Impact humanitaire : comment conjuguer qualité et innovation ?

RCA – distribution alimentaire dans le cadre du mécanisme de réponse d’urgence – 2021

Afin de couvrir au mieux les besoins des populations affectées par une crise, Solidarités International (SI), s’efforce de mettre en œuvre quotidiennement des solutions qualitatives et innovantes. La Direction des Opérations Adjointe aux Programmes (DOAP) est garante de l’équilibre optimal entre qualité et innovation programmatique : renforcer la qualité des programmes mis en œuvre et développer de nouvelles modalités d’intervention et des activités adaptées sont la clef de l’agilité et la durabilité des réponses mises en œuvre.

1/ Quels sont les leviers qualitatifs les plus efficaces pour améliorer les programmes et la mise en œuvre des activités ?

La DOAP dispose de plusieurs leviers qualitatifs sur lesquels agir afin de garantir une qualité programmatique.

Le tout premier levier qualitatif se situe sur le plan stratégique : une bonne réponse humanitaire est avant tout une réponse qui résout des problèmes souvent complexes car multifactoriels. L’élaboration du plan de réponse doit donc reposer sur une analyse situationnelle précise et holistique, qui met en exergue les besoins non couverts, les manques dans la réponse existante et l’impact différencié de la crise sur les populations selon une analyse fine des vulnérabilités. La logique d’intervention, inspirée de la Théorie du Changement, permet de lier cette analyse situationnelle menée au niveau Pays et/ou Base, et de développer une stratégie de réponse orientée sur la résolution du problème (au lieu d’une approche sectorielle). Elle pousse les équipes programmes à toujours se poser la question du rationnel de l’intervention et de la modalité choisie en répondant à la question : « pourquoi nous faisons ce que nous faisons ? ». La DOAP appuie les équipes en développant et en formant sur ces méthodologies d’analyse situationnelle et de théorie du changement.

Une bonne réponse est aussi et avant tout une réponse technique : la couverture des besoins de base tels que « manger, boire, s’abriter » dans 18 contextes de crises aussi différents que complexes, exige la maîtrise d’un panel de compétences techniques très variés, allant de la réhabilitation de forages et de puits, l’analyse de l’eau potable, l’analyse physico-chimiques et microbiologique des eaux usées, la gestion des déchets, les réseaux d’eau potable et d’assainissement, le contrôle vectoriel, les mesures de prévention et de contrôle des infections, l’assistance à la maîtrise d’ouvrage…, pour la partie sectorielle Eau, hygiène et Assainissement ; au maraîchage, arboriculture, agroécologie, agriculture urbaine, santé animale, élevage de petit et gros bétail, pêche, pisciculture, technique de transformation et de valorisation des produits, approche filières et chaînes de valeurs… pour la partie sécurité alimentaire et moyens d’existence. Cette liste impressionnante – et pourtant non exhaustive -doit être complétée par les compétences en génie civil, construction et réhabilitation de petites et grandes infrastructures… La réalité des expertises techniques sectorielles est également complémentaire de compétences plus transverses tels que l’irrigation, la gestion intégrée des ressources en eau, le changement climatique, les systèmes de surveillance ou encore l’approche basée sur les marchés et les transferts monétaires.

Vidangeurs en action dans une latrine d’un camps de réfugiés du Bangladesh ®Solidarités International

La DOAP assure donc la garantie du respect des standards techniques par l’élaboration de documents techniques de référence et la création d’expertise. L’équipe apporte, en plus du support technique quotidien, la vision globale et la prise en compte des enjeux liés à l’environnement, la santé publique, la cohésion sociale et la protection afin de maîtrise l’impact négatif de ses actions.

Dans le but de couvrir le plus largement possible le panel d’expertises techniques requises pour mener à bien les activités, et reconnaissant qu’une approche partenariale et multi acteurs de qualité est essentielle à la bonne réalisation des activités sur les terrains d’intervention et à la montée en compétences de l’organisation, la DOAP a recours régulièrement à ses partenaires techniques privilégiés.

Enfin, l’un des piliers centraux de l’approche qualité de SI repose sur le support méthodologique au pilotage des programmes et à l’apprentissage. La DOAP promeut ainsi une approche d’apprentissage dynamique et continue tout au long du cycle de projet, ainsi que des méthodologies participatives, de suivi et d’évaluation qui doivent garantir une action humanitaire orientée vers la réalisation de changements concrets dans la vie des populations pour et avec lesquelles nous travaillons.

Gardez le sens de l’action et la perspective des changements auxquels nous contribuons dans la vie des populations au cœur de nos programmes est la meilleure garantie d’une qualité effective de nos programmes.

Station de traitement des boues, Sittwe, Myanmar. 2020 ®Marine Ricau / Solidarités International

2/ Innovation et action humanitaire sont-ils réellement compatibles ?

Les terrains de crises et fragilités dans lesquels nous agissons sont particulièrement propices à l’innovation car la diversité des contextes et des besoins ainsi que les contraintes de mise en œuvre (sécuritaires, techniques, foncières, administratives, temporelles, contextuelles…) fortes que nous rencontrons quotidiennement n’autorisent pas la mise en place d’une solution unique et standard aux problèmes complexes rencontrés. Par ailleurs, l’impératif humanitaire de répondre aux besoins vitaux et de faciliter l’accès aux services de base et aux droits fondamentaux aux populations les plus vulnérables affectées par les crises, nous amène à sortir des sentiers battus et toujours chercher des réponses plus intégrées, plus adaptées et plus durables.

Ainsi, la DOAP revendique le rôle de coordinateur interne de l’approche recherche et innovation comme levier à part entière de l’approche qualité : de l’identification des solutions innovantes émergeant à la fois du siège comme des terrains, à l’évaluation et capitalisation, en passant par l’accompagnement au développement et au suivi de la phase pilote, la DOAP veille à l’éclosion et à la réplication des bonnes pratiques.

Cependant, il est parfois tentant de céder et de baisser les bras devant les nombreux paradoxes qu’impliquent la juxtaposition des termes « humanitaire » et « innovation » :

  • L’aversion aux risques et à l’incertitude de la part des bailleurs ne laisse que peu de possibilité de financement sur les phases d’amorce et de démarrage d’un nouveau projet, d’une nouvelle approche ou la mise en place d’une solution innovante. Mais, paradoxalement, le secteur humanitaire se voit doté de plus en plus d’enveloppes dédiées à la mise en place de solutions innovantes ayant déjà fait leur preuve sur des terrains variés.
  • La culture humanitaire et la nécessité d’une mise en œuvre rapide et efficace reste encore éloignée de la culture de l’innovation, de la recherche et de l’apprentissage qui lui est inexorablement lié. L’effort à mettre sur l’étape clef d’évaluation et de diffusion des bonnes pratiques et nouvelles solutions n’est, elle aussi, encore que très peu financée par les bailleurs.
  • Nos secteurs d’expertise technique sont propices aux différents type d’innovation (innovation produit, innovation approche ou recherche action). L’approche innovation permet alors une mise en valeur de notre expertise technique et la montée en crédibilité et notoriété dans le secteur. Or, la technicité et la nécessaire adaptation de la solution sont à la fois le plus grand frein à la capacité de répliquer la solution à l’identique dans un autre contexte, et donc le passage à l’échelle de l’innovation.
  • Enfin, la temporalité longue du cycle de l’innovation (multiannuel, incluant une phase dite d’idéation et de développement préliminaire longue) ne peut être compatible avec la nécessaire efficacité des solutions mises en œuvre à court terme dans les phases de réponse au choc (repenser un mécanisme de réponse rapide dont les cycles de réponses court terme se répètent pendant de longues années en contexte de chocs à répétition et que la tentation est grande de chercher une solution plus durable, est extrêmement difficile). Quand la vie de personnes est en jeu, est-on prêt à prendre le risque de répondre non à la question « la solution mise en œuvre a-t-elle fonctionné » ?

Toutes ces contraintes augmentent le risque que les organisations se concentrent sur l’innovation “siège” / globale (par ex. très technologique) qui apporte plus de communication que d’impact sur les personnes. Alors, pour que l’innovation permette de résoudre le passage de la théorie à la pratique, il faut encourager le développement de l’innovation sur le terrain, pour des solutions durables et faciles à développer et répliquer.

Gardez le sens de l’action et la perspective des changements auxquels nous contribuons dans la vie des populations au cœur de nos programmes est la meilleure garantie d’une innovation réussie.

Station de traitement des boues, Sittwe, Myanmar. 2020 ®Marine Ricau / Solidarités International

3/ Se donner les moyens pour être à la hauteur des exigences du mandat humanitaire et porter la voix des populations au niveau global

En plus d’être une plateforme de mobilisation de ressources pour renforcer la double approche qualité et innovation de l’organisation, la DOAP a le mandat de porter la voix des populations au niveau global dans les instances de coordination humanitaire. La DOAP représente ainsi SI dans les comités de pilotage du Cluster EAH, du Cluster SAME et du réseau d’évaluation de l’action humanitaire ALNAP.

Pour passer de la théorie à la pratique également au niveau global et être un acteur du changement dans le secteur humanitaire et ainsi promouvoir sa double approche Qualité et Innovation comme garantie de l’impact humanitaire, SI a été l’incubateur de 2 projets financés d’abord par des fonds d’innovation, puis par des financements institutionnels : le premier, développe un système de renforcement de la qualité et de la redevabilité bénéficiaires dans le secteur de l’EAH (AQA) et le second, OCTOPUS, permet l’amélioration des bonnes pratiques et le suivi de la mise en œuvre de solutions innovantes en lien avec l’assainissement en urgence. Ces deux projets sont en passe d’être transmis au secteur EAH pour être intégrer comme outil et approche de coordination globale.

 


OCTOPUS                                                

Développée par SOLIDARITÉS INTERNATIONAL en 2018, la plateforme OCTOPUS (Operational Collaborative Tool Of Ongoing Practices in Urgent Sanitation) est un outil collaboratif en ligne relatif à l’élimination et au traitement des boues fécales dans les contextes d’urgence. Il a pour objectif l’amélioration des pratiques d’assainissement via le partage de connaissances et d’expériences par les acteurs et les experts de la gestion des boues de vidange. Des études de cas présentent ainsi des informations techniques et contextuelles détaillées dont les praticiennes et praticiens de l’assainissement peuvent s’inspirer pour adapter leurs interventions aux crises auxquelles elles et ils sont confrontés.

AQA

                                                                                                                                       Depuis la fin de l’année 2018, l’Initiative pour la responsabilité et l’assurance qualité (the Accountalibilty and Quality Assurance Initiative – AQA) vise à accroître la capacité des organisations humanitaires à répondre de manière efficace et efficiente aux crises en fournissant aux personnes décisionnaires les informations dont elles ont besoin pour s’adapter en permanence à l’évolution des contextes. S’inspirant de la méthodologie industrielle Définir-Mesurer-Analyser-Améliorer-Contrôler, cette initiative repose sur la collecte de données simples permettant de soutenir une prise de décision axée sur les résultats et fondée sur des preuves, dans le but final de garantir le respect et l’amélioration des normes de qualité et de redevabilité au fil du temps. Ce projet est mené dans le cadre d’un partenariat entre Oxfam, Solidarités International, l’Université de Tufts et l’UNICEF, avec le soutien du Global WASH Cluster (Cluster Eau, Hygiène et Assainissement) et du secteur « eau, hygiène et assainissement).


Le mot de la fin

Le fait d’avoir une instance au cœur des opérations qui porte cette double approche est un réel atout organisationnel et qui permet à une structure de taille moyenne de mettre en œuvre Qualité et Innovation au même titre que les grandes.

La prise de risque inhérente à la partie innovation et au développement de nouvelles approches, n’est possible qu’avec la garantie d’un suivi, d’un support technique et d’un contrôle qualité. Qualité et Innovation sont donc intrinsèquement liées et leurs effets se bénéficient mutuellement.

L’approche multiacteurs et la capacité de mobilisation de partenaires contribuent à la richesse de l’approche et à réduire les paradoxes.

Derrière deux mots et deux approches que l’on pourrait juger comme trop conceptuels, la spécificité de SI est de rester un acteur opérationnel de terrain, toujours animé par la volonté de rester au plus près des populations affectées par les crises.

Tous les leviers qualitatifs sont activés dans un seul souci : garder le sens de l’action et de l’engagement pour et au plus près des personnes dans les zones fragiles et les plus reculées.

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Qui est Anne-Lise Lavaur ?

Après des études de sciences politiques et de droits de l’enfant, Anne-Lise Lavaur s’engage dans des organisations internationales (Médecins du Monde Argentine, Bureau International Catholique de l’Enfance), et devient coordinatrice de programme et chargée de plaidoyer.

En 2014, elle intègre SOLIDARITÉS INTERNATIONAL au sein du département technique et qualité des programmes dont elle prend la coordination huit mois plus tard. En 2018, ce département évolue en Direction des Opérations Adjointe aux Programmes (DOAP). A travers la coordination de l’équipe de référents techniques et programmes, ce département au cœur des opérations garantie l’approche Qualité et Innovation de l’organisation.


Eau, Hygiène, Assainissement : les solutions du Global WASH Cluster pour améliorer la qualité de la réponse humanitaire.

Aujourd’hui, 2,2 milliards de personnes – soit 29% de la population mondiale – n’ont pas accès à des services d’alimentation domestique en eau potable gérés en toute sécurité ; 4,2 milliards – soit 55% de la population mondiale – ne disposent pas de services d’assainissement gérés en toute sécurité ; 3 milliards de personnes – soit 40% de la population mondiale – sont encore privés d’installations de base à domicile destinées au lavage des mains1. Ces chiffres sont lourds de conséquences, puisque tous les ans, ce sont quelques 525 000 enfants qui décèdent des suites de diarrhées2. Or, 58% des cas de diarrhées dans les pays à moyens et bas revenus sont attribuables à un accès inadéquat à des services d’eau, d’hygiène et d’assainissement3.

L’Objectif de Développement Durable (ODD) n°6 vise pourtant à ce que chacun ait accès à des services d’eau propre d’ici 2030. Pour ce faire, de nombreuses organisations – ONG, Organisations Internationales, gouvernements etc. – sont mobilisées sur le terrain pour atteindre ce but. Les actions de ces institutions sont coordonnées à l’échelle nationale par les gouvernements, ou bien par des « clusters nationaux EHA4 » ou « groupe de coordination humanitaire EHA ». Ils ont pour objectif de coordonner la réponse internationale et répartir géographiquement les différents acteurs. Ces derniers, en retour, font remonter des données – majoritairement quantitatives – sur les activités menées. Des évaluations qualitatives des projets ont aussi lieu, mais souvent une fois le programme fini. C’est souvent trop tard pour permettre aux responsables de prendre des mesures correctives.

C’est de ce constat que naît, en 2018, l’initiative du Global WASH Cluster « Initiative sur l’Assurance Qualité et la Redevabilité » (IAQR, ou Quality Assurance & Accountability Initiative, QAAI). Son objectif principal est le suivant : renforcer le suivi qualitatif des activités, afin d’améliorer la qualité des réponses humanitaires et la redevabilité du secteur envers les personnes affectées. Cette initiative est mise en œuvre par Solidarités International, en partenariat avec Oxfam, l’Université Tufts et l’UNICEF.

Nous reviendrons dans cet article sur le Global WASH Cluster et le QAAI. Nous décrirons les outils développés par le projet pour implanter un système d’assurance qualité et de redevabilité efficace et continu et nous arrêterons sur le début du déploiement du projet au Sud Soudan.

Myanmar, 2008 / ©Solidarités International

Des origines du Global WASH Cluster

Les Clusters naissent suite à la réforme humanitaire de 2005 – Humanitarian Reform agenda 2005. Cette réforme souhaite améliorer la prévisibilité de l’aide, la redevabilité des organisations, la coordination entre les différents acteurs humanitaires et renforcer les partenariats lors des réponses humanitaires d’urgence. Elle défend la mise en place de « clusters » qui pourraient être activés lors de crises et permettraient de coordonner l’action humanitaire.

Ces volontés d’améliorer l’aide sont réitérés suite au tremblement de terre en Haïti et aux inondations au Pakistan en 2010. Le Comité Permanent Inter organisations (CPI ou Inter Agency Standing Committee) publie un programme de transformation, le transformative agenda, pour renforcer l’efficacité de l’aide humanitaire multilatérale.

Une fois encore, la communauté humanitaire, au travers de ce document, rappelle sa volonté de transformer l’aide pour renforcer sa redevabilité, sa coordination et son leadership5. Le Global WASH Cluster (GWC) naît de cette mouvance en 2006 et regroupe aujourd’hui 77 membres.

Pourquoi mettre en œuvre un Système d’Assurance Qualité et de Redevabilité ?

Les crises humanitaires sont complexes et dynamiques. Les partenaires doivent pouvoir s’appuyer sur des informations fiables, recueillies en temps réel, afin de (i) respecter leurs engagements en matière de qualité et de redevabilité vis-à-vis des bénéficiaires et (ii) d’améliorer et adapter leurs pratiques en fonction de l’évolution du contexte dans lequel ils interviennent.

Le plus souvent, les Clusters Nationaux se concentrent sur le suivi des activités de partenaires ou l’évaluation de la couverture de la réponse plutôt que de comprendre si cette dernière est sûre, inclusive, participative et efficace. En d’autres termes, les Clusters Nationaux ont tendance à répondre aux questions « qui fait quoi, où et quand ? », plutôt que de se demander si la réponse apportée est pertinente et répond aux besoins des bénéficiaires.

Le risque est alors d’évaluer la réponse humanitaire et de la gérer de manière à maximiser le nombre de bénéficiaires ou les services en eau, hygiène et assainissement (EHA), sans comprendre si des progrès réels sont réalisés en vue d’atteindre les objectifs de qualité ou de redevabilité. Par exemple, le nombre de latrines construites dans une zone est suivi mais pas leur utilisation effective par les différents groupes de la communauté.

Les systèmes d’assurance qualité et de redevabilité (SAQR) sont un moyen de remédier à cette situation, de renforcer la redevabilité envers les bénéficiaires, et d’assurer que les standards de qualité sont durablement respectés par les partenaires.

Mossoul, Irak, 2017 / ©Solidarités International

Qu’est-ce que la qualité et la redevabilité et pourquoi est-ce essentiel ?

La qualité d’une réponse humanitaire se juge en fonction de deux éléments : les résultats atteints et le processus permettant d’arriver à ces résultats. Les écarts de qualité se mesurent par rapport à des normes et sont principalement dus à la manière dont l’aide humanitaire est conçue et/ou mise en œuvre. Ils se reflètent soit directement sur les résultats des programmes soit dans la manière dont les personnes affectées par la crise perçoivent l’aide fournie.

La qualité peut être objectivement définie et mesurée. Cependant, les réponses humanitaires sont soumises à des contraintes externes. Il faut alors adopter une démarche réaliste pour optimiser la qualité des programmes, plutôt que de chercher à atteindre des standards trop élevés.

Les partenaires du secteur, en l’occurrence EHA, doivent donc s’engager sur une démarche d’amélioration continue de leurs programmes tout en tenant compte des contraintes associées au contexte. Un système d’assurance qualité et de redevabilité (SAQR) est une approche coordonnée permettant de prendre des décisions basées sur des faits concrets. Le but est de garantir que les normes en matière de qualité et de redevabilité, décidées par les partenaires EHA pour leurs interventions, sont respectées et discutées dans une perspective d’amélioration continue.

Ce système fournit un moyen pour suivre la réponse EHA par rapport à un cadre de référence listant les normes de qualité et de redevabilité à respecter pour les interventions humanitaires liées à l’eau, l’hygiène et l’assainissement. Ces normes sont établies de manière consensuelle par les partenaires et adaptées au contexte. Elles sont régulièrement revues.

Le projet QAAI, comment ça marche ?

L’initiative Assurance Qualité et Redevabilité a développé deux outils principaux pour accompagner les groupes de coordination humanitaire EHA dans la mise en place d’un Système d’Assurance Qualité et Redevabilité continu et collectif.

Le premier est une note expliquant le processus d’assurance qualité qui encadre le suivi et l’analyse pour améliorer les programmes. Le deuxième est le cadre d’analyse modulaire qui définit des normes de base, des indicateurs et des approches de suivi à utiliser en fonction des domaines d’intervention EHA qui sont prioritaires dans le contexte donné.

Le processus d’assurance qualité est défini en 5 étapes : définir, mesurer, analyser, améliorer et apprendre.

Le processus du SAQR et les principaux résultats.

Il est adapté de la méthode « Définir-Mesurer-Analyser-Améliorer-Contrôler »6 utilisée dans le secteur industriel.

L’approche combine un processus continu de suivi, d’analyse et d’amélioration avec un examen périodique des leçons apprises. Le suivi se concentre sur la collecte de mesures pertinentes, réalisables et axées sur les résultats.

Il donne la priorité à la compréhension de la « réalité du terrain », à travers les perspectives des personnes touchées par la crise. 

  1. Définir

Cette première étape permet aux Clusters EHA nationaux de définir des indicateurs clés de qualité et de redevabilité qui sont adaptés au contexte et aux priorités identifiées. Ces derniers seront intégrés au cadre d’analyse modulaire – que nous présentons par la suite – pour le suivi et l’évaluation qualitative des programmes en cours. L’exercice de définition des indicateurs clés permet de se concentrer seulement sur les indicateurs pertinents pour gagner en efficacité.

  1. Mesurer

Cette phase-ci est à réaliser en continu. Elle consiste à recueillir les données permettant de renseigner les indicateurs clés de qualité énoncé dans l’étape 1 et de les ventiler par sexe, âge, handicap, lieu etc. selon les besoins. Les données permettront aux acteurs d’avoir aperçu global de la qualité, sous la forme d’un Quality Snapshot.

Exemple d’un Quality Snapshot en Birmanie.
  1. Analyser

Cette phase a lieu en parallèle de l’étape 2- collecte de données. Elle permet d’identifier les points où la qualité nécessite d’être renforcée et de lister les actions à mettre en place pour y remédier. Ces propositions prendront la forme d’un plan d’action.

  1. Améliorer

La phase d’amélioration des programmes se fait également en continu et en parallèle des étapes 2-collecte et 3- analyse des données. Durant cette étape les programmes peuvent être réajustés pour mieux répondre aux besoins des populations. Les communautés visées par les programmes sont inclues dans le processus de réflexion et leurs retours sur la qualité des programmes sont discutés et pris en compte.

  1. Apprendre

Cette dernière phase permet de prendre du recul sur les premières hypothèses posées et les orientations stratégiques définies dans les Humanitarian Needs Overview. Elle vise une réflexion long terme sur les réponses humanitaires EHA mises en place dans le pays.

Le tableau ci-dessous résume ces étapes à suivre.

Processus d’assurance qualité : Définir, Mesurer, Analyser, Améliorer, Apprendre.

Le cadre d’analyse modulaire est un outil flexible pour cibler les priorités

Le cadre d’analyse modulaire est composé de différents modules qui fournissent des orientations quant aux normes et indicateurs, selon des sous domaines que chaque cluster peut prioriser en fonction du contexte et des contraintes locales.

C’est un outil flexible qui doit être utilisé pour collecter les informations strictement nécessaires à l’amélioration de la qualité programmatique et technique et de la redevabilité de la réponse au niveau sectoriel.

Jusqu’à présent, trois modules ont été élaborés : « Risques pour la santé publique », « Fourniture de services EHA » et « Programmation centrée sur les personnes ».

Chaque module est composé des 5 éléments suivants :

  1. Standards: rappel des standards internationaux de référence.
  2. Indicateurs clés de qualité : permettent d’évaluer si l’objectif qualité est atteint.
  3. Références: éléments qui permettent de contextualiser les indicateurs clés de qualité (localité, contexte sécuritaire etc.).
  4. Approches de suivi: indiquent la façon dont les données sont collectées.
  5. Collecte de données: exemples de questions à inclure dans les questionnaires, les entretiens, etc.

Nous partageons ici, en partie, le module « Risques pour la santé publique » afin de rendre compte concrètement des travaux de l’initiative.

MODULE SUR LES RISQUES POUR LA SANTÉ PUBLIQUE

Les programmes en eau, hygiène et assainissement (EHA) s’intéressent généralement aux risques de santé publique liés à la transmission oro-fécale des maladies. Le diagramme F illustre les différentes voies de transmission oro-fécale, ainsi que les barrières qui sont efficaces pour prévenir la transmission. Il est souvent difficile d’utiliser les données sanitaires pour suivre l’efficacité des programmes EHA en raison de la disponibilité des données et des nombreux facteurs qui peuvent confondre les résultats.  Le suivi de la présence de barrières clés peut être utilisée comme un substitut pour estimer le niveau de risque pour la santé publique dû aux maladies liées à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène.

Diagramme F tiré du Manuel Sphere.

Dans cet exemple, 4 composantes ont été identifiées comme pouvant présenter un risque pour la santé publique. Ce sont sur ces dernières qu’il faudra agir pour empêcher des transmissions oro-fécales de maladies. Elles sont présentées dans le tableau ci-dessous.

A chaque composante est associée une norme internationale, qui est ensuite déclinée en indicateurs clés de qualité adaptés au contexte.

Les indicateurs clés de qualité (ICQ) proposés dans ce module fournissent une vue d’ensemble des risques relatifs de transmission orale des matières fécales dans différents milieux, lieux et groupes de population. Bien qu’ils ne puissent pas être utilisés pour définir un risque absolu, leur utilisation peut contribuer à comprendre et à établir des priorités lorsque des mesures correctives sont nécessaires pour améliorer l’efficacité des réponses.

Par exemple, pour la composante « Quantité de l’eau », la norme, issue du manuel Sphère 2018, est la suivante :

Norme d’approvisionnement en eau 2.1 : : Accès et quantité d’eau. Les personnes ont un accès équitable et abordable à une quantité suffisante d’eau salubre pour répondre à leurs besoins domestiques et de consommation.

L’indicateur clé de qualité proposé pour cette composante est : « % de la population affectée utilisant une quantité d’eau suffisante pour la consommation, la cuisine, le ménage et l’hygiène personnelle ». La « quantité d’eau suffisante » est à définir par le Cluster national WASH en consultation avec les groupes concernés ou par référence aux normes nationales.

3 sortes d’approches de suivi sont proposées par les équipes du QAAI. Pour la quantité de l’eau, il peut s’agir d’une approche (i) rapide : entretien avec des informateurs clés, observation, (ii) en profondeur : enquête auprès des usagers de l’eau, (iii) triangulation : registres de pompage de l’eau/de livraison, cartographie des points d’eau, informations qualitatives issues de discussions de groupe ou d’approches participatives. Ces approches peuvent être utilisées par les partenaires du Cluster.

Des questions d’analyse sont ensuite proposées. Toujours pour évaluer la quantité d’eau disponible, les équipes peuvent analyser les données collectées à partir des questions proposées :

  • Y a-t-il suffisamment d’eau disponible au niveau des ménages pour permettre à toutes les personnes affectées de boire, de cuisiner et de se laver et de maintenir leur environnement propre ?
  • Qui est confronté à des difficultés particulières pour accéder à une eau de qualité suffisante ?
  • Qui pourrait avoir besoin de différentes quantités d’eau ?
  • Quelle est la quantité d’eau utilisée quotidiennement ?
  • L’utilisation de l’eau change-t-elle en raison de la saisonnalité ou de la fonctionnalité (en raison de l’évolution de la demande ou de l’offre) ?

Il revient à chaque cluster EHA national d’adapter ce cadre d’analyse modulaire à son terrain et à ses priorités.

Petit Goave, Haïti, 2010 / ©Solidarités International

Le lien avec le terrain

Le travail de l’équipe de l’initiative d’assurance qualité et redevabilité ne s’arrête pas là. Une fois ces outils développés, les équipes accompagnent les clusters nationaux pour adapter les procédures proposées et mettre en œuvre leur propre système d’assurance qualité et redevabilité. L’objectif est d’abord de faire un état des lieux de la démarche qualité existante au sein des clusters EHA nationaux (cf. les questions générales pour le Sud Soudan*), tout en adaptant la démarche aux priorités des équipes terrain et des problématiques locales.

Des premières missions terrain ont pu avoir lieu dans 4 pays : le Bangladesh (Cox’s Bazar), le Myanmar, le Sud Soudan, et la Colombie. Six autres pays font également parti des pays pilotes : l’Afghanistan, la République Centre Africaine, Haïti, le Mali, l’Équateur et le Venezuela. En raison de la pandémie de Covid-19, les implémentations se font majoritairement à distance. Nous détaillerons dans cette dernière partie, l’implantation de l’initiative au Sud Soudan, où les équipes du QAAI ont pu se rendre.

Le lancement du QAAI au Sud Soudan

L’équipe de l’Initiative Assurance Qualité et Redevabilité a rencontré les membres du cluster EHA du Sud Soudan. Les objectifs des 10 jours de visite étaient les suivants :

  • Améliorer la compréhension de la réponse humanitaire EHA au Sud Soudan.
  • Sensibiliser la coordination nationale EHA à l’initiative QAAI du Global WASH Cluster.
  • S’accorder sur une définition de la qualité et identifier le protocole de suivi approprié au contexte.
  • Élaborer un plan d’action pour le suivi qualité.

Des données ont d’abord été collectées sur le contexte général du Sud Soudan. Ce pays présente une situation humanitaire complexe, marquée par un grand nombre de déplacés ayant des besoins accrus. Le niveau des services en eau, hygiène et assainissement est relativement bas. Certaines infrastructures EHA ont été ciblées par les acteurs armés lors des différents conflits. Le pays fait face à des épidémies de choléra, paludisme et hépatite E. Les maladies hydriques sont présentes dans le pays et liées à des enjeux de malnutrition. Les violences basées sur le genre sont étroitement liées à l’accès aux services EHA. De manière générale, la réponse humanitaire est sous financée. Des informations plus spécifiques sur le fonctionnement de la réponse humanitaire ont aussi été compilées.

Les équipes du QAAI se posent les questions* suivantes afin de répondre aux objectifs énoncés plus haut.

  • Comment la qualité est-elle définie au niveau des réponses humanitaires ? Quels sont les documents utilisés pour diffuser cette définition ? Comment cette définition est-elle élaborée conjointement par les partenaires ?
  • Comment s’assurer que les rapports collectifs des partenaires WASH reflètent la réalité sur le terrain ? (et telle qu’elle est vécue par les personnes concernées ?)
  • Comment nous assurons-nous que les rapports déclenchent des actions correctives sur le terrain ?

Concrètement, lors des visites, l’ensemble des indicateurs de qualité et de redevabilité existants sont identifiés et analysés. Certains proposés par le QAAI sont déjà intégrés par les clusters nationaux. Dans ce cas, les équipes réfléchissent à l’amélioration du suivi des données. D’autres sont à ajouter dans la démarche des clusters, afin d’être conforme au cadre qualité proposé par le QAAI.

A l’heure actuelle, plusieurs indicateurs ont déjà été intégrés dans le suivi et l’analyse du Cluster EHA :

  • La consultation des communautés affectées avant le commencement des activités.
  • La mise en œuvre d’un mécanisme de plaintes/retour d’information.
  • La prise en compte des consultations et des plaintes/retours d’information pour adapter les activités mises en œuvre.
Sud Soudan, 2013 / ©Solidarités International

De ces observations, un plan d’action a été élaboré par les équipes du Cluster EHA national et l’équipe projet du QAAI. Ce document planifie l’intégration de l’initiative Assurance Qualité et Redevabilité dans les processus de suivi des projets du Cluster EHA.

Cette première étape dans le processus de l’initiative permet de recentrer les actions sur les populations affectées. A terme, ces actions permettront au Cluster EHA Sud Soudan d’élaborer le Quality Snapshot tel que proposé par l’initiative et décrit plus haut.

Le projet QAAI s’inscrit, de manière plus globale, dans une volonté forte portée par les organisations humanitaires d’améliorer la qualité, la durabilité et la redevabilité de leurs actions. L’initiative y répond en accompagnant la mise en place de système continu d’assurance qualité et de redevabilité dans les Clusters EHA nationaux. C’est bien l’aspect continu qui fait la spécificité et la force de la proposition du QAAI, puisque cela permettra d’améliorer en temps réel les projets et d’être au plus proche des besoins exprimés par la population ciblée. Ce projet au sein du Global Wash Cluster met au cœur de son action les personnes affectées et la réponse à leurs besoins.

Lise Lacan

Madeleine Trentesaux

Qui est Lise Lacan ?

Lise Lacan est ingénieure en génie chimique et génie de l’environnement. Elle a travaillé plus de 10 ans dans des grandes ONG et agences de l’ONU en tant que spécialiste Eau, Hygiène et Assainissement, en Afrique, au Moyen Orient et en Asie Centrale répondant aux urgences dans différents contextes, notamment les conflits armés, les catastrophes naturelles ou les épidémies. Elle travaille aujourd’hui chez Solidarités International, en tant que coordinatrice de l’Initiative Assurance Qualité et Redevabilité du Global WASH Cluster, dont l’ONG est membre.

Lise Lacan sur LinkedIn.

Qui est Madeleine Trentesaux ?

Après une licence d’anthropologie à Paris Nanterre, Madeleine a poursuivi avec le master “Human Rights and Humanitarian Action” de Sciences Po Paris. Intéressée par l’humanitaire et les questions de santé publique, elle travaille aujourd’hui avec Alain Boinet pour l’édition du site Défis Humanitaires.

Madeleine Trentesaux sur LinkdIn.

1 JMP, OMS & UNICEF

2 « Diarrhée », OMS

3 Stratégie Eau, Hygiène, Assainissement 2020-2025 de Solidarités International

4 Eau, Hygiène, Assainissement, ou WASH en anglais

5 Voir InterAgency Standing Committee, Transformative Agenda

6 Adapté en “Définir – Mesurer – Analyser – Améliorer – Apprendre” pour le secteur humanitaire