Sahel, l’eau au Liptako Gourma

Point d’eau situé dans le village de Dagala au Chad, utilisé par des vaches et les populations nomades, Geneva Water Hub (2017)

Une étude du Geneva Water Hub révèle les stratégies de financement liées à l’eau dans une région fragile du Sahel

Une étude sur le financement des projets liés à l’eau dans la zone fragile du Liptako-Gourma au Sahel a ouvert la voie à un dialogue sur les réponses à apporter à la crise sécuritaire que connait la région. L’étude a pour but de révéler comment les initiatives relatives à l’eau à des fins domestiques et productives sont déployées par le biais de projets de développement et d’actions humanitaires dans des zones fragiles telles que la région du Liptako-Gourma, le tout dans un contexte de détérioration de la situation sécuritaire et de crise humanitaire croissante. L’étude s’appuie sur le constat que l’eau est un besoin prioritaire pour les communautés touchées par les conflits ainsi qu’une clé pour la relance de l’économie rurale. Malgré la forte volonté de la communauté internationale de soutenir les efforts de développement des États de la région et de répondre aux besoins humanitaires, une vision solide et globale du rôle stratégique de l’eau fait toujours défaut.

Pour contribuer à cette entreprise complexe, l’un des principaux objectifs de l’étude était de fournir une vue d’ensemble unifiée de toutes les initiatives liées à l’eau qui étaient en cours dans cette zone fragile en 2020. L’étude a recensé un total de 575 engagements budgétaires dans la zone, soit 218 projets de développement et 357 flux d’aide humanitaire, afin de tirer des conclusions sur les stratégies financières dans le domaine des services et de l’utilisation productive de l’eau. L’étude rend visible le portefeuille de projets des bailleurs de fonds et agences qui s’engagent dans le domaine de l’eau à des fins domestiques et productives dans la région. En outre, l’étude intègre les points de vue de leaders et acteurs locaux sur la crise actuelle, qui ont été recueillis lors d’une réunion stratégique en juin 2021 à Ouagadougou. Ils ont été invités à communiquer leur opinion sur le soutien déjà existant, sur le rôle que l’eau pourrait jouer dans la dynamique intercommunautaire locale, ainsi que sur le rôle en zones fragiles que les communautés locales aspirent à jouer dans la solution à la crise actuelle.

Les chercheurs notent que les projets dédiés à l’eau et à l’assainissement présentent d’importantes disparités géographiques : environ 60% des allocations budgétaires sont destinées à des projets urbains alors que 80% de la population de la région est rurale. Mais au-delà de cette lecture classique de la disparité, ils appellent à une vision plus élaborée des différents points d’eau dans les zones rurales du Sahel, appuyée par des cartographies, afin de mieux comprendre les enjeux hydropolitiques derrière le défi clé de la lutte contre les fragilités socio-économiques et les inégalités locales d’accès aux ressources naturelles et aux services de base, qui alimentent la crise sécuritaire.

Distribution des budgets des projets de développement Eau monosectoriel selon le type d’eau, Geneva Water Hub (2022)

Le développement d’un accès transparent aux informations sur l’aide internationale ainsi que les autres principes-clé de l’efficacité de l’aide internationale constituent un obstacle majeur dans cette optique. Une vision stratégique est nécessaire pour aller au-delà de l’investissement classique dans les grands cours d’eau afin d’englober les eaux souterraines et les eaux de surface semi-permanentes. Cette vision devrait englober les initiatives communautaires de préservation de l’eau, des sols et des forêts afin d’atténuer la période de sécheresse structurelle projetée dans moins d’une décennie. En outre, les cartes stratégiques mettent en évidence la répartition des incidents violents dans cette zone frontalière de déploiement de projets, ce qui appelle à l’opérationnalisation d’un lien entre les acteurs du développement et de l’humanitaire. Les auteurs remarquent qu’en dépit d’un cadre de coordination très fragmenté, des dialogues et des initiatives de ces acteurs sont en cours pour mettre en œuvre des approches novatrices et collaborer pour renforcer les institutions et les prestataires de services de la région dans le but de relever le défi du redressement durable.

Eau puisée d’un puit et tiré par un chameau, Geneva Water Hub (nd.)

Il existe un consensus fort dans la recherche que toute approche doit relever le défi de la cohérence au niveau local en s’appuyant sur les figures clés des communautés locales. Cela serait nécessaire pour rétablir le contrat social entre les populations et faciliter le retour de la présence de l’État sur fond d’échec des politiques de développement, qui ont eu leur part de responsabilité dans le déclenchement de la crise. La coopération dans le domaine de l’eau a le potentiel d’ouvrir le dialogue entre les communautés rivales et d’inciter les États à réinventer leurs politiques de développement à l’aune de ressource vitale et irremplaçable pour les populations et leur économie rurale.

Tobias Schmitz

Rédacteur en chef du média The Water Diplomat

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Lire l’étude: Les stratégies de financements liées à l’eau dans la région du Liptako-Gourma, les enjeux de la coopération entre l’humanitaire, le développement et la paix

Geneva Water Hub

Face à l’urgence, l’art de prolonger l’attente

Suite à la 5e Conférence Nationale Humanitaire, Françoise Bouchet-Saulnier dresse le bilan des avancées obtenues par les organisations humanitaires face aux problématiques du criblage et des sanctions anti terroristes.


La préparation de la 5e CNH avait fait naitre chez les ONG humanitaires un espoir de réponse gouvernementale aux graves enjeux qui minent leur capacité d’action et leur sécurité sur le terrain. L’engagement du chef de l’Etat sur le dossier humanitaire était fort et devait permettre des avancées sur certains dossiers enlisés dans divers arbitrages interministériels.  Cette perspective a conduit à un très fort engagement des ONG pour faire des propositions très abouties sur un nombre limité de dossiers concrets.

 2 dossiers étaient apparus comme prioritaires à tous :

  • Renforcer l’application et le respect du Droit international humanitaire (DIH), qui légitime et sécurise l’action des ONG dans les terrains de conflits marqués par la préférence donnée aux lois anti-terroristes sur le DIH.
  • Lutter contre l’impunité des attaques sur les acteurs humanitaires. Cela signifie concrètement lutter contre la criminalisation de l’action de secours au regard des règles anti terroristes et punir les auteurs d’attaques contre les ONG.

Le rapport inégal entre le droit international humanitaire et le droit anti-terroriste.

Le rapport inégal entre le droit international humanitaire et le droit anti-terroriste repose sur le fait que le DIH est très faiblement inscrit dans le droit national, alors que le droit anti-terroriste y règne en maitre à travers le code pénal et des définitions de crimes très vagues.

Ce constat, et le remède à cette situation, suppose donc une volonté d’action politique capable de renforcer et clarifier le droit national et international applicable aux secours humanitaires et médicaux dans les contextes contre terroristes.

Nous avions proposé dans ce but de réparer un oubli du législateur français en inscrivant la référence au droit international humanitaire dans le code de procédure pénale française (nouvel article 689-15). Cela est légalement indispensable pour permettre aux acteurs humanitaire et aux juges de faire usage du droit international humanitaire en droit français dans leur appréciation des situations concrètes.

Nous avions également proposé l’intégration, dans le code pénal, d’une clause humanitaire au titre des infractions terroristes pour préciser que ces infractions ne s’appliquaient pas à l’action humanitaire impartiale menée dans les pays en conflit, conformément du droit international humanitaire (nouvel article 421-2-9). La proposition de décision ad hoc ou de directive du garde des sceaux nous laisse suspendu à l’arbitraire du cas par cas qui ne peut aucunement garantir notre impartialité, notre neutralité et notre sécurité sur les terrains où nous agissons.

Malgré nos demandes, contributions et attentes, il n’y a donc eu ni débat ni avancées juridiques sur ces sujets concrets. L’aveuglement politico bureaucratique continue d’ailleurs avec une nouvelle ordonnance demandant aux organisations humanitaire de trier les bénéficiaires de secours humanitaires et médicaux au regard des critères anti terroristes.

Sur quelques sujets, les propositions du Président français auront un impact positif pour les ONG.

Sur quelques sujets typiquement politiques, les propositions du Président Français auront un impact positif pour les ONG françaises. On pense notamment à l’annonce bienvenue relatives à l’augmentation du volume financier de l’aide apportée directement par la France ou via des droits de tirage spéciaux. La proposition de créer un poste d’Envoyé spécial auprès du Secrétaire Général des Nations Unies pour la préservation de l’espace humanitaire permettra également, si elle est adoptée au niveau onusien, de donner plus de visibilité à ces questions et de tester le consensus ou dissensus multilatéral qui les entoure.

A l’heure du bilan il nous est encore difficile de savoir si les différentes hiérarchies ministérielles ont fait preuve de trop de prudence et n’ont pas pu proposer au Président de la république les décisions politico-juridiques concrètes et fortes que nous attendions. Il est également possible que le Président ait préféré repousser ces décisions pour s’assurer qu’elles sont effectivement portées par les ONG, les administrations et les parlementaires. Du coté des ONG, nous n’avons pas le choix que de continuer à demander ce qui peut paraitre superflu à Paris mais est vital sur nos terrains d’action.

Françoise Bouchet-Saulnier, Directrice Juridique Internationale de Médecin Sans Frontières

Qui est Françoise Bouchet-Saulnier ?

Françoise Bouchet-Saulnier, docteur en droit et magistrate, est la directrice du département juridique international de Médecins Sans Frontières (MSF).

Elle est l’auteur de nombreux ouvrages et articles sur l’action humanitaire, le droit humanitaire et la justice internationale, notamment le Dictionnaire pratique du droit humanitaire (éd. La Découverte, 4ème édition 2013), traduit en huit langues.

Elle participe à la définition des droits et responsabilités des actions humanitaires et médicales de MSF en situation de crises et de conflit armé concernant le secours général aux populations et le secours médical aux blessés, malades et victimes de violence.

Au cours des 30 dernières années, elle a contribué au développement des politiques, des pratiques et des prises de paroles publiques de MSF sur l’action humanitaire, la défense de l’espace humanitaire, l’accès aux victimes, la protection des populations  face aux crimes de masse, et les enjeux liés aux interventions militaires internationale et à la justice pénale internationale

Mme Bouchet-Saulnier est chargée d’enseignement en master à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, à l’Institut Catholique de Paris et à la Sorbonne. Elle fait également partie du comité éditorial de la Revue internationale de la Croix-Rouge et du comité éditorial des études historiques publiées sur les grandes  « Prises de parole publiques » de MSF.


Pour en savoir plus sur la CNH :

    • Isabelle Moussard, directrice des opérations d’ACF, sur l’impact des régimes de sanction. 1:12:38.