Humanitaire 2021, les chiffres de l’Aide Publique au Développement.

Une vue aérienne montre un camp de Syriens déplacés couvert de neige près de la ville d’Afrin, dans la campagne du nord de la province d’Alep, contrôlée par les rebelles, le 19 janvier 2022. (Photo OMAR HAJ KADOUR / AFP)

À la fin de l’année dernière, les données finales de l’OCDE sur l’Aide Publique au Développement (APD) en 2021 ont été publiées. C’est un long processus qui analyse chaque année plus de 250 000 projets ou allocations rapportées par les bailleurs afin d’être qualifié comme APD. Ce long travail assure la qualité des chiffres et explique pourquoi seules les données de 2021 sont disponibles. Il ne s’agit donc pas là d’un outil de mesure immédiate des réponses aux crises, mais d’un outil permettant d’analyser les tendances sur une base commune.

En 2021 donc, l’ensemble des bailleurs publics et privés, bilatéraux ou multilatéraux rapportant à l’OCDE a dépensé 222 milliards au titre de la coopération au développement, une légère baisse par rapport aux 224 milliards dépensés en 2020. Les 31 membres CAD représentent encore la majorité, ou 61 % de l’APD, avec un effort supplémentaire de leur part en 2021, passant de 129 à 136 4 milliards entre 2020 et 2021.

L’assistance humanitaire est une catégorie de l’APD au même titre que d’autres type d’aide. Cette assistance humanitaire poursuit sa croissance ininterrompue (figure 1), reconnaissant que ces chiffres sont antérieurs au début de la guerre en Ukraine. Il est probable que la part d’aide humanitaire connaisse une augmentation bien plus significative en 2022. Pic passager ou début d’un nouveau plateau, nous verrons.

 

Graphique de l’évolution de l’APD de 2012 à 2023.

L’APD humanitaire globale a augmenté de 6 % entre 2020 et 2021 alors que L’APD des pays du CAD augmentait pour sa part de 20 %. Le CAD demeure donc bien le pilier financier du système humanitaire, finançant 71 % des 33 milliards USD d’APD humanitaire globale. Seulement huit membres du CAD ont couvert 76 % des appels humanitaires consolidés de 2021, reflétant l’extrême concentration de la base financière du système humanitaire. Les appels à élargir cette base ont peu été suivi d’effet. Les bailleurs du Golfe sont les plus impliqués dans un effort humanitaire, avec une aide qui demeure toutefois peu prévisible et géographiquement très liée.
L’aide humanitaire représente désormais 15 % aussi bien de l’APD globale que de celle des pays du CAD, avec de fortes disparités par pays donateur Le tableau ci-dessous indique le montant d’APD total, le montant d’APD humanitaire (décaissements bruts, prix constants, USD 2020), la part d’APD humanitaire pour les membres du CAD et quelques autres, ainsi que le pourcentage d’évolution entre 2020 et 2021.
Cette croissance de l’APD humanitaire est tirée par les États-Unis qui consolident leur place de premier bailleur humanitaire (11,8 milliards), avec une augmentation de 38 % par rapport à 2020. La hausse massive d’APD humanitaire de la part du Japon est notable (+139 % dépassant le milliard USD en 2021).
Pour l’ensemble des bailleurs, la part d’APD humanitaire pour l’Asie – comprenant le Moyen-Orient (16,4 milliards USD) dépasse largement celle allouée à l’Afrique (9 milliards), confirmation d’une tendance longue, même si l’écart se resserre doucement. Les pays du CAD ont alloué pour leur part des montants humanitaires à peu près équivalent à l’Afrique et à l’Asie (7,4 et 7,8 milliards respectivement). Le système multilatéral est plus présent en Afrique (2,3 milliards) qu’en Asie (1,9 milliard) et ce sont bien les bailleurs non-CAD qui avec leur appui au Moyen Orient font la différence géographique (6,7 milliards en Asie contre 73 millions en Afrique).

Jeunes filles afghanes au cours d’une distribution alimentaire. @USAID

Sans surprise, c’est l’Afghanistan qui est le premier récipiendaire d’aide humanitaire globale en Asie centrale, passant de 0,5 à 2 milliards entre 2020 et 2021, questionnant la capacité du système humanitaire à absorber une augmentation de 300 % dans un contexte aussi politiquement et logistiquement contraint que l’Afghanistan. Cette augmentation humanitaire s’inscrit dans le cadre d’une APD globale qui est restée à peu près stable, entre 4 et 4,5 milliards par an depuis 2015. L’assistance humanitaire remplace donc peu à peu le développement lorsqu’il n’y a plus de coopération ou de dialogue possible autour d’objectifs de développement. Ce sont les membres du CAD qui fournissent l’immense majorité de cette aide humanitaire, avec un désintérêt prononcé des bailleurs non-CAD, notamment des bailleurs du Golfe pour l’aide humanitaire dans ce pays.
La Syrie demeure encore en 2021 le premier récipiendaire d’une aide humanitaire qui commence pourtant à refluer, passant d’un pic historique de 9 milliards en 2020 à 7 milliards en 2021. Contrairement à l’Afghanistan ou des projets d’infrastructure étaient encore en œuvre début 2021, 90 % de l’APD en Syrie est déjà humanitaire, il ne reste plus que des projets résiduels de développement. Ici, les bailleurs non-CAD sont très présents, avec 5,4 milliards USD en 2021, bien au-dessus du 1.5 milliard des pays du CAD.

La part d’aide humanitaire en Europe (1 milliard USD), consistait en 2021 quasi exclusivement de l’aide aux réfugiés en Türkiye (0,8 milliard). L’aide humanitaire à l’Ukraine avait augmenté en 2015 (298 millions) puis avait décru régulièrement jusqu’à atteindre 137 millions en 2021.
L’APD humanitaire globale à l’Afrique s’élève à 9,8 milliards en 2021, une augmentation de 17 % par rapport à 2020. Les principaux pays bénéficiaires restent les mêmes, avec une hausse significative en Éthiopie, de 770 millions en 2020 à 1.3 milliards en 2021. L’aide humanitaire en Somalie (668 millions), au Sud Soudan (990 millions), au Mali (179 millions USD) décline très légèrement, et augment légèrement au Niger (224 millions USD).
Un fait marquant pour l’ensemble du secteur est l’augmentation massive des projets régionaux entre 2020 et 2021, de 99 à 220 millions en Afrique, de 125 à 415 millions en Amérique du Sud, de 10 à 208 millions USD en Asie centrale ou de 98 à 238 millions au Moyen orient. Ce phénomène rend compte des difficultés à intervenir directement au cœur des crises mais aussi du nombre décroissant de déplacements forcés dans les régions limitrophes des crises.

Au cours des dernières années, l’assistance humanitaire est devenue pour les bailleurs un outil des plus importants de réponse aux crises, dans les pays où il n’y a plus vraiment de coopération, c’est-à-dire pas de dialogue politique entre les bailleurs de fonds et des pays qui sont désormais moins des « pays partenaires » qu’une source d’inquiétude politique, sécuritaire et migratoire. Que faire alors dans des pays qui rejettent de plus en plus ouvertement le modèle de développement et les « valeurs » proposées par un nombre somme toute limité de pays qui tiennent le système de développement à bout de bras. Question difficile, réponse impossible, ce qui explique le soutien plus ou moins direct aux populations au moyen de l’aide humanitaire, en prétendant qu’elle est neutre et ne porte pas avec elle un corpus de valeurs occidentales tout de même assez marqué.

Cyprien Fabre.

Cyprien Fabre est le chef de l’unité « crises et fragilités » à l’OCDE. Ancien volontaire de Solidarités, puis responsable de plusieurs bureaux pour la DG ECHO, Il rejoint l’OECD en 2016 pour analyser l’engagement des membres du Comité d’Aide au Développement dans les pays fragiles et affiner la contribution de l’aide au développement aux objectifs de paix dans les contextes de crise.

L’aide humanitaire, 31 milliards en 2020

Lancement d’une campagne de nutrition au Sud-Soudan avec l’UNICEF et le PAM, 2015. Credit: UN Photo/JC McIlwaine (CC BY-NC-ND 2.0)

Les chiffres de l’aide Publique au Développement pour 2020 sont maintenant disponibles.

2020 ? Pour des opérateurs humanitaires habitués à l’immédiateté, sortir les chiffres de 2020 mi – 2022 peut paraître risible. On peut d’ailleurs trouver des données plus immédiates ailleurs, comme le Financial Tracking System (FTS) d’OCHA.

Mais l’OCDE ne travaille pas sur l’immédiateté, plutôt sur la qualité et la comparabilité des données entre les pays. Chacun des trente membres du Comité d’Aide au Développement (CAD, ou DAC en Anglais) rapporte chaque projet d’aide au développement à l’OCDE, et chacune de ces données, pour chaque contrat signé, est analysée pour s’assurer que la dépense correspond bien à la définition de l’Aide Publique au Développement (APD, ou ODA en Anglais). C’est un travail immense, qui assure l’intégrité des chiffres d’APD depuis sa création en 1969. L’assistance humanitaire est une partie de l’APD parmi de nombreuses autres, et même si les définitions s’adaptent, c’est généralement sur le temps long qu’il faut lire ces chiffres.

2020, donc. La pandémie de Covid commençait juste. Les Nations unies lançaient un appel de fond à hauteur de 9,5 milliards de dollars en même temps que de nombreuses opérations humanitaires étaient gelées. L’Ukraine n’était que le 26ème récipiendaire des fonds humanitaires des Nations unies, et de nombreuses questions se posaient. Pourquoi tant d’argent demandé si autant de programmes sont bloqués ? Qu’allait-il se passer, les bailleurs allaient-ils détourner leurs budgets d’aide au profit d’une réponse économique et sociale à domicile? Il n’en a rien été, et l’APD totale a encore augmenté en 2020, passant de 196 milliards de dollars en 2019 à 224 milliards en 2020. 60% de ce montant provient des 30 membres du CAD. Les chiffres préliminaires pour 2021 suggèrent déjà une nouvelle augmentation.

Pour les bailleurs, les dépense d’aide humanitaire sont une partie de l’Aide Publique au Développement. En 2020, la part d’aide humanitaire des membres du CAD s’élève à 31,2 milliards de dollars. Cela représente 13% de l’APD totale. De manière logique puisque ce sont dans ces contextes que l’aide humanitaire est mobilisée le plus, la part humanitaire représente 25% de l’aide dans les pays fragiles. C’est une moyenne et la part d’aide humanitaire varie beaucoup d’un pays à l’autre (tableau 1). Moins de 1% de l’APD française est allouée à l’aide humanitaire, une baisse depuis 2019, alors que plus de 28% de l’aide américaine est humanitaire. La tendance globale est haussière, donc, pour l’aide humanitaire (figure 1)

Source : OECD Creditor Reporting System, Creditor Reporting System (CRS) (oecd.org)

En 2020, 43% de cette aide humanitaire a été délivrée dans la région Moyen Orient, Afrique du Nord, et 26% en Afrique sub-saharienne. Cela se reflète dans la part des bailleurs ‘non traditionnel’ c’est-à-dire qui ne font pas partie du Comité d’Aide ou Développement et ne suivent pas ses règles. Ce sont principalement des bailleurs du Golfe et de la Turquie, dont l’aide cible plus précisément des crises spécifiques, la Syrie surtout et le Yémen ensuite, avec des variations annuelles de plus grande amplitude, moins de prévisibilité donc. (Figure 2). Il n’est pas sûr que la part des bailleurs non DAC financent de l’aide en Ukraine, ni qu’ils pallient la part d’aide à l’Ukraine de la part des membres du CAD qui n’ira pas à d’autres crises.

Source : OECD Creditor Reporting System, Creditor Reporting System (CRS) (oecd.org)

En 2020, 33% de cette aide humanitaire est mise en œuvre par des ONGs, internationales ou nationales. Si l’aide distribuée par les ONG augmente en valeur absolue, avec 6,4 milliards de dollars en 2020, le pourcentage a tendance à diminuer sur le long-terme, il était de 41% en 2002. C’est ainsi pour les ONG un effet de l’augmentation générale de l’aide humanitaire, qui tend à favoriser les grosses allocations à ceux qui peuvent les absorber le mieux. Pour un bailleur qui est tenu à une rigueur budgétaire avec des effectifs contraints, la capacité d’absorption comprend aussi sa propre capacité administrative à émettre des contrats, et cette capacité ne fait que diminuer, au détriment des ONG et plus encore des ONG nationales. Figure 3)

Source : OECD Creditor Reporting System, Creditor Reporting System (CRS) (oecd.org)

La part croissante d’aide humanitaire en valeur absolue autant qu’en pourcentage de l’aide pose plusieurs questions. Un élément important des discussions est que cette augmentation continue des besoins, et donc des financements humanitaires n’est pas soutenable dans la durée, d’autant plus qu’il y aura toujours plus de besoins que de financement pour y répondre. Les crises sont moins meurtrières que quelques décennies auparavant, mais elles sont plus nombreuses. et il est donc normal que la pression sur l’assistance humanitaire croisse en conséquence. Les crises semblent également de plus en plus couteuses. Le flash appeal des nations unies pour l’Ukraine demande 2,25 milliards de dollars pour six mois d’opération dans une région sans problème logistiques majeurs. Plus de 12 millions de dollars par jour, en plus de la réponse des gouvernements voisins, Pologne en tête, pour accueillir les réfugiés. Pour comparer, les cinq ans de la guerre en Bosnie entre 1991 et 1995 ont coûté à son principal opérateur humanitaire un peu plus d’un milliard de dollars de l’époque – environ deux milliards de nos jours.

Rapporté au 57 pays les plus fragiles, l’aide humanitaire, qui représentait 11% de l’aide totale en 2002 en représente aujourd’hui 25%. Que nous dit cette croissance du secteur humanitaire ?

Le plus gros de cette aide est mobilisée dans des contextes de conflit. C’est une tendance qui reflète en partie l’impossibilité pour la « communauté internationale » de prévenir des conflits, ou à tout le moins de transformer les conflits en violence. D’ailleurs on le voit de plus en plus chaque jour, la liste des valeurs communes qui fondait le concept de communauté internationale s’étiole rapidement. Les Nations Unies ne sont plus à même tenir le rôle qui justifiait leur création – préserver la paix – et, spectateur impuissant d’un monde qui change, l’organisation s’est donc transformée en organisation humanitaire géante. La guerre en Ukraine, inattendue, joue le rôle du tremblement de terre qui libère soudainement des années de tensions géopolitiques accumulées, et nous n’avons probablement pas fini d’en subir les répliques.

Cyprien Fabre

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Cyprien FABRE

Cyprien Fabre est le chef de l’unité « crises et fragilités » à l’OCDE. Après plusieurs années de missions humanitaires avec Solidarités, il rejoint ECHO, le département humanitaire de la Commission Européenne en 2003, et occupe plusieurs postes dans des contextes de crises. Il rejoint l’OECD en 2016 pour analyser l’engagement des membres du DAC dans les pays fragiles ou en crise. Il a également écrit une série de guides “policy into action” puis ”Lives in crises” afin d’aider à traduire les engagements politiques et financiers des bailleurs en programmation efficace dans les crises. Il est diplômé de la faculté de Droit d’Aix-Marseille. 

 


Tableau 1 : Aide Publique au développement 2020 et Aide humanitaire

million de dollar 2020, APD brut, déboursement

Membre du Comité d’Aide au Développement Aide Publique au Développement 2020 (USD million) Aide humanitaire 2020 (USD million) Part d’aide humanitaire de l’APD totale (%)
Total CAD 152 895.09 19 775.44 12.93
Australie 2 318.95 232.88 10.04
Autriche 568.21 55.68 9.8
Belgique 1 175.95 186.89 15.89
Canada 3 917.17 578.87 14.78
Republic Tcheque 72.7 19.03 26.18
Danemark 1 718.5 368.49 21.44
Institutions UE 23 977.1 2 534.8 10.57
Finlande 656.94 90.8 13.82
France 13 088.23 124.29 0.95
Allemagne 25 878.79 1 961.46 7.58
Grèce 84.78 4.21 4.96
Hongrie 225.93 7.65 3.39
Islande 46.13 4.03 8.74
Irelande 521.95 123.24 23.61
Italie 1 403.01 173.29 12.35
Japon 16 886.07 451.19 2.67
Korée 1 925.23 1925.23 6.76
Luxembourg 314.81 61.07 19.4
Pays-bas 3 748.29 342.58 9.14
N.Zélande 433.41 27.33 6.31
Norvège 3 168.32 473.12 14.93
Pologne 233.06 37.07 15.9
Portugal 230.37 6.18 2.68
Répubique Slovaque 37.35 1.4 3.74
Slovénie 31.15 1.82 5.83
Espagne 1 036.17 111.61 10.77
Suède 3 618.25 551.05 15.23
Suisse 2884.7 589.4 20.43
Royaume Uni 12 381.1 12 381.1 15.86
U.S. 30 312.46 8 562.12 28.25

 

Source : OECD Creditor Reporting System, Creditor Reporting System (CRS) (oecd.org)