
L’action humanitaire est confrontée à des crises multiples et d’ampleur croissante ; les années 2020 ont commencé avec une pandémie qui a frappé fort et partout, provoqué une instabilité économique, perturbé les marchés et accru la pauvreté. La combinaison de ces dérèglements, des conséquences de conflits – nouveaux ou qui se prolongent depuis des années – et de la crise climatique, aggrave les besoins humanitaires globaux.
Des enfants, en particulier des filles, sont toujours privés d’éducation, les droits des femmes sont encore battus en brèche, des famines menacent. Les violations des droits des personnes migrantes ou réfugiées atteignent une gravité inouïe. Des vies sont en danger, et des décennies de développement remises en question. La tentation de la paralysie face à ces défis est plus élevée que jamais : les règles imposées par la gestion des risques terroristes, les atermoiements de certaines grandes puissances tant sur le plan diplomatique que sur celui du soutien humanitaire, les problématiques d’accès du fait des contraintes administratives posées à nos organisations pèsent de plus en plus lourdement sur les activités. Ces années 2020 augurent pourtant aussi d’une décennie où le milieu humanitaire reste mobilisé, toujours prêt dans l’adversité et en toutes circonstances à se surpasser en montrant ce qui peut être fait lorsque la communauté internationale s’unit.

Les défis sont de plus en plus nombreux. Et de nouveaux théâtres d’opérations sont apparus. Notamment en Ukraine où, à partir de février 2022, la guerre a causé la mort de dizaines de milliers de personnes[1], a compliqué l’acheminement de denrées et l’approvisionnement en énergie, a détruit des hôpitaux, des écoles et des maisons et déclenché l’une des pires crises de déplacement depuis trois quarts de siècle. Elle a aussi provoqué des déstabilisations majeures : hausse des prix, disponibilité du pétrole, du gaz, du blé et bouleversement des équilibres géopolitiques mondiaux.
Plus récemment, en avril 2023, des combats ont éclaté au Soudan où 2,5 millions de personnes ont fui vers des lieux plus sûrs à l’intérieur et à l’extérieur du pays[2] ; avant la crise, le Soudan comptait déjà presque 4 millions de personnes déplacées[3]. L’Afghanistan est au bord de l’effondrement avec les droits des femmes et des filles bafoués et plus de 25 millions de personnes qui dépendent de la mobilisation des acteurs humanitaires[4]. Dans la Corne de l’Afrique, traitement nutritionnel, aide alimentaire, soins de santé d’urgence et produits essentiels doivent être dispensés à des millions de personnes. En République Démocratique du Congo, alors que le conflit continue de faire des ravages, les acteurs humanitaires fournissent une aide essentielle à 5 millions de personnes[5]. Au Myanmar, la situation humanitaire atteint des proportions inimaginables en raison du conflit et de l’insécurité croissants. Au Yémen, alors que l’impact de la guerre continue de détruire des vies, les ONG soutiennent chaque mois une dizaine de millions de personnes. En Haïti, la montée de la violence, l’inflation galopante et une épidémie de choléra ont accru drastiquement les besoins. Au Liban, l’effondrement financier les a fait monter en flèche.

Parallèlement, la crise du climat complexifie davantage la survie de nombreuses personnes. En 2020, des événements météorologiques extrêmes ont privé des millions de personnes d’accès à des moyens de subsistance. Et ces crises alimentaires génèrent à leur tour de la violence. En 2021, le changement climatique a rejoint les conflits en tant que cause prépondérante de famine, comme en témoigna la sécheresse à Madagascar. La Corne de l’Afrique subit une cinquième saison des pluies consécutive écourtée. Des inondations massives ont submergé des villages entiers et des récoltes au Nigeria et au Pakistan.
De 125 millions en 2016, le nombre de personnes dans le besoin en 2023 s’établit à 339 millions[6] ; une personne sur 23 sur la planète a besoin d’une aide d’urgence pour survivre.
Des mesures importantes sont collectivement prises pour renforcer les réponses régionalisées : les acteurs locaux et nationaux, la société civile et les citoyens sont désormais de plus en plus placés au cœur du système de la réponse humanitaire. Les ONG ont donc su, en particulier depuis le début de la décennie, faire évoluer la capacité de leurs équipes et leurs méthodes de travail basés sur les dynamiques de pouvoir tout en reconnaissant un changement générationnel. Leurs outils de réponse ont été adaptés aux circonstances – conflits plus longs, plus difficiles à résoudre – en remettant parfois en question leurs positions sur les armes, les sanctions et la valeur des négociations. Au-delà des crises majeures, elles ont veillé à maintenir l’attention sur les conflits extrêmes, par exemple en Éthiopie, et sur ceux comme au Myanmar ou au Yémen pour lesquels l’intérêt international s’est émoussé. Elles ont renforcé la coordination entre elles, brisé des cloisonnements en particulier au niveau des hauts responsables des organisations humanitaires, des organisations de défense des droits de l’homme, des groupes de réflexion et d’autres organisations, pour mieux coordonner leurs actions en période de crise.
Les résultats obtenus par les travailleurs humanitaires nationaux et internationaux sont à mettre au crédit de la détermination et des capacités des ONG et des donateurs qui les soutiennent.

Malheureusement, les financements restent bien en deçà des besoins. Ainsi, pour offrir dans 69 pays une bouée de sauvetage à 230 millions de personnes parmi les plus vulnérables, le besoin financier a été estimé à 51,5 milliards de dollars[7]… Or seulement la moitié de cette somme a été reçue. Ce financement incomplet a cependant déjà permis aux acteurs humanitaires d’atteindre 145 millions de personnes, de pratiquer des réponses sous-tendues par des négociations humanitaires visant à accéder aux personnes dans le besoin dans de nombreuses régions du monde.

À bien des égards, les perspectives sont incertaines. Jamais l’action humanitaire – fondée sur les principes d’humanité, neutralité, impartialité et indépendance – n’a subi autant de contraintes depuis l’apparition des French Doctors. L’effondrement d’un ordre mondial fondé sur des valeurs promues comme universelles entraîne une explosion des besoins et une réduction des possibilités d’accès humanitaires. Les processus administratifs auxquels les ONG sont soumises les enferment dans des responsabilités d’Etat. Or, la préservation de l’espace humanitaire nécessite que soit limitée l’hyperinflation normative, en particulier celle liée aux mesures de lutte contre le terrorisme, qui restreint déraisonnablement les capacités d’action des ONG. Une meilleure protection des civils et des personnels humanitaires et de santé dans les contextes de crise doit être assurée. Tous les efforts doivent être faits pour que l’action humanitaire réponde et s’adapte mieux à la crise climatique.
Nous ne devons pas nous laisser conduire par des locomotives bureaucratiques ; n’oublions pas la rébellion originelle qui a fait de nos organisations ce qu’elles sont aujourd’hui, continuons de nous battre car des résultats peuvent être obtenus et une action anticipée peut contribuer entre autres à atténuer les conséquences du changement climatique. Les organisations humanitaires prennent également des mesures pour privilégier l’équité, l’inclusion et l’accès à l’information des communautés touchées. Elles doivent travailler sans cesse pour protéger les plus vulnérables de l’exploitation et des abus sexuels. Nous devons tous continuer à plaider pour la participation pleine et égale des femmes et des filles à tous les niveaux de l’éducation, de l’économie et de la vie publique. Même si les besoins humanitaires ne cessent d’augmenter, résistons à la tentation de penser que l’action humanitaire est inutile ; nous sommes collectivement capables de faire les efforts nécessaires pour apporter une réponse adaptée et à la hauteur des besoins !
ONG de solidarité internationale | Handicap International France (handicap-international.fr)
Jean-Pierre Delomier
Fédération Handicap International – Humanity & Inclusion,
Directeur délégué des opérations
Après avoir œuvré sur le terrain pour différentes organisations internationales puis cofondé et dirigé l’ONG Atlas Logistique en 1992 jusqu’à sa fusion en 2006 avec Handicap International, il en a rejoint le Comité de Direction et pris en charge la Direction de l’Action Humanitaire pour que l’association soit en mesure d’intervenir lors des crises humanitaires majeures afin de contribuer à l’organisation des secours tout en fournissant une aide humanitaire aux groupes vulnérables dont les personnes handicapées. Il a été administrateur de Bioforce pendant 15 ans, il est chef de file de la Commission humanitaire de Coordination Sud et membre du conseil d’administration de VOICE à Bruxelles. Depuis janvier 2019, il est directeur délégué des opérations de HI, en charge de l’influence, de la représentation de l’organisation auprès des partie prenantes et de diriger en son sein l’unité technico-opérationnelle Atlas.
[1] AFP et Euractiv France (2023, 14 février) : l’effroyable bilan d’une année de guerre en Ukraine, www.euractiv.fr https://www.euractiv.fr/section/international/news/leffroyable-bilan-dune-annee-de-guerre-en-ukraine/
[2] UN Soudan : difficultés d’acheminement de l’aide dans un contexte d’escalade du conflit. (2023, 27 juin), ONU Info https://news.un.org/fr/story/2023/06/1136492
[3] UN : UNHCR, P. L. P. (2023, 14 juin), 5 choses à savoir sur la crise au Soudan, HCR https://www.unhcr.org/fr/actualites/articles-et-reportages/5-choses-savoir-sur-la-crise-au-soudan
[4] Conseil européen : https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/afghanistan-eu-response/
[5] UN : OCHA 10 millions de personnes ciblées par l’assistance humanitaire en RDC en 2023 (2023, 23 février), ReliefWeb. https://reliefweb.int/report/democratic-republic-congo/10-millions-de-personnes-ciblees-par-lassistance-humanitaire-en-republique-democratique-du-congo-en-2023
[6] UN : Pour les 339 millions : ONU, l’Assemblée Générale adopte des résolutions sur l’aide humanitaire et déclare 2023 « année internationale du dialogue comme garantie de paix » | UN Press. https://press.un.org/fr/2022/ag12477.doc.htm
Pour les 125 millions : ONU, Sommet mondial sur l’action humanitaire, https://www.un.org/fr/conf/whs/about.shtml
[7] UN : UN launches record $ 51.5 billion humanitarian appeal for 2023 [EN/AR/ES/FR/RU/ZH], World (2022, 1 décembre), ReliefWeb. https://reliefweb.int/report/world/un-launches-record-515-billion-humanitarian-appeal-2023-enaresfrruzh
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