Associations, fondations : l’angle mort des gouvernements

À la suite de la dernière élection présidentielle, j’avais intitulé une tribune de mon blog «Nouveau gouvernement, espoir d’une nouvelle politique philanthropique ». Depuis, nous pouvons dire que les espoirs ont été déçus avec, au contraire, des mesures qui n’ont pas été dans le sens du renforcement de la vie associative ou des fondations avec, comme exemple, le contrat républicain.

Associations, fondations : l’angle mort des gouvernements. Crédit photo : iStock

Le tout nouveau gouvernement est une grande déception pour tous les acteurs de la philanthropie, associations, fondations, bénévoles et donateurs.
Après les émeutes de ce mois de juillet dans de nombreux quartiers, beaucoup ont semblé redécouvrir que des populations étaient délaissées dans des quartiers engagés dans une spirale de la désespérance. D’un côté ceux qui choisissent la violence pour s’exprimer, de l’autre des habitants impuissants à vivre paisiblement, souvent au centre des situations locales marquées par la prédominance du trafic de drogue, seule source de revenu pour beaucoup depuis le plus jeune âge.

Une caractéristique de ces émeutes était les attaques contre des édifices publics ou des lieux communautaires au service de la population. Était-ce une façon de montrer à l’État la faillite des différents plans banlieue depuis des dizaines d’années. Le silence est retombé sur ces évènements pourtant extrêmement préoccupants, car les problèmes persistent et se reproduiront si rien n’est fait pour redonner de l’espoir à des gens qui n’en ont plus.
Le traitement de ces questions montre que l’approche ambivalente des gouvernements envers les acteurs de la société civile ne donne pas de résultat. Un jour, ils sont encensés comme indispensables ; un autre, ils vivent des réductions de subventions, des changements de priorités dans les politiques publiques.

Les acteurs de la philanthropie essentiels pour la cohésion sociale

Pourtant, de nombreuses associations, fondations, bénévoles sont déjà engagées dans les programmes les plus variés, et cela, dans tous les domaines : culture, environnement, social, etc. Elles ne sont pas là pour se substituer aux politiques publiques, mais peuvent agir dans les interstices, en complément ou en relations avec les politiques publiques. Elles ne peuvent pas tout faire, mais mais peuvent beaucoup.

En écrivant ces mots, j’ai l’impression, avec d’autres, de me répéter inlassablement, pourtant notre message n’imprime pas.

Je reprends donc tous les arguments :

Le fractionnement de la société est tel que les réponses à apporter sont locales, souvent de petites tailles, loin des grands plans, avec des visions éloignées du terrain. Ce ne semble pas grandiose, pourtant cela rend service. Pour faire face à ces problèmes, notre pays ne manque pas de bras ni de volonté : les associations, les fondations, près de 20 millions de bénévoles, des donateurs par millions qui les soutiennent. Leur action basée sur une écoute des besoins spécifiques avec des réponses sur mesure a montré leur efficacité. Elles ont des capacités d’innovation, la flexibilité pour s’adapter aux situations rapidement évolutives. Des résultats existent avec des zones dans lesquelles sont réapparues du dialogue entre les habitants, de la reconstruction du lien social et du renouveau d’une vie démocratique. Toutes ces actions sont exposées par les organisations sur leurs sites internet, mais leur fractionnement ne donne pas une impression de résultats spectaculaires pour convaincre. Pourtant, sans celles-ci, quel serait l’état du pays !

Le diagnostic de l’état du pays est connu, mainte fois analysé par des études, des rapports, nous sommes sur une poudrière qui peut redonner des évènements violents comme nous venons de le voir ou entrainer des choix électifs vers des extrêmes aux solutions caricaturales qui non plus ne pourront donner de bons résultats.

Dans le dernier remaniement ministériel, faire disparaître le secteur non lucratif dans l’ESS au sein d’un ministère des PME montre une incompréhension de ce qu’est l’action des associations et fondations. Ce n’est pas un bon message. Celles-ci ne s’inscrivent pas dans une perspective de résultats économiques et leur impact social n’est pas à court terme, mais sur la durée, avec une composante essentielle, celle de prendre du temps pour écouter, comprendre et agir avec des solutions adaptées.

Ouvrir des chemins d’avenir

Tout ne peut être lu à l’aulne de l’économie, il faut en prendre acte :

  • Serait-il possible à ce nouveau gouvernement de reconnaitre, avec modestie, qu’il ne peut pas tout faire et assumer le fait que le secteur non lucratif (associations, fondations) est nécessaire à la résolution d’un certain nombre de problèmes auxquels le pays fait face ?
  • Serait-il possible de réfléchir à la façon dont il s’inscrit dans la marche de la société aux côtés des entreprises, de l’État, des collectivités territoriales pour apporter sa compétence, sa capacité d’innovation et le dynamisme de millions de personnes ?
  • Serait-il possible de constater l’immense coût humain et financier de tous les échecs et faire la balance avec les financements du secteur non lucratif ?
  • Serait-il possible corolairement de ne pas considérer les déductions fiscales de ce secteur non comme une charge, mais comme un investissement d’avenir ?
  • Serait-il possible prendre le risque de la confiance envers des opérateurs qui ont montré leurs capacités en réduisant les ambiguïtés à leur endroit ?
  • Serait-il possible d’écrire une nouvelle page dans les relations sociales au bénéfice de tous ?

Il ne s’agit pas de quémander quelques subventions ou des avantages en plus, mais de mettre en place une vision plus globale du rôle de ce secteur. Il faut que ceux qui définissent les politiques publiques changent de grille de lecture et donnent l’impulsion nécessaire pour inventer une politique philanthropique ambitieuse définie avec le secteur non lucratif, des relations claires inscrites dans la durée et accepter des partenariats constructifs.

L’impuissance, l’immobilisme, la construction de nouveaux plans ne sont pas des options, il faut réagir pour faire face à tous les défis sociétaux et environnementaux qui nous assaillent en s’appuyant sur ce qui a fait ses preuves. Il y a une urgence absolue à répondre avec réalisme et pragmatisme aux peurs, aux colères et aux souffrances de notre pays.

N’attendons pas les prochaines explosions sociales ni l’avènement de régimes qui prônent des jours meilleurs, Agissons ! Engageons une conférence sociale sur ce sujet.

 

Francis Charhon

Président d’honneur du Centre Français des Fonds et Fondations

Médecin anesthésiste de formation. Après une carrière hospitalière, il devient Président de Médecin sans Frontières 1980 à 1982, puis en assure la direction de 1982 à 1991. Directeur général de la Fondation de France de 1992 à août 2016. Il crée en 2002 le Centre Français des Fondations qu’il a présidé jusqu’en 2016. Il fut président et administrateur du Centre Européen des Fondations. Précédemment membre du CESE et du CNVA. Actuellement membre du comité label d’IDEAS. Expert en philanthropie il crée FCH conseil et accompagne les dirigeants d’associations ou de fondations dans leurs projets stratégiques. Depuis 40 ans il consacre son activité au développement de la philanthropie en France et prolonge son action à travers le blog « Chroniques philanthropiques ». Il a publié : Vive la philanthropie, L’engagement social pour les nuls.

 

Retrouvez les articles de Francis Charhon sur Défis Humanitaires :

Guerre et philanthropie par Francis Charhon

Une interview sur la philanthropie avec Francis Charhon

Article publié dans Chroniques Philanthropiques sur le site Carenews

Bande dessinée « Les mères de famille ne font pas d’humanitaire »

Interview de Justine Muzik Piquemal, Léa Ducré, Benjamin Hoguet (Scénario) et Paul Gros (Dessin), La Boite à Bulles.

Couverture de la bande dessinée « Les mères de famille ne font pas d’humanitaire » par Léa Ducré, Benjamin Hoguet (Scénario) et Paul Gros (Dessin), sortie le 23 août 2023 par La Boite à Bulles.

 

Quand Justine Muzik Piquemal a voulu s’inscrire dans un cursus « humanitaire », il lui a été répondu que c’était inenvisageable pour elle car elle avait déjà un enfant. Depuis, Justine démontre que l’on peut être la mère épanouie de quatre enfants et barouder aux quatre coins de la planète.

Justine, pourquoi avoir eu envie que ton expérience soit racontée en BD ?

Justine : Être mère est un métier à temps plein avec des contraintes quotidiennes. Mais lorsque tu y ajoutes le métier d’humanitaire, les gens ne comprennent pas. Il est nécessaire de faire savoir qu’on peut être une mère (bonne sûrement) et une humanitaire. Qu’on peut parcourir le monde et suivre nos enfants. Que le monde doive changer de regard sur nous, on ne les abandonne pas, on n’est pas de mauvaises mères… c’est une passion, ce sont des passions…

Benjamin et Léa, comment avez-vous travaillé pour recueillir le témoignage de Justine ?

Benjamin et Léa : Nous avons vu Justine à plusieurs reprises et sur une période de temps relativement longue. Nous sommes allés la rencontrer chez elle à Courthézon avec toute sa famille, où nous avons fait la connaissance de Lilio, Loutsi, Aloïs, Léon, ses enfants, et de Tomas et Paul, leurs papas. Puis nous sommes venus la voir en région parisienne, dans son bureau ou à la terrasse d’un café.

Il était important pour nous de lui donner l’opportunité de nous parler librement et sur la durée, en faisant parfois des digressions car ce sont ces digressions précisément qui ont constitué l’essentiel de notre matière première pour l’écriture de la bande-dessinée.

Le fait de pouvoir la suivre sur deux années a été très précieux car, au fil des mois et des anniversaires des enfants, elle nous a raconté ce qui la traversait. Et pour nous, il était fondamental de pouvoir raconter ce que c’est que d’être mère humanitaire avec des enfants qui grandissent et qui évoluent dans leur relation à leurs parents.

Benjamin et Léa, pourquoi avoir choisi cette forme de gags / histoires courtes, plus portrait que bio ?

Benjamin et Léa : Ce qui nous a particulièrement touchés dans l’histoire de Justine, c’était sa façon de la raconter : son humour envers et contre tout. Son rire qui surgit et apaise les tensions. Cette générosité face à l’imprévisible.

Il nous est apparu comme une évidence que le meilleur format pour rendre cela palpable pour le spectateur était la chronique. C’est une forme qui permet de rendre ce qui fait la difficulté d’une vie de mère humanitaire. Justine y raconte son quotidien, les petits bobos, les gros coups durs. Et le temps qui passe. C’est aussi une forme où l’humour prime sur le drame.

C’est bien sûr quelque chose dont on a discuté avec Justine, qui est très adepte de cette forme-là en BD, et qui a accueilli cette proposition avec enthousiasme !

Paul, cela n’a pas été trop compliqué de donner vie à des gens réels, y compris des enfants ? As-tu cherché à ce qu’ils ressemblent à leurs modèles ou as-tu pris des libertés ?

Paul : Je les ai avant tout abordés comme les personnages d’un récit. Bien qu’ayant pu échanger avec Justine à quelques reprises (visio, téléphone ou mail), la découverte des protagonistes s’est principalement faite au travers du scénario de Léa et Benjamin. Les dialogues que ceux-ci ont rédigés dessinent également des identités avec beaucoup d’efficacité.

Ma démarche a donc été de garder en mémoire des informations données de vive voix par Justine et de les intégrer aux personnages prenant vie à travers les mots de Léa et Benjamin. Dans le contexte d’une bande dessinée, ce sont essentiellement les actions et les propos des personnages qui leur donnent leur consistance. Il en va de même pour l’aspect physique. Si mon point de départ est bien des photographies, il m’importe avant tout de proposer un traitement en phase avec ce que les personnages accomplissent et ce qu’ils sont au sein du récit.

Un album est finalement un espace narratif assez court. Il faut donc que le lecteur puisse rapidement saisir des caractères. En ce sens, le traitement des personnages peut parfois flirter avec la caricature. Mais le potentiel narratif d’un personnage est tout aussi important. C’est-à-dire qu’il doit graphiquement être adapté à ce que le scénario attend de lui. Il ne faudrait pas « fixer » un personnage dans une attitude qui se heurterait à une action au lieu de l’accompagner. Pour toutes ces raisons, mes personnages sont peut-être davantage des (re)compositions, liées au contexte d’un album, que des répliques exactes de Justine et sa famille…

Justine, trouves-tu finalement que cette BD te ressemble ?

Justine : Elle ressemble à ma famille et à mon métier, oui !

 

Cet entretien a été publié à l’origine dans La Boite à Bulles le 23 août, disponible ici : Les mères de famille ne font pas d’humanitaire (la-boite-a-bulles.com)

Il est possible de se procurer la bande-dessinée en ligne (grâce au lien ci-dessus) et dans toutes les librairies.

 

Liens vers des articles de presse sur la BD :

https://zoolemag.com/album-bd/306391-les-meres-de-famille-ne-font-pas-d-humanitaire

https://casemate.fr/casemate-n170-juillet-aout-2023/

https://www.lamanchelibre.fr/actualite-1072361-bayeux-paul-gros-attrapeur-de-personnages-au-trait-emouvant

 

Justine Muzik Piquemal

Directrice régionale République Démocratique du Congo, République Centrafricaine, Soudan et Mozambique

Juriste en droit des Religions, Justine Muzik Piquemal est en constante formation. Elle a commencé sa carrière dans la négociation pour l’accès humanitaire auprès des militaires d’état ou de fait. Elle est aujourd’hui directrice régionale chez Solidarités International et elle suit actuellement RCA, RDC, Soudan et le Mozambique. D’un pays à l’autre, crise après crise, chaque route parcourue lui permet de supporter les équipes à atteindre les personnes les plus vulnérables.

 

Retrouvez Justine Muzik Piquemal sur Défis Humanitaire : https://defishumanitaires.com/2023/03/31/etre-responsable-geographique-en-2023/

Retrouvez Justine Muzik Piquemal sur le site de Solidarités International :https://www.solidarites.org/fr/en-direct-du-terrain/soudan-cest-un-des-conflits-les-plus-sales-que-jai-vu-de-ma-vie/