Face à la suspension brutale des financements d’USAID et par effet de contagion celle d’autres bailleurs, les ONG humanitaires françaises se retrouvent confrontées à un effondrement de repères. Et si ce bouleversement, plutôt qu’un simple accident, révélait la nécessité d’une mutation stratégique profonde ?
La suspension soudaine de certains financements stratégiques, notamment ceux en provenance de bailleurs historiques comme USAID, a déstabilisé le cœur du dispositif humanitaire. Les principaux acteurs de l’action humanitaire : action d’urgence ou aide au développement ont vu en quelques semaines des programmes vitaux être stoppés, des missions réduites, des équipes locales fragilisées, des partenaires communautaires laissés sans appui.
Ce n’est pas seulement une crise de moyens. C’est un effondrement d’un équilibre que l’on croyait stable. Les ONG humanitaires, structurées depuis des années autour de circuits institutionnels relativement prévisibles, doivent soudain affronter avec brutalité l’effacement d’un trait de plume des pans entiers de leurs financements.
Ces bailleurs — qu’ils soient publics ou institutionnels privés — ont longtemps assuré la continuité d’un système reposant sur une forme de délégation implicite : celle de confier aux ONG le soin de réparer, de combler, de suppléer. Année après année, ils ont structuré une économie de la réparation, dans laquelle les ONG devenaient les opérateurs d’un secours permanent à des désordres considérés comme durables. Le modèle paraissait fonctionnel, équilibré, et même résilient. Mais il reposait sur un principe fragile : celui d’une stabilité budgétaire que l’on croyait garantie.
Or ce paradigme s’effondre. La montée d’un nouvel ordre international, la polarisation géopolitique, l’endettement massif des États et la réorientation des priorités publiques bouleversent les équilibres. Dans ce contexte, la solidarité internationale — longtemps tenue pour un devoir moral universel — semble reléguée au rang de variable d’ajustement. Et avec elle, le sort de millions de déshérités risque d’être passé par pertes et profits. Des millions vont mourir, la belle affaire !
Il ne s’agit pas d’un simple accident conjoncturel. C’est un basculement historique. Un cataclysme dont les effets, durables, remettent en cause les fondations mêmes sur lesquelles reposait l’action humanitaire moderne.
Dans ce moment de bascule, une image s’impose — celle d’un lieu familier où l’on allait chaque jour puiser sa subsistance, sa légitimité, son énergie. Un lieu stable. Et puis un jour, ce lieu est vide. On y retourne. On attend. On doute. Ce lieu, c’était un point d’appui, presque une évidence. Il ne l’est plus.
Le chaos comme catharsis
L’architecture du financement humanitaire international avait permis, depuis quatre décennies, de bâtir des programmes complexes, interconnectés, d’une grande efficacité technique. Mais cette même architecture se révèle vulnérable. Trop centralisée. Trop dépendante d’un petit nombre de bailleurs. Trop éloignée parfois des dynamiques locales.
L’onde de choc touche tout : les partenaires de terrain, les communautés bénéficiaires, mais aussi les ONG elles-mêmes dans ce qu’elles ont de plus intime — leur mission, leur rapport au monde, leur modèle économique.
Et soudain, une question traverse tous les conseils de direction : avons-nous trop cru naïvement à la permanence d’un système qui ne vit que de prédation, d’inégalités et de dettes abyssales ?
Le moment d’être résilients, combattifs et inventifs
Il existe un petit livre, souvent cité dans le monde de l’entreprise, parfois raillé, mais dont la simplicité recèle une vérité dérangeante. Qui a piqué mon fromage ?, de Spencer Johnson, met en scène quatre personnages évoluant dans un labyrinthe. Chaque jour, ils trouvent du fromage à un même endroit. Jusqu’au jour où le fromage n’y est plus.
Ce qui distingue les personnages n’est pas leur intelligence, mais leur capacité à comprendre que le monde a changé — et à accepter de bouger avec lui. Ne plus s’accrocher au lieu vide, mais explorer de nouvelles pistes, sortir de l’attente, désapprendre les certitudes.
Les ONG aujourd’hui sont exactement à ce point. L’endroit où elles allaient puiser — en financement, en reconnaissance, en modèle — s’est tari. La tentation de l’attente, de la réclamation, de la nostalgie est compréhensible. Mais elle est dangereuse.
Car l’humanitaire n’est pas né dans la prévisibilité. Il est né dans le désordre, l’urgence, la volonté d’agir là où les structures manquaient. Ce qui a fait la force des ONG, c’est leur capacité à lire les failles, à créer dans l’incertitude, à bâtir sans carte.
Aujourd’hui encore, cette capacité existe. À condition de l’activer pleinement :
En diversifiant les ressources, au-delà des bailleurs publics traditionnels : vers les fondations, les entreprises engagées, les collectivités, les citoyens eux-mêmes.
En s’ancrant davantage localement, non pas en sous-traitant, mais en copilotant avec les acteurs de terrain. Ce que la plupart font déjà.
En allégeant les dispositifs, en misant sur des logiques de coopération, de mutualisation, d’alliances régionales.
En assumant une parole forte, dans un monde où l’humanitaire devient aussi enjeu politique : parole indépendante, constructive, universelle.
Et après ? Car il y a toujours un après
Le « fromage » a disparu. Mais peut-être, à bien y regarder, cette disparition n’est-elle pas qu’un point d’inflexion ? La véritable ressource, celle qui permet de tenir dans la durée, se trouve peut-être ailleurs : dans l’agilité, dans le lien humain, dans la capacité à rebondir, à se remettre en route.
Les ONG n’ont pas besoin de modèle figé pour être utiles. Elles ont besoin de mouvement, d’intelligence collective, et d’un cap : celui de l’humanité partagée.
Antoine Vaccaro
Antoine Vaccaro. Titulaire d’un doctorat en sciences des organisations – Gestion des économies non-marchandes à Paris-Dauphine.
Après un parcours professionnel dans de grandes organisations non gouvernementales et groupes de communication (Fondation de France, Médecins du Monde, TBWA), il préside Force For Good, le Cerphi (Centre d’étude et de recherche sur la philanthropie)
Il assume diverses fonctions d’administrateur au sein d’associations.
Il est également co-fondateur de plusieurs organismes professionnels promouvant le financement privé des causes d’intérêt général : Association Française des fundraisers, Euconsult ou encore La chaire de Philanthropie de l’Essec et co-rédacteur de la charte de déontologie des organisations faisant appel à la générosité publique.
Il a publié divers ouvrages et articles sur la philanthropie et le fundraising
Je vous invite à lire ces articles publiés dans l’édition :
Photo de PUI lors d’une visite en Syrie en janvier 2025
Décembre 2024. La chute du régime de Bachar al-Assad, après quatorze ans de guerre, marque un tournant majeur pour la Syrie. Le pouvoir s’est effondré en quelques jours sous l’assaut de forces rebelles menées par le groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTC), laissant place à une transition politique incertaine. La mise en place d’un gouvernement intérimaire, dirigé par Ahmad al-Sharaa (Abou Mohammed al-Joulani), et l’adoption d’une constitution provisoire en mars 2025 sont perçues comme des avancées, mais elles ne suffisent pas à répondre aux défis immédiats du pays : instabilité politique, tensions communautaires et confessionnelles et crise humanitaire durable, reconstruction de grande ampleur.
Les Syriens ont célébré la fin du régime, mais se sont réveillés, un mois plus tard, dans une réalité inchangée : un pays en ruine, sans ressources, et un avenir incertain, observe Charlotte Baudoin, de l’ONG Première Urgence Internationale.
Ahmad al-Sharaa, président par intérim, a annoncé le 30 mars un nouveau gouvernement de transition syrien principalement composé de ses fidèles mais comprenant 4 ministres issus des minorités, une chrétienne, un druze, un alaouite et un kurde parmi ses 23 membres. L’Administration Autonome du Nord et de l’Est Syrien (ndlr autorité autonome kurde de Syrie) a déclaré que ce gouvernement ne reflétait pas la diversité et la pluralité du pays et qu’elle n’était donc pas concernée par les décisions de ce gouvernement ! Il faut aussi rappeler qu’Ahmad al-Sharaa dispose des pleins pouvoirs sur le plan législatif, exécutif et judiciaire et qu’il préside le « Conseil National de Sécurité » considéré par certains comme le véritable gouvernement du pays. L’avenir nous dira si la promesse d’un gouvernement représentatif, unitaire et respectueux des minorités aura été tenue ou pas. C’est tout l’enjeu après 14 années de guerre.
Dans ce contexte, l’action humanitaire est plus nécessaire que jamais, mais son nouveau cadre d’intervention est encore flou. Certains espéraient que la fin du régime faciliterait l’accès des secours aux populations. Pourtant, comme le souligne Thomas Janny, de l’ONG Solidarités International, les garanties d’accès ne sont pas encore acquises et l’espace humanitaire reste contraint.
Pour analyser les défis humanitaires à venir, cet article s’appuie sur deux témoignages complémentaires. Celui de Thomas Janny, Directeur régional pour la zone Moyen-Orient chez Solidarités International, et celui d’Olivier Routeau, Directeur des opérations et de Charlotte Baudoin, responsable géographique en charge de la Syrie, de l’ONG Première Urgence Internationale (PUI). Ces entretiens nous offrent un éclairage contrasté sur l’évolution de la situation syrienne, puisque, avant la chute du régime, Solidarités International agissait depuis les zones contrôlées par les rebelles (dans le Nord-Est et le Nord-Ouest du pays), tandis que Première Urgence Internationale intervenait dans les territoires contrôlés par le régime, présents dans 10 des 14 gouvernorats du pays.
Entre réorganisation du secteur humanitaire, réduction des financements et fortes tensions politiques et géopolitiques, la Syrie post-Assad pose de nombreuses questions sur l’avenir de l’aide et les conditions de sa mise en œuvre.
Une Blitzkrieg aux conséquences incertaines
La chute du régime de Bachar al-Assad a été aussi soudaine qu’inattendue, une véritable Blitzkrieg, comme le dit Thomas Janny. En l’espace de dix jours, les forces d’HTS, soutenues par de nombreuses autres milices, ont pris le contrôle de la capitale, provoquant l’effondrement total d’un régime qui, pendant quatorze ans, s’était maintenu avec le soutien de l’Iran et de milices chiites ainsi que de la Russie. Ce basculement rapide a laissé le pays sans structure étatique fonctionnelle, avec un gouvernement de transition improvisé et une administration en ruines.
Le président intérimaire Ahmad al-Sharaa cherche à stabiliser la situation, notamment grâce à l’adoption d’une constitution provisoire en mars 2025. Celle-ci garantit certaines libertés fondamentales, notamment en matière d’expression et de droits des femmes, mais elle maintient un exécutif puissant avec peu de contrepouvoirs. Il y a bien des déclarations pour instaurer un cadre démocratique, mais les bases restent extrêmement fragiles, explique Olivier Routeau, de Première Urgence Internationale. L’absence de structures solides et le manque de moyens compliquent la mise en place d’un État stable, tandis que la population voit peu d’améliorations concrètes dans son quotidien.
L’effondrement du régime n’a pas non plus mis fin aux violences. Dès les premières semaines, des affrontements ont éclaté sur la côte syrienne, notamment à Tartous et Lattaquié, bastions historiques de la communauté alaouite. Ces violences, qui ont causé plus de 1 300 morts (dont de nombreux civils), ont ravivé les tensions communautaires et confessionnelles qui avaient caractérisé le conflit syrien. Il y a un réel danger de représailles généralisées contre les Alaouites, qui sont perçus comme les soutiens historiques d’Assad, alerte Charlotte Baudoin, de PUI. Beaucoup fuient vers le Liban, tandis que les nouvelles autorités peinent à imposer leur contrôle sur les forces de sécurité, impliquées dans ces exactions.
Parallèlement, la Syrie reste un terrain de rivalités géopolitiques. La Turquie, parrain du nouveau pouvoir, est préoccupée par le maintien d’un pouvoir kurde dans le Nord-Est, et a intensifié ses frappes aériennes, ciblant les zones sous contrôle des Forces Démocratiques Syriennes (FDS). Israël a, quant à lui, multiplié ses frappes sur des sites militaires syriens. La chute d’Assad n’a pas mis fin aux intérêts étrangers en Syrie, au contraire, elle a redistribué les cartes, analyse Thomas Janny. On peut même considérer que la Turquie s’est substituée à L’Iran en Syrie.
Dans ce contexte chaotique, la reconstruction du pays semble hors de portée à court terme. Lors du sommet de Bruxelles le 19 mars, les donateurs internationaux ont promis 6,5 milliards de dollars, un montant limité face aux 400 milliards nécessaires à la reconstruction. De plus, les sanctions américaines restent en place, entravant les investissements nécessaires et ralentissant toute tentative de relance économique. L’Union européenne a levé certaines restrictions, notamment sur le secteur de l’énergie, mais leur impact reste limité. Sans une levée des sanctions américaines, la relance syrienne est impossible, note Olivier Routeau.
Pour les ONG présentes sur le terrain, cette période de transition représente un défi majeur. La fin du régime a bouleversé l’organisation de l’aide humanitaire, soulevant de nouvelles questions sur l’accès aux populations et la coopération avec les nouvelles autorités. Alors que la Syrie a d’immenses besoins d’aide et de reconstruction, les humanitaires doivent composer avec un environnement instable et un futur encore incertain.
Minorités en Syrie : entre intégration fragile et tensions persistantes
La chute rapide du régime d’Assad a rebattu les cartes du pouvoir en Syrie, mais elle n’a pas mis fin aux fractures communautaires. Si le gouvernement de transition affirme vouloir construire une nation inclusive, les tensions confessionnelles et ethniques sont une réalité que le nouveau pouvoir doit solutionner. Les minorités, historiquement prises dans l’engrenage du conflit, se retrouvent aujourd’hui dans une position incertaine, entre craintes de représailles et promesses d’intégration.
Les Alaouites, longtemps perçus comme le pilier du régime Assad, sont aujourd’hui les plus vulnérables. À Tartous et Lattaquié, des exactions ont visé la communauté dès les premiers jours de la transition, faisant plus de 1 300 morts. Le gouvernement a condamné ces violences, mais il n’a probablement pas les moyens de poursuivre ces crimes en justice, observe Charlotte Baudoin, de Première Urgence Internationale. Affaibli par des années de guerre et d’impunité, le système judiciaire syrien parait en effet incapable de remplir son rôle pour le moment.
Les Kurdes, de leur côté, ont obtenu une reconnaissance politique avec l’accord du 10 mars, qui prévoit l’intégration des FDS au sein de l’armée nationale. Cet accord, qui consacre la place des Kurdes dans la nouvelle Syrie, est cependant fragile. Les tensions persistent entre les unités kurdes, les anciens djihadistes et les mercenaires pro-turcs. Il sera difficile d’unifier ces forces sous une même structure, souligne Charlotte Baudoin. De plus, cet accord n’a pas empêché la Turquie de poursuivre ses frappes dans le Nord-Est de la Syrie, signe que la reconnaissance des Kurdes par Damas ne signifie pas la fin des bombardements et des combats qui peuvent reprendre à tout moment.
Pour les Druzes, la transition suscite autant d’espoirs que d’inquiétudes. Leur chef religieux, Hikmat al-Hajri, a publiquement critiqué la déclaration constitutionnelle du nouveau gouvernement, la jugeant trop centralisée et peu représentative de la diversité syrienne. La question de l’autonomie, qui leur avait été accordée sous Assad dans le cadre de « l’Alliance des minorités », reste en suspens. Dans un pays où les équilibres communautaires sont encore instables, l’enjeu sera de garantir un système où chaque groupe trouve sa place sans réveiller les rancœurs.
Cette situation rend l’accès des secours humanitaires particulièrement délicat. Pour Solidarités International, qui a depuis l’origine de son action, opéré dans les zones qui n’étaient pas tenu par le régime de Assad, les déplacements de populations et les nouveaux besoins humanitaires constituent un défi majeur. Lors de l’offensive de HTS vers Damas, les équipes sur le terrain ont assisté à des déplacements massifs de populations kurdes vers le Nord-Est, où elles ont dû mettre en place une réponse d’urgence en quelques jours, raconte Thomas Janny. PUI, initialement présente en zone gouvernementale, met, elle aussi, l’accent sur la nécessité d’une reconstruction incluant toutes les minorités pour éviter de nouvelles fractures.
Organisation des Nations Unies (ONU). (2025). Humanitarian Response Priorities: January – March 2025 – Syrian Arab Republic. Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) [1]Un accès humanitaire incertain
Besoins humanitaires en Syrie
16,5 millions de personnes nécessitent une aide humanitaire.
14,56 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire, dont 9,1 millions sont classées en situation d’insécurité alimentaire aiguë (dont 1,3 million en situation sévère).
8 millions de personnes déplacées internes (IDP) depuis 2011.
823 302 personnes nouvellement déplacées en 2024, dont 522 600 sont rentrées au cours du seul mois de décembre.
Près de 6,5 millions de personnes ont fui la Syrie depuis le début de la guerre civile, dont : plus de 3 millions en Turquie, environ 784 000 au Liban, plus de 705 000 en Allemagne, et presque 650 000 en Jordanie.
Chiffres du rapport 2025 d’OCHA sur les besoins humanitaires en Syrie [1].
Budget de l’aide humanitaire en 2024
En 2024, les Nations Unies ont estimé le budget de l’aide nécessaire à 4,07 milliards de dollars.
A la fin de l’année, seuls 1,46 milliards de dollars (soit 35,9%) ont été récoltés
Chiffres 2024 du Financial Tracking Service [2].
Avec la chute du régime de Bachar al-Assad, de nouvelles perspectives se sont ouvertes pour l’action humanitaire en Syrie. Les ONG ont pu accéder à des zones jusque-là inatteignables, depuis leur zone d’intervention respectives avant le renversement du régime.
Cependant, cette ouverture s’accompagne de nouvelles contraintes administratives et logistiques. Le cadre légal n’étant pas encore bien défini, la potentielle mise en œuvre de nouveaux programmes reste pour le moment compromise. Selon Thomas Janny, les autorités sont encore hésitantes quant à la relation qu’elles souhaitent entretenir avec les ONG internationales (ONGI) et à la liberté qui leur sera accordée. Par ailleurs, la situation sécuritaire reste instable : des bombardements persistent dans certaines régions du nord-est, et de nouvelles exactions ne peuvent être exclues. La situation humanitaire a continué à se détériorer, note Charlotte Baudoin, les frappes aériennes israéliennes se sont intensifiées, tandis que les hostilités en cours dans les régions du Nord et du Sud, ainsi que l’instabilité récente et la détérioration du contexte dans les zones côtières, ont aggravé les conditions humanitaires et accru les préoccupations en matière de protection.
Un autre défi majeur est le retour progressif des réfugiés, estimé à 125 000 personnes depuis la chute du régime. Pour rappel, selon les Nations Unies, près de 6,5 millions de personnes ont fui la Syrie depuis le début de la guerre civile, auxquels s’ajoutent 8 millions de déplacés internes. Ces retours posent des questions sur l’accès aux services de base pour des personnes qui retrouvent leur village en ruine après des années d’exil, et la capacité des ONG à répondre aux nouveaux besoins. Dans un contexte où les financements sont incertains et les infrastructures encore fragiles, les organisations humanitaires doivent trouver des solutions durables pour accompagner cette transition.
L’humanitaire doit absolument réussir cette première phase de réponse à l’urgence, pour permettre à la Syrie de passer à l’étape suivante, celle de la reconstruction, explique Olivier Routeau.
Photo de PUI lors d’une visite en Syrie en janvier 2025
Soutien international et incertitudes financières : un équilibre fragile
Le rôle de la communauté internationale est aujourd’hui crucial dans le relèvement de la Syrie. Depuis la chute du régime, plusieurs États et organisations multilatérales ont annoncé des plans de soutien à la reconstruction, mettant en avant la nécessité d’un développement inclusif et d’une stabilisation politique. L’Union européenne, par exemple, a réaffirmé son engagement en faveur d’une transition pacifique et durable, tandis que des institutions comme la Banque mondiale commencent à envisager des projets de relèvement.
Ce soutien international est essentiel pour réhabiliter les infrastructures détruites, soutenir les services de base et favoriser le retour des déplacés et des réfugiés. Olivier Routeau souligne que sans un engagement fort des bailleurs internationaux, les capacités locales resteront trop limitées pour répondre aux immenses besoins humanitaires et de reconstruction. Ce soutien doit permettre de passer d’une logique d’urgence à une aide plus pérenne.
Cependant, cette dynamique est bouleversée par une réorganisation des financements humanitaires. Le gel soudain des fonds américains, qui s’élevaient via l’agence USAID, à un budget annuel global de 42,8 milliards de dollars (soit 42% de l’aide humanitaire mondiale), a créé une incertitude majeure pour les ONG sur le terrain. L’aide américaine en Syrie représentait environ un quart des donations au plan de réponse humanitaire en 2024, soit 377,7 millions de dollars [2]. La suspension des financements a forcé de nombreuses organisations à réduire drastiquement leurs opérations, voire à se retirer de certaines zones.
Face à ces restrictions, les acteurs humanitaires doivent réévaluer leurs stratégies de financement, et cherchent alors à diversifier leurs sources. Mais cette décision de la nouvelle administration Trump s’inscrit dans une tendance plus globale de baisse des financements pour l’aide internationale. Les coupes dans les budgets de l’Aide Publique au Développement (APD) de plusieurs pays européens, dont la France, suscite de vives inquiétudes et imposent une approche très courtermiste.
Dans ce contexte incertain, la coordination entre humanitaire et développement devient essentielle. Nous devons éviter un vide humanitaire qui laisserait des millions de Syriens sans soutien à un moment critique, insiste Olivier Routeau. Enfin, la levée des sanctions restantes apparaît comme une condition nécessaire pour faciliter la reprise économique et permettre aux acteurs humanitaires de travailler plus efficacement sur le terrain.
Un avenir imprévisible, un engagement indispensable
Alors que la Syrie entre dans une nouvelle phase de son histoire, les défis humanitaires sont immenses. Si la chute du régime a ouvert certaines perspectives, elle a aussi laissé un pays dévasté où l’urgence humanitaire côtoie les besoins de reconstruction.
Le soutien international sera déterminant pour éviter une nouvelle catastrophe. Mais entre la baisse des financements et l’instabilité sur le terrain, les ONG peinent à s’adapter. La levée des sanctions restantes, une meilleure coordination humanitaire et des financements adaptés seront essentiels pour accompagner la Syrie sur le long terme, si celle-ci se stabilise et ne retombe pas dans un nouveau conflit.
India Hauteville est diplômée d’un premier master en Politique Internationale à Sciences Po Bordeaux et actuellement étudiante au sein du master Intégration et mutations en Méditerranée et au Moyen-Orient à Sciences Po Grenoble. Elle est l’assistante actuelle du fondateur de Solidarités International, Mr. Alain Boinet.
Particulièrement intéressée par le conflit syrien, elle rédige actuellement un mémoire sur l’articulation entre les principes humanitaires et les réalités du terrain syrien, en prenant l’ONG Solidarités International comme étude de cas.
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