Ukraine, crise alimentaire, aide humanitaire. Où va-t-on ?

Une femme (3e à droite), évacuant avec des affaires, se protège les oreilles après une explosion sur un pont sur la rivière Oskil alors que de la fumée noire s’élève dans la ville de la ligne de front de Kupiansk, région de Kharkiv, le 24 septembre 2022.  (Photo by Yasuyoshi CHIBA / AFP)

Où va la guerre en Ukraine ? Cet éditorial cherche à analyser la rupture de situation survenue depuis la déclaration de Vladimir Poutine le 21 septembre avec ses conséquences en cascade. Il s’agit de chercher à prévoir ce qui pourrait se produire afin d’anticiper l’aide humanitaire adaptée.

Défis Humanitaire est un site indépendant qui publie des articles sous la responsabilité de leur auteur afin de fournir des informations, des analyses et des recommandations utiles à l’action humanitaire.

La contre-offensive ukrainienne dans la région de Kharkiv et la reprise de nombreuses villes a provoqué un électrochoc à Vladimir Poutine qui a décrété la mobilisation de 300.000 hommes et l’annexion des Oblasts (régions) de Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporidjia, célébrée le 30 septembre sur la place Rouge à Moscou. A nouveau, le président russe a menacé d’utiliser tous les moyens à sa disposition en nous prévenant « Ce n’est pas du bluff ».

La riposte a été immédiate côté ukrainien, et le président Zelinsky a signé un document demandant une intégration rapide à l’OTAN, tout en déclarant que l’objectif était la reprise de tous les territoires ukrainiens occupés, y compris la Crimée.

Des militaires ukrainiens montent sur un véhicule blindé à l’extérieur de Kiev, en Ukraine, samedi 2 avril 2022.  (AP Photo/Vadim Ghirda) (CC BY 2.0)

Coté occidental, la condamnation de l’annexion est unanime, on se met à rêver d’une victoire ukrainienne et l’on n’a pas l’air de croire à la menace d’emploi d’armes de destruction massive. Le président américain, Joe Biden déclare « ne faites pas cela », annonce l’envoi de nouvelles armes en nombre, réaffirme un soutien inconditionnel tout en restant circonspect sur la riposte américaine. Les présidents français et allemands se concertent pour faire front commun dans une Union Européenne tout à la fois unie et divisée sur l’objectif final recherché, entre une guerre totale et un endiguement d’une Russie affaiblie assortie d’une solution politique.

La Russie a opposé son veto vendredi 30 septembre à une résolution du Conseil de sécurité des Nations-Unies condamnant l’annexion de territoires ukrainiens. Le projet a été approuvé par dix des quinze membres du Conseil, la Russie votant contre. Quatre membres se sont abstenus, le Brésil, la Chine, l’Inde et le Gabon.

L’évidence, c’est que nous avons franchi une étape majeure dans l’escalade militaire sans que nous sachions jusqu’où elle peut nous conduire. Le sabotage des gazoducs Nord Stream en mer Baltique donne un avant-goût de ce que peut-être la suite. Mais, il y a plus grave, c’est le risque réel d’emploi d’armes nucléaires tactiques conformément à la doctrine militaire russe.

« Ce n’est pas du bluff ».

Si l’armée ukrainienne poursuit la reconquête de territoires séparatistes dorénavant considérés comme russes par le pouvoir à Moscou, peut-on être sûr que Vladimir Poutine n’utilisera jamais de telles armes sachant, que son destin est intimement lié à celui de cette guerre ? Et si ces armes sont utilisées en Ukraine qui n’est pas membre de l’OTAN, comment les occidentaux répliqueront-ils ? Il me semble que nous devrions prendre plus au sérieux cette hypothèse au cas où la Russie recule sur le champ de bataille, au risque pour son président d’un changement de pouvoir à Moscou. Nous devrions prendre cette hypothèse au sérieux pour les populations ukrainiennes elles-mêmes, d’autant que nous savons que la « posture d’alerte » nucléaire des pays détenteurs de ces armes est déjà activée, en France comme ailleurs.

Le nuage atomique à Nagasaki en 1945 (CC BY 2.0)

En tout cas, pour ce qui les concerne, les humanitaires doivent relever aussi leur posture d’alerte et se préparer à une guerre qui non seulement va durer mais aussi s’intensifier. Le nombre de victimes et de destructions ne peut malheureusement qu’aller en augmentant et il faut se préparer au pire, pour être prêt, autant que faire se peut, à secourir les victimes. Souvenons-nous des moyens utilisés en Syrie.

Dorénavant tout est possible et le chef du Kremlin appellent à une guerre de civilisation contre l’Occident qui ne sera sans doute pas sans conséquence en dehors même de l’Ukraine comme on le voit ces jours-ci au Burkina Faso après le Mali.

Bien des questions se posent. L’armée Ukrainienne peut-elle reprendre militairement le contrôle de tout son territoire ? la Russie utilisera-t’-elle des armes de destruction massive qui lui donneraient l’avantage ? Comment les occidentaux réagiront-ils dans ce cas. Quel sera l’impact de l’hiver sur le déroulement de la guerre. Comment les opinions publiques européennes supporteront-elles les restrictions d’énergie et l’augmentation des prix ? Les Russes mèneront-ils des actions de déstabilisation ailleurs qu’en Ukraine ? Poutine est-il gravement malade et l’armée Russe pourrait-elle s’effondrer ?

Une crise alimentaire mondiale jusqu’où ?

Parmi les conséquences de cette guerre, il y a pour de nombreux pays et leur population, la question de l’approvisionnement en blé, céréales, engrais provenant d’Ukraine ou de Russie (Un sauve qui peut mondial, Eviter un “ouragan de famines”). Où en sommes-nous de l’accord que l’Ukraine et la Russie ont ratifié le 22 juillet à Istanbul sous l’égide de la Turquie et des Nations-Unies ?

Le BC Vanessa, un navire affrété par le PAM transportant des céréales ukrainiennes destinées à l’Afghanistan dans le cadre de l’Initiative pour les céréales de la mer Noire. UN Photos / Levent Kulu (CC BY-NC-ND 2.0)

Avant la guerre, l’Ukraine exportait environ 6 millions de tonnes de céréales par mois selon Agritel, société de conseil de référence sur les filières agricoles. Grâce au corridor en mer Noire, depuis le mois d’août, c’est plus de 5 millions de tonnes qui sont sortis au 27 septembre. Agritel estime que l’Ukraine pourrait exporter 12 millions de tonnes d’ici la fin de l’année, contre 18 millions de tonnes auparavant tout en précisant que cela reste « fragile, tendue et volatile ». Selon Gautier Le Molgat d’Agritel sur RFI, la crise alimentaire est loin d’être terminée, d’autant que cette guerre vient amplifier une tension alimentaire provoquée par le dérèglement climatique, la pandémie de Covid-19 et les conflits.

Lors d’une conférence de presse à New-York le 13 septembre, Amir Abdulla, (Coordinateur des Nations-Unies pour la mer Noire) et Rebeca Grynspan (directrice générale de UNCTAD), ont indiqué qu’ils souhaitaient augmenter le nombre de bateaux en mer Noire, que les destinations de ceux-ci étaient similaires à celles d’avant-guerre et que si on constatait une baisse des prix des céréales au niveau international, cette tendance ne se traduisait pas toujours au niveau national. Ils ont aussi constaté que les exportations d’engrais russes restaient au plus bas. A noter que quatre bateaux humanitaires ont été affrétés par le PAM pour 120.000 tonnes de blé destinées à la Corne de l’Afrique, au Yémen et à l’Afghanistan.

De son côté, la Commission Européenne a annoncé le 5 septembre l’adhésion de l’Ukraine à une Convention sur le transit et sur la simplification, permettant une circulation plus facile des marchandises, et la suppression des droits de douane et de la TVA sur l’importation des biens vitaux pour les Ukrainiens. Cette exemption s’appliquerait aussi pour les organisations caritatives ou philanthropiques agréées par les autorités compétentes dans les Etats membres.

Dans une note bien documentée « Analyse de la crise alimentaire mondiale et ses liens avec la guerre en Ukraine », l’ONG humanitaire « Solidarités international » a mené une enquête dans les pays où elle est active. En République Centrafricaine (RCA), elle constate une augmentation de 28,6 à 33% des prix en fonction des types de farine. Au Soudan, les prix des denrées alimentaires ont presque triplé. En Afrique de l’Ouest on estime le déficit en engrais venant de Russie et d’Ukraine de 1,2 à 1,5 millions de tonnes, soit l’équivalent de 10 à 20 millions de tonnes de céréales. Et l’association fait ce constat à méditer : « D’un côté, le nombre de personnes ayant besoin d’une assistance augmente et de l’autre, l’aide alimentaire est de plus en plus coûteuse à mettre en œuvre (coût des denrées alimentaires et du pétrole pour le transport des vivres).

Distribution alimentaire au Mozambique, Février 2022 @Solidarités International

Enfin, le président Russe a critiqué le mécanisme d’exportation de la mer Noire dénonçant le fait que ses propres exportations de denrées alimentaires et d’engrais continueraient de pâtir des sanctions. Que cela soit vrai ou faux cette initiative de la mer Noire est fragile.

Au secours de l’aide humanitaire.

En Ukraine, l’évaluation des besoins humanitaire par l’ONU (OCHA) est passé de 1,1 milliards de dollars début mars à 2,25 en avril pour atteindre 4,3 milliards de dollars début août. L’hiver et les besoins de moyens de chauffage pourraient augmenter ce montant d’une aide destinée à 17 millions d’Ukrainiens, dont le nombre devrait augmenter avec la poursuite des combats.

Pour mémoire, l’Ukraine compte déjà 7,5 millions de réfugiés, 7 millions de déplacés dans le pays. Selon l’ONU, 580 partenaires humanitaires viennent à l’aide de 13,4 millions de personnes partout dans le pays. C’est ici l’occasion de rappeler une demande des organisations humanitaires lors d’une récente réunion à Paris au Centre de Crise et de Soutien du ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères, celle de demander aux autorités Ukrainiennes et Russes de respecter les principes du Droit International Humanitaire (DIH) et de faciliter l’action des humanitaires et non de l’entraver.

Deux rapports récents sur l’action humanitaire (GHAR et ANALP) soulignent l’écart grandissant qu’il y a entre les besoins humanitaires et les moyens disponibles pour y répondre. Dans notre précédent éditorial nous indiquions déjà que l’appel humanitaire des Nations-Unies s’élevait cette année à 46,3 milliards de dollars et que seulement 15 milliards avaient été réunis à la fin du premier semestre. Selon ces rapports, la moitié des appels lancés par l’ONU pour les populations des pays en crise reçoivent moins de 50% des moyens suffisants et environ un quart d’entre eux reçoivent 75% du strict nécessaire pour survivre alors que le nombre de personnes en danger est aujourd’hui de 306 millions dans le monde, soit 90,4 millions de plus qu’avant la pandémie de COVID-19 !

Notre constat est que les besoins humanitaires sont gravement sous financés et que l’aide internationale risque de manquer ! Faudra t’il bientôt lancer un appel d’urgence pour l’aide humanitaire internationale ? Parmi les pistes pour répondre à cette crise de financement, ces rapports suggèrent d’élargir la base des donateurs et de mieux cibler les financements vers les pays en crise. Plus concrètement, nous pouvons envisager une augmentation du pourcentage du RNB (Revenu National Brut) dédié à l’humanitaire. Ainsi en France, si des progrès considérables ont été réalisés par le Centre de Crise et de Soutien du Quai d’Orsay, l’aide humanitaire ne représente encore que 1% de l’Aide Publique au Développement de la France contre une moyenne de 10% pour les pays membres de l’OCDE ! Où est le problème ?

Mali, 2021 @Solidarités International

L’aide humanitaire risque bien de faire défaut. En Somalie ou quelques 213 000 personnes sont en « danger de mort imminent » selon l’ONU, à cause de la famine et de la sécheresse, seulement 70% des besoins vitaux sont couverts. En Afghanistan, où 23 millions d’habitants sont confrontés à la faim, seuls 42 % des 4,4 milliards de dollars nécessaires à l’ONU et ses partenaires ont été financés. Faut-il alors abandonner la moitié de la population à la faim ?

Des questions cruciales et des leçons essentielles.

Il s’agit de problèmes cruciaux tout à la fois spécifiques et interdépendants agissants les uns sur les autres. C’est justement une des caractéristiques de Défis Humanitaires que de souligner ces liens et d’établir les relations entre géopolitique et humanitaire face aux grands défis qui menacent afin de gagner en efficacité pour secourir les populations en danger.

L’agression Russe sera-t-elle endiguée sans recours à l’emploi d’armes de destruction massive pour les populations en Ukraine et aux risques d’effets collatéraux ?

L’exportation du blé, des céréales et des engrais d’Ukraine et de Russie ne doit-elle pas répondre en priorité aux besoins des pays les plus menacés par le spectre de la faim ? Il faut aussi tirer dès maintenant les leçons de cette situation en changeant les pratiques alimentaires et agricoles vers plus d’autosuffisance des pays les plus pauvres et dépendants.

L’éco-système humanitaire international réussira t’il à relever les défis auxquels il est confronté ?

J’espère de tout cœur que cet article vous sera utile et que vous pourrez le partager avec vos collègues et amis à qui il pourrait aussi servir. Je vous remercie aussi pour le soutien de votre don même modeste (HelloAsso) qui doit nous permettre de publier les prochaines éditions au service de la cause humanitaire. Par avance, un grand MERCI.

Alain Boinet.

Président de Défis Humanitaires.

Sauve qui peut mondial !

Réfugiés de la RDC attendant dans le centre de transit de Nyakabande Transit Center dans la ville de Kisoro, Uganda. BADRU KATUMBA / AFP (7 juin 2022)

Réfugiés, conflits, RDC, Ukraine, OTAN, blé, BRICS, humanitaire !

130 jours de guerre en Ukraine ont déjà provoqué 5,5 millions de réfugiés et 6,28 millions de déplacés à l’intérieur du pays sur une population totale de 44 millions d’habitants. Et les combats font rage dans le Donbass chassant les habitants des zones de front.

Le 20 juin, à l’occasion de la « Journée Mondiale des Réfugiés », le HCR (Haut-Commissariat des Réfugiés des Nations-Unies) annonçait que le monde comptait 89,3 millions de personnes déracinées de force à la fin 2021, mais ce nombre est passé à 100 millions en mai 2022. Dans le même temps, signalons une information positive, 5,7 millions de personnes déracinées sont retournées dans leur pays d’origine en 2021.

Notons que plus des deux tiers de l’ensemble des réfugiés, sans compter les déplacés internes, proviennent de cinq pays seulement : Syrie (6,8 millions), Venezuela (4,6 millions), Afghanistan (2,7 millions), Soudan du Sud (2,4 millions) et Myanmar (1,2 million). Pays connaissant des guerres civiles ou des troubles graves.

Ainsi, en République Démocratique du Congo (RDC), depuis le début de l’année, plus de 700 000 personnes ont dû fuir leurs habitations et le pays compte 5,9 millions de personnes déplacées internes. Mais ces chiffres bruts nécessitent d’être complétés pour mieux en comprendre les drames humains.

Le Coordinateur Humanitaire des Nations-Unies en RDC, Philippe Lemarquis, dénonce les 11 sites de déplacés attaqués en Ituri par des groupes armés, au Nord-Kivu et au Sud-Kivu, les 15 structures de santé et écoles prises pour cible depuis le début de l’année. Rien que dans l’Ituri, 128 structures de santé ont été mises hors d’usage. Et que dire des 116 incidents de sécurité qui ont visés les humanitaires et leurs matériels !

En RDC comme ailleurs, si nous savons que l’humanitaire ne va jamais sans risque, il est essentiel de rappeler sans cesse avec force et conviction que les civils doivent être protégés et que les humanitaires ne sont pas des cibles !

Pour mettre les chiffres en perspective, comme Défis Humanitaires le propose à ses lecteurs, afin d’ anticiper les crises à venir comme les capacités humanitaires nécessaires pour y faire face, soulignons que le nombre de réfugiés et déplacés a plus que doublé en dix ans (2010-2020) et que les conflits et la démographie en Afrique vont encore augmenter le nombre de personnes à secourir dans les années à venir si la prévention des crises et les solutions politiques sont absentes ou impuissantes !

Courrier International n° 1650 du 16 au 22 juin

Connaitrons-nous « l’ouragan de famines » que craint Antonio Guterres, secrétaire général des Nations-Unies ?

C’est Annia Ciezadio qui écrit dans The Washington Post (1) que 28% des exportations mondiales de blé proviennent d’Ukraine et de Russie, mais qu’au total, les exportations ne représentent que 30 % de la production mondiale ! En attendant, 22 millions de tonnes de céréales sont toujours bloquées en Ukraine. Et si le blé Russe ne fait pas l’objet de sanctions, celles-ci s’appliquent par ailleurs aux chaînes logistiques et financières nécessaires pour le vendre et l’acheminer.

Quand on sait qu’un tiers du blé importé par le Moyen-Orient et l’Afrique venait de Russie et que la moitié du blé du PAM (Programme Alimentaire Mondial des Nations-Unies) provenait en 2021 de l’Ukraine et de Russie, il y a de quoi s’alarmer. Depuis notre dernière édition de Défis Humanitaires, concernant l’idée de « couloirs humanitaires » ou de « corridor du blé », rien ne s’est encore vraiment concrétisé début juillet. Si Martin Griffiths, secrétaire général adjoint des Nations-Unies chargé des questions humanitaires, et Rebecca Grynspan, secrétaire générale de la CNUCED (Conférence des Nations-Unies sur le commerce et le développement) préparent un accord global incluant « l’exportation sécurisée des céréales ukrainiennes par la mer et l’accès aux produits alimentaires et aux engrais russes sur les marchés mondiaux, particulièrement pour les pays en voie de développement », le compte à rebours de la faim est déjà bien engagé en ce mois de juillet.

Déjà la pandémie de la Covid-19 avait provoqué une grave perturbation des chaînes logistiques et une augmentation des prix. Pour mémoire, rappelons que la faim menaçait 811 millions d’êtres humains en 2005, 607 millions en 2014 et 811 millions en 2020. Combien seront-ils cette année ?

Déjà en Egypte, premier pays importateur de céréales dans le monde couvrant 80% de ses besoins, le Maréchal Al-Sissi appelle au dialogue national afin d’anticiper les conséquences dangereuses d’une inflation galopante et du manque de pain.

Au Kenya, selon le Mail & Guardian de Johannesburg, le prix d’un sac de 2 kg de blé a augmenté de 25% et le prix de l’huile de cuisson de 42% depuis le mois d’avril 2021.

Plus grave encore, selon The Guardian, le système alimentaire mondial menace de s’effondrer. Système complexe détenu à 90% par 4 grands groupes mondiaux pratiquant une logique de flux constant, ce système alimentaire s’est développé sur le modèle des banques qui prévalait lors de la crise de 2008 et, comme à l’époque, « une perturbation peut faire basculer l’ensemble ».

S’il devient urgent de diversifier la production mondiale et de renforcer «…les facteurs susceptibles d’empêcher un effondrement systémique », il convient aussi d’abord d’alimenter en blé les pays et populations qui en ont un urgent besoin aujourd’hui même.

Sommet de l’OTAN durant lequel la Turquie signe un accord avec la Suède et la Finlande pour leur d’adhésion à l’OTAN. ©OTAN (CC BY-NC-ND 2.0)

Escalade militaire en Ukraine.

Depuis la fin juin, on a l’impression d’être entré dans une nouvelle phase d’escalade de la guerre en Ukraine. La réunion du G7 avec ses sanctions renforcées, le Sommet de l’OTAN avec les demandes d’adhésion de la Finlande et de la Suède, les tensions autour de l’enclave Russe de Kaliningrad, la livraison d’artillerie lourde à longue portée et, bientôt, de missiles sol-air NASAMS américain à moyenne et longue portée le démontre. Sans doute s’agit-il d’un soutien renforcé militaire face aux difficultés de l’armée ukrainienne dans le Donbass.

La riposte de la Russie ne s’est pas fait attendre quand le porte-parole du Kremlin, Dimitri Peskov, déclare que la guerre contre l’Ukraine « pourrait s’achever en un jour, si les forces ukrainiennes déposaient les armes et se pliaient aux conditions de la Russie ». Rien de moins.

Sur le terrain, les Russes se sont emparés de la ville de Severodonesk et de Lyssychansk. Déjà les frappes se portent sur les nouvelles cibles, à Kramatorsk et Sloviansk. Les Ukrainiens renforcent leur puissance de feu, notamment à l’aide des canons français Caesar et des obusiers américains M771 et, prochainement, des lance-roquettes HIMARS d’une portée de 80 km.

Canon français Caesar livré à l’Ukraine.

Autant dire que la priorité de part et d’autre est à la guerre et qu’elle durera au moins jusqu’à l’hiver qui gèle les combats et les positions. Cela représente plus qu’un doublement du temps de la guerre, de 4 à 9 mois et, par conséquence, de destructions pour les populations, les infrastructures. L’armée ukrainienne est en mauvaise passe dans le Donbass mais elle peut espérer une usure de la machine militaire russe alors qu’elle-même se bat chez elle et qu’elle peut mobiliser des soldats nombreux et motivés. La prochaine ligne de front va s’établir durant l’été devant les villes de Sloviansk et Kramatorsk et nous allons vivre de nouveaux déplacements de populations, des blessés, des morts et des villes rasées, sans parler des crimes de guerre. Par conséquent, les humanitaires devraient augmenter leurs secours dans l’urgence comme dans la durée.

Un changement de monde.

La rupture semble maintenant consommée et pour longtemps entre la Russie et ce que l’on peut qualifier de monde occidental avec l’Europe en première ligne. Vu de Paris, Washington, Bruxelles ou Berlin, nous pouvons penser que la Russie est isolée, à quelques exceptions près, et comme le dit le Président de la République, Emmanuel Macron, qu’elle a commis une erreur stratégique majeure que certains voudraient lui faire payer au prix le plus fort par la défaite.

Mais, vu de Pékin, Delhi, Pretoria ou Dakar, c’est assez différent. Pour preuve, au moment même où se réunissait le G 7 et l’OTAN, le Groupe des BRICS se réunissait à Pékin. Celui-ci rassemble donc le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud qui représente 41 % de la population mondiale, 24% du PIB et 13% du commerce international. Parmi les sujets abordés figurait celui de la réforme du système multilatéral. Le président chinois, Xi Jimping, a dénoncé à la tribune « l’élargissement des alliances militaires » en spécifiant que les sanctions étaient une arme à double tranchant qui allait revenir comme un « boomerang ». Ce qui fait dire à certains commentateurs que la Chine a clairement choisi son camp !

14ème Sommet des BRICS à Pékin 24/06/2022. Jairus Mmutle/GCIS (CC BY-ND 2.0)

Le ministre des Affaires étrangères chinois, Wong Yi, a d’ailleurs appelé nombre de pays à rejoindre les BRICS et particulièrement l’Indonésie ou se déroulera le prochain G20 auquel Vladimir Poutine devrait participer au mois de novembre prochain.

Simultanément, la Chine a augmenté ses importations de pétrole brut de 55% entre mai 2021 et mai 2022. Et l’Inde à multiplié par 9 ses importations de pétrole brut, même si elle cherche à diversifier ses achats de matériels militaires majoritairement russes.

La Russie est donc moins isolée que cela et d’autres alliances se nouent qui vont dessiner les relations internationales, si ce n’est les cristalliser en alliances concurrentes. C’est un changement de monde auquel nous assistons avec l’Ukraine comme déclencheur ou plutôt même comme accélérateur !

Et l’humanitaire dans tout cela ?

Le monde s’antagonise, devient plus incertain et plus conflictuel. Les règles hier encore communément admises sont remises en cause. La période qui a suivie la chute du mur de Berlin et la disparition de l’URSS, il y a une trentaine d’années, tourne la page et nous entrons dans l’inconnu des nouveaux rapports de force internationaux.

Ne sommes-nous pas déjà dans une guerre mondiale des hydrocarbures et du gaz, de l’alimentation en céréales, en engrais et entre des modèles politiques antagonistes, une guerre des mémoires et des ambitions ?

La guerre en Ukraine va-t-elle durer, s’amplifier, déborder ou ira-t-elle vers une solution négociée. Une nouvelle guerre froide commence t’elle quand le ministre des Affaires étrangères Russe, Sergueï Labrov, déclare qu’un nouveau rideau de fer s’abat sur l’Europe ? En tout cas, Vladimir Poutine aura réussi à renforcer l’OTAN et l’Union Européenne, à stimuler leur esprit de défense.

C’est dans ce contexte que s’est ouvert début juillet à Lugano en Suisse une conférence réunissant 40 pays et de nombreuses organisations internationales mobilisés pour définir les conditions de la reconstruction de l’Ukraine. Cela pourrait sembler venir à contre-temps, cependant la reconstruction sera longue et couteuse. Alors, autant s’y préparer dès maintenant.

En tout cas, l’action humanitaire aura beaucoup à faire avec un monde moins globalisé, moins de multilatéralisme, avec plus de souveraineté et de volonté d’indépendance et de reconnaissance. Pour que l’humanitaire ne sorte pas éreinté de la grande lessiveuse de l’histoire à un moment ou la nécessité des secours n’aura jamais été aussi urgente, il va falloir appliquer nos principes sans transiger sur le fond tout en s’adaptant beaucoup sur la forme afin de ne pas laisser les victimes seules face à l’adversité, à la cruauté, sauver des vies, reconstruire et promouvoir un avenir à l’espérance et au droit des peuples à être libre et à se développer.

En espérant que cet article vous sera utile, je vous remercie personnellement pour le soutien que vous pouvez nous apporter (faireundon) pour permettre la publication régulière de Défis Humanitaires.

Merci et rendez-vous à la prochaine édition début août.

Alain Boinet.

 

– (1) Dans Courrier International n° 1650 du 16 au 22 juin, vous trouverez un très bon dossier sur “L’arme du blé”.