Enfants se rendant à pied à une rivière voisine pour s’approvisionner en eau au Laos @ADB
Le « Rapport sur les progrès en matière d’eau potable et d’assainissement et d’hygiène » est le document de référence pour le suivi de l’Objectif 6 des Objectifs de Développement Durable (ODD) 2015-2030 de l’ONU. Il s’agit d’une étude regroupant les données d’un nombre maximal de pays, menée conjointement par l’OMS et l’UNICEF au sein d’un programme commun de surveillance (le Joint Monitoring Program – JMP) qui est le dépositaire des données mondiales sur l’approvisionnement en eau, l’assainissement et l’hygiène. Le JMP produit un rapport tous les trois ans pour faire état des progrès en la matière en publiant des données fiables.
Le dernier rapport, sorti le 6 juillet 2023, fait état des avancées en matière d’accès à l’eau mais également des progrès qu’il reste à faire pour atteindre les ODD tout en présentant les enjeux qui rejoigne l’ODD 5 concernant l’égalité des genres. La présente synthèse reprend la structure même du rapport et permet d’avoir un aperçu des données clés collectées et mises en perspective par rapport aux objectifs pour 2030.
Des progrès à intensifier…
Ce rapport présente des estimations nationales, régionales et mondiales actualisées, concernant l’accès à l’eau, l’assainissement et l’hygiène des ménages sur la période 2000-2022. L’accès universel et équitable à l’eau potable, à l’hygiène et à l’assainissement d’ici 2030 constitue un des Objectifs de Développement Durable de l’ONU et des pays membres.
Pour atteindre les cibles de l’ODD 6 d’ici à 2030, il faudra multiplier par six les taux de progression actuels concernant la gestion sécurisée de l’eau potable, par cinq pour la gestion sécurisée de l’assainissement et par trois pour la fourniture de services d’hygiène de base.
Dans les pays à faible revenu, la réalisation de la couverture universelle des services AEPHA de base d’ici 2030 nécessitera une accélération spectaculaire des taux de progrès actuels.
…Pour atteindre des objectifs conjoints
Les progrès en matière d’eau potable, d’assainissement, de santé et d’hygiène sont indispensables à la réalisation de l’ODD 5, qui vise à “réaliser l’égalité des sexes et l’autonomisation de toutes les femmes et les filles” et le présent rapport met l’accent sur le genre pour refléter cet aspect.
En effet, il existe de nombreux liens entre ces deux ODD :
1,8 milliard de personnes s’approvisionnent en eau potable dans des sources d’approvisionnement situées à l’extérieur des habitations et dans sept cas sur dix, les femmes et les filles sont les principales responsables de la collecte de l’eau.
Dans presque tous les pays disposant de données comparables la charge du transport de l’eau reste significativement plus lourde pour les femmes et les filles que pour les hommes. L’estimation établie dans le rapport comprend la collecte à partir de sources d’eau potable améliorées et non améliorées.
Plus d’un demi-milliard de personnes partagent des sanitaires et points d’eau avec d’autres ménages. Les données émergentes montrent que parmi ces personnes, les femmes sont plus susceptibles que les hommes de se sentir mal à l’aise ou peu en sécurité avec les installations sanitaires, notamment lorsqu’elles marchent seules après la tombée de la nuit.
L’absence d’installations pour le lavage des mains a un impact plus fort sur les adolescentes et les femmes qui sont les principales responsables des enfants et des tâches ménagères dans de nombreux pays du monde.
Des services eau-assainissement-hygiène (EAH souvent dénommé WASH) inadéquats limitent la capacité des adolescentes et des femmes, ainsi que des autres personnes qui ont leurs règles, de gérer leurs menstruations en toute sécurité et en toute intimité.
Les services d’eau potable
Depuis 2015, la couverture en eau potable gérée est passée de 69 % à 73 %, passant de 56 % à 62 % dans les zones en milieu rural et de 80 % à 81 % en milieu urbain.
En 2022, une personne sur cinq manquait d’eau potable gérée en sécurité et cet accès varie largement selon les régions du monde.
Quelques données clés :
En 2022, 73 % de la population mondiale utilise des services d’eau potable gérés en toute sécurité, 62 % en milieu rural et 81 % en milieu urbain.
2,2 milliards de personnes n’ont pas accès à de l’eau potable gérée en toute sécurité dont 1,5 milliard à des services de base, 292 millions à des services limités, 296 millions avec des services non améliorés et 115 millions à de l’eau de surface.
Les estimations concernant les services gérés en toute sécurité sont disponibles pour 142 pays et six des huit régions des ODD, représentant 51 % de la population mondiale.
Pour parvenir à un accès universel à des services gérés en toute sécurité d’ici à 2030 il faudra multiplier par six les taux de progression actuels (20 fois dans les pays les moins avancés, 19 fois dans les contextes fragiles)
Les services d’assainissement
Depuis 2015, la couverture de l’assainissement a augmenté de 49 % à 57 %, passant de 36 % à 46 % dans les zones rurales et de 60 % à 65 % dans les zones urbaines.
En 2022, deux personnes sur 5 n’avaient pas d’accès sécurisé à l’assainissement et cet accès varie largement selon les régions du monde.
Quelques données clés :
En 2022, 57 % de la population mondiale utilise des services d’assainissement gérés en toute sécurité, 46 % en milieu rural et 65 % en milieu urbain.
3,5 milliards de personnes n’ont pas accès à des services d’assainissement gérés en toute sécurité, dont 1,9 milliard à des services de base, 570 millions à des services limités, 545 millions à des services non améliorés et 419 millions pratiquant la défécation à l’air libre.
Les estimations concernant les services gérés en toute sécurité étaient disponibles pour 135 pays et sept des huit régions des ODD, représentant 86 % de la population mondiale.
L’accès universel à des services gérés en toute sécurité d’ici à 2030 nécessitera de multiplier par cinq les taux de progrès actuels, par 16 dans les pays les moins avancés et par 15 dans les contextes fragiles.
Les services d’hygiène
Depuis 2015, la couverture des services d’hygiène a augmenté de 67 % à 75 %, passant de 53 % à 65 % en dans les zones rurales, mais est restée largement inchangée, à 83 %, dans les zones urbaines.
En 2022, une personne sur quatre n’a pas accès aux services d’hygiène de base, mais quatre régions n’ont pas de données suffisantes sur le sujet.
En 2022, une personne sur quatre manque d’accès aux services d’hygiène de base (certaines régions ne fournissent pas de données)
Quelques données clés :
En 2022, 75 % de la population mondiale utilise des services d’hygiène de base, 65 % en milieu rural et 83 % en milieu urbain.
2 milliards de personnes manquent de services d’hygiène de base, dont 1,3 milliard à des services limités et 653 millions sans installations.
Des estimations concernant les services de base étaient disponibles pour 84 pays et quatre des huit régions des ODD, représentant 69 % de la population mondiale.
Pour parvenir à un accès universel aux services d’hygiène de base d’ici à 2030, il faudra multiplier par trois les taux de progrès actuels (par 12 dans les pays les moins avancés et par huit dans les contextes fragiles).
La santé et l’hygiène menstruelle
53 pays disposaient de données pour au moins un indicateur de santé menstruelle en 2022, et les trois quarts d’entre eux étaient des pays à revenu faible ou moyen inférieur.
Les adolescentes et les femmes ont accès à des protections hygiéniques et à un lieu privé pour se laver et se changer dans la plupart des régions du monde. Cependant elles ne participent pas à l’école, au travail ou à des activités sociales pendant leurs règles.
Quelques données clés :
53 pays disposent de données pour au moins un indicateur de santé menstruelle en 2022, et les trois quarts d’entre eux étaient à faible revenu ou à revenu intermédiaire de la tranche inférieure.
Les adolescentes et les femmes vivant dans les zones rurales sont plus susceptibles d’utiliser du matériel menstruel réutilisable ou de ne pas utiliser de matériel du tout.
Les adolescentes et les femmes appartenant au quintile de richesse le plus pauvre et celles rencontrant des difficultés matérielles sont plus susceptibles de ne pas disposer d’un endroit privé pour se laver et se changer à la maison.
De nombreuses adolescentes et femmes ne participent pas à l’école, au travail ou à des activités sociales pendant les règles mais il existe des différences significatives entre les pays et à l’intérieur de ceux-ci.
D’où proviennent les données de l’étude ?
La question est importante car tous les Etats n’effectuent pas les mêmes mesures, ainsi, certaines régions du monde ne peuvent fournir aucunes données sur certaines thématiques précises. Il existe une disparité entre les Etats selon leur niveau de richesse mais également selon les thématiques. C’est pourquoi il n’y a pas le même nombre de données disponibles, mesurables ou accessibles dans tous les domaines.
En définitive, les progrès sont encore nombreux pour atteindre les objectifs d’ici 2030.
Le Rapport JMP de l’UNICEF et de l’OMS a l’immense mérite d’exister et d’indiquer ce qui reste à réaliser pour atteindre l’Objectif 6 des 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) décidé par les Etats membres de l’ONU en 2015. Le Sommet mondial des ODD qui aura lieu à New-York le 18 septembre prochain répondra t’il aux attentes et propositions des acteurs de l’eau pour y parvenir sans oublier personne ! A suivre dans une prochaine édition de Défis Humanitaires.
Ces structures en demi-lune sur un sol stérile ont été créées dans le village de Gobro, au Niger. Elles sont conçues pour conserver l’eau de pluie lors des prochaines précipitations, remplir la nappe phréatique et favoriser la repousse de la végétation. @ Fatoumata Diabate/Oxfam
Les chiffres
La situation alimentaire actuelle est plus alarmante que jamais. Selon David Beasley, directeur du programme alimentaire mondiale, nous sommes face à la pire crise alimentaire et humanitaire depuis la Seconde Guerre mondiale.
Après être restée relativement stable depuis 2015, la prévalence de la sous-alimentation (indicateur 2.1.1 des ODD) a grimpé de 8,0% à 9,3% en 2020 et n’a cessé d’augmenter pour arriver à 9,8% en 2022. Le rapport sur l’Etat de la sécurité alimentaire et de la nutrition mondiale 2022 [1]de l’ONU estime qu’entre 702 millions à 828 millions de personnes dans le monde, représentant 9% et 10,5% de la population, ont été victimes de la faim en 2021. En d’autres termes, 46 millions de personnes de plus qu’en 2020 et 150 millions de plus qu’en 2019 auraient souffert de la faim en 2021.
Ces chiffres déjà alarmants n’ont cessé de s’accroitre. En 2023, près de 350 millions de personnes se trouvent en situation d’insécurité alimentaire aiguë. C’est plus du double qu’en 2020 et plus de dix fois supérieur à il y a 5 ans. La situation n’est pas près de s’arranger puisque les disponibilités alimentaires mondiales connaissent leur niveau le plus bas depuis ces trois dernières années.
Le rapport de l’ONU sur l’état de la sécurité alimentaire de la nutrition mondiale de 2022 apporte une vision technique et précise de la réalité des personnes en sous-nutrition dans le monde et des régions principalement touchées. Plus de 425 millions vivent en Asie, soit plus de la moitié du nombre total ; 278 millions en Afrique, soit plus du tiers, et 57 millions, soit 8%, se trouvent en Amérique Latine et dans les Caraïbes.
Prévalence de la sous-nutrition entre 2005 et 2021. @FAO
Les pays occidentaux ne sont pas totalement épargnés puisqu’en Europe, malgré le système agricole de l’UE soutenu par la PAC, la hausse des prix des denrées alimentaires ne cessent de menacer les européens et nous rappellent que la crise alimentaire mondiale est bien réelle et plus présente que jamais. En janvier, les prix des denrées alimentaires dans l’ensemble de l’Union européenne ont augmenté en moyenne de 18,4 %, par rapport à l’année précédente. La Hongrie est le pays connaissant la hausse la plus conséquente (48,2%), puis la Lituanie (32%) suivie de près par la Slovaquie (28,6%).
En France, l’Insee estime que les prix des produits alimentaires ont connu une hausse de 14,8% en une année tandis que les prix à la consommation ont augmenté de 6,2% entre février 2022 et février 2023.
Des femmes attendent la distribution de l’aide alimentaire à Mao, au Tchad. EC/ECHO/Mathias Eick
Les facteurs
Les conflits restent l’un des facteurs les plus déterminants dans la crise actuelle que nous connaissons[2].
Maria Haga, vice-Présidente adjointe responsable du Département des relations extérieures et de la gouvernance du Fonds international de développement agricole des Nations Unies, explique que la faim est à la fois la résultante du conflit mais également la cause. En effet, la faim est utilisée comme une arme de guerre, c’est ce qui a pu être constaté dans de nombreux pays : affamer les populations, détruire leurs moyens de productions, empoisonner les cours d’eau et les puits, brûler les terres, etc. Tant de pratiques qui sont de plus en plus couramment utilisées pour asservir les populations ou permettre des déplacements forcés de populations, ce qui engendre nécessairement des besoins alimentaires.
Nul n’est sans oublier l’impact considérable qu’a eu – et que continue d’exercer– la pandémie de Covid-19 sur la situation alimentaire. Confinements successifs, réduction de productions, perte de récoltes et de revenus, ont plongé des millions de personnes dans un état de précarité, notamment alimentaire. La pandémie a été révélatrice d’inégalités sociales : Une étude menée par ACF en France démontre que la moitié des personnes ayant recours aux aides alimentaires en 2021 n’en ressentaient pas le besoin avant la crise sanitaire.
Le rapport sur l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde estime que depuis le début de la pandémie, le nombre de personnes confrontées à la faim a augmenté de 150 millions, avec une hausse de 103 millions entre 2019 et 2020 et de 46 millions en 2021[3].
L’hypothèse selon laquelle la faim commencerait à reculer dès 2021 à la faveur de la reprise économique ne s’est finalement pas vérifiée. Le graphique ci-joint, issu du FAO, estime, selon les projections, qu’il y aurait encore près de 670 millions de personnes sous alimentées en 2030, ce chiffre serait inférieur de 78 millions si la pandémie ne s’était pas produite.
@FAO
A cela, s’ajoute bien évidemment l’invasion russe de l’Ukraine en date du 24février 2022, qui a plongé le monde dans une crise économique et a exacerbé la crise alimentaire mondiale. Bien que l’accord « Initiative céréalière de la mer Noire »[4] a permis un retour à une certaine stabilisation des prix[5], celui-ci reste fragile, notamment au regard de l’incertitude russe de le prolonger[6].
Si le contexte géopolitique actuel est inquiétant, la situation climatique quant à elle est plus qu’alarmante. Au cours des dernières années, les évènements et catastrophes liés au réchauffement climatique n’ont cessé de se multiplier et ont poussé les populations de pays déjà vulnérables dans des situations de plus en plus précaires voir mortelles.
Hausse des températures, précipitations accrues, inondations, allongement des périodes de sécheresse et augmentation de la fréquence des catastrophes naturelles[7], tout cela engendre des conséquences énormes sur la crise alimentaire mondiale, notamment des difficultés d’accès aux moyens de production, un manque d’eau accru pour les cultures et pour le bétail, mais également sur la capacité à produire des aliments en quantité et qualité suffisantes.
Les saisons se modifient impactant les périodes de cultures, soumises à des imprévisibilités météorologiques et climatiques[8].
Les 22 et 24 mars dernier, s’est tenue la Conférence de l’ONU sur l’Eau. L’ONU appelle à se préparer à une crise mondiale de l’eau douce[9]. Corrélé à la sortie du dernier rapport résumé du GIEC[10] faisant état de la situation alarmante de la hausse des températures (2 °C de hausse d’ici à 2100), le climat ne va pas en s’améliorant et promet une crise alimentaire plus meurtrière que jamais.
Homme marchant dans une rizière inondée. Photo : Nonie Reyes / Banque mondiale.
QUID de l’objectif 2.1.1 des ODD ?
Face à ces menaces croissantes, sur quelles perspectives pouvons-nous nous appuyer ?
Les dirigeants de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), du Fonds monétaire international (FMI), du Groupe de la Banque mondiale (GBM), du Programme alimentaire mondial (PAM) et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ont appelé, dans un communiqué conjoint, à secourir les « points chauds de la faim » et à faciliter le commerce, entre autres mesures. Notamment, ils appellent les Etats et bailleurs à soutenir les efforts à la fois en termes de prévention de crises que de réponses aux besoins dans les zones les plus touchées par les risques alimentaires.
Dans cette conjoncture, la France, lors de sa présidence au Conseil de l’Union Européenne en mars 2022, a lancé l’initiative FARM (Food and Agriculture Resilience mission). Ce projet, résultante d’une réunion entre divers membres à la fois privés et publics,[11] a pour visée d’endiguer la crise alimentaire provoquée par la guerre en Ukraine, en venant en aide aux pays les plus touchés et vulnérables. Ce projet a permis la création d’une coalition du secteur privé pour la sécurité alimentaire au sein de laquelle les entreprises parties prenantes s’engagent à soutenir et mettre en œuvre les missions du FARM (soutien du secteur agricole ukrainien, maintien de l’accès aux denrées agricoles et alimentaires pour les pays les plus vulnérables, renforcement des capacités agricoles de manière durable dans les pays les plus concernés, etc).
Bien que certaines mesures soient également prises de la part de l’ONU[12], du FAO[13] ou de l’Europe[14], l’objectif 2.1.1 des Objectifs de Développement Durable d’éliminer la faim d’ici 2030 parait illusoire. Avec les données actuelles et les facteurs conjoncturels, le travail reste encore colossal avant d’atteindre cet objectif.
Toutes ces initiatives ne parviennent pas à pallier la crise alimentaire en cours et, à mon sens cela résulte de trois facteurs : le premier renvoie à la fragilité d’un système alimentaire mondial trop centralisé, amenant à une profonde instabilité dès qu’une crise survient, le second intervient dans la gestion trop sectorielle desdites crises (dérèglement climatique, conflit, crises sanitaires, disparités économiques.) et enfin le maintien d’un système de réponse d’urgence, à court terme.
La fragilité du système alimentaire mondiale a largement pu être mis en évidence, par les différentes crises. La guerre en Ukraine a considérablement perturbé l’ensemble des exportations des produits agricoles, exposant les marchés mondiaux des denrées alimentaires/engrais à une réduction énorme des disponibilités et donc à une inflation considérable de ces produits[15] et à une pénurie dans les pays les plus vulnérables. La Fédération de Russie et l’Ukraine faisant partie des plus importants producteurs agricoles de la planète, cela renvoie à ce système trop centralisé, en flux tendu qui reposent sur une minorité d’acteurs[16]. Non sans oublier que la Russie est l’un des principaux exportateurs d’engrais à base d’azote, de potassium et de phosphore, dont les prix se sont envolés depuis la fin 2020, principalement à cause de l’augmentation des cours du gaz naturel et du charbon ainsi que sous l’influence de l’augmentation des coûts de transport inhérents à la pandémie de covid-19. La dépendance trop importante du marché alimentaire mondiale face à des ressources détenues par une minorité de pays rend le reste du monde tributaire de ces derniers et empêche de répondre de manière adaptée à la crise alimentaire actuelle.
Les trois C, si communément appelés, ont exacerbé la crise alimentaire actuelle. Or, il ne faut pas penser ces causes comme une superposition de facteurs qu’il faut traiter individuellement puisque leurs conséquences résultent de leur interdépendance. Dans un pays sujet à un conflit meurtrier, il est extrêmement complexe d’organiser la protection sanitaire des populations (impossible mise en place de confinements, vaccins et masques…). A titre d’exemple, en Ethiopie, au Soudan ou encore au Yemen, pays victimes de conflits meurtriers, le nombre de victimes de famines a augmenté de 500% depuis la pandémie de Covid-19. Par ailleurs, les conditions climatiques vont restreindre les ressources et cultures agricoles des populations, qui bien souvent ont été impactées par les conflits (destruction de récoltes, de moyens de productions, déplacements de populations, etc). En Somalie, qui connait une sécheresse sans précédent, le bétail se meurt en millions (plus de 9 millions). Et, bien souvent, pour les populations agricoles, il s’agit du seul moyen de subsistance pour les familles, ce qui accentue leur pauvreté. De ce fait, l’accroissement des besoins résultent des conséquences de l’interconnexion des facteurs en cause.
A ce titre, Antoine Peigney, dans une tribune parue le 25 novembre 2022[17], faisait état de la difficulté des organisations humanitaires à répondre aux besoins de plus en plus croissants. L’adaptation, face à la fois aux changements climatiques, à la hausse des prix des denrées et de l’assistance à mettre en œuvre est autant difficile que nécessaire.
Les réponses à la multiplication des besoins humanitaires alimentaires doivent nécessairement passer par le changement et l’adaptation. Accompagner l’indispensable réponse d’urgence avec une démarche de type Nexus, quand le contexte le permet et avec les populations concernées, pour établir une continuité avec une réponse plus durable.
Les fonds d’ECHO ont aidé les ménages dirigés par des femmes à louer de petites parcelles pour produire leur propre nourriture à l’aide d’outils et de semences fournis par la FAO. Mathias Eick EU/ECHO
L’adaptation passe également par la recherche sur les différentes variétés locales de céréales et d’espèces végétales pour sélectionner celles qui pourront se développer et être les plus résistantes face aux nouvelles conditions climatiques actuelles et à venir. Revenir à certaines espèces oubliées qui apparaissaient comme moins denses, mais qui ont la qualité d’être plus robustes et donc plus adaptées, des espèces pouvant pousser dans des conditions extrêmes. Ces mesures d’adaptation doivent être pensées et étudiées en prenant en compte les spécificités locales (contexte, environnement) et avec les populations : agriculteurs, agricultrices. C’est au travers de la réflexion et la mise en place de ce type de systèmes adaptés que la souveraineté alimentaire pourra être atteinte, par les populations et pour les populations.
Dans cet ordre d’idées, certaines ONG, notamment à SOLIDARITES INTERNATIONAL, cherchent à mettre en place des modèles d’aide humanitaire basés sur ces adaptations, qui prennent en compte les risques et les enjeux à la fois pour les communautés locales et pour l’environnement.
« Nous formons par exemple les agriculteurs à la fabrication et l’utilisation de biopesticides et du compost en République Centrafricaine, au Cameroun mais aussi au Myanmar ou encore au Venezuela. Nous aidons aussi les pêcheurs à mieux transformer, conserver et commercialiser localement leurs poissons au Bangladesh et au Soudan du Sud. En plus de permettre une agriculture plus durable, ces solutions participent à la lutte contre le dérèglement climatique qui est un facteur majeur de la crise en cours. »
Julia Mayans, Référente pôle sécurité alimentaire et moyens d’existence à Solidarités international.
Dans le comté de Raja, dans l’État du Bahr el-Ghazal occidental, les communautés dépendent de l’agriculture et de la pêche. Afin de faire face aux conséquences des sécheresses et des inondations, SOLIDARITÉS INTERNATIONAL a contribué à l’amélioration de la sécurité alimentaire et des moyens de subsistance de 2 400 familles, grâce au soutien du Comité Interministériel de l’Aide Alimentaire (CIAA).
Des semences de cultures et de légumes, des outils et des moyens de transport ont été distribués aux agriculteurs locaux. Des spécialistes de la sécurité alimentaire et des moyens de subsistance ont également dispensé des formations sur les pratiques agricoles durables et les meilleures techniques post-récolte.
Afin de garantir l’efficacité du projet, SOLIDARITÉS INTERNATIONAL a consulté les communautés, les groupes d’agriculteurs et les experts techniques locaux, avant le début des activités, pour sélectionner les semences et les outils les plus adaptés localement et répondre aux préférences de la population. Les semences (notamment de sorgho, d’arachide, d’aubergine, de tomate, de citrouille, etc.) ont été achetées par des entrepreneurs locaux et distribuées aux communautés en août 2021.
SOLIDARITÉS INTERNATIONAL a travaillé avec 19 personnes spécialisées dans la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance du comté de Raja, qui ont dispensé des formations techniques à 105 groupes d’agriculteurs sur les pratiques agronomiques durables et les techniques de gestion post-récolte. Elles ont également effectué des visites hebdomadaires sur les parcelles de démonstration pour suivre l’évolution des semences et fournir des conseils techniques aux agriculteurs.
La mise en place de nouveaux systèmes, les projets de recherches, d’agriculture nouvelle nécessitent deux préalables à savoir du temps et du financement, d’où la nécessité d’amorcer le changement dès aujourd’hui. Il s’agit de repenser l’agriculture, repenser les pratiques alimentaires, en consommant d’une manière plus locale, en évitant le gaspillage alimentaire et en eau, développer des méthodes alternatives d’irrigation, de culture, en somme des solutions durables pour les populations et pour la planète, toujours dans ce but d’atteindre la souveraineté alimentaire.
Action Contre la Faim, engagée pour le climat défend également une approche transversale et multisectorielle, qui permet la mise en œuvre des mesures de réponses et de prévention aux désastres mais également de préparation pour que les populations les plus vulnérables puissent garantir une meilleure forme de résilience aux différentes crises[18]. ACF promeut des systèmes plus verts et vertueux pour atteindre la sécurité alimentaire et nutritionnelle face aux changements climatiques, notamment l’agroécologie, qui, par le passé à déjà fait ses preuves[19].
Désormais, chaque acteur, qu’il soit humanitaire, étatique, civil ou organisationnel est inter-connecté et engagé. Toutefois, ces projets demandent un investissement financier considérable, et surtout nécessitent un changement radical dans les mentalités et les manières de penser et concevoir le système actuel.
SOLIDARITES INTERNATIONAL tout comme ACF et d’autres ONG montrent une autre voie possible à emprunter pour combattre ce fléau alimentaire, à travers la mise en place d’une réponse qui va de l’urgence jusqu’au développement durable. Les gouvernements doivent s’écarter du « pattern » qui ne permet pas de sortir du cercle vicieux de l’insécurité alimentaire. Ces modèles, ces actions nécessitent des investissements à la fois financiers, technologiques, techniques et des changements de mentalité. Pouvoir se nourrir à sa faim est une nécessité et un droit auquel les Etats doivent répondre au service de leur population.
[2] En 2021, plus des deux tiers (70%) du nombre total de personnes se trouvant en situation d’insécurité alimentaire se rassemblaient dans seulement 10 pays : la République démocratique du Congo, l’Afghanistan, l’Ethiopie, le Yémen, le nord du Nigeria, la Syrie, le Soudan, le Soudan du Sud, le Pakistan et Haïti. Tous ces pays se trouvent soit en situation de conflit soit souffrent de conséquences d’un conflit passé. Avec plus de 500 000 personnes vivant dans des conditions de famine en leur sein, la Somalie, le Yémen, l’Afghanistan et le Soudan du Sud sont les pays les plus touchés.
[4] L’« Initiative céréalière de la mer Noire » est un accord signé par la Russie, l’Ukraine et les Nations Unies, le 22 Juillet 2022. Cet accord vise à approvisionner les marchés en denrées alimentaires et en engrais dans un contexte de pénurie mondiale et de hausse des prix, liées à la guerre en Ukraine.
[5] Les indices des prix agricoles et des céréales ont clôturé à respectivement moins 2 % et moins 5 % par rapport aux niveaux enregistrés il y a deux semaines, tandis que l’indice des prix des exportations est resté inchangé. Les cours du maïs, du blé et du riz sont orientés à la baisse, à moins 6 %, 7 % et 2 % respectivement. En glissement annuel, les prix affichent une baisse de 15 % pour le maïs et le blé, et une hausse de 19 % pour le riz. Par rapport aux prix moyens enregistrés en janvier 2021, les cours du maïs et du blé affichent une hausse de 24 % et 7 % respectivement, et ceux du riz une baisse de 3 %.
[6] S’appliquant initialement jusqu’au 19 novembre 2022, cet accord a été prolongé deux fois par les parties prenantes. Le second prolongement, annoncé par le président Erdogan fait état d’un accord de prolongement de 120 jours à compter du 19 mars. Toutefois la Russie est revenue sur cet accord, et ne souhaite la prolongation que de 60 jours, ce qui laisse transparaitre une certaine forme de fragilité sur la situation.
[7] Les personnes exposées aux risques de catastrophes naturelles a atteint les 2 milliards.
[8] Selon les estimations, plus de 3,6 milliards de personnes vivent dans des zones où l’eau est une ressource potentiellement rare au moins un mois par an.
[11] Ce projet a été initié en mars 2022 par les membres du gouvernement français, les acteurs privés, les représentants du PAM et du Fonds International de Développement Agricole (FIDA), de la Commission Européenne et de la Banque Européenne d’Investissement puis endossé par l’Union Européenne, le conseil européen, les membres du G7, et l’Union Africaine
[12] L’ONU a fourni une aide alimentaire à de plus de 140 millions de personnes grâce à un montant de 14 millions de dollars de contributions
[13] Le FAO a investi 1 milliard de dollars pour soutenir plus de 40 millions de personnes dans les zones rurales
[14] L’Europe quant à elle aide l’Ukraine à exporter ses produits agricoles, en fournissant des infrastructures et moyens pour transporter les denrées alimentaires ukrainiennes. Les 27 pays de l’UE se sont notamment engagés à établir des actions coordonnées au travers de quatre priorités : la solidarité (aide d’urgence et humanitaire), les échanges commerciaux ouverts, la production durable et la coopération mondiale. En juin 2022, les pays de l’UE ont approuvé l’engagement de 8 milliards d’euros pour la période 2020-2024 en faveur de la sécurité alimentaire.
[15] Sur l’année 2022, l’indice FAO des produits alimentaires avait connu une hausse de 12,6% atteignant une moyenne de 159, 3 points en mars. Le prix des céréales avaient enregistré une hausse de 17% par rapport à février et les prix mondiaux du blé avait atteint 19,7%. Les céréales servant de produits de bases à de nombreuses productions et élevage, les prix de produits alimentaires et de la viande ont également grimpés.
[16] . Avant la crise, à eux seuls ils fournissaient 30% des exportations mondiales de blé, 20% de celles de maïs et près de 80% des exportations mondiales des produits à base de graine de tournesol.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.