitaire : qu’est-ce que la crise du Rwanda a à nous dire sur la pratique de l’humanitaire en RCA ou au Soudan du Sud aujourd’hui, en quoi la page bosniaque a t’elle influé sur l’évolution de l’humanitaire ou sa mise en œuvre en Syrie aujourd’hui ? De même l’Afghanistan et le Sahel (en partie traité dans DH), la Somalie et le Yémen, le Tsunami en Asie du Sud-est et ses conséquences sur le sommet humanitaire mondial d’Istanbul en mai 2016, etc. 
  • Publier plus de témoignages nourrissant notre réflexion, à l’exemple d’un dernier édito à la fois « terrain » et très documenté (« La Syrie du Nord-est assoiffée »). 
  • Faire régulièrement une place à la parole venue « de l’autre côté du miroir », celle des personnes qui sont les bénéficiaires de l’aide humanitaire, et qui sont la seule justification de l’existence du système humanitaire mondial, parole brute, sans la reformuler dans notre jargon technico-professionnel, afin de faire contrepoint à l’expertise développée dans ces pages.  

Au-delà de ces pistes d’optimisation (et d’autres), et au regard des objectifs déclarés à la naissance de DH, le défi de faire vivre l’humanitaire est à chaque fois relevé…  


Pierre Brunet, écrivain et humanitaire :

Né en 1961 à Paris d’un père français et d’une mère espagnole, Pierre Brunet a trouvé sa première vocation comme journaliste free-lance. En 1994, il croise sur sa route l’humanitaire, et s’engage comme volontaire au Rwanda, dévasté par un génocide. Il repart début 1995 en mission humanitaire en Bosnie-Herzégovine, alors déchirée par la guerre civile. Il y assumera les responsabilités de coordinateur de programme à Sarajevo, puis de chef de mission.

A son retour en France fin 1996, il intègre le siège de l’ONG française SOLIDARITES INTERNATIONAL, pour laquelle il était parti en mission. Il y sera responsable de la communication et du fundraising, tout en retournant sur le terrain, comme en Afghanistan en 2003, et en commençant à écrire… En 2011, tout en restant impliqué dans l’humanitaire, il s’engage totalement dans l’écriture, et consacre une part essentielle de son temps à sa vocation d’écrivain.

Pierre Brunet est Vice-Président de l’association SOLIDARITES INTERNATIONAL. Il s’est rendu sur le terrain dans le Nord-Est de la Syrie, dans la « jungle » de Calais en novembre 2015, ou encore en Grèce et Macédoine auprès des migrants en avril 2016.

Les romans de Pierre Brunet sont publiés chez Calmann-Lévy :

  • Janvier 2006 : parution de son premier roman « Barnum » chez Calmann-Lévy, récit né de son expérience humanitaire.
  • Septembre 2008 : parution de son second roman « JAB », l’histoire d’une petite orpheline espagnole grandie au Maroc qui deviendra, adulte, une boxeuse professionnelle.
  • Mars 2014 : sortie de son troisième roman « Fenicia », inspiré de la vie de sa mère, petite orpheline espagnole pendant la guerre civile, réfugiée en France, plus tard militante anarchiste, séductrice, qui mourut dans un institut psychiatrique à 31 ans.
  • Fin août 2017 : sortie de son quatrième roman « Le triangle d’incertitude », dans lequel l’auteur « revient » encore, comme dans « Barnum » au Rwanda de 1994, pour évoquer le traumatisme d’un officier français à l’occasion de l’opération Turquoise.

Parallèlement à son travail d’écrivain, Pierre Brunet travaille comme co-scénariste de synopsis de séries télévisées ou de longs-métrages, en partenariat avec diverses sociétés de production. Il collabore également avec divers magazines en publiant des tribunes ou des articles, notamment sur des sujets d’actualité internationale.

L’humanitaire au piège de l’époque, qui trop embrasse mal étreint…

Courir après son époque – et ses engouements conceptuels – est un exercice exténuant, sinon vain. On peut aussi se demander si ce n’est pas une démarche qui par nature disperse les énergies, ne connaissant pas de limite, au risque d’un « attrape tout » à 360 degrés… susceptible de faire perdre le Nord.

Toute époque génère ses engouements conceptuels, qui s’effacent, à force de se frotter au réel… La nôtre n’y échappe pas, et semble même particulièrement fertile dans ce domaine. Les raisons en sont nombreuses et pourraient faire l’objet d’un article en soi. Mais le fait est qu’aujourd’hui aucune dimension de l’activité humaine n’y échappe… L’humanitaire, ainsi, se trouve attrapé, « embeded », pourrions-nous dire, dans ce mouvement général où la certitude de parler et d’agir au nom du bien universel laisse peu de place au doute, à la nuance, ou même à la prise en compte du réel. A l’ère de l’humanitaire globalisé, « industrialisé » selon certains, de plus en plus normé, encadré, contraint, dirigé parfois, cette implication se concrétise par une imprégnation de plus en plus massive de ces engouements conceptuels, par les bailleurs, influenceurs (comme certaines grandes ONG anglo-saxonnes) ou partenaires des ONG humanitaires, tels les agences des Nations-Unies ou des gouvernements.

Ainsi, ces ONG et organisations humanitaires se voient maintenant incitées, de la part souvent de ceux dont elles ont besoin pour continuer à exister en tant que structures pour agir, à démontrer, ou à minima affirmer fort et clair, leur adhésion à la longue liste de ces engouements conceptuels. Tout document écrit, émis, consultable, de la part d’une organisation humanitaire devient l’occasion de répondre à une sommation implicite, celle de nous positionner sur chacun des thèmes dans l’air du temps, de « cocher toutes les cases », en bon élève irréprochable, répondant aux sujets favoris « qu’il faut » adresser, comme on dit dans notre jargon. Indépendants en principe, nous nous retrouvons, de façon non-dite, « assignés à signer » en bas de chaque paragraphe d’une doxa qui ne vise, bien sûr, que le bien de tous.

Pierre Brunet en Afghanistan en 2003, dans le cadre d’une mission auprès des multiples équipes opérationnelles de Solidarités International dans le pays.

L’honnêteté exige de reconnaître qu’il n’y a pas que du regrettable dans ce phénomène. D’abord, il faut souligner la sincérité de l’adhésion individuelle, en tant que citoyens, de bon nombre d’humanitaires à une large part de ces thèmes et concepts. Par ailleurs, l’irruption de ceux-ci dans notre réflexion entraîne souvent un enrichissement de notre démarche, susceptible de générer un élargissement du champ du possible de notre action. Enfin, cette irruption-sommation conceptuelle nous oblige à sortir de notre zone de confort et à nous questionner, à refaire la part des choses, à re-distinguer le prioritaire du secondaire, l’essentiel du complémentaire, l’évident du discutable, et à redéfinir les responsabilités de tous les acteurs.

Ceci posé, arrêtons-nous sur les principaux des thèmes et engouements conceptuels que l’on nous demande (ou tout le moins nous suggère), à nous humanitaires, de prendre en charge ou à minima faire nôtres par adhésion-absorption-intégration dans notre mandat, quel qu’il soit. Petit inventaire non exhaustif à la Prévert ou « Ce qu’il nous faudrait adresser, en plus des besoins humanitaires des personnes en détresse… » :

  • L’urgence de répondre à court et moyen terme aux besoins vitaux et à mettre en place « en même temps » des solutions durables a fondé le double nexus urgence-développement. La complémentarité entre démarche humanitaire et développement, mis en œuvre maintenant souvent de concert et parallèlement, est un indiscutable progrès. Mais à celui-ci est venu, depuis quelques années, s’ajouter l’insistante suggestion d’un troisième, le triple nexus urgence-développement-paix, dans lequel les humanitaires, au risque de leurs principes fondamentaux de neutralité, d’impartialité et d’indépendance, devraient, par leur action, participer à l’établissement de la paix dans les pays en conflit où ils interviennent. Cette fausse bonne idée, tout comme d’ailleurs celle, récente, de participer à la lutte antiterroriste par le criblage de nos équipes, partenaires, prestataires et surtout bénéficiaires, est heureusement majoritairement rejetée, au nom de ces principes, par les ONG humanitaires. Premier exemple de concepts qui ont su séduire, mais qui sont inopérants, dangereux et incompatibles avec ce que nous sommes.
Des femmes irakiennes de Solidarités Internationales enregistrent de bénéficiaires de l’aide humanitaire ®Solidarités International
  • La localisation de l’aide, thème mis en avant lors du sommet humanitaire mondial d’Istanbul de mai 2016, est devenue depuis un incontournable du positionnement de toute ONG humanitaire. Outre le fait que les humanitaires n’ont pas attendu ce sommet pour voir l’intérêt en général et le bénéfice pour les populations des pays aidés de favoriser, à chaque fois que possible, la conception, l’organisation et la mise en œuvre de l’aide apportée, au plus près des besoins, par les humanitaires nationaux, ce concept très demandé ne fait-il pas souvent l’impasse sur quelques points importants ? Parmi ceux-ci, n’oublions-nous pas parfois un peu vite, dans notre empressement à embrasser celui-ci, que les humanitaires internationaux contribuent quand même, par leur engagement, leurs compétences, expérience et expertise parfois rares dans les pays en crise (outre la question des capacités logistiques et de la réactivité en urgence), et par le cadre des principes humanitaires et des modes de fonctionnement rationnalisés et partagés dont ils sont dépositaires, à l’efficacité et l’efficience de cette aide ? Faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain ?
  • La lutte contre les effets du changement climatique est un enjeu vital et global. Nous le savons. Notre rôle à nous humanitaires est de participer, à chaque fois que possible, par des programmes pertinents d’adaptation à ce changement, de résilience face aux chocs, à la limitation, l’atténuation, de ses effets sur des populations souvent parmi les plus menacées du globe. Nous le faisons depuis déjà de nombreuses années, et devrons le faire de plus en plus, de mieux en mieux. Mais est-il indispensable de compliquer, d’alourdir notre action, en multipliant, nous qui ne sommes pas, et de loin, les organismes les plus pollueurs de la planète, les « process » de mesures de notre empreinte carbone, et les outils de « redevabilité » de notre « écoresponsabilité » ? Quant au combat pour limiter ledit réchauffement, est-il à la portée de notre mandat, de notre mission ? Nous ne sommes pas l’ONU, et même l’ONU est à la peine sur cette question cruciale…
  • La notion de protection des populations, depuis maintenant une vingtaine d’années, s’impose de plus en plus dans le champ sémantique humanitaire, et comme « prisme » d’un nombre croissant de programmes mis en œuvre. Le principe de protection est, en soi, une très bonne chose, nul ne le conteste. Mais, une fois que l’on a établi comme fondement le Droit International Humanitaire (DIH) qu’il nous faut défendre sans relâche, qu’est-ce que cette notion, très large par nature, veut-elle dire concrètement ? Relève-t’elle du champ du possible de notre action ? Oui, dans la mesure où il nous incombe « de ne pas nuire », de n’aggraver en aucune façon par notre action et notre comportement les menaces et atteintes à la dignité, aux droits fondamentaux des personnes en détresse que nous secourons… Oui, car s’agissant de groupes spécifiques (femmes, enfants, handicapés, telle ou telle communauté, etc.), il nous faut, c’est vrai, à chaque fois que nécessaire, porter une attention particulière, et informer les acteurs compétents des atteintes graves dont ils sont victimes. Mais au-delà ? Dans des pays où les gens sont menacés à tout moment par la guerre, des violences, où l’on lâche sur eux des barils d’explosifs ou des gaz, où l’on bombarde des écoles ou des hôpitaux, est-il à notre portée, et lucide, de prétendre faire œuvre de protection ?
Opération de déblaiement en Haïti, 2011®Solidarites International
  • Pour finir, citons ensemble – tant ils sont liés dans l’esprit de beaucoup – la lutte contre le racisme et pour l’égalité hommes-femmes, la quête de la « diversité-inclusion », ou encore la non-discrimination quant à l’orientation sexuelle… N’y-a-t-il pas une forme d’aberration, pour une organisation humanitaire, à devoir témoigner expressément de son adhésion à ces évidences ? Evidences, car reconnaissons-le : comme monsieur Jourdain fait de la prose sans le savoir, les humanitaires, depuis l‘origine, ne sont guidés que par l’urgence des besoins, ne s’occupent pas de la couleur de la peau, ni des appartenances ou croyances, et encore moins des orientations sexuelles, et agissent par nature avec des équipes aussi diverses et inclusives que le réel le permet… Bien sûr, la situation spécifique des femmes, dans certains pays, nous a amenés à mettre en œuvre des programmes « gender oriented » afin de répondre notamment à leur précarité économique, mais nous n’avions pas attendu que cette question soit dans l’air du temps pour y penser. Et pour le reste, est-il à portée de notre action de changer des sociétés ne fonctionnant pas sur nos principes ? Et si nous parvenions à le faire, d’ailleurs, nous ne tarderions pas à être accusés de néo-colonialisme ou d’impérialisme culturel…

D’une certaine façon, nous voilà donc, nous humanitaires, sommés de réinventer l’eau chaude. Le point déterminant de cette affaire est, rappelons-le, la nécessité pour la plupart des ONG humanitaires d’envoyer des « messages subliminaux » aux bailleurs du système humanitaire international en « cochant les cases » des engouements conceptuels du moment. Soit, mais faut-il pour autant céder à la tentation de l’attrape-tout, en perdant notre boussole ? Au contraire, ne pouvons-nous pas profiter de ce contexte pour retrouver le Nord ? Revenir à l’idéalisme réaliste qui a rendu notre action indispensable, retrouver la modestie des prétentions, mais l’ambition concrète de sauver toujours plus de vies. Nous n’allons pas sauver le monde, et nous n’allons pas changer le monde. Encore une fois, nous ne sommes pas l’ONU, lequel n’y arrive déjà pas… Bien sûr, les organisations humanitaires ne peuvent pas, et ne doivent pas, être coupées, comme dans une bulle étanche, des enjeux, des questions qui concernent et empoignent ce monde, mais doivent-elles pour autant s’efforcer de toutes les embrasser ? Qui trop embrasse mal étreint…

 


Pierre Brunet, écrivain et humanitaire :

Né en 1961 à Paris d’un père français et d’une mère espagnole, Pierre Brunet a trouvé sa première vocation comme journaliste free-lance. En 1994, il croise sur sa route l’humanitaire, et s’engage comme volontaire au Rwanda, dévasté par un génocide. Il repart début 1995 en mission humanitaire en Bosnie-Herzégovine, alors déchirée par la guerre civile. Il y assumera les responsabilités de coordinateur de programme à Sarajevo, puis de chef de mission.

A son retour en France fin 1996, il intègre le siège de l’ONG française SOLIDARITES INTERNATIONAL, pour laquelle il était parti en mission. Il y sera responsable de la communication et du fundraising, tout en retournant sur le terrain, comme en Afghanistan en 2003, et en commençant à écrire… En 2011, tout en restant impliqué dans l’humanitaire, il s’engage totalement dans l’écriture, et consacre une part essentielle de son temps à sa vocation d’écrivain.

Pierre Brunet est Vice-Président de l’association SOLIDARITES INTERNATIONAL. Il s’est rendu sur le terrain dans le Nord-Est de la Syrie, dans la « jungle » de Calais en novembre 2015, ou encore en Grèce et Macédoine auprès des migrants en avril 2016.

Les romans de Pierre Brunet sont publiés chez Calmann-Lévy :

  • Janvier 2006 : parution de son premier roman « Barnum » chez Calmann-Lévy, récit né de son expérience humanitaire.
  • Septembre 2008 : parution de son second roman « JAB », l’histoire d’une petite orpheline espagnole grandie au Maroc qui deviendra, adulte, une boxeuse professionnelle.
  • Mars 2014 : sortie de son troisième roman « Fenicia », inspiré de la vie de sa mère, petite orpheline espagnole pendant la guerre civile, réfugiée en France, plus tard militante anarchiste, séductrice, qui mourut dans un institut psychiatrique à 31 ans.
  • Fin août 2017 : sortie de son quatrième roman « Le triangle d’incertitude », dans lequel l’auteur « revient » encore, comme dans « Barnum » au Rwanda de 1994, pour évoquer le traumatisme d’un officier français à l’occasion de l’opération Turquoise.

Parallèlement à son travail d’écrivain, Pierre Brunet travaille comme co-scénariste de synopsis de séries télévisées ou de longs-métrages, en partenariat avec diverses sociétés de production. Il collabore également avec divers magazines en publiant des tribunes ou des articles, notamment sur des sujets d’actualité internationale.