L’humanitaire face au dérèglement géopolitique généralisé

Château d’eau endommagé, 2021, Gaza Crédits : Robin LloydECHO

L’humanitaire que nous connaissons aujourd’hui et depuis des décennies va-t-il succomber à la multiplication des conflits, au terrorisme comme au retour de la guerre de haute intensité sur fond de fragmentation-recomposition du monde et du retour des peuples, des nations et des empires.

L’humanitaire dont nous parlons ici est celui de l’accès des victimes des conflits, catastrophes et grandes épidémies aux secours dont ils ont un urgent besoin pour vivre. Cet humanitaire est celui des principes de neutralité politique, de l’impartialité de l’aide fondée sur les seuls besoins sans distinction d’aucune sorte ainsi que de l’indépendance des ONG à l’égard des acteurs politiques. Enfin, notre humanitaire est celui du Droit International humanitaires (DIH) qui a pour objectif de règlementer et au fond d’humaniser le déroulement des guerres.

La guerre aujourd’hui change-t-elle les conditions de l’action humanitaire ?

Que constatons-nous aujourd’hui ? Nous voyons d’une part une expédition sanglante du Hamas aller massacrer des civils israéliens, enlever des otages et d’autre part l’Etat D’Israël, qui a le droit de se défendre, employer des moyens militaires massifs sur le territoire minuscule de Gaza ou combattants et population palestinienne sont très imbriqués au prix de nombreuses victimes civiles. Le DIH risque bien de se perdre si on ne revient pas à minima à un approvisionnement régulier de la population et des hôpitaux, avec des zones de sécurité sures, sans parler de la protection des otages et des civils.

En Ukraine, nous avons vu la Russie, membre permanent du Conseils de sécurité de l’ONU, envahir un pays aux frontières internationalement reconnues, au nom d’une guerre de reconquête préventive, générant des crimes contre l’humanité, une guerre de très haute intensité, ainsi qu’une certaine incompréhension de la neutralité comme de l’impartialité des secours. La guerre dure, les Ukrainiens sont la première réponse à leurs propres besoins, les territoires séparatistes de la Crimée, de Donetsk et de Louhansk à l’est du pays sont inaccessibles aux humanitaires qui, par ailleurs, doivent encore et toujours démontrer leur raison d’être et leur plus-value.

En Afghanistan, après 20 ans de guerre des Etats-Unis et de l’OTAN contre les Talibans afghans, ceux-ci l’ayant finalement emporté, imposent la charia et conduisent les humanitaires à devoir choisir entre secours pour des millions d’Afghans face à la famine et respect des droits humains de ces mêmes Afghans, singulièrement des Afghanes. Chacun détermine son action en fonction de la priorité de son mandat !

Sur la route de l’exode forcé de plus de 100 000 Arméniens du Haut-Karabagh vers l’Arménie. @Twitter

Dans le Caucase du sud, nous avons vu un Etat, l’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie et par une Russie passive, imposer un blocus total durant 9 mois à 120.000 Arméniens du Haut-Karabakh ou Artsakh qu’aucune organisation humanitaire ne pouvait plus secourir. Puis lancer une attaque éclair pour les chasser en quelques jours de leur terre ancestrale en violation du DIH et des négociations qui avaient alors lieu. L’enjeu de l’aide internationale est déterminant maintenant pour l’Arménie elle-même menacée.

Nous pourrions multiplier les exemples à d’autres régions comme dans le cas de pays du Sahel qui exportent une déstabilisation à tout l’ouest de l’Afrique ou encore à l’Asie Pacifique en voie de militarisation accélérée autour de Taïwan. Il n’est pas non plus nécessaire d’examiner en détail le Moyen-Orient au bord de l’explosion à partir de l’épicentre de Gaza qui est tout à la fois un révélateur et un accélérateur des antagonismes. Ce n’est un mystère pour personne que de constater que l’offensive sanglante du Hamas est une guerre par procuration entre l’Iran et les pays arabes visant à faire échouer les Accord d’Abraham entre Israël et ces pays Arabes sur fond de cause palestinienne.

De 1980 à 2023, quel changement d’époque ?

La guerre n’est pas nouvelle, ni le terrorisme, ni les crimes de guerre, ni même les génocides. Ce qui change en revanche c’est cette multiplication des guerres sur fond de recomposition conflictuelle du monde et l’affaiblissement manifeste de l’ONU.

Dans les années 1980, au temps du conflit Est-Ouest, les guerres se déroulaient pour l’essentiel à la périphérie des « deux grands ». Nous avions affaire à des « petites guerres » sans fin où les humanitaires ont alors trouvé leur place entre légitimité de la solidarité et nécessité des secours dans des pays pauvres peu structurés et en guerre civile. Ce type de situation existe encore mais il n’est plus le seul modèle.

De surcroit, ce qui complique toute approche binaire entre guerre injuste et paix juste, c’est la théorie de la guerre dite juste qui répond à des critères énoncés depuis l’antiquité romaine par Cicéron, puis par Saint Thomas d’Aquin au Moyen-Age jusqu’aux Conventions de Genève de l’après-seconde guerre mondiale. Et de bien distinguer en latin le « jus ad Bellum » sur les causes justes d’une guerre, le « jus in Bello » sur les comportements justes et le « jus post Bellum » sur les accords de paix équitables. Sans oublier le devoir de résistance, développé par les partisans du devoir d’ingérence comme Bernard Kouchner.

Des soldats de l’armée irakienne patrouillent dans les rues le 1er mars 2006 à Mossoul, en Irak, à l’appui de l’opération Iraqi Freedom pour reprendre la ville contrôlée par Daech. (Photo de l’armée américaine par Spc. Clydell Kinchen)(Photo de l’armée américaine par Spc. Clydell Kinchen)

En 2023, nous vivons un double mouvement de fond qui se superpose. Il y a le foyer actif du terrorisme porté par des minorités agissantes de l’islamisme le plus radical. Il y a simultanément une puissante aspiration à un monde multipolaire de ce que l’on nomme le sud global qui s’affirme face au monde dit occidental et ses valeurs et qui pourrait affaiblir le DIH si nous ne savons pas le promouvoir comme une valeur commune pour tous sans distinction. Si l’on veut éviter le risque d’une guerre des civilisations, il va falloir trouver une alternative commune à des civilisations distinctes.

Le danger d’une politisation de l’humanitaire.

Dans ce contexte extrêmement déstabilisant pour le monde humanitaire, certains pourraient avoir la tentation dangereuse de politiser l’humanitaire pour faire valoir leurs propres préférences personnelles et promouvoir tel ou tel système de pensée ou idéologie. Nous devons les mettre en garde de s’imposer à eux-mêmes la critique récurrente qu’ils opposent aux Etats ou organisations internationales quand ils les accusent d’instrumentaliser parfois l’aide humanitaire à des fins politiques.

Pour celles et ceux qui souhaiteraient néanmoins poursuivre dans cette voie partisane, il me semble que le chemin le plus court serait de s’engager politiquement sans utiliser un paravent humanitaire qui aurait tout à perdre en légitimité, en cohérence et en confiance, notamment auprès de leurs partenaires et des opinions publiques, ici comme sur le terrain. Sans même parler des divisions internes que cela générerait au sein de chaque organisation et de la communauté humanitaire elle-même.

Henri Dunant
“Un souvenir de Solférino”

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Poursuivre dans la voie humanitaire dite « dunantiste » en référence au fondateur de la Croix Rouge, Henri Dunant, lors de la bataille de Solférino en 1859, qui fonde les principes humanitaires déjà évoqués (humanité, neutralité, impartialité, indépendance), ce qui ne nous dispense pas de réfléchir à ce que les Allemands appellent « zeitenwende » ou changement d’époque et ses conséquences sur les nouveaux contextes conflictuels de l’aide humanitaire.

La nécessité de s’adapter sans se renier.

Cela ne dispense pas non plus les humanitaires de faire leur « aggiornamento » et d’évaluer leurs limites comme force de proposition, d’influence et d’efficacité au service des populations en danger. Le système humanitaire lui-même semble atteindre des limites, connait des contraintes à l’utilité discutable, est l’objet d’« injonctions contradictoires », est victime de la bureaucratie, d’une normalisation devenue folle et tuant l’initiative, exacerbe souvent la concurrence plutôt que de promouvoir la complémentarité !

Dans cette revue en ligne « Défis Humanitaires », nous avons engagé cette réflexion et nous allons la poursuivre comme avec cet éditorial qui y participe.

Ainsi, je crois que le respect de valeurs dites universelles peut et doit être compatible avec le respect de la diversité humaine qui est une richesse. Diversité des peuples et des cultures qui veulent être reconnues et respectées et dont les plus minoritaires sont par définition les plus menacées de disparition ou d’oppression. On protège bien et à raison la biodiversité. Protégeons également l’humanité une et diverse.

L’humanitaire est plus que jamais nécessaire pour sauver de plus en plus de vies menacées. La ligne de crête humanitaire est toujours la voie de l’engagement humaniste, de l’impartialité, de la prise de risque pour permettre l’accès des populations en danger aux secours.

La situation humanitaire internationale comme les modalités de son action seront au cœur de la 5ème Conférence Nationale Humanitaire (CNH) qui se tiendra à Paris et qui sera l’occasion de présenter la 3ème édition de la Stratégie Humanitaire de la France pour la période 2023 – 2027.

Alain Boinet.

Président de Défis Humanitaires.

 

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Alain Boinet

Alain Boinet est le président de la Revue en ligne Défis Humanitaires www.defishumanitaires.com  et le fondateur de l’association humanitaire Solidarités Humanitaires dont il a été directeur général durant 35 ans. Par ailleurs, il est membre du Groupe de Concertation Humanitaire auprès du Centre de Crise et de Soutien du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, membre du Conseil d’administration de Solidarités International, du Partenariat Français pour l’eau (PFE), de la Fondation Véolia, du Think Tank (re)sources.

 

 

Découvrez l’édition 82 de Défis Humanitaires :

 

La lutte contre la résistance aux antimicrobiens

A quelles conditions la « promotion de la santé » peut être efficace ?

Ammouna et son fils à l’hôpital de Zahlé © Mohammad Ghannam MSF octobre 2020

Considérée par l’OMS comme une des plus grandes menaces pour la santé publique, la RAM peine pourtant à être prise en charge par les autorités sanitaires. Les activités de promotion de la santé menées par les ONGs peuvent-elles changer la donne ? Cette politique se heurte à de sérieuses difficultés de mise en application.

La résistance aux antimicrobiens (RAM ou AMR en anglais pour antimicrobial resistance) est identifiée par l’OMS comme l’une des dix plus grandes menaces pour la santé publique[1]. Ce phénomène « survient lorsque les bactéries, les virus, les champignons et les parasites évoluent (…) et ne réagissent plus aux médicaments rendant plus difficile le traitement des infections »[2]. Certains rapports[3] font état de 700 000 décès annuels dans le monde dus à des infections résistantes.

En février 2022, une étude parue dans The Lancet estimait à 4,95 millions le nombre de décès associés à la résistance aux antimicrobiens en 2019 (Laxminarayan, 2022). Face à ce constat alarmant, comment combattre ce fléau ? Et quel rôle détiennent les acteurs de la santé mondiale ? Par intérêt personnel, j’ai souhaité me concentrer sur les organisations non gouvernementales (ONG) et questionner la façon dont ces dernières intègrent la problématique de la RAM à leurs opérations et à leur plaidoyer.

Dans le cadre de mon master en Anthropologie de la Santé à l’Université d’Aix-Marseille et avec le soutien de l’unité de recherche opérationnelle de Médecins Sans Frontières (MSF) Bruxelles (LuxOR, Luxembourg Operational Research), j’ai développé une recherche sur les activités conduites par MSF pour limiter l’émergence d’infections résistantes. Pour la mener à bien, je suis partie trois mois au Liban au sein de la Middle East Medical Unit (MEMU), unité médicale de MSF qui soutient le travail sur la RAM dans tous les projets de l’organisation.

Selon la méthode ethnographique, j’ai mené des observations lors des « AMR days », un événement interne à MSF sur la RAM, lors de diverses réunions du MEMU et au sein de Bar Elias, un hôpital de MSF situé dans la plaine de la Beqaa, dans la partie Est du Liban. Les équipes de l’hôpital avaient mis en place un « full package AMR », c’est-à-dire qu’ils avaient mis en œuvre des activités de prévention et contrôle des infections (IPC, infection prevention and control), de suivi des prescriptions antibiotiques (antibiotic stewardship) et avaient accès à un laboratoire de bactériologie. J’ai aussi mené plus d’une trentaine d’entretiens semi-directifs avec des membres de MSF travaillant sur la RAM au siège et dans les projets.

Le présent article porte sur l’un des aspects de la recherche développé dans mon mémoire (Trentesaux, 2023) : le rôle de la promotion de la santé pour limiter l’émergence de résistances. Je définirai dans un premier temps ce qu’est la promotion de la santé pour MSF et l’apport qu’elle peut avoir pour lutter contre la RAM. Dans un second temps, en m’appuyant sur les données collectées lors de mon terrain de recherche, je proposerai une réflexion sur les difficultés à mettre en œuvre des activités de promotion de la santé dans le cadre de la Global Health[4]. Finalement, je soulignerai les limites des approches qui se focalisent sur les changements de comportements individuels.

1. La promotion de la santé et son apport pour la lutte contre la RAM

« Je pense que c’est énorme [le rôle de MSF envers la communauté]. Je pense que l’éducation des patients est l’une des plus grandes lacunes dans n’importe quel pays, dans n’importe quelle situation de santé, et je pense qu’elle peut avoir un impact énorme sur les soins de santé et sur une communauté, même juste sur les raisons de base pour aller à l’hôpital, les raisons de ne pas aller à l’hôpital, ce sont des principes de base. Comment prendre soin de soi à la maison, comment respecter l’hygiène à la maison. Ces questions ont des répercussions considérables. » (Personnel médical de MSF)

Ce verbatim souligne l’importance accordée à la promotion de la santé au sujet de la RAM par les personnels de MSF que j’ai rencontrés lors de ma recherche. Beaucoup d’entre eux considèrent que MSF doit mener des actions d’éducation envers les personnels de santé pour améliorer les prescriptions médicamenteuses mais aussi envers les patients et la population auquel le projet s’adresse.

Les activités de promotion de la santé[5] chez MSF ciblent les patients qui fréquentent les structures de soins de l’organisation. Les sessions de promotion de la santé ont le plus souvent lieu dans les salles d’attente des cliniques et hôpitaux et couvrent plusieurs sujets médicaux choisis parmi ceux couverts par la stratégie médicale du projet. Comme indiqué dans les documents de promotion de la santé que j’ai consultés (ABR-HP Strategic Guidance Paper-MSF OCB, 2020 ; HP role poster, documents internes), l’objectif est de responsabiliser (« empower ») les patients pour qu’ils exercent un meilleur contrôle sur leur santé. Les sessions visent un changement de comportement.

On retrouve ici l’idée selon laquelle la RAM est en grande partie due à des comportements individuels, des « mauvaises prescriptions » et une « surconsommation » d’antibiotiques. Il est toutefois important de noter dès à présent que ces comportements ne sont pas les seuls facteurs favorisant l’émergence de résistances. Des facteurs structurels tels que l’accès à l’eau propre et à des services d’assainissement, l’accès à des médicaments de qualité à temps et à des mesures adéquates de prévention et de contrôle des infections sont des éléments déterminant dans la lutte contre la RAM.

2. Les difficultés à mettre en œuvre des activités de promotion de la santé

Certains promoteurs en santé avec lesquels j’ai échangé ont souligné un manque de reconnaissance de leur travail par le personnel médical. Ils ont expliqué faire face à des médecins qui se concentrent sur le corps malade du patient, sur sa maladie ou son problème de santé sans prendre en compte son histoire, l’environnement dans lequel le patient évolue et les difficultés qu’il peut rencontrer. Autrement dit, les promoteurs en santé se heurtent à une vision non-holistique du patient portée par certains médecins. Cette conception s’inscrit dans une approche de la santé qui tend à considérer davantage l’aspect physique et biologique de la personne que son existence sociale et historique. Ces idées ont notamment été développées par Didier Fassin (2000) qui élabore le terme de « biolégitimité » pour décrire cette logique selon laquelle le corps prime sur la personne.

Pour autant, les médecins que j’ai rencontrés ont tous souligné l’intérêt des activités de promotion de la santé tout en reconnaissant travailler peu avec les équipes de promotion de la santé.

« On ne peut pas mesurer l’impact concret et tangible des activités de promotion de la santé donc c’est plus difficile à vendre en interne. » (Personnel de MSF, promoteur en santé)

La deuxième difficulté soulevée par les promoteurs en santé est liée à la place prise par l’évaluation quantitative des interventions dans la Global Health. Ce mouvement a été décrit précisément par l’anthropologue Vincanne Adams (2016 ; in. Biehl & Petryna, 2013). Cette dernière montre que la méthodologie de l’évaluation prend le pas sur la finalité de l’intervention – l’intervention en santé est dite réussie parce que son évaluation a été menée selon les critères prédéfinis plutôt qu’à l’aune des effets propres à l’intervention. La chercheuse souligne également que l’importance des données quantitatives influence non seulement la façon dont les projets sont évalués mais aussi ce qui est évalué et donc le type d’intervention mis en œuvre. Ce constat est partagé par certains enquêtés qui avancent que les activités de promotion de la santé ont tendance à être laissée de côté car leur impact n’est pas facilement mesurable.

3. Les limites des approches se focalisant sur le changement des comportements individuels

Il me semble nécessaire de clore cet article avec quelques remarques de précaution quant aux approches prônant des changements de comportements individuels. S’il est primordial de donner au patient les clés pour prendre soin de sa santé, il faut aussi noter que le lien entre connaissance et changement de comportement est loin d’être automatique (Willis & Chandler, 2018 ; Yoder, 1997). De plus, il est important de ne pas sur-responsabiliser l’individu comme s’il était le seul maître de sa santé alors que cette dernière est largement influencée par des éléments qui ne sont pas contrôlés par ce seul individu. L’individualisation de la prise en charge de la santé tend à réduire la responsabilité qui incombe au collectif et à l’état, comme cela a pu être montré par João Biehl (2009) dans son travail sur les politiques de santé brésiliennes sur le VIH. D’autres auteurs (Musso & Nguyen, 2013 ; Hunsmann, 2013) soulignent également le risque de dépolitisation de la santé qui devient une problématique purement individuelle sur laquelle l’état n’aurait plus prise.

Ces limites sont reconnues par les promoteurs en santé que j’ai rencontrés. Ils appliquent le modèle socio-écologique afin de prendre en compte les déterminants sociaux et institutionnels qui influent sur la santé des individus. Les participants à la recherche appellent aussi à la mise en place d’interventions pour limiter la RAM telles que l’amélioration de la qualité des interventions médicales ou le plaidoyer auprès des autorités de santé pour qu’elles se saisissent du sujet.

 

Pour conclure, la promotion de la santé est considérée par les personnels de MSF que j’ai rencontrés comme un moyen de lutter contre la RAM. La mise en place des interventions de promotion de la santé se heurte à une approche de la médecine qui se concentre sur le corps souffrant aux dépens de l’histoire du patient et à une nécessaire évaluation quantitative de l’impact bien que cela soit difficilement applicable à des activités visant un changement de comportement sur le temps long.

Ces obstacles poussent à réfléchir aux façons d’améliorer le travail collectif entre les personnels médicaux et sociaux dans les projets des ONGs. D’autre part, cette étude nous invite à repenser la place accordée aux données quantitatives comme seules preuves acceptables du succès d’une intervention. Finalement, pour ce qui est de la résistance aux antimicrobiens, si l’éducation des personnels médicaux et des patients est réellement importante, elle doit être complétée par des interventions qui ciblent les facteurs structurels de la RAM et non seulement les comportements individuels.

 

Madeleine Trentesaux

Après des études d’anthropologie puis de politiques humanitaires à Nanterre Université et Sciences Po Paris, Madeleine Trentesaux s’est spécialisée en anthropologie de la santé et dans l’évaluation des politiques de développement à l’échelle locale. Elle a réalisé au printemps 2023, avec la Fondation Mérieux et Médecins Sans Frontières (MSF), une étude de terrain relative aux pratiques de lutte contre la résistance aux antimicrobiens au Liban. Madeleine Trentesaux collabore en parallèle avec diverses organisations du secteur de la santé sur des missions de recherche.

 

 

Retrouvez Madeleine Trentesaux :

Sur LinkedIn : www.linkedin.com/in/madeleine-trentesaux-1257a8185

Sur Défis Humanitaires : Comment mieux marier anthropologie et action humanitaire ?

 

[1] « Résistance aux antimicrobiens », WHO, https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/antimicrobial-resistance, consulté le 20 octobre 2023.

[2] Ibid.

[3] “Tackling drug-resistant infections globally: final report and recommendations”, 2016, Jim O’Neill, Accessible ici : https://amr-review.org/ consulté le 20 octobre 2023.

[4] La Global Health est le régime de gouvernance de la santé publique internationale qui date des années 2000. Il est caractérisé par une vision biomédicale de la santé, un fort ancrage dans l’économie néolibérale et par l’importance de la preuve scientifique. Mon premier mémoire revient en détail sur la définition de la Global Health (Trentesaux, 2022).

[5] Les grands principes de la promotion de la santé sont édictés par la Charte d’Ottawa en 1986 qui la définit comme suit : « La promotion de la santé est le processus qui confère aux populations les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé, et d’améliorer celle-ci » (Charte d’Ottawa, 1986, accessible ici : https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/promotion-sante/sante-population/charte-ottawa-promotion-sante-conference-internationale-promotion-sante.html, consulté le 19 octobre 2023).

Bibliographie

Adams, Vincanne, 2016, Metrics: What Counts in Global Health, Critical Global Health – Evidence, Efficacy, Ethnography. Durham: Duke University Press, 258 p.

Adams, Vincanne, « Evidence-Based Global Public Health », In Biehl, João & Petryna, Adriana (dir.), When People Come First: Critical Studies in Global Health, Princeton University Press, pp. 54-90.

Biehl, João, 2009, « Accès au traitement du sida, marchés des médicaments et citoyenneté dans le Brésil d’aujourd’hui », Sciences sociales et santé, Vol. 27, no 3, pp. 13‑46.

Fassin, Didier, 2000, « Entre politiques du vivant et politiques de la vie », Anthropologie et Sociétés – Érudit, Vol. 24, n°1, pp. 95-116.

Hunsmann, Moritz, 2013, « Depoliticising an Epidemic – International AIDS Control and the Politics of Health in Tanzania » [Thèse de doctorat], École des Hautes Études en Sciences Sociales ; Albert-Ludwigs-Universität DEeiburg, 391 p.

Laxminarayan, Ramanan, 2022, « The Overlooked Pandemic of Antimicrobial Resistance », The Lancet, Vol. 399, no 10325, pp. 606‑607.

Musso, Sandrine & Nguyen, Vinh-Kim, 2013, « D’une industrie… l’autre ? », Genre, sexualité & société, no 9, pp. 1-10.

Trentesaux, Madeleine, 2022, « Quand le social construit les politiques publiques de santé à l’échelle globale. L’exemple de la résistance aux antimicrobiens », Mémoire de Master, Département d’anthropologie, Aix-Marseille Université, 113 p.

Trentesaux, Madeleine, 2023, « « On a besoin de cette passion pour la résistance aux antimicrobiens, comme on a eu pour le VIH ou la tuberculose » – Une étude anthropologique sur l’intégration de la résistance aux antimicrobiens dans les activités de Médecins Sans Frontières et de la Fondation Mérieux au Liban. », [Mémoire de master], Département d’anthropologie, Aix-Marseille Université, 145 p.

Willis, Laurie Denyer et Chandler, Clare, 2018, « Anthropology’s Contribution to AMR Control » [en ligne], AMIS, [consulté le 1 juin 2023], URL : https://antimicrobialsinsociety.org/essential-reading/anthropologys-contribution-to-amr-control/.

Yoder, P. Stanley, 1997, « Negotiating Relevance: Belief, Knowledge, and Practice in International Health Projects », Medical Anthropology Quarterly, Vol. 11, no 2, pp. 131‑146.

 

Cet article se fonde sur une recherche validée par le comité d’éthique de MSF et un comité d’éthique national.