Assoiffer et affamer les populations ennemies pour les anéantir est une méthode de guerre aussi vieille que la guerre elle-même. On croyait cependant cette façon de faire reléguée aux temps barbares d’avant les lois internationales modernes destinées à réguler les conflits – et surtout à protéger les civils – sous la vigilance attentive des Nations-Unies. Face aux Kurdes, la Turquie démontre aujourd’hui qu’il n’en est rien. Elle se comporte comme on se comportait jadis. Dans sa volonté obsessionnelle d’en finir avec ces Kurdes qu’il méprise, Erdogan utilise une arme terrifiante et oubliée qu’il avait jusque là gardé en réserve – et dont la plupart des responsables occidentaux n’ont pas pris la mesure : l’eau. Avec cette arme à l’énoncé anodin, Erdogan peut mener à bas bruit une guerre d’usure contre les civils kurdes, insidieuse, sans sensationnalisme et sans tirer un seul coup de fusil. Une guerre aussi silencieuse que dévastatrice par ses effets à long terme. Au sein du monde carnivore qui s’installe la Turquie démontre ainsi qu’elle ne s’embarrasse d’aucun scrupule, ne respecte aucune règle commune, et joue la politique du fait accompli chaque fois que son intérêt l’y pousse, persuadée que seuls comptent les rapports de force.
Mais qu’est-ce que la « guerre de l’eau » au juste ? La situation est la suivante : par les hasards de la géographie les montagnes turques sont le « château d’eau » de cette région du Moyen-Orient. Le Tigre et l’Euphrate y naissent avant de s’en aller irriguer la Syrie et L’Irak – pays dans le nord desquels vivent les Kurdes. Sur ces deux fleuves mythiques et gigantesques, Ankara a bâti depuis longtemps toutes une série de barrages permettant de contrôler leurs débits. Ce sont ces « robinets » que les Turcs ferment graduellement depuis des mois. A 80 % en ce moment-même. Conséquence première : une terrible sécheresse artificielle s’est installée dans les plaines arables où vivent les Kurdes – ce fameux grenier à blé du croissant fertile – et plus aucune irrigation correcte des cultures vivrières ne peut s’y faire. Conséquence seconde : les prix des denrées alimentaires ne cessent de grimper, la société se fracture progressivement dans une compétition nouvelle pour l’accès au peu d’eau disponible, la disette va menacer quand les récoltes ne seront plus que l’ombre d’elles-mêmes, et de plus en plus de Kurdes songent à immigrer massivement dans un désespoir inexistant il y a encore quelques mois. Conséquence troisième : le sinistre MIT, les services secrets turcs, dispose enfin d’éléments concrets pour attiser en sous main la situation afin de dresser le peuple contre ses dirigeants puisque ces derniers sont de moins en moins capables de faire face à la situation, faute de moyens. On ne compte plus les manifestations de rues comme les attaques dans la presse locale. Soit dit en passant, nos diplomates, toujours aussi tournés vers Ankara, se limitent à faire remonter vers nos responsables le discrédit progressif de l’administration kurde en se gardant bien d’en mentionner la cause. Ils feraient mieux de constater que cette dégradation de la situation permet une résurgence accrue des mouvements islamistes anti-occidentaux que les Kurdes ne pourront bientôt plus contenir comme auparavant. Daech ne cesse de reprendre du poil de la bête en profitant de la situation. A l’heure du procès des attentats du Bataclan, nous ferions bien de prendre acte de cette situation pour réagir avant qu’il ne soit trop tard, une fois de plus. Car nos intérêts sécuritaires sont en jeu au Kurdistan face au terrorisme international.
Mais ce n’est pas tout. Dans le même temps qu’ils ferment les robinets des grands fleuves, les Turcs réduisent de moitié le débit des stations de pompage d’eau douce dont ils se sont emparés su le territoire syrien en octobre 2019. On se souvient qu’à cette époque, de par la volonté aussi sotte qu’incompréhensible de Trump, nous avons abandonné nos alliés kurdes entre les mains d’Ankara et de ses jihadistes après les avoir utilisés avec succès dans notre guerre commune contre l’État islamique. Quoi qu’il en soit de cette faute politique autant que morale, l’eau manque aujourd’hui aux Kurdes pour simplement boire et pas seulement irriguer. Le rationnement est une réalité dans plusieurs villes et les organisations humanitaires présentes sur place doivent ravitailler de nombreuses régions à l’aide de norias de camions citernes. Cette pénurie provoque aussi un accroissement de toutes les maladies liées aux eaux insalubres.
Je rentre du Kurdistan syrien. J’ai constaté tout ce que je viens d’écrire. Le désarroi est grand chez nos anciens alliés. Comme il ne l’a jamais été. Un désarroi proportionnel au silence absolu de la communauté internationale – si tant est qu’elle existe. Aucun pays ne fait pression sur Erdogan pour l’obliger à lâcher prise et à ne plus s’en prendre aux civils de cette manière. Mais pourquoi s’en étonner ? Que s’est-il passé l’année dernière quand, après enquête dûment documenté, les Nations-Unies ont officiellement condamné la Turquie et les jihadistes sous son obédience pour le nettoyage ethnique de la région kurde d’Afrine qu’ils occupent militairement depuis janvier 2018 en violation de toutes les lois internationales ? Une page dans les journaux le lendemain et puis plus rien. Que s’est-il passé quelques temps plus tard quand les mêmes Nations-Unies ont condamné tout aussi officiellement les islamistes de Daech – soutenus par la Turquie quand ça l’arrangeait – pour leur tentative de génocide des Yézidies en 2014 ? Une page dans les journaux le lendemain et puis plus rien. Comment être surpris, dès lors, qu’Erdogan se sente pousser des ailes et encouragé par nos renoncements successifs à aller toujours plus loin ?
Nos intérêts sécuritaires face au terrorisme islamique sont en jeux dans cette guerre de l’eau, par-delà son aspect moral. Pour tenter de servir à quelque chose, cette tribune doit se transformer ici en lettre ouverte au Président de la république pour l’exhorter à agir. Son tropisme pour les Kurdes est connu. Emmanuel Macron a été le seul chef d’État à les recevoir à plusieurs reprises à l’Élysée pour appuyer leur combat. C’est tout à son honneur. Il faut lui demander aujourd’hui de poursuivre son opposition aux visées expansionnistes d’Erdogan et de ses jihadistes en portant cette « guerre de l’eau » devant les instances internationales compétentes afin d’y mettre fin.
Ce qui est en jeu pour nous Français est tout aussi essentiel que pour les Kurdes.
Depuis le mois de juin 2021, la Turquie a réduit la quantité d’eau dans l’Euphrate pour la Syrie de 500 m3 seconde à 214m3 en retenant cette eau dans ses barrages en amont.
Nous roulons à petite allure sur le pont flottant qui enjambe le fleuve Tigre pour entrer en Syrie depuis l’Irak. La frontière Turque est proche. Faysh Khabur est le seul point de passage pour entrer dans ce nord-est Syrien aujourd’hui enclavé entre la Turquie et le territoire contrôlé à l’ouest par les autorités syriennes à Damas.
Cette région située entre le Tigre et le fleuve Euphrate est sous le contrôle du Conseil Démocratique Syrien dirigé par les kurdes avec des arabes et des représentants de ce qu’il reste ici des chrétiens syriaques et arméniens chassés de leurs terres comme de nombreux kurdes. Ce territoire a été le lieu d’âpres et meurtrier combats menés par les forces kurdes face aux djihadistes de Daech, depuis la bataille de Kobané jusqu’à celle de Raqqa avec l’appui de la Coalition Internationale dont la France, les Etats-Unis et la Grande Bretagne.
Raqqua, comme à Kobané, une guerre destructrice, immeuble par immeuble, que les combattants kurdes, femmes et hommes, ont remportée contre Daech au prix de lourdes pertes. @Mahmoud Bali
Nous sommes invités par l’Auto Administration du Nord-Est Syrien (AANES) à participer à un « Forum International pour l’eau dans le Nord-Est Syrien » qui se tient dans la ville d’Hassakeh les 27 et 28 septembre. Car cette région du Nord-Est est aujourd’hui au centre d’une triple crise de l’eau qui perturbe et menace gravement la vie quotidienne de ses habitants et des populations déplacées de force par les combats qui ont lieu en Syrie depuis maintenant plus de 10 ans.
Le long de la route vers Amuda, des immeubles en construction à l’abandon. @Alain Boinet
Ici, la terre est uniformément plate. Les montagnes protectrices sont de l’autre côté, au Kurdistan d’Irak. Le long de la route, nous découvrons une ville fantôme avec ses alignements d’immeubles inachevés, vides, à l’abandon. Plus loin, apparaissent des petits puits de pétrole comme des culbutos qui fournissent le carburant local. Ici et là, dans la plaine, des troupeaux de moutons, une des rares ressources de la région.
Dans la voiture, au long des heures, les discussions vont bon train sur l’imbroglio qui règne ici, sur le sort des populations et leur avenir bien incertain mais avec l’espoir chevillé au corps. Sur la route, on y croise régulièrement des convois militaires Russes ou Américains et les Turcs ne sont pas loin. A une petite demie journée de route, nous atteignons notre destination, la localité d’Amuda où l’Auto administration nous reçoit dans une maison pour les hôtes de passage.
Forum International pour l’Eau dans le Nord-Est Syrien.
Le lendemain, l’accueil est chaleureux à Hassakeh dans le hall du vaste amphithéâtre où le Forum se déroule. Le programme est dense et riche avec 23 intervenants, principalement kurdes, arabes, avec des invités venant d’Irak, de France, d’Autriche, de Grande Bretagne ou d’Afrique du Sud. Des représentants d’ONG humanitaires internationales actives dans la région sont là aussi.
Allocution d’ouverture par Bernard Kouchner du Forum International de l’eau dans le nord-est Syrien.
Dans son allocution d’ouverture, Bernard Kouchner, invité d’honneur bien connu des kurdes, insiste sur les risques que la Turquie fait peser sur les populations en coupant ou en limitant les volume d’eau indispensables à la vie quotidienne et il salue avec beaucoup de conviction l’action des ONG locales et internationales.
Pour Patrice Franceschi qui lui succède, cette raréfaction délibérée de l’eau disponible est une guerre « sans bruit » qui vise à affaiblir les populations et il s’agit là d’une question éminemment politique et diplomatique.
Gérard Chaliand, conclura que malgré les erreurs et les incertitudes « personne ne peut vous obliger à ne pas être ce que vous êtes ». C’est toute la question du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qu’il rappelle à notre conscience.
A la tribune, les experts vont succéder aux spécialistes pour montrer, évaluer, analyser les conséquences de la sécheresse qui touche toute la région, la coupure de la station d’eau potable d’Ah Houq et la réduction drastique du niveau de l’eau de l’Euphrate dont la source est en Turquie qui la retient en amont dans un grand nombre de barrages.
En guise d’introduction, un intervenant rappelle les traités et agréments signés entre la Turquie, la Syrie et l’Irak et toujours d’actualité. Toutes les disciplines sont présentes dans ce Forum pour traiter le sujet de l’eau : droit international, science politique, économie, environnement, agriculture, biotechnologie, géographie, architecture, géologie, recherche, humanitaire. A les écouter s’exprimer et débattre, on découvre le haut niveau de formation et de compétence existant qui demeure impliqué face aux graves difficultés auxquelles les populations sont confrontées dans leur vie quotidienne et qui conduisent certains à prendre à contre coeur le chemin incertain de l’exil.
Je suis Invité à titre personnel comme spécialiste de l’eau et administrateur de plusieurs organisations, coordination et think tank dédiés à l’eau et à l’assainissement, aux situations d’urgence et de reconstruction comme à la réalisation des Objectifs de Développement Durables (2015-2030) qui prévoient dans son Objectif 6 un accès universel à l’eau potable pour tous dans le monde. C’est à ce titre que j’interviens à la tribune du Forum pour rappeler ce que nous savons tous : l’eau c’est la vie, c’est un bien public mondial, et que rationner si ce n’est couper délibérément l’eau aux populations pour faire la guerre est contraire au Droit International Humanitaire (DIH) qui s’applique à tous dans les conflits.
Alain Boinet devant l’entrée du Forum avec des participants. @Alain Boinet
En fin de matinée, nous prenons nos repas tous ensemble dans une grande salle autour de tables communes. C’est là, autour d’un plat, que je fais connaissance avec les membres du Forum des ONG dans le Nord-Est Syrien et d’autres représentants d’ONG venus de Bagdad et mobilisés sur la défense du fleuve Tigre qui, venant de Turquie, dessert l’Irak où il va rejoindre l’Euphrate pour former un estuaire commun, le Chatt-el-Arab, long de 200 km, qui débouche dans le Golfe Persique.
Puis, c’est l’heure du « tchaï », le thé et du « Cawa », café, sous une grande tente qui nous protège d’un soleil brulant qui nous surplombe dans le bleu du ciel. C’est également l’heure des retrouvailles quand d’anciens amis et connaissances se retrouvent avec Bernard Kouchner. Accolades et souvenirs s’enchainent. J’ai moi-même la surprise d’être abordé par trois jeunes, un homme et deux femmes, qui veulent faire un selfie. « D’accord mais dites-moi avant comment vous me connaissez ». « On vous a vu sur l’écran du Forum et on vous a reconnu ». Après les photos, dans la discussion, je découvre qu’ils travaillent pour la coordination des ONGI humanitaire pour l’eau, l’assainissement et l’hygiène.
Je ne peux pas résumer tant d’interventions et de débats durant ces deux jours de Forum à Hassakeh en raison de la diversité et de la densité des propos comme des vidéos illustrant bien le sujet au plus près des réalités. En revanche, je vous dois maintenant de présenter le pourquoi et le comment de cette triple crise de l’eau qui assoiffe lentement la population et l’agriculture.
La triple crise de l’eau dans le Nord-Est Syrien (NES)
Depuis longtemps, comme humanitaire militant pour l’accès à l’eau potable, l’assainissement et l’hygiène pour tout dans le monde, j’ai eu de nombreuses occasions d’intervenir pour l’accès à l’eau en Afghanistan, en RDC, au Mali, au Liban et ailleurs et de publier et plaider la cause de l’eau à Genève, Istanbul, Marseille, Daegu, Paris ou Dakar et, aujourd’hui, au Nord-Est Syrien.
Les informations présentées ici, les chiffres en particulier, sont issues des informations provenant de l’AANES et, pour l’essentiel, du Forum du NES qui regroupe et coordonne l’action humanitaire de 14 ONGI dans 16 domaines différents, de l’eau à la santé, de la sécurité alimentaire à l’énergie en passant par l’éducation. Rappelons que les agences des Nations et le CICR n’ont pas l’autorisation des autorités de Damas d’intervenir dans le NES, à l’exception de quelques enclaves gouvernementales et des camps de déplacés.
Pour revenir à la triple crise de l’eau, celle-ci provient de la conjugaison d’une forte sécheresse dans toute la région en 2020-2021, de la coupure de l’eau potable de la station de Al Houq et de la forte diminution du niveau d’eau dans l’Euphrate.
La crise de l’eau de la sécheresse. En 2020-2021, les pluies ont décru de 50 à 70 % dans toute la région selon la FAO. Plus précisément, l’AANES calcule que la diminution est de plus de 75% pour les cultures pluviales et de 10 à 25% pour les cultures irriguées. Il y a deux saisons en Syrie pour les récoltes, la saison d’hiver de novembre à Mai et la saison d’été de juin à septembre. La sécheresse et la forte diminution d’eau dans l’Euphrate provoquent une augmentation de l’insécurité alimentaire sachant que le NES produit 80% du blé et de l’orge en Syrie. Ainsi, cette année, la production d’orge a chuté de 2,2 millions de tonnes à 450.000 tonnes !
Carte montrant l’emplacement de la station d’eau potable d’Hal Houq située en territoire syrien occupé par les Turcs.
La crise de la station d’eau potable d’Hal Houq. Cette station est située en Syrie sur un territoire situé entre Ras-al-Ain et Tel Abiad, qui sur une longueur de 100 km et une largeur de 30 km a été annexée par la Turquie à l’issue d’une offensive militaire de deux mois lancée le 9 octobre 2019. Depuis, les populations kurdes originaires de cette zone ont fui et vivent maintenant dans des camps de déplacés. Elles ont été remplacées par des populations arabes syriennes qui étaient réfugiées en Turquie ainsi que par de nombreux djihadistes.
Cette station est donc sous le contrôle des autorités turques qui depuis octobre 2019 opèrent régulièrement des coupures d’eau. Depuis l’été 2021 la coupure d’eau est totale. Or, cette station est la seule à pouvoir alimenter les populations d’Hassakeh et des villages environnements ainsi que des quatre camps de déplacés. Cela représente 460.000 habitants et 99.000 déplacés.
Distribution d’eau potable par camion-citerne par les organisations humanitaires.
C’est là qu’on dû intervenir de toute urgence plusieurs ONGI humanitaires internationale avec des camions citernes d’eau, ou « water trucking », pour ravitailler en continu les camps de déplacés, les centres informels d’accueil et les habitants. Des entreprises privées locales opèrent par ailleurs des forages dans les nappes d’eau souterraine et vendent l’eau aux habitants.
La crise de l’eau du fleuve Euphrate.
Venant de Turquie où il a sa source, l’Euphrate traverse la Syrie du Nord au Sud puis pénètre en Irak où il va rejoindre le Tigre puis le Golfe Persique. Dans des accords passés en 1987 et toujours d’actualité, la Turquie s’est engagée à fournir 500 m3 d’eau par seconde à Damas. De son côté, en 1989, la Syrie a signé un accord bilatéral avec l’Irak prévoyant que 52% des eaux de l’Euphrate reviendrait à Bagdad.
Or, depuis le mois de juin cette année, la quantité d’eau entrant en Syrie est tombée à 214 m3 par seconde c’est-à-dire une chute brutale de 60% aux nombreuses conséquences pour les populations de la région, tant dans le Nord-Est que dans la partie Ouest du fleuve sous le contrôle du gouvernement Syrien de Damas. Ainsi, 54 des 73 stations de prélèvement d’eau situées à l’ouest voient leurs capacités fortement diminuées, de même que 44 des 126 stations se trouvant sur la rive Est du NES impactant 38 communautés, des camps et des centres d’accueil collectifs et informels accueillant des déplacés forcés.
Niveau actuel de l’eau par rapport au niveau habituel du barrage de Tishreen.
Cela a entrainé des conséquences immédiates pour les populations. Ainsi, le barrage hydroélectrique de Tishreen, premier barrage sur l’Euphrate en Syrie, ne peut plus utiliser que 2 de ses 6 turbines produisant 5 à 6h d’électricité par jour (février 2021) au lieu de 12 à 14h (Juin 2021). On voit bien les conséquences pour les familles, hôpitaux, services publics, magasins et exploitations agricoles ! Un peu plus bas, le barrage de Tabqa est à 20% de son niveau normal, très proche comme à Tishreen du « niveau mort » ou « dead level » en deçà duquel les turbines seraient irrémédiablement endommagées.
Niveau de l’eau très bas à la station Al-Suwah à Deir-Ez-Zohr au sud de la Syrie
Du côté des stations d’eau le long du fleuve, cette diminution du niveau de l’eau réduit autant l’eau pour la consommation des familles que pour l’irrigation des cultures. Enfin, la concentration chimique, bactériologique, provenant des égouts et des déchets agricoles et industriels, provoquent une augmentation des maladies hydriques, particulièrement les diarrhées qui accroissent la mortalité infantile en l’absence de médicaments anti diarrhéiques. Sans oublier la croissance alarmante des cas de malnutrition chez les enfants en bas âge.
Les conséquences sont saisissantes selon les organisations humanitaires internationales :
5,5 millions de personnes sont en danger par manque d’eau potable dans le NES et le gouvernorat d’Alep.
3 millions d’habitants sont touchés par la réduction de l’énergie électrique.
5 millions de personnes sont affectées par une diminution des moyens de subsistance alimentaire.
Conclusion.
La conclusion de ce Forum suivi par plus de 150 experts s’est clôturée dans une ambiance à la fois studieuse et cordiale.
Gérard Chaliand avec des participants à la fin du Forum International de l’Eau dans le nord-est Syrien.
Dans cette triple crise de l’eau, il faut distinguer la sécheresse qui affecte sans distinction tous les pays de la région, dont la Turquie, et l’utilisation de la station d’Al Houq et de l’eau de l’Euphrate comme moyen de pression sur les populations et sur les autorités du NES.
La Turquie poursuit activement le développement de son immense projet (GAP) de construction de 22 barrages et de 19 usines hydroélectriques en amont de la Syrie et de l’Irak et peut à tout moment réduire ou leur couper l’eau !
Les conséquences humanitaires sont immédiates dans le NES pour 2,6 millions d’habitants et déplacés, selon les organisations humanitaires, dont 1,8 million nécessitent une aide humanitaire alors que plusieurs facteurs de vulnérabilité (restriction sévère d’eau potable de boisson et pour l’agriculture, diminution des productions agricoles, maladies hydriques, augmentation des prix) se conjuguent pour le pire. Ainsi, l’auto administration indique que 72% des fermiers sont victimes d’une réduction des récoltes de blé et les stocks sont à un niveau dangereusement bas avant l’hiver.
Dans l’immédiat, la première urgence est humanitaire. Le Forum du NES et ses 14 ONGI font un immense travail mais selon leur évaluation, il manque 215 millions d’USD pour faire face aux besoins essentiels dont 122 millions nécessaires dès maintenant, tant pour les besoins immédiats que pour développer la production de blé de la prochaine saison.
Déclaration sur les réseaux sociaux de Bernard Kouchner reçu par le ministre des Affaires étrangères de l’auto administration, M. Abdul Karim Omar.
Sur le plan de l’hydro diplomatie, il faut revenir aux Conventions cadres de référence internationale : la Convention d’Helsinki de 1992 et la Convention de New-York de 1997. Celles-ci font référence à « l’utilisation équitable et raisonnable » de l’eau entre pays riverains ainsi que sur l’«obligation de ne pas causer de dommage à l’utilisation des autres Etats ».
Dans cette perspective, la station d’Al Houq doit à nouveau ouvrir les vannes de l’eau potable et la station devrait être accessible aux Nations-Unies et au CICR notamment. D’autre part, conformément à ses engagements, la Turquie doit à nouveau délivrer 500 m3 d’eau par seconde dans l’Euphrate pour les populations en Syrie et en Irak.
Sur la route du retour vers Paris, si je suis certain que les humanitaires comme l’auto administration du NES feront tout ce qu’ils pourront pour les populations en danger, pour l’essentiel c’est maintenant à l’hydro-diplomatie d’agir pour éviter le pire si cette situation devait perdurer.
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