Regard sur les résultats du panorama des générosités pour l’année 2019

Après plus de 50 heures de live sur la plateforme Twitch, les streamers qui ont participé à Z Event 2021, un marathon de jeu vidéo caritatif, ont récolté un peu plus de 10 millions d’euros pour l’ONG Action contre la faim. Une somme record pour un tel événement © Action Contre la Faim

Le dernier panorama des générosités pour l’année 2019, conduit par la Fondation de France et coordonné par Daniel Bruneau a montré la dynamique continuelle de la philanthropie française et confirme les projections et tendances déjà tracées depuis 30 ans, dans la plupart des sociétés « occidentales »

Si nous regardons dans le rétroviseur pour mesurer l’évolution de la générosité des Français de ces trente dernières années, en la mettant, par exemple, en perspective de celle des Américains, que constate-t-on ?

Aux USA le montant donné par les Américains s’élevait en 1991 à 124, 8 milliards de $, vs 264 milliards en 2015, soit une multiplication par 2,12 en un quart de siècle (pour mémoire en 2019 ce chiffre a grimpé à 449 milliards de $, soit fois 1,7 en 4 ans et donc une multiplication par 3,0 en 30 ans)[1].

Si on se prête à la même comparaison pour la France, nous étions autour de 1,5 milliard d’€ en 91 (extrapolation à partir de l’ étude Archambault-Boumendil)[2]contre 8,5 milliards en 2019 soit une multiplication par 6. Intéressant, mais nous partions de si bas.

Mais le parallèle ne s’arrête pas là, les mêmes tendances se constatent dans des analyses plus segmentées :

  • Une progression du montant global des dons des particuliers, malgré un nombre de donateurs en baisse. Cette tendance est significative de la dégradation des revenus et des patrimoines des plus petits contribuables.
  • Une concentration des dons effectués par les plus hauts revenus et les plus fortunés dans des propositions exorbitantes, notamment aux USA où 2% des donateurs pèsent désormais 50 % des dons versés au secteur philanthropique.[3]
  • Des libéralités (legs, donations, assurances-vie) en hausse régulière avec l’attente d’une réelle explosion, notamment en Europe[4] prophétisée par Richard Radcliffe.
  • Une forte croissance du mécénat d’entreprise (qui est une singularité française, comparée aux anglo-américains) particulièrement marquée chez les petites entreprises.
  • La montée en puissance des flux de collecte en provenance des NTIC, (Nouvelles Technologie de l’Information de la Communication), encore mal appréhendée au plan statistique, mais qui montre une dynamique encore loin d’avoir donné tout son potentiel. En 2019, Giving Tuesday a permis de collecter 2 milliards $ collectés en une journée. En 4 ans, Facebook Fundraisers a permis de collecter plus de 2 milliards €, dont 1 milliard sur les pages anniversaires. Le marché mondial du crowdfunding représentait en 2020 une industrie de près de 1000 milliards €. 40% des moins de 35 ans ont déjà participé à une collecte de type cagnotte. Toutes les générations sont sur les réseaux sociaux.  90,5% des « Y », 77,5% des « X » 48,2% des Boomers. Les dons de crypto-monnaie augmentent parallèlement à l’augmentation de la valeur des crypto-monnaies sur le marché [5] ».
  • La résistance des médias de collecte traditionnels : mailings, phoning et street fund-raising. Aussi surprenant que cela puisse paraître, malgré l’annonce régulière de l’accélération de leur déclin, les outils du marketing direct (mailings, phoning, street fund-raising) restent les principaux vecteurs de collecte de fonds. Mais ce n’est à mon sens qu’un répit, car les nouvelles générations de donateurs se tiennent à l’écart de ces sollicitations, à l’exception notable du street fund raising qui attitrent encore les plus jeunes.
  • Enfin dans ce monde de surproduction et de gabegie généralisées l’accélération des dons en nature, dans l’économie circulaire, semble répondre à l’aspiration des donateurs soucieux de la dégradation accélérée de notre environnement.
Solidarités International et le magistère de sciences de gestion de l’Université Paris-Dauphine ont signé, le 31 août 2021, une convention de partenariat, par laquelle les deux établissements s’engagent à développer des collaborations pour une durée de trois ans. ©Solidarités International

En conclusion, tout indique que la philanthropie a un avenir fort radieux.

La même excellente étude prospective, citée ci-avant, réalisée par l’agence Adfinitas[6] pour l’horizon 2025, à laquelle nous vous renvoyons. En partant de cette analyse, nous pouvons aisément imaginer un fund-raising dominé par la foule généreuse dopée à l’IA (Intelligence Artificielle), avec des taux de donateurs par rapport à la population, non plus de 40 % mais de 70 ou 80 %. Ces foules généreuses seront à la fois donatrices, mais aussi collectrices, mobilisatrices , voire même opératrices, désireuses de mettre en œuvre par elles-mêmes les solutions aux maux auxquelles s’attaquent d’habitudes les OSBL.

Cependant un point de vigilance. Il est fort probable qu’en dehors même d’un effondrement général (climat, pollutions, pandémies à répétition, conflits planétaires) ne s’impose la nécessaire réduction des inégalités par la redistribution par l’impôt, à l’image de la politique qui a suivi le new deal, jusqu’en 1984 (FD Roosevelt a imposé une fiscalité de 85 % pour tout revenu supérieur à 1million de $, par an).

Parce que cette rigueur fiscale a été, depuis, érodée au point de recréer ce fossé abyssal entre ultra riches et ultra pauvres, laminant au passage le niveau de vie des classes moyennes, nous nous orientons vraisemblablement vers un retour à une taxation des plus riches et, par voie de conséquence, à un reflux de la philanthropie.

Antoine Vaccaro


Qui est Antoine Vaccaro ?

Antoine Vaccaro est titulaire d’un doctorat en science des organisations – Gestion des économies non-marchandes, Paris-Dauphine, 1985.

Après un parcours professionnel dans de grandes organisations non gouvernementales et groupe de communication : Fondation de France, Médecins du Monde, TBWA ; il préside le CerPhi (Centre d’étude et de recherche sur la philanthropie) Force For Good et le Fund-raising Lab. Il assume diverses fonctions bénévoles au sein d’associations et de fondations et est également co-Fondateur de plusieurs organismes professionnels promouvant le financement privé des causes d’intérêt général : Association Française des fundraisers, Comité de la charte de déontologie des organismes faisant appel à la générosité publique, Euconsult, La chaire de Philanthropie de l’Essec, 2011.

Il a publié divers ouvrages et articles sur la philanthropie et le fund-raising.

 


 

[1] Giving USA

[2] https://www.fondationdefrance.org/sites/default/files/atoms/files/benevolat_1997.pdf

[3] https://inequality.org/great-divide/gilded-giving-2020/

[4] https://www.legacygiving.eu/en/richardradcliffelegacygivingineuropecanexplode/

[5]  https://www.francegenerosites.org/ressources/le-fundraising-en-2025-livre-blanc-de-adfinitas-demain-la-veille/

[6] https://www.francegenerosites.org/ressources/le-fundraising-en-2025-livre-blanc-de-adfinitas-demain-la-veille/