Elles s’appellent Nathalie, Tatev, Mariam et Anna et elles nous écrivent de l’Artsakh, ce territoire du Caucase du sud peuplé d’Arméniens et convoité par l’Azerbaîdjan. A la lecture de leurs lettres, vous comprendrez combien elles sont attachées à leur terre, à leur histoire, à leur identité après avoir cru disparaître quand la guerre a brusquement éclatée le 27 septembre 2020 pour prendre fin 44 jours plus tard, le 9 novembre 202O, il y a un peu plus d’un an. Elles ont une vingtaine d’année et elles apprennent le français à l’Université de Stepanakert, la capitale de l’Artsakh où la 1ère langue étrangère enseignée est le Russe. C’est grâce à Nelly, leur professeur de français, que nous avons reçu ces lettres. Elles nous parlent de leur vie, de leur crainte et de leur espoir. Vous pouvez leur répondre en nous adressant une lettre à defishumanitaires@gmail.com et nous leur ferons parvenir. Nous avons rencontré Nelly sur place. Elle était notre traductrice quand nous étions là-bas en février dernier avec Bernard Kouchner et Patrice Franceschi. Depuis, nous sommes heureux d’avoir envoyé à Nelly des livres d’enseignement du français qui lui manquaient.
Bonjour cher lecteur
Je m’appelle Nathalie, j’ai 19 ans. Je suis née le 28 novembre 2001 au village d’Aknaghbyur, dans la région d’Askéran (anciennement connue sous le nom de Karabulakh, ce qui signifie “grande source”). J’étudie en 3ème année de langue et littérature anglaises à la Faculté de Philologie de l’Université d’État d’Artsakh. J’aime mon métier, il me donne l’opportunité d’explorer la littérature mondiale sous sa forme originale, de travailler avec les enfants, en développant l’Arménien et l’Arménien en eux. Maintenant, j’ai un seul objectif, celui d’approfondir mes connaissances, d’acquérir la capacité de communiquer en différentes langues, d’approfondir mes connaissances culturelles et arménologiques afin de rendre notre nation visible au monde. J’aime aussi les activités pédagogiques. Je travaille avec les enfants depuis 2 ans déjà. Mes élèves m’inspirent dans les moments forts, me donnent force et endurance. Aujourd’hui, mes rêves et mes objectifs ne sont liés qu’à mon lieu de naissance natal, à Aknaghbyur. Il a été occupé par l’ennemi pendant la guerre de 44 jours en 2020 et est finalement passé sous contrôle ennemi le 27 octobre. Ma douleur est grande, ma peine est sans limites. Il y avait un certain nombre de monuments historiques et culturels à Aknaghbyur, dont l’église Surb Astvatsatsin du 19ème siècle, le cimetière datant du 19ème au 20ème siècles, le cimetière “Ghuze Tagh” datant des 19ème et 20ème siècles, situé à 500 m au sud-est du village, le sanctuaire de “Ghuze Tagh” du 17ème siècles, le village dit « Gharali » datant des 18ème et 19ème siècles, situé à 2 km à l’ouest du village. Au centre d’Aknaghbyur se trouvait un mémorial consacré aux combattants de la liberté tombés lors de la première guerre d’Artsakh, détruit par les Azerbaïdjanais après que le village soit passé sous le contrôle des forces armées azerbaïdjanaises. Chaque jour, je prie le Seigneur Tout-Puissant pour retrouver notre village et que les matins du monde arménien commencent paisiblement… Nathalie |
Bonjour à tous,
Je m’appelle Tatev, j’ai 21 ans. Je suis née dans le village de Kochoghot de la région de Martakert de l’Artsakh. Je suis étudiante en première année de master. J’étudie la langue et littérature anglaises à l’Université d’État d’Artsakh. Mon village est magnifique, il y a une nature magnifique où on peut bien se reposer. Ici vit l’Arménien qui souffre depuis longtemps et qui essaie de subvenir aux besoins de sa famille par son travail honnête. Et soudain, à l’aube, vous entendez le bruit des explosions, le rugissement des armes, le gémissement de la patrie. La guerre, nous l’avons deviné, a éclaté, bouleversant notre vie paisible. Je pense que vous connaissez l’Artsakh et que vous savez ce qui s’est passé récemment : une guerre cruelle et injuste qui n’a épargné personne. Chaque arme explosée a pris des vies, emportant avec elles de nombreux rêves qui ne se sont pas réalisés. Nous avons perdu 75 % de notre pays dans la guerre de 44 jours. Il est vrai que nous ne pouvons pas ramener les nombreux Arméniens qui ont sacrifié leur vie pour la la patrie, mais nous pouvons faire au moins une chose – prier tous pour l’illumination de leurs âmes afin de garder leurs noms immortels. Plusieurs familles ont perdu leurs maisons, mais tout le monde, au fond de son cœur, espère qu’un jour ils retourneront sur leur terre et retrouveront leurs maisons et leurs foyers qu’ils ont construits eux-mêmes. Nous ne devons pas perdre espoir et foi en Dieu, nous devons prier, croire que notre voix parviendra à Dieu, nous devons être obligés de faire prospérer et de développer notre merveilleux pays, l’Artsakh. Je souhaite la paix et l’union à vous et à nous dans tout œuvre entreprise. Rejoignez-nous, chers amis, ne permettez pas à l’injustice et au mal à agir contre nous. J’ai aussi à vous dire combien notre ennemi terroriste essaie de nous couper de nos maisons et de notre terre. Nous vivrons sur cette terre héritée de nos ancêtres, nous ne perdrons pas le potentiel de créer une belle culture. Tatev |
Bonjour, Je m’appelle Mariam. J’ai 22 ans. Je suis diplômé du Département de traduction de l’Université d’État d’Artsakh, je suis actuellement en première année de master et j’étudie la langue et littérature anglaises. J’adore me promener au sein de la nature, cela me calme et me permet d’être seule avec mes pensées. Quand j’ai du temps libre, je lis des livres et j’écoute de la musique. Je suis née dans le village de Taghavard de la région de Martuni. J’habite à Stepanakert, puisque le 27 octobre, suite à la guerre, une partie du village est passée sous le contrôle de l’ennemi. Le village de Taghavard a une nature magnifique, il y a de nombreux monuments historiques et culturels, dont la forteresse de Berdahonj (8ème-14ème siècle), l’église Surb Astvatsatsin (1840), Jokht prvatsar (11ème-12ème siècle) et le sanctuaire de Churvish (17ème-18ème siècles) qui sont bien célèbres. Malheureusement, le sanctuaire Churvish a été détruit par les bombardements pendant la guerre. Presque tous les jours je vois notre maison, notre village dans mes rêves et c’est la seule façon de calmer le manque qu’on a nous tous. Cependant, nous n’avons pas le droit de désespérer, car nous sommes obligés de vivre et de créer dans notre Artsakh, sur la terre qui a été gardée au prix du sang de milliers de soldats, afin que nous puissions vivre la vie qu’ils n’ont pas vécu. Après tout, il n’y a pas d’endroit plus puissant et plus cher que sa propre terre et sa patrie. Mariam |

Bonjour chers amis,
Je suis Anna, j’ai 21 ans. Je viens d’un petit mais très magnifique coin du monde : c’est l’Artsakh. J’habite à Stepanakert, sa capitale. Dans ma patrie vous pouvez trouver une nature formidable, des gens très hospitaliers et une histoire qui est très ancienne mais en même temps pleine d’aventures et de souffrance. Je fais mes études à l’Université d’État d’Artsakh, à la faculté des langues étrangères. J’apprends l’anglais et le français. En dehors de mes études je donne des cours individuels et j’enseigne l’anglais et le français aux enfants. Je suis mariée et bientôt je vais avoir un fils. Mon plus grand rêve c’est que mon enfant puisse grandir sous le ciel bleu. Vous savez déjà qu’on a souffert a cause de la guerre de 2020. Le 27 Septembre, on s’est reveillé avec des bruits des bombardments. C’était une douleur qui est franchement impossible à expliquer avec des mots. On ne veut pas quitter notre pays mais je ne veux pas non plus que mon fils soit victime d’une nouvelle guerre. Mon cousin de 7 ans me dit qu’il veut être soldat, mais il ne veut pas participer à la guerre parce que tous les soldats qui ont participé à la guerre sont morts… Mon quotidien est très rempli : je participe aux cours de l’Université en ligne, je fait mes cours avec les enfants aussi en ligne à cause de Covid19, je fait le ménage parfois, je cuisine et le soir, quand j’ai du temps, je me promène. Une belle vue s’ouvre sur la ville de Shushi depuis ma fenêtre. La nuit avant de m’endormir je regarde cette ville dans l’espoir d’un miracle : celui d’y retourner un jour et d’y faire prospérer de nouveau sa culture qui est aujourd’hui détruite par les azéris. Nous, les Artsakhtsis, nous sommes très dynamiques et courageux, nous n’abandonneront jamais notre pays. On va lutter pour le bien-être de nos enfants, pour la génération à venir et pour notre pays. Chers lecteurs, on vous souhaite du bonheur et de la joie ; que vous ne sentiez jamais la douleur de la guerre. Anna |

Pour en découvrir plus :
- Edito “Au secours des arméniens”
- Article “Géopolitique de la Seconde Guerre du Haut-Karabakh – 27 septembre – 9 novembre 2020”, Patrice Gourdin – docteur en histoire, sur Diploweb
- Article Le Monde sur le film « Si le vent tombe » : l’impossible envol d’un peuple dans le Haut-Karabakh
- Témoignage d’Olivier Faure au retour de l’Artsakh
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