Interview avec Alain Le Roy sur le sommet de financement des économies africaines

Emmanuel Macron lors du sommet sur le financement des économies africaines, le 18 mai 2021 à l’Elysée entouré de la directrice générale du FMI, Kristalina Gueorguieva et des présidents sénégalais Macky Sall (à droite) et congolais Félix Tshisekedi. ©LUDOVIC MARIN/POOL/AFP

Alain Boinet pour Défis Humanitaires.La France a accueilli mardi 18 mai, à l’initiative du président français, Emmanuel Macron, un Sommet consacré au financement des économies africaines pour faire face aux graves conséquences économiques et sociale de la pandémie et la forte augmentation de la dette. Quel était l’objectif de ce sommet et quels en sont les principaux résultats ? On a beaucoup parlé à ce propos, de droits de tirage spéciaux (DTs). Pour nos lecteurs, afin d’en mesurer l’intérêt, pourrais-tu détailler ce mécanisme et l’impact qui en est attendu ?

Alain Le Roy. L’objectif principal de ce sommet était effectivement de répondre à l’impact très fort de la pandémie sur les économies africaines. Alors que l’Afrique avait connu une croissance forte et soutenue pendant ces 25 dernières années, elle a connu une récession de 1,9% en 2020 et ses perspectives de croissance pour 2021 sont, selon le FMI, de l’ordre de la moitié de la croissance mondiale. Il y avait donc urgence à agir, afin notamment de réduire le nombre de personnes risquant de glisser dans l’extrême pauvreté.

Notre constatation de base a été la suivante. Alors que l’impact économique de la pandémie a été partout très fort, certains continents ont eu à leur disposition des instruments leur permettant des plans de relance rapides et massifs ; cela a été vrai pour l’Europe grâce en particulier au rôle de la Banque centrale européenne, et à sa politique très forte de rachat d’actifs, qui a permis des plans de relance en Europe au total de plusieurs centaines de milliards d’euros. Cela a été vrai également pour les Etats-Unis, où la politique monétaire de la FED (Federal Reserve System) a permis au gouvernement américain de mettre en place des plans de relance dépassant les 2000 milliards.
L’Afrique, elle, ne dispose pas d’instruments équivalents et en particulier pas d’une Banque centrale continentale.
D’où l’idée de faire appel au FMI et aux Droits de tirages spéciaux (DTS) qui sont une autre façon de réinjecter des liquidités dans l’économie, cette fois au profit de tous les pays. Les DTS sont des instruments de change qui alimentent les balances des paiements et permettent ainsi aux pays concernés de financer leurs importations.

C’est certes un peu technique, mais l’essentiel c’est que, face à l’impact de la pandémie, la Communauté internationale s’est mise d’accord pour une nouvelle allocation de DTS à hauteur de 650 milliards de dollars pour les pays membres du FMI. Cette allocation qui sera juridiquement décidée par le Conseil d’administration du FMI en juin permettra aux pays africains de recevoir directement 33 milliards de dollars dès septembre 2021.

Et les pays présents au sommet se sont mis d’accord pour que, sur une base volontaire, une part significative des DTS revenant aux pays avancés profite également aux pays africains, à travers divers mécanismes en cours d’élaboration permettant notamment des prêts à taux nul.

Le Président Macron a indiqué que nous travaillons à ce que la somme des DTS qui bénéficieront à l’Afrique atteigne au moins 100 milliards de dollars.
Ceci s’ajoute à l’impact des allègements de dettes qui sont en cours de mise en œuvre dans le cadre du G20 et du Club de Paris, ainsi qu’à la prochaine reconstitution des ressources de l’AID (guichet de la Banque mondiale pour les pays à bas revenu).

DH. Tous les acteurs stratégiques étaient-ils présents lors de  ce sommet ?

Alain Le Roy. Oui, sans aucun doute. En raison de la Covid, nous n’avions pas pu inviter les 54 chefs d’Etat africains, mais la quasi-totalité des chefs d’Etat africains que nous avions invités étaient bien présents à Paris le 18 mai pour ce sommet ; il y avait notamment les Présidents d’Afrique du sud, du Sénégal, du Rwanda, du Ghana, de Côte d’Ivoire, du Nigeria, d’Egypte, et beaucoup d’autres, soit vingt-deux au total, ainsi que le Président du Conseil européen, la Présidente de la Commission européenne et plusieurs chefs de gouvernement européens. Ont de plus participé en visio les Premiers ministres japonais et canadien, les Etats-Unis, à travers la Secrétaire d’Etat au Trésor, Janet Yellen, le premier vice-Premier ministre chinois Han Zheng, et beaucoup d’autres dirigeants. Etaient bien également entendu présents à Paris la Directrice général du FMI, le Directeur général de la Banque mondiale, le Secrétaire général de l’OCDE, la directrice générale de l’OMC et de nombreux autres dirigeants d’institutions financières .

La totalité des pays qui ont participé au sommet ont approuvé la déclaration finale du sommet que l’on peut retrouver sur le site de l’Elysée (elysee.fr, rubrique agenda 18 mai) ; cette déclaration est certes très technique, mais elle est recense les différents progrès accomplis au cours du sommet.

Sommet sur le financement des économies africaines, 18 mai 2021, Elysée. ©Judith Litvine, MEAE

DH. Le financier franco-ivoirien Tidjane Thiam a déclaré que le développement de l’Afrique était d’abord et avant tout l’affaire des Africains, que l’Afrique ne demandait pas de faveur et le président du Sénégal, Macky Sall,  a ajouté qu’il fallait passer d’une logique d’assistance à une dynamique de co-construction. Du côté africain, quels sont les ingrédients indispensables d’un « New deal » gagnant ?

Alain Le Roy. Le sommet a en effet conclu à la nécessité d’une part d’une relance massive qui sera financée notamment par les DTS, comme je viens de l’indiquer, pour faire face à la crise exceptionnelle engendrée par la pandémie, et d’autre part d’un fort soutien au principal facteur de croissance endogène de l’Afrique, c’est-à-dire son très dynamique secteur privé. A été ainsi lancée au cours du sommet une Alliance pour l’entrepreneuriat en Afrique qui est une initiative destinée à réunir tous les efforts publics et privés pour renforcer le financement du secteur privé africain. C’est lui qui, dès à présent ainsi qu’à moyen et long terme, assurera une croissance durable en Afrique en attirant une part plus importante des abondants flux privés internationaux. Et pour cela le sommet a permis de progresser dans les instruments de partage du risque que mettent en place les institutions financières internationales pour que se réduisent singulièrement les taux d’intérêt des financements auxquels les pays africains ont recours.

DH. Un autre objectif  du Sommet concernait la vaccination des populations africaines qui est encore faible, même si le nombre de personnes infectées est heureusement très bas. Ou en est-on du mécanisme dit de l’accélérateur ACT et de sa facilité Covax qui doit y répondre. Il a aussi été question de la production de vaccins en Afrique et de la levée des contraintes en termes de propriété intellectuelle. A quoi est-on parvenu sur ce plan ?

Alain Le Roy. C’est évidemment une urgence que chacun a rappelé au cours du sommet. La facilité Covax, dont la France a été à l’origine avec notamment la Commission européenne, devrait permettre de vacciner 20% de la population africaine d’ici fin 2021. Avec la facilité AVATT créée par l’Union Africaine, le taux de vaccination devrait atteindre 30% d’ici la fin de l’année. Et nous examinons en ce moment diverses solutions pour parvenir à un taux de vaccination de 40% d’ici fin 2021 et 60% d’ici mi-2022.

Et la France soutient aussi fortement les initiatives en cours pour développer la production de vaccins en Afrique. Le Président Macron vient de parler de la mise en œuvre de cette initiative avec ses homologues lors de son déplacement en Afrique du sud et au Rwanda. Quant à la discussion sur la suspension, à titre exceptionnel, des droits de propriété intellectuelle, elle est en cours à l’OMC, mais le consensus n’est pas encore atteint.

Le Mali a commencé son programme de vaccination contre la Covid-19 avec la Ministre de la santé, Fanta Siby. ©UNICEF/Seyba Keïta

DH. Un autre volet du Sommet était consacré au soutien du secteur privé, surtout aux PME et TPE, dans le but de stimuler la croissance interne et de créer des millions d’emplois face à l’explosion démographique. Y a-t’-il eu des vraies avancées dans ce domaine crucial ?

Alain Le Roy. Oui, clairement. D’abord en mettant ce sujet au cœur du sommet, tant il est essentiel pour la création d’emplois pour la très nombreuse jeunesse africaine. Ensuite en lançant cette Alliance pour l’entrepreneuriat en Afrique qui peut déjà mobiliser un milliard de dollars, grâce à l’appui de la SFI (la filiale de la Banque mondiale consacrée au secteur privé), pour investir dans le secteur privé africain à la fois en fonds propres et en prêts. Et la Commission européenne est désormais elle aussi en train de développer d’importants nouveaux instruments, avec les financements associés, pour améliorer le financement de ce secteur qui jusqu’à présent avait de grandes difficultés à trouver des financements locaux. Il s’agit en particulier d’accroître le nombre des acteurs de capital-risque, de contribuer à renforcer les banques locales et les fonds africains, afin que les financements parviennent y compris aux plus petites entreprises. Le mouvement est désormais bien lancé.

DH. En complément des décisions macro économiques qui portent sur des milliards, quelle peut-être la valeur ajoutée des ONG humanitaires et/ou de développement compte tenu de leur proximité avec les populations les plus vulnérables, de leur expérience  et de leur engagement dans la durée ?

Alain Le Roy. Ce sommet qui réunissait des chefs d’Etat et des dirigeants d’organisations internationales s’est naturellement intéressé aux solutions globales, macro-économiques, compte tenu des très importants besoins de financement actuels de l’Afrique ; le FMI les chiffre ainsi à près de 300 milliards de dollars d’ici 2025. Et bien entendu seuls les chefs d’Etat peuvent décider des allocations de DTS aux montants appropriés

Mais il est évident qu’il faut des acteurs de terrain pour s’assurer que ces financements globaux indispensables bénéficient in fine aux populations locales qui en ont le plus besoin. Et pour cela, le rôle des ONG humanitaires et/ou de développement est essentiel, dans la durée, en complément du rôle des agences publiques de développement comme l’AFD. Il y a une évidente complémentarité entre les efforts des Etats qui s’intéressent au développement de l’Afrique et les efforts des ONG qui assurent le relais effectif sur le terrain et peuvent atteindre les populations les plus vulnérables.

DH. Certains commentateurs laissent entendre qu’il n’y a pas eu d’engagement ferme de l’ensemble des participants lors de ce Sommet et que le Président de la République, Emmanuel Macron, espérait maintenant un « accord » politique lors du prochain G7 ou G20. Qu’en est-il selon toi qui a préparé et participé à ce Sommet de Paris d’un bout à l’autre ?

Alain Le Roy. Il y a eu beaucoup d’engagements fermes au cours du sommet, il suffit pour cela de lire la déclaration finale du sommet, adoptée par tous les pays participants. Mais c’est vrai que nous aurions souhaité que figure dans la déclaration un chiffre précis sur le montant des DTS que les pays avancés vont réallouer aux pays africains. Le Président Macron a ainsi indiqué au cours de la conférence de presse qui a suivi le sommet que nous souhaitions que ce soient au moins 100 milliards de dollars qui parviennent à l’Afrique à partir de l’allocation de DTS, qui s’ajouteraient aux dizaines de milliards que va apporter la reconstitution de l’AID.

Ce chiffre n’a pas pu figurer dans la déclaration, car plusieurs pays comme les Etats-Unis, ne peuvent s’engager juridiquement tant que l’allocation de 650 milliards de DTS n’a pas été formellement votée par le CA du FMI. Ce vote interviendra en juin, et c’est pour cela que ce n’est qu’en octobre, lors de la réunion du G20, que les chiffres de réallocation seront rendus publics, avec les mécanismes associés sur lesquels nous travaillons.

DH. En guise de conclusion, que souhaiterais-tu ajouter ?

Alain Le Roy. Que ce sommet, malgré tous les progrès accomplis, n’est évidemment qu’une étape de ce processus destiné à donner à l’Afrique les moyens d’assurer sa croissance à long terme et d’atteindre les objectifs de développement durable. Les prochaines échéances de cette année, G7, G20, COP26 doivent également y contribuer.

Il était en tout cas très important de parvenir à ce que tous les principaux acteurs mondiaux, africains, européens, américains, canadiens, chinois, japonais,.., soient autour de la même table et s’engagent d’une part à plus de solidarité avec le continent africain et d’autre part à travailler dans un cadre multilatéral pour réduire concrètement les divergences entre les économies africaines et celles des pays les plus avancés, c’est évidemment l’intérêt de tous.

À Goma, en République démocratique du Congo, la fuite des habitants sous le feu du volcan Nyiragongo, le 27 mai 2021. ©GUERCHOM NDEBO / AFP

Plus d’informations :


Qui est Alain Le Roy ?

Alain Le Roy est Ambassadeur de France et Conseiller maître honoraire à la Cour des comptes. Il été notamment Ambassadeur de France à Madagascar et en Italie, ainsi que Secrétaire général adjoint de l’ONU, chargé des opérations de maintien de la paix, et Secrétaire général du Service européen pour l’action extérieure.

Humanitaire : Guerres, épidémie, famine.

Retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan le 15 février 1989.

L’Afghanistan à la croisée des chemins.

Joe Biden vient d’annoncer le retrait définitif des dernières troupes américaines le 11 septembre 2021, 20 ans après leur intervention, mais avec quel bilan ? En tout cas, ce n’est pas une victoire quand on négocie son départ avec l’ennemi. En 20 ans, selon certains experts, avec 2000 milliards de dollars de dépense, malgré la corruption et la guerre, l’Afghanistan n’est plus en 2021 ce qu’il était en 2001.

Beaucoup d’infrastructures comme les routes ont été construites, l’éducation s’est développée, le statut de la femme a évolué, les médias ont prospéré et, si des élections se sont bien tenues, elles sont compromises par des irrégularités massives et la contestation des résultats.

La guerre est pourtant toujours là jusqu’au cœur de Kaboul et 1,1 millions d’afghans sont déplacés par les combats. Moi qui aime ce pays, qui espère une solution politique de réconciliation, une sorte de « paix des braves », je crains que le fossé entre les frères ennemis ne se soit en fait approfondi. Et puis, ceux qui combattent aujourd’hui même n’ont jamais été autant armés et entrainés. Enfin, certains comme le fils du Commandant Massoud se disent prêts à prendre les armes dans leur région, comme le Panshir.

Quels seront les effets du départ des troupes américaines et des pays de l’OTAN d’ici le 11 septembre ? J’entends déjà parler d’évacuation préventive d’expatriés et notamment des français ! Je ne sais pas quelle sera la suite des événements des mois à venir, mais je sais que l’aide humanitaire est toujours indispensable.

Ce n’est pas le moment d’interrompre les secours, il faut certainement s’adapter à un changement majeur alors que les humanitaires ont pu sembler être embarqués dans la coalition occidentale au prix de leurs principes et qu’ils sont sans doute moins en symbiose avec les populations, notamment en zone rurale.

Mali, le maillon faible au Sahel !

Mohamed Bazoun, nouveau président du Niger élu démocratiquement, déclarait le 6 avril 2021 au journal Le Figaro « Il y a un recul de la démocratie en Afrique », il ajoutait « De tous les côtés, à nos frontières, nous sommes sous menace des groupes djihadistes… » et il concluait en disant « le maillon faible du dispositif est au Mali ».

Le Mali a connu un coup d’Etat de l’armée le 18 août 2020 qui a renversé le président élu Ibrahim Boubakar Keita ou IBK dont le régime vacillait face aux manifestations de rue du Mouvement du 5 juin RFP soutenu par l’influent Iman Mahmoud Dicko.

Des soldats des Forces armées maliennes (FAMA) sont chaleureusement accueillis sur la Place de l’Indépendance à Bamako, le 18 août 2020, après l’arrestation d’Ibrahim Boubacar Keïta. ©Stringer, AFP

Depuis, un gouvernement de transition s’est mis en place, avec l’accord de la CEDEAO. Il est dirigé par un Président, Bah Ndaw, un Vice-président, le colonel Assimi Goîta qui a mené le mouvement des militaires et un Premier Ministre Moctar Ouane, avec un programme de révision constitutionnel, un redécoupage territorial, la lutte contre la corruption et les « réformes dont le pays a besoin ».

Les conditions de l’aide pourraient aussi changer drastiquement alors que Joseph Borrell, haut représentant de l’Union Européenne pour les relations déclarait au Monde le 29 avril « Le mot-clé, c’est la gouvernance. Nous avons peut-être signé trop de chèques en blanc, fourni des ressources sans vérifier de quelle manière elles étaient utilisées ». Et déjà les prochaines élections présidentielles se préparent pour le printemps 2022.

Face à une guerre qui s’éternise et une sécurité qui se dégrade, depuis longtemps déjà les militaires français déclarent qu’il n’y a pas de solution militaire. Certains déclaraient que le développement ferait le reste. On n’osait pas encore dire que la solution était politique. Le coup d’Etat est venu le rappeler. Mais la situation s’est trouvée profondément modifiée depuis que le Président de la République du Mali, Ibrahim Boubakar Keita, a annoncé vouloir négocier avec les groupes armés maliens que la France combat avec le G 5 Sahel qui comprend l’armée malienne !

Position confirmée par le Premier Ministre de la transition, Moctar Ouane, qui a exprimé le souhait de son gouvernement « d’engager le dialogue avec tous les enfants du Mali, sans exclusive ». La France s’y est toujours opposée par la voix de Jean-Yves Le Drian et reste campée sur les Accords d’Alger. Qu’en résultera t-il, un repositionnement stratégique de la force Barkhane, mais avec quelles conséquences sur le terrain ? Y aura-t’-il un consensus parmi les pays du G5 Sahel, avec quelle stratégie commune et pour quel résultat recherché ? La mort du président tchadien Idriss Déby au combat vient encore affaiblir le G5 Sahel, la force Barkhane et la MINUSMA.

Que nous vaudra cette période de transition au Mali, statu quo ou changement ? En attendant, la priorité pour les humanitaires c’est toujours de répondre aux besoins grandissants d’une population sans cesse plus nombreuse affectée par les combats, le réchauffement climatique et les conséquences économiques et sociales de la pandémie de la Covid-19 alors que les prix de beaucoup de denrées alimentaires s’envolent. En Afrique de l’Ouest, 31 millions de personnes devraient tomber en situation d’insécurité alimentaire selon Chris Nikoi, directeur régional du PAM pour l’Afrique de l’Ouest.

Photo ©Neil Palmer (CIAT) /Flickr CC

Dans ce contexte, alors que la coordination de l’aide humanitaire et du développement est plus que jamais nécessaire, les humanitaires appellent les agences de développement à sursoir à l’obligation qu’elles imposent à leurs partenaires de lister les bénéficiaires de l’aide, ce qui est contraire au Droit International Humanitaires (DIH), aux principes des ONG humanitaires et à leur sécurité.

Enfin, à moyen et long terme, n’oublions pas le défi démographique. Ainsi, au Niger, en 60 ans, la population a augmenté de 600%. Peuplé aujourd’hui de 24 millions d’habitants dont la moyenne d’âge est de 15 ans, la population devrait compter 70 millions d’habitants en 2050 !

La population mondiale devrait augmenter de 2 milliards de personnes au cours des 30 prochaines années, passant de 7,7 milliards actuellement à 9,7 milliards en 2050. En Afrique subsaharienne, la population totale devrait doubler d’ici à 2050. Je crains que nous ne soyons dorénavant embarqués dans une urgence permanente qui nécessite un changement d’échelle et de rythme dans la réponse collective à ce défi majeur pour ces pays et leur population !

Des femmes au Niger préparent des champs pour la saison des pluies dans le cadre d’une initiative pour lutter contre la désertification. ©CIAT

La famine menace les victimes de la guerre et du Covid-19.

Dans cette édition vous trouverez un entretien avec Antoine Basbous sur « Le Moyen-Orient à feu et à sang » qui vient compléter mes propos et la nécessité pour l’aide humanitaire de se remobiliser. En Syrie, 24 millions de personnes ont besoin de soutien selon l’ONU, soit 4 millions de plus qu’en 2020. Au moment où l’on commémore une décennie de guerre en Syrie, alors que la monnaie a perdu près de 99% de sa valeur, les donateurs ne répondent qu’a la moitié des urgents besoins humanitaires et la situation est la même pour le Yémen !

Au Liban où la monnaie a perdu 90% de sa valeur face au dollar, alors qu’il y avait parité auparavant, 90% des réfugiés syriens vivent sous le seuil de pauvreté et 76% sont sévèrement vulnérables ! La situation est très grave. Selon l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentaire et l’agriculture (FAO), 45 pays ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence cette année et 30 millions d’entre eux sont au bord de la famine.

Indice FAO des prix des produits et denrées alimentaires, 8 avril 2021. ©FAO

Comme vient de le déclarer le Secrétaire Général des Nations-Unies Antonio Gùterres « Si vous ne nourrissez pas les gens, vous nourrissez la guerre » !

La guerre revient-elle en force ?

La tendance à la conflictualité est inquiétante. Si historiquement les experts observent sur la longue durée une diminution des guerres et du nombre de victimes, en 2016 le nombre de pays en proie à des guerres et des conflits violents n’avait jamais été aussi élevé depuis 30 ans. Selon le Baromètre des conflits du Heidelberg Institute for international conflict research (hiik), en 2020, le nombre de guerres et de crises violentes est passé de 15 à 21 dans le monde.

Le rôle de l’humanitaire est d’assurer l’urgence des secours déclenchés par les guerres, les catastrophes et les épidémies. Le rôle de Défis Humanitaires est d’analyser les risques afin d’y faire face. Aujourd’hui, le risque de conflit implique de grands Etats comme la Chine qui menace Taiwan, la Russie et l’Ukraine, la Turquie dans le Caucase du sud et en méditerranée.

Cette réalité à conduit le Général Lecointre, chef d’Etat-major des armées (CEMA) a déclaré il y a quelques mois que la France se préparait dorénavant à un conflit de haute intensité impliquant des Etats. De même, à la fin de l’année dernière, le Général Graziano, président du comité militaire de l’Union Européenne, déclarait : « Les menaces n’ont jamais été aussi proche de nous ».

Conclusion.

Dans un contexte géopolitique mondial de retour des Etats et des Empires, les humanitaires doivent trouver les voies et moyens de concilier sur le terrain l’accès des secours et les souverainetés nationales qui s’affirment, y compris dans les pays les plus pauvres. Cette affirmation de souveraineté peut aussi avoir des effets positifs en termes d’appropriation des responsabilités et des initiatives de la part de ces Etats pauvres en développement qui sont les premiers responsables de leur population. Souveraineté et secours doivent aujourd’hui se concilier pour mieux répondre aux besoins vitaux des populations, c’est indispensable.

Si le pire n’est jamais sûr, il vaut toujours mieux s’y préparer pour être prêt si nécessaire. Et cela est vrai pour la pandémie de Covid-19 qui ne peut être vaincue tant que la majorité de l’humanité ne sera pas vaccinée. L’accélérateur ACT pour aider les Etats pauvres manque de financement alors que nous sommes confrontés à une menace commune, particulièrement dans ces pays où le confinement a des conséquences plus désastreuses qu’ailleurs.

Le Mali a commencé son programme de vaccination contre la Covid-19 avec la Ministre de la santé, Fanta Siby. ©UNICEF/Seyba Keïta

C’est pourquoi, nous attendons beaucoup du Sommet sur le financement des économies d’Afrique subsaharienne qui se tiendra le 18 mai à Paris et dont nous rendrons compte début juin dans la prochaine édition de Défis Humanitaires.

Face à ses menaces, l’humanitaire ne doit-il pas s’adapter pour devenir encore plus efficace, plus rapide, plus durable, plus proche des populations en danger.

Alain Boinet.


PS 1/ Dans cette édition vous trouverez aussi un article d’Antoine Vaccaro encourageant sur les tendances de la philanthropie et la générosité.

PS 2/ Je vous remercie pour votre don même modeste sur HelloAsso pour soutenir Défis Humanitaires qui en a besoin pour poursuivre et développer son action humanitaire avec vous. Merci.