La solidarité soumise à rude épreuve.

Point de contrôle installé sur le Pont Hakari. Crédit Photo : Jora @TheScarmind (Twitter)

Arméniens de l’Artsakh, Aide Publique au Développement et à l’humanitaire, accès à l’eau potable.

L’escalade quotidienne des menaces contre les Arméniens impose son rythme à une diplomatie sur la défensive dont on espère la paix mais qui peine à endiguer les risques.

L’Azerbaïdjan installe le 23 avril un check-point militaire à l’entrée même du corridor de Latchine au niveau du pont de Hakari tout en maintenant celui situé depuis le 12 décembre à Chouchi, à l’entrée de Stepanakert, la capitale de l’Artsakh.

Le vendredi 28 avril, l’Azerbaïdjan bloque durant près de 14h un convoi de véhicules Russes de ravitaillement de l’Artsakh.

Les Russes confirment l’emploi de drones azéris contre l’artsakh et affirme avoir des moyens de prévention contre ceux-ci. Au même moment, le fabricant de drones turcs Baykar passe un contrat de partenariat et la construction d’une usine de fabrication avec l’Azerbaïdjan.

Samedi 29 avril, des tirs azéris blessent un soldat arménien dans le village de Tegh dans la province arménienne du Syunik à l’entrée du corridor de Latchine.

Au même moment, les autorités aéronautiques turques annulent sans préavis l’autorisation accordée à la compagnie Flyone Armenia d’effectuer des vols vers l’Europe en utilisant l’espace aérien turc.

Loin de se calmer, nous devons craindre que cette escalade qui semble graduée, progressive et systématique ne se poursuivre plus loin pour asphyxier l’Artsakh et éroder la volonté de résistance de l’Arménie.

Le risque de dérapage et d’expansion sont si sérieux que l’Iran vient de déclarer : « Toute intrusion sur le territoire de l’Arménie entraînera une réponse des forces armées iraniennes ».

Faudra-t-il qu’un conflit éclate pour que le Conseil de Sécurité des Nations-Unies ne se saisisse trop tard de ce danger ?

Le ministre arménien des Affaires étrangères, Ararat Mirzoyan et la ministre française de l’Europe et des Affaires étrangères Catherine Colonna au Mémorial du génocide arménien et ont déposé des fleurs devant la flamme éternelle au mémorial du génocide des Arméniens de Tsitsernakaberd à Erévan. Crédit Photo : MEAE

Catherine Colonna, ministre française de l’Europe et des Affaires Etrangères, vient justement d’effectuer une mission diplomatique en Azerbaïdjan puis en Arménie. « Faire la paix est possible. Cela suppose vision, détermination et courage » a-t-elle déclaré. Mais ces conditions existent-elles et surtout peuvent-elles converger. Le soutien de la France à l’Arménie a-t-il été à la hauteur du discours officiel, de l’histoire et d’une menace existentielle.

Catherine Colonna s’est également rendue au Mémorial du génocide de Tsitsernakaberd à Erevan au moment du douloureux anniversaire du génocide arménien en 1915 qui fit plus d’un million de victimes. Génocide toujours nié par la Turquie officielle.

Elle a également apporté son soutien à la mission d’observation de l’Union Européenne basée à Djermouk qui vise à stabiliser les frontières entre les deux pays après l’annexion en septembre 2022 d’un territoire arménien d’environ 170 km2 selon des experts. C’est curieux comme cela ressemble à l’annexion de territoires du nord-est de la Syrie par l’armée Turque.

De nouvelles séries de discussions entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan vont se dérouler à Washington. Qu’en sortira t’-il d’effectif pour la paix et la justice.

Et nous, que pouvons nous faire. Nous, simples citoyens, responsable d’association, de fondation, de collectivités locales, nous responsable politique, économique ou culturel. Surtout, ne pas attendre et manifester concrètement de divers manières notre solidarité avec l’Arménie et l’Artsakh menacées.

Comité interministériel de la coopération internationale et du développement à Matignon le 08.02.18. Crédit : Benoît Granier, Matignon

Le Conseil Présidentiel du Développement se réunit pour la seconde fois.

Le premier Conseil a eu lieu en décembre 2020 et le second va avoir lieu entre le 3 et le 5 mai 2023 au moment même où est publié cette édition ! Nous en reparlerons donc dans la prochaine édition, mais je souhaite d’ores et déjà l’évoquer avec vous compte-tenu des enjeux.

Ce Conseil Présidentiel du Développement est important car c’est lui prend les décisions principales qui vont fixer le cadre du prochain Conseil Interministériel de la Coopération au Développement (CICID) qui aura lieu début juin et qui précisera le budget de l’aide humanitaire dont les priorités seront à l’ordre du jour de la 6ème Conférence Nationale Humanitaire (CNH) qui aura lieu cet automne sous la présidence d’Emmanuel Macron.

On se souvient que le précédent Conseil avait été immédiatement suivi d’une conférence de presse à l’Elysée avec Jean-Yves le Drian et Bruno Le Maire. Jean-Yves le Drian avait alors déclaré que « le pays était revenu dans le jeu » de l’Aide Publique au Développement en se fixant alors l’objectif de consacrer 0,55% de son revenu national brut (RNB) à l’APD, alors qu’il en consacrait 0,37% en 2017 après une baisse continue sous la présidence de François Hollande qui avait déjà commencé avec Nicolas Sarkozy.

 

Crédit : OCDE

Ce premier Conseil en décembre 2020 a été rapidement suivi par une Loi de Programmation de développement solidaire (LOP-DSLIM) qui a confirmé cet objectif de 0,55% dont nous savons aujourd’hui qu’il représente 15,9 milliards de dollars contre 10,9 en 2019. Mais le plus important pour l’avenir est résumé dans une lettre ouverte du 28 avril au Président de la République de Coordination SUD signé par son président, Olivier Bruyeron et 37 ONG et qui déclare « La France doit tenir son engagement de consacrer 0,7% de son revenu national brut à l’action (ou « aide ») publique pour le développement d’ici 2025, soit environ 21,4 milliards d’euros, comme cela a été défini dans la loi de développement solidaire adoptée le 4 août 2021 » (Lire la lettre ouverte).

On voit bien l’effort et la progression que cela représente pour « impulser ce nouvel élan » qui répond notamment aux conséquences de la pandémie de la Covid 19, à la guerre en Ukraine et à la forte augmentation du nombre de déplacés, réfugiés et de personnes à secourir dans le monde.

L’enjeu principal de ce Conseil Présidentiel du Développement est donc celui des 0,7% du RNB pour l’APD et de sa trajectoire sur la durée du quinquennat jusqu’en 2027.

Il y a aussi d’autres enjeux pour les ONG. Le premier consiste à ce que 15% de l’APD bilatérale de la France soit mis en œuvre par les ONG. Et le second est qu’au moins 13% de l’APD (moyenne des pays membres du CAD de l’OCDE), voire 20% comme d’autres pays, soit affecté à l’aide humanitaire. Celle-ci est aujourd’hui largement sous financé face à la recrudescence des besoins vitaux de populations pauvres confrontées à des conflits, à des épidémies, à des catastrophes naturelles et aux

conséquences du changement climatique. Ne pas répondre à ces urgences, c’est prendre le risque de leur amplification et du désespoir propice à la radicalisation et à l’immigration forcée.

Nous reviendrons sur ce second Conseil Présidentiel du Développement dans notre prochaine édition le 31 mai.

L’urgence de l’accès à l’eau potable au Sud Soudan. Crédit : Vincent Tremeau

Quel bilan pour la Conférence de l’ONU sur l’Objectif 6 de l’Eau des ODD.

Quel bilan pour la Conférence de l’ONU sur l’Objectif 6 de l’Eau des ODD.

En introduction de cette Conférence du 22 au 24 avril à New-York, l’ONU a déclaré redouter une crise de l’eau douce dans le monde. Et pourtant, cette conférence était seulement la seconde sur l’eau depuis celle de Mar del Plata en 1977 en Argentine ! Il faudrait peut-être en tirer les leçons sur le mode de fonctionnement des Nations-Unies face aux grands enjeux collectifs de notre monde.

Alors, quel est le bilan. Si celui reste à approfondir et consolider, on peut dire que nous sommes aujourd’hui au milieu du gué. D’un côté, les participants ont noté une prise de conscience mondiale et un véritable « Momentum politique à New-York » comme le déclare Gérard Payen, vice-président du Partenariat Français pour l’Eau (PFE). A l’inverse et comme cela était d’ailleurs annoncé, aucune décision n’a été prise, il n’y a aucun plan d’action mondial, les budgets sont très insuffisants et la gouvernance reste à ajuster aux défis !

Pour avoir un point de repère indiscutable, rappelons que nous sommes à mi-parcours des Objectifs de Développement Durable pris par les Etats à l’ONU en 2015 et que nous sommes très en retard, singulièrement sur l’objectif de l’eau. L’enjeu est de se donner les moyens pour réaliser les engagements pris.

Parmi les bonnes nouvelles, on peut noter les 700 engagements de l’Agenda de l’action pour l’eau ou « Water action agenda », dont beaucoup ne sont toutefois pas opérationnels. Retenons également le fort engagement de la France qui par la voix de son ministre Christophe Béchu qui a déclaré « La France est prête à s’engager (…) en appelant de nos vœux la nomination d’un envoyé spécial auprès du Secrétaire général des Nations-Unies, doté d’un mandat fort, adapté et inclusif… ». C’est la position portée aujourd’hui par 150 Etats dont la Suisse, l’Allemagne, la France qui sont prêts à assurer le financement de ce poste stratégique.

Nous pourrions être confiants quand nous entendons qu’Antonio Guterres qui déclare que « l’eau doit être au centre de l’agenda politique mondial », que l’eau est un bien public mondial et alors qu’il évoque la nomination d’un envoyé spécial pour l’eau avant le sommet mondial des ODD en septembre à l’ONU à New-York.

Assemblée plénière de la conférence de l’Eau, à l’ONU. New York, le 22 mars 2023. Photo Crédit : IISD/ENB | Angeles Estrada.

Mais, nous savons également que le même Secrétaire général n’est au départ pas favorable à ce poste et que les agences des Nations-Unies concernées par l’eau, et elles sont plus d’une vingtaine, sont en concurrence sur les ressources et sur l’influence. Les freins sont aussi là ! Si nous devons être réalistes sur les enjeux géopolitiques contradictoires de l’eau et sur la concurrence entre agences, cela devrait-il empêcher les décisions qui s’imposent face à l’immense défis mondial de l’eau.

La dynamique dans cette voie est enclenchée. Ainsi de cet « appel à l’action » ou « call to action » (lien ici) lancé par des organisations humanitaires et qui a déjà réuni plus de 170 organisations signataires dont celles de deux pays, la Suisse et la France. Nous devons soutenir cette dynamique afin qu’elle réunisse toujours plus de signataires en perspective de la prochaine échéance décisive qui sera celle du Sommet mondial des ODD à New-York le 18 septembre 2023.

Comme le dit Marie-Laure Vercambre, directrice générale du PFE, si nous voulons sortir « …d’un processus désordonné, nous avons le plus grand besoin de vision et de cadre ».

Pour ce Sommet le 18 septembre, il nous faut la nomination d’un représentant spécial avec un mandat robuste, du leadership et une équipe à la hauteur. Il nous faut aussi une réunion régulière des Etats pour impulser l’Objectif 6 pour l’eau d’ici 2030. Il nous faut un plan d’action mondial et le financement nécessaire estimé à 1000 milliards de dollars par an qui permettront notamment de soutenir les pays les plus démunis, notamment en Afrique sub-saharienne, sans oublier l’aide humanitaire pour l’eau aux victimes des conflits, des pandémies et du réchauffement climatique.

Conclusion.

L’Artsakh, l’APD et l’eau ne sont-elles pas liées, même de loin et à distance, par la géopolitique, les moyens d’existence, la solidarité, les biens communs.

On devrait plus s’inquiéter du risque de guerre dans le Caucase du sud et du sort de la minorité menacée que sont les Arméniens de l’Artsakh.

Antoine de Saint Exupéry écrivait dans Terre des hommes » : L’eau n’est pas nécessaire à la vie, elle est la vie ». Partageons là avant qu’elle ne devienne un objet de conflit.

L’Aide Publique au Développement est la preuve d’une solidarité concrète avec les pays qui ont un urgent besoin de paix et de développement pour leur population toujours plus nombreuses. C’est non seulement une assurance vie pour ces populations mais une assurance de coexistence pacifique face aux risques de radicalisation et de mouvements migratoires massifs.

Josep Borell, le chef de la diplomatie européenne déclarait récemment : « Le système mondial risque de se fragmenter ». Je crains que la guerre mondialisée en Ukraine ne soit le signal de cette fragmentation. Dans tous les cas, ne devons-nous pas sauvegarder à tout prix la solidarité avec ceux pour lesquels elle est juste la vie si ce n’est la survie.

Alain Boinet.

Chronique humanitaire et géopolitique : Rwanda, Afghanistan, Arménie-Artsakh

Génocide des tutsis au Rwanda, photos des victimes, mémorial de Gisozi à Kigali.

Ibuka signifie « souviens-toi » en kinyarwanda, la langue des rwandais. Souvenons-nous, il y a 27 ans, le 7 avril 1994, débutait le génocide des tutsis rwandais qui a tué 800.000 d’entre eux sous les coups de machette des Interahamwe, sinistre milice hutu. 

Avant et après ce drame, il y eut beaucoup de développeurs et d’humanitaires au pays des « mille collines ». J’étais sur place en mai 1994 avec Solidarités International du fait du génocide, parce que l’on ne pouvait pas ne pas y aller secourir. Nous ne connaissions pas grand-chose de ce beau pays qui sombrait brutalement en enfer, pas plus que de la politique de la France, de l’ONU et d’autres pays. 

Peu d’humanitaires ont été des témoins directs des massacres et beaucoup ont alors quittés le Rwanda impuissants, tout comme la presque totalité des forces de la Mission des Nations-Unies au Rwanda (MINUAR) au pire moment !  Il y eut cependant quelques organisations et individus exemplaires dont le CICR, le père Blanchard, Marc Vaiter, d’autres encore. Souvenons-nous également de la campagne de MSF d’alors : « On ne soigne pas un génocide avec des médecins » qui reste à méditer. 

Il y a eu alors l’Opération militaire française « Turquoise » sous mandat des Nations-Unis, venu pour « protéger les civils et permettre l’aide humanitaire ». C’est la victoire militaire du Front Patriotique Rwandais tutsis, dirigé par Paul Kagamé, qui mettra un terme à cette guerre-génocide avec un pays fracturé, 800.000 tutsis massacrés, des millions de déplacés et réfugiés, les infrastructures détruites et des prisons pleines. 

Le Rapport de Vincent Duclert et de sa commission de recherche est sans appel. La France a des responsabilités lourdes et accablantes mais n’a pas été complice du génocide. Il évoque « la cécité et l’indigence de l’analyse politique » et l’incapacité intellectuelle et cognitive d’un petit groupe d’hommes déconnectés, de penser la préparation du génocide malgré les alertes au sommet de l’Etat. 

Comme l’a dit justement le Président de la République française, Emmanuel Macron, au Mémorial de Gisozi à Kigali le 27 mai 2021 « Seuls ceux qui ont traversé la nuit peuvent peut-être pardonner, nous faire le don alors de nous pardonner ». Enfin, après 27 ans, est venu la reconnaissance d’une lourde responsabilité politique comme préalable à l’apaisement des mémoires et à toute coopération future. 

Dans cet éditorial, j’aurai pu éviter de parler du génocide tant il y a d’embuches à l’évoquer. Au contraire, c’est à nouveau le moment de se souvenir. Comme beaucoup d’autres humanitaires, je suis venu secourir les rescapés au Rwanda et je me demande si nous avons bien pris alors la mesure du génocide, dans son intention, son organisation et son ampleur. Certes, nous n’étions pour la plupart pas présents sur les lieux des massacres et nous étions alors trop absorbés par la tâche à remplir. 

Familles rwandaises fuyant les combats. Certains mourront en route. ©AFP

J’en ai tiré une leçon simple. La mission des humanitaire est de secourir pour sauver des vies. Mais il n’est pas interdit de chercher à comprendre pourquoi des vies sont fauchées. Au nom du principe d’impartialité, je n’invite pas à faire autre chose que de l’humanitaire alors que nous ne parvenons déjà pas à faire tout ce qu’il faut. 

Mais, être lucide doit nous permettre de ne pas être instrumentalisé et surtout d’être plus proche et utiles aux victimes. Je me souviens que, comme tant d’autres acteurs humanitaires, avec Solidarités International nous avons entre 1994 et 2000 reconstruit et relancé des centres de nutrition à Kibuye, nous avons distribué avec nos camions des centaines de milliers de briques pour reconstruire dispensaires, hôpitaux et autres bâtiments du service public, nous avons évacué des blessés et des enfants perdus à Kibeho, nous avons nourri des centaines de milliers de déplacés à Gikongoro, simplement parce que la souffrance des autres n’est pas supportable et pour tenter de sauver des vies. IBUKA

Afghanistan. 

Encore et toujours, depuis 42 ans, la guerre est le quotidien de plusieurs générations d’afghans depuis que les Soviétiques et les communistes afghans ont enclenché un conflit sans fin. Aujourd’hui, 20 ans après leur intervention, suite à la destruction du Word Trade Center le 11 septembre 2001, les dernières troupes américaines vont quitter l’Afghanistan d’ici le 11 septembre 2021. C’est une page de l’histoire afghane qui se tourne avant qu’une autre ne suive. Elle a déjà commencé. 

Le temps du bilan de ces 20 ans viendra bientôt, mais là aussi il n’est pas inutile de se poser au préalable quelques questions. Car, après la plus longue guerre des Etats-Unis, après 2000 milliards de dollars dépensés, après avoir mobilisé jusqu’à 130.000 soldats de l’OTAN dont 90.000 américain, quel est le bilan, ou en sommes-nous. On est tenté de dire, tout cela pour ça ! 

Des soldats américains rejoints par l’armée nationale afghane lors de l’opération Shir Pacha dans les montagnes de Spira (21.11.2008) ©DAVID FURST / AFP – AFP

Comment avoir pu penser fin 2001, après la retraite des talibans de Kaboul et de Kunduz, que ceux-ci avaient définitivement perdu et disparu. Comment avoir pu croire qu’ils n’avaient pas de base sociale et de soutien dans la population. Il faut n’avoir jamais mis les pieds dans les campagnes du sud ou de l’est afghans pour être aveugle à ce point. 

Là aussi, comme pour le Rwanda, je pourrai éviter ce sujet sensible. Mais là aussi, j’ai trop été le témoin d’erreurs de jugement, d’aveuglement et même de propagande et d’infox, de « fake news » pour ne pas penser que ces erreurs d’analyse ou de parti pris ne sont pas une partie du problème et de l’échec politique à trouver une alternative négociée mettant un terme à une guerre sans fin. 

Il semble clair aujourd’hui que l’erreur originelle est de ne pas avoir invité les Talibans à participer aux Accords de Bonn le 5 décembre 2001, alors que tous les partis et factions afghanes étaient présents et parmi ceux-ci nombre de participants étaient autant sinon plus radicaux que les Talibans eux-mêmes, sans parler de certains chefs de guerre criminels bien connus. Les Accords de Bonn avaient deux objectifs principaux dont la réconciliation entre afghans ! On mesure bien aujourd’hui combien les inviter était au fond central. A l’époque, les Talibans étaient affaiblis et certains d’entre eux auraient pu initier un mouvement de ralliement au processus.

Je dis cela alors que j’ai des amis afghans dans tous les camps en lutte entre eux et parce que cette guerre sans fin, qui désespère tous les amis de l’Afghanistan, est un échec collectif, tant pour les afghans que pour leurs alliés respectifs. Mon propos ici est simplement de rappeler que l’on ne fait pas la paix avec ses amis, mais avec ses ennemis. 

Soldats afghans dans les rues de Kaboul après un attentat. ©Rahmat Gul/AP/SIPA

Je souhaite ici conclure provisoirement en citant Louis Gautier, directeur de la chaire « grands enjeux stratégiques contemporains » de la Sorbonne. « L’échec des opérations extérieures découle toujours d’erreurs d’appréciation sur les finalités politiques de l’action militaire ». Et aussi :  « Si l’intervention ne parvient pas à créer les conditions d’un compromis entre belligérants et s’éternise, l’échec est assuré. Eléments d’une solution, on se retrouve partie du problème. Comme en Irak et en Afghanistan, le retrait des forces étrangères devient alors la clef du règlement négocié ». 

Il n’y a plus qu’à espérer un règlement négocié entre afghans sans oublier tout de même l’autre hypothèse qui est la poursuite de la guerre. Avec quelles conséquences ? Dans tous les cas, les humanitaires doivent se préparer à s’adapter en étant avant tout très proche des populations, de leurs besoins et de leurs attentes, de leur implication et de leur mode de vie. 

Arménie-Artsakh. 

Comment peut-on comprendre les arméniens, si l’on oublie le génocide dont ils ont été victimes pour plus d’un million d’entre eux, il y a plus d’un siècle. Génocide décidé et exécuté par le gouvernement turc de l’époque qui, aujourd’hui encore avec Recep Tayyip Erdogan, continue d’en nier l’existence même. Nier le génocide, n’est-ce pas au fond nier les arméniens et leur pays.  

C’est certainement ce à quoi pensaient les arméniens quand, brusquement, l’Azerbaïdjan a lancé le 27 septembre 2020 une vaste offensive militaire contre le territoire du Haut-Karabagh, appelé aujourd’hui Artsakh, avec le soutien actif des turcs et de djihadistes syriens.  C’est un fait avéré. 

Salle de classe à Stephanakert, Artsakh après un bombardement. ©Alain Boinet

L’Artsakh, c’est ce petit territoire peuplé d’arméniens depuis si longtemps, avec ses monastères du 12e siècle, et qui après avoir été rattaché à l’Arménie en a été détaché par Staline en 1923 pour mieux diviser pour régner. Les décisions territoriales de Staline sont-elles encore force de loi internationale aujourd’hui face à l’histoire et au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. 

Dire cela, ce n’est pas nier les droits des azéris ni les souffrances qu’ils ont aussi endurées. J’en ai personnellement rencontré à Bakou, des paysans chassés de ces terres, et vivant misérablement dans des taudis. C’est juste considérer que l’on ne peut pas aujourd’hui nier un peuple sur un territoire ancestral, malgré les lignes de fracture, comme dans les Balkans. Aujourd’hui, les russes qui ont négocié un cessez-le-feu et un accord temporaire, assurent une paix fragile avec leur force de maintien de la paix.

Alors, cette guerre perdue par les arméniens est-elle vraiment terminée. Rien n’est moins sûr alors que les incidents se multiplient le long de la ligne de démarcation. Rien de moins sûr alors que le président azéri, Ilham Aliev, a déclaré qu’Erevan, la capitale de l’Arménie, le lac Sevan et la province arménienne de Sunik étaient « des terres azerbaidjanaises historiques » ! 

Dans l’immédiat, sur le petit territoire de l’Artsakh ou vivent 150.000 arméniens, encerclés et reliés à l’Arménie par le cordon ombilical de Latchin, l’avenir est tellement incertain.  

Certes, pour les humanitaires, ce n’est pas une urgence comme en Syrie, au Sahel ou en RCA, mais plutôt comme nous l’avons connu en Roumanie après la révolution en 1989 ou encore en Bosnie après la guerre en 1995. 

Infirmières arméniennes en formation à Stephanakert, capitale de l’Artsakh. Beaucoup sont des déplacées de force par les combats. ©Alain Boinet

Il est nécessaire et possible de soutenir les arméniens de l’Artsakh comme nous avons pu le constater sur place: déminage, réhabilitation des handicapés, constructions de maisons pour les familles chassées de leurs villages, éducation, soutien aux hôpitaux.  Cela a commencé, cela doit s’amplifier pour ne pas désespérer de la solidarité avec ceux qui se sentent bien seuls dans leurs montagnes là-bas !  Comme en témoignent Elina, Arminé, Alina, Mariam avec « Les lettres arméniennes de l’Artsakh » que nous publions dans cette édition. 

 

Conclusion provisoire. 

Comme le savent les lectrices et lecteurs de Défis Humanitaires, si l’un de nos objectifs est de promouvoir l’humanitaire, un autre est d’établir les raisons géopolitiques des conflits et les liens avec l’humanitaire et, la dernière, de chercher à identifier les grands défis. Cette chronique humanitaire et géopolitique le montre bien. 

Comme humanitaire, je dis aux humanitaires, préservez vos principes d’humanité, d’impartialité et d’indépendance qui constituent les conditions mêmes d’une aide humanitaire possible dans les conflits. 

Comme observateur de ces conflits et des relations internationale, je crois que pour être proche des populations que l’on secoure, il faut comprendre les racines de ces conflits afin d’être plus lucide, efficace, en sécurité et de ne pas être instrumentalisé. 

Nous avons souvent constaté comment “l’indigence de l’analyse politique” pouvait déclencher ou alimenter le pire. Raison de plus pour l’éviter à notre échelle dans l’action humanitaire. 

Si cet article, comme d’autres dans cette édition, peut vous être utile, il peut surement l’être aussi à vos relations avec lesquelles vous pouvez le partager. 

Si vous souhaitez que Défis Humanitaires poursuive ses publications et les développe, je vous remercie pour le soutien du don que vous pourrez faire sur Hello Asso

Alain Boinet. 

Président de Défis Humanitaires.