Aide humanitaire mondiale 2021 : les chiffres et les tendances

Le Global Humanitarian Assistance Report est publié depuis maintenant plus de 20 ans par Development Initiatives.

Grâce à des données précises et nombreuses, il dresse un tableau détaillé de l’aide humanitaire internationale. Vous retrouverez ici un résumé de 4 des 5 chapitres de ce rapport, le dernier portant sur la méthodologie.

Bonne lecture !


Retrouvez ici l’accès au PDF du rapport complet de Development Initiatives.

Vous retrouverez les résumés des GHAR 2018, 2019 et 2020 sur le site de Défis Humanitaires, dans la rubrique « Études » .


Chapitre 1: Population et Crises

Ce premier chapitre dresse un bilan de l’étendue de la pauvreté dans le monde en 4 points. Le message central est que la pandémie a conjointement aggravé les besoins existants et alimenté de nouvelles crises dans des pays qui n’avaient pas besoin d’aide humanitaire, augmentant le volume total de l’aide nécessaire.

Nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté dans les États fragiles et/ou les pays à haut risque d’impact du Covid-19, 2010 vs 2020

Sources : Development Initiatives à partir du PovcalNet de la Banque mondiale, des sources nationales, du INFORM Index for COVID Risk et de l’OCDE.

  • Les personnes vivant dans l’extrême pauvreté sont de plus en plus concentrées dans des pays fragiles et à haut risque face aux impacts du Covid-19. En 2020, 66 % des personnes vivant dans l’extrême pauvreté (moins de 1.90 $ / jour) vivaient également dans un des 52 pays qualifiés de fragiles par le rapport alors qu’ils étaient 40% en 2010. La réduction de la pauvreté progresse globalement mais est très inégale et a augmenté de 8 % dans les États fragiles.

 

  • L’insécurité alimentaire aiguë affecte de manière disproportionnée les plus pauvres et a été stimulée par la pandémie. Le rapport estime ainsi que plus de 80 % des personnes vivant dans des zones en proie à une grave insécurité alimentaire vivent en dessous du seuil de pauvreté international (3,20 $ / jour).

 

  • La pandémie de Covid-19 exacerbe les crises humanitaires, avec plus de personnes dans plus de pays touchés. La pandémie a aggravé les crises existantes mais a aussi été le principal moteur des besoins humanitaires dans certains pays comme l’Iran. Le rapport estime que 243,8 millions de personnes vivant dans 75 pays ont été évaluées comme ayant besoin d’une aide humanitaire (224.9 millions dans 65 pays en 2019). Un nombre élevé de personnes dans le besoin est resté concentré dans un petit nombre de pays : plus de la moitié des personnes dans le besoin en 2021 vivaient dans seulement neuf pays.

 

  • Le nombre de personnes déplacées a augmenté pour la neuvième année consécutive pour atteindre 82,1 millions (+ 3,4 %). En 2020, 10 pays ont accueilli 54% des personnes déplacées, une proportion similaire à 2019. Beaucoup de personnes déplacées se trouvent dans des situations de déplacement durable sans possibilité de retour en toute sécurité chez elles.
    • 58 % étaient des personnes déplacées de force à l’intérieur du pays ;
    • 32% étaient des réfugiés (26,3 millions) ;
    • 5,1% étaient des demandeurs d’asile (4,2 millions) ;
    • 4,4 % (3,6 millions) étaient des Vénézuéliens déplacés à l’étranger.

20 pays avec les plus grandes populations déplacées de force et le risque d’impacts de Covid-19, 2019 et 2020

Sources : Development Initiatives à partir des données du HCR, de l’UNRWA, de l’Indice de gestion des risques (INFORM) et du Centre de surveillance des déplacements internes (IDMC).

Le rapport fait également deux constats :

  • Les femmes et les filles dans les zones de conflit sont deux fois plus susceptibles de faire l’expérience de violence genrée. Cet écart risque d’augmenter avec la pandémie. L’ONU estime à 13 millions le nombre de mariages précoces d’enfants entre 2020 et 2030 en raison de la pandémie.
  • La disponibilité et la livraison des vaccins contre le covid n’ont pas été équitables et les pays connaissant une crise prolongée ont certains des taux de couverture vaccinale à dose unique les plus bas au monde (2,4% contre 12,5% dans les autres pays en développement couverts par le dispositif COVAX).

 

Chapitre 2 : Le financement de l’humanitaire et des crises au sens large

Dans ce chapitre, le rapport souligne qu’en 2020 les besoins humanitaires mondiaux ont augmenté plus rapidement que jamais, alors que la croissance de l’aide humanitaire est au point mort. Les volumes de l’aide humanitaire internationale n’avaient pourtant cessé d’augmenter au cours des années 2012 à 2018 (12% par an en moyenne), culminant en 2018 à 31,3 milliards de $.

 Aide humanitaire internationale de 2016 à 2020

Sources : Development Initiatives à partir des données du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE, le Service de suivi financier (FTS) de l’OCHA, Fonds central d’intervention d’urgence des Nations Unies (CERF) et de données pour les contributions privées.

Les besoins de financement par des appels coordonnés par les Nations Unies suivaient également une augmentation continue (+90% par rapport à 2015). Toutefois, les financements effectifs ont baissé pour la première fois en 5 ans. Sur les 38.8 milliards de $ demandés, 18.8 milliards (dont 5.7 liés au covid) n’ont pas été financés, contre 11.1 milliards en 2019.

Sur les 55 appels de 2020, seuls 7 ont reçu 75 % ou plus du financement requis. Le nombre d’appels avec moins d’un quart des besoins de financement satisfaits s’est considérablement aggravé en 2020, avec 17 appels bénéficiant d’une couverture inférieure à 25 %. En 2019, aucun appel n’a été financé à moins de 25 %.

 Financement et besoins non satisfaits, appels coordonnés des Nations Unies, 2011-2020

Sources : Development Initiatives à partir des données du FTS d’OCHA et de l’UNHCR

Les appels coordonnés par les Nations Unies ne représentent pas tous les besoins; des financements importants sont donc accordés en dehors des appels. Ainsi, en 2020, les besoins de la Fédération Internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) ont fortement augmenté, atteignant un niveau record dépassant le milliard, tandis que le déficit de financement a continué de se creuser (couverture de 58%).

Par ailleurs, le rôle des acteurs du développement au sens large est de plus en plus important et les pays en situation de crise reçoivent désormais beaucoup plus de fonds de développement que de fonds humanitaires.

L’Aide Publique au Développement (APD) reçue par les pays en crise est ainsi passée de 47 % de l’APD totale en 2010 (51 milliards de $) à 65 % en 2019 (94 milliards de $). La proportion de l’APD déclarée comme aide humanitaire a doublé, passant de 15 % en 2010 (7,6 milliards de $) à 29 % en 2019 (27,2 milliards de $).

Aide Publique au Développement (APD) des banques multilatérales de développement aux 20 principaux bénéficiaires de l’aide humanitaire, 2010-2019

Sources : Development Initiatives à partir des données de l’OCDE

Les banques multilatérales de développement (BMD) sont devenues de plus en plus actives en contextes de crise, fournissant des volumes croissants d’APD vers les pays en crise.

Les décaissements des BMD aux 20 plus grands bénéficiaires de l’aide humanitaire ont doublé depuis 2014, passant de 5,4 milliards de dollars à plus de 10,7 milliards de $ en 2019. Cependant, la part des décaissements sous forme de subventions (grants) a réduit significativement au profit des prêts (loans).

Pour la réponse à l’épidémie, le financement total des BMD a atteint 120 milliards de $ en avril 2021 à 95 % sous forme de prêts. Le FMI a été le plus gros contributeur engageant jusqu’à présent 50,4 milliards de dollars.

Enfin, le volume total de l’APD dont l’objectif principal est la réduction des risques de catastrophe est passé de 1,4 milliard de $ en 2018 à 1,9 milliard de $ en 2019.

 

Chapitre 3 : Donateurs et bénéficiaires de financements humanitaires et des crises au sens larges

Ce troisième chapitre pose le constat principal que la plupart des donateurs gouvernementaux ont augmenté leurs contributions en 2020, mais des réductions importantes de la part d’un petit nombre de donateurs clés ont provoqué la stagnation de l’aide globale.

Le volume de l’aide humanitaire internationale des 20 plus grands donateurs publics en 2020 s’est stabilisé à 23,1 milliards de $. Comme les années précédentes, les 20 plus grands donateurs publics en 2020 ont contribué à 96 % de l’ensemble allocations d’aide humanitaire internationale. Les trois plus grands les donateurs (USA, Allemagne et  Royaume-Uni) représentaient 61 % du total contributions des donateurs.

20 principaux donateurs publics d’aide humanitaire en 2020 et variation en pourcentage par rapport à 2019

Sources : Development Initiatives à partir des données du CAD de l’OCED, du FTS de l’OCHA et du CERF.

Les donateurs apportant les contributions les plus importantes au Covid-19 ont été les États-Unis, l’Allemagne et le Japon.

Il convient également de noter que de nombreux pays donateurs ont également accueilli des exilés et que la plupart des dépenses des gouvernements à l’intérieur de leurs propres frontières ne sont pas comptabilisées. Durant l’année précédente, trois pays représentaient près des deux tiers de toutes les dépenses d’accueil de réfugiés dans le pays : l’Allemagne (29 %), les États-Unis (21 %) et la France (13 %).

Un autre indicateur important mis en avant dans ce chapitre est la proportion du revenu national brut (RNB) consacrée à l’aide humanitaire internationale car il reflète l’importance des dépenses humanitaires par rapport à la taille de l’économie d’un pays. Dans ce cadre, cinq donateurs ont fourni plus de 0,1 % du RNB sous forme d’aide humanitaire internationale en 2020, comme le montre l’infographie suivante.

20 donateurs fournissant le plus d’aide humanitaire en pourcentage du RNB, 2020

Sources : Development Initiatives à partir des données du CAD de l’OCDE, du FTS de l’OCHA, du CERF, de la Banque mondiale et du FMI.

La proportion du financement privé total provenant des particuliers continue de croître. Ainsi, en 2019, l’aide humanitaire internationale provenant de donateurs privés a augmenté de 9 %, passant de 6,2 milliards de dollars US en 2018 à un record de 6,8 milliards de $ en 2019.

Sources d’aide humanitaire internationale privée, 2015-2019

Sources : Development Initiatives à partir des données de GHA

Si l’aide humanitaire internationale totale a stagné, 112 pays ont reçu plus de 5 millions $ d’aide humanitaire alors qu’ils étaient 69 pays en 2019. Une des explications est que les 10 plus grands bénéficiaires ont reçu 57 % de tous les financements soit 13,3 milliards de $ (-11%) en 2020 alors qu’ils en avaient reçu 66 % (15 milliards) en 2019.

De plus, 1,3 milliard de $ ayant été fournis pour répondre à la pandémie ces pays ont en réalité reçu 12,0 milliards de $ pour d’autres besoins humanitaires préexistants ou émergents en 2020, soit 3,0 milliards de $ de moins qu’en 2019.

Dans l’ensemble, les pays ne figurant pas parmi les 10 principaux bénéficiaires ont reçu plus de financement en 2020 qu’en 2019, mais moins si on retire ceux destinés à la lutte contre le Covid-19.

 

10 principaux bénéficiaires de l’aide humanitaire internationale, 2019-2020

Sources : Development Initiatives à partir des données du FTS

 

CHAPITRE 4 : Financements pour l’efficacité

D’après ce chapitre, l’aide humanitaire internationale aurait été globalement fournie de la même manière en 2019 que durant les années précédentes : les organisations multilatérales ont reçu la majeure partie de leur financement de donateurs publics, et les ONG des donateurs privés.

Les canaux d’acheminement de l’aide humanitaire internationale en 2019

Source : Development Initiatives à partir des données du CAD, du FTS, du CERF et de Development Initiatives

Les acteurs locaux et nationaux sont souvent les premiers à répondre aux crises, notamment depuis la pandémie de Covid-19 et les restrictions d’accès engendrées. Les engagements pris lors du Grand Bargain, un accord entre les plus grands donateurs et agences humanitaires en 2016, prévoyait l’objectif mondial de 25 % de l’aide humanitaire internationale totale transférée aux acteurs locaux et nationaux d’ici 2020. Depuis, si les volumes absolus d’aide humanitaire internationale transmise directement aux intervenants locaux et nationaux ont augmenté, leur ampleur est très loin des attentes.

 

Financement direct aux acteurs locaux et nationaux en % du financement total

Source : Development Initiatives à partir des données du FTS

Les fonds communs sont une part de plus en plus importante du financement humanitaire en raison de leur réactivité et flexibilité. Ils se composent des CERF (Central Emergency Response Fund – Fonds central d’intervention d’urgence) et des CBPF (Country-based pooled fund – fonds communs par pays). Les contributions aux fonds communs des Nations Unies ont fortement chuté en 2020 retombant à 1,5 milliard $ alors qu’elles avaient été atteint le record de 1,8 milliard $ en 2019.

Il convient cependant de noter que la proportion de financement des CBPF aux organisations nationales continue de croître malgré la diminution absolue des CBPF.

 

 

Volume des financement des CBPFs et des CERF

Source : Development Initiatives à partir des données CBPFs de l’OCHA et CERF de l’ONU

Les « quality fund » (financements pluriannuels et non affectés par rapport au financement total) sont une autre option plébiscitée lors du Grand Bargain. Ils devaient représenter 30% de l’aide humanitaire internationale d’ici 2020. S’ils ont augmenté de manière significative en volume en 2020, ils restent, en proportion du financement total, inférieurs aux niveaux de 2016.

Financement des 9 agences de l’ONU et la proportion des financements non affectés sur le total

Source : Development Initiatives à partir des données des agences de l’ONU

Le financement pluriannuel est, selon le Grand Bargain, un financement qui dure 24 mois ou plus à compter de la date de début de l’accord de financement initial. Cette méthode de financement fournit aux agences d’exécution des niveaux de ressources prévisibles qui peuvent permettre des gains d’efficience et d’efficacité, en leur permettant de planifier à l’avance.

15 donateurs, qui ont fourni 84 % de l’aide humanitaire totale des gouvernements en 2020, ont alloué 42 % (6,5 milliards de dollars US) de leur financement humanitaire sur plusieurs années en 2020 contre 50 % (7,3 $ US milliards) en 2019.

Enfin, le volume de l’aide humanitaire en espèces et en bons (CVA) a continué de croître en 2020 dans tous les types d’organisations. Cette méthode pouvant être mise en place rapidement dans les zones adaptées a souvent été la modalité choisie pour répondre à la pandémie de Covid-19.

 

 

Financement total de l’aide humanitaire en espèces et en bons, 2015-2020

Source : Development Initiatives à partir des données du FTS et Cash Learning Partnership


Pour résumer voici les principales tendances de 2020 à retenir :

– Les besoins humanitaires sont croissants : 243,8 millions de personnes vivant dans 75 pays ont été évaluées comme ayant besoin d’une aide humanitaire. La pandémie de Covid-19 exacerbe et crée des crises humanitaires.

– Alors que les besoins humanitaires mondiaux ont augmenté plus rapidement que jamais, la croissance de l’aide humanitaire est au point mort. Le taux de couverture des appels baisse.

– La plupart des donateurs gouvernementaux ont augmenté leurs contributions en 2020, mais des réductions importantes de la part d’un petit nombre de donateurs clés ont provoqué la stagnation de l’aide globale. Dans l’ensemble, les pays ont reçu moins de financement en 2020 qu’en 2019, notamment si on retire ceux destinés à la lutte contre le Covid-19.

– La structure de l’aide humanitaire internationale reste la même : les organisations multilatérales ont reçu la majeure partie de leur financement de donateurs publics, et les ONG des donateurs privés. Les engagements sur le financement pris lors du Grand Bargain sont loin d’être atteints.

Rodolphe Rouyer

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L’Afghanistan des Talibans et nous

Mission humanitaire dans les années quatre-vingt. Un mois de marche à pieds pour rejoindre le nord de l’Afghanistan. De droite à gauche, Alain Boinet, Fahim, François et Jean-François.

L’histoire retiendra la date du 31 août 2021 comme le symbole du retrait chaotique des États-Unis et de leurs alliés de l’OTAN d’Afghanistan après 20 ans d’une guerre qui avait débuté avec l’invasion soviétique le 27 décembre 1979. Maintenant que les Talibans ont pris le pouvoir à Kaboul et qu’ils sont là sans doute pour longtemps, il est temps de tirer quelques leçons utiles pour penser la nouvelle période qui commence.

Je parle ici à titre personnel comme un ami de l’Afghanistan depuis une première mission humanitaire en 1980, suivi par beaucoup d’autres avec Solidarités International et par un plaidoyer constant pour soutenir la population afghane. Souvenons-nous aussi que l’Afghanistan a joué un rôle déterminant avec les ONG dans la révolution humanitaire du « devoir d’assistance » qui a commémoré ses 50 ans l’année dernière et qui a été décisive depuis pour l’accès des secours aux populations en danger dans le monde.

J’ai bien conscience en écrivant ces lignes que je sors de l’humanitaire stricto sensu. Je crois que c’est le moment de partager mon expérience et mes réflexions dans la mesure où les erreurs politiques, les errements idéologiques, l’ignorance et les conflits engendrent des drames sans fin. C’est justement le cas de l’Afghanistan depuis 41 ans ! Et puis, j’entends et je lis dans les médias tellement d’approximation, d’erreur et de partis pris de la part de personnes qui ne sont jamais allées en Afghanistan et qui au fond n’y connaissent pas grand-chose, que cela me conduit à témoigner.

Des Afghans se rassemblent au tarmac de l’aéroport de Kaboul le 16 août 2021 pour fuir le pays @Carlos Branson / Alamy Stock Photo

Nous avons tous en tête les images de panique à l’aéroport de Kaboul, les attentats sanglants de l’Etat Islamique au Khorasan (EI-K), le chaos et la peur. J’ai une pensée pour tous ces afghans qui ont fuient leur pays et ceux qui n’ont pas encore pu partir. On ne s’exile jamais sans souffrance. Saluons l’engagement de tous les pays, dont la France, qui ont évacué celles et ceux qui ont coopéré avec eux pour les protéger et les accueillir.

Une victoire prévisible.

Si les observateurs lucides, et les femmes et hommes de terrain s’attendaient à une victoire des Talibans après le retrait des Américains et de leurs alliés, personne, pas même les Talibans, n’avaient prévu un effondrement si rapide du gouvernement, de l’armée et de la police et finalement de tous les opposants. C’est depuis 40 ans une première dans l’histoire de ce pays qui en dit long sur le régime mis en place à l’issue des Accords de Bonn le 5 décembre 2001 après la chute des Talibans.

L’intervention militaire américaine sous mandat des Nations-Unies était justifiée après la destruction du World Trade Center à New York par Al Qaïda le 11 septembre 2001, et les 3000 victimes qu’elle a causé. L’erreur a été de croire ensuite que les Talibans étaient définitivement vaincus après leur retrait de Kunduz et de Kaboul. Plus grave a été la faute politique de ne pas les inviter à participer, avec toutes les autres factions afghanes, pourtant très divisées entre elles et parfois aussi radicales que les Talibans, à participer aux accords de Bonn alors que l’objectif premier était de mettre un terme au conflit et de promouvoir la réconciliation.

Mais quelle est la cause principale de la victoire des Talibans 20 ans plus tard ? N’est-elle pas celle d’avoir voulu, envers et contre tout réalisme, plaquer un modèle politique de type occidental sur un pays qui ne l’est pas, en oubliant ses caractéristiques identitaires et historiques, sa longue tradition d’indépendance farouche et sa réputation de « cimetière des empires ».

Talibans à Kaboul le 18 août 2021 @John Smith/ Shutterstock

Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères, a annoncé (Marianne 20 au 26.8.2021) « L’Afghanistan est le tombeau du droit d’ingérence » et d’ajouter « Nous avons menti à ces peuples en danger ». Bernard Kouchner, autre ancien ministre, vient de lui rétorquer (L’Express 26.8.2021) « Non, le droit d’ingérence n’est pas mort ». C’est tout le débat entre l’école du réalisme géopolitique et des intérêts nationaux, et celle principalement fondée sur les droits de l’homme. Pourtant l’ingérence dans les affaires d’un autre pays n’est pas une nouveauté dans les relations internationales.

Nous devons ici lever une ambiguïté qui consiste simplement à distinguer l’humanitaire du politique. L’humanitaire dont nous parlons dans cet article est celui de la neutralité, de l’impartialité des secours fondés sans exclusivité sur l’urgence des besoins vitaux et l’indépendance de ces acteurs. Si l’ingérence n’aura jamais de fin, il est en revanche probable que l’interventionnisme occidental et le « state building » seront sérieusement révisés, si ce n’est oubliés.

Pour revenir à l’Afghanistan, je me suis récemment fait la réflexion que si l’on n’avait pas vécu dans les campagnes afghanes, si l’on n’avait pas cohabité avec des combattants sur le terrain comme les humanitaires le font par nécessité, dormi et mangé dans les mosquées où nous étions accueillis, si l’on ne connaissait que les villes, les élites et les dirigeants, il serait difficile de comprendre profondément ce pays et la majorité de sa population, toutes ethnies confondues. Gérard Araud, ancien ambassadeur de France aux États-Unis va jusqu’à dire « Les Talibans sont sans doute plus proches des mœurs, des croyances et des pratiques de la majorité du pays, que les élites de Kaboul ». A-t-on bien compris que les Talibans, porteurs d’un modèle islamique conservateur rigoriste appliquant strictement la charia, allaient alors devenir de fait les patriotes de la lutte contre la présence étrangère et acquérir une nouvelle légitimité dans la population.

Peut-on imposer la démocratie et le libéralisme par la force des armes et poursuivre en Afghanistan le projet de Georges W. Bush de « state building » pour démocratiser par la violence le Grand-Moyen Orient en s’attaquant à l’Irak de Saddam Hussein avec les conséquences que l’on sait : mensonge, chaos, destructions, renforcement de l’Iran Chiite, création puis expansion de Daech dont on retrouve maintenant les métastases en Afghanistan, au Sahel, dans la région du Lac Tchad, au Libéria et qui s’étend en Afrique sub-saharienne vers le Golfe de Guinée.

Le Président de la République, Emmanuel Macron, vient d’en faire le bilan en l’appliquant au Mali : « Je ne crois pas au « state building » : ce n’est pas aux Occidentaux d’aller construire un Etat au Mali ». Et d’ajouter dans un entretien au Journal du Dimanche (29.8.2021) depuis l’Irak où il participait à une Conférence internationale sur la stabilité et la lutte contre le terrorisme : « Nous avons donc tiré au Mali les conséquences avant l’heure de ce qu’on a vu en Afghanistan ».

La question qui se pose maintenant est de savoir ce que l’on va faire avec l’Afghanistan, ses 38 millions d’habitants et les Talibans qui sont là à priori pour longtemps. Un premier élément de réponse a été posé par Emmanuel Macron au moment où la France, la Grande Bretagne et l’Allemagne ont déposé un projet de résolution au Conseil de sécurité des Nations-Unies. Celui-ci vise à définir « sous contrôle onusien, une « zone de sécurité » à Kaboul » afin de poursuivre l’évacuation des afghanes et afghans qui ont travaillé avec les français et avec d’autres pays occidentaux. Et de préciser « C’est l’une des conditions préalables que nous posons à toute relation avec les Talibans ». Des discussions ont commencé avec les Talibans à Doha et avec le Qatar afin d’ « aménager des opérations de pont aérien ».

Cela est le préalable d’un dialogue qui pourrait ensuite se poursuivre et s’élargir avec les Talibans comme le font déjà plusieurs pays. Par le passé et durant longtemps, de nombreux experts considéraient que l’Afghanistan n’était pas une question stratégique internationale et l’ont par conséquent négligé. Et pourtant, en 40 ans, ce pays a vu successivement intervenir l’Union Soviétique puis les Etats-Unis et l’OTAN. Enfin l’intervention du Chef de l’Etat français à la télévision le 16 août sur l’Afghanistan a brusquement donné à ce pays un tout autre statut, non sans raison. L’Afghanistan nous confronte aujourd’hui à 5 questions stratégiques incontournables qui sont autant de défis : le terrorisme, la drogue, l’immigration, la géopolitique et les droits humains.

Les 5 questions stratégiques en Afghanistan.

Terrorisme. L’enjeu est de savoir si l’Afghanistan peut devenir une base du terrorisme international. Or, le double attentat kamikaze perpétré par Daech ou l’Etat Islamique au Khorasan (EI-K) jeudi 26 août est une véritable déclaration de guerre faite aux Talibans. Ce qui distingue les Talibans de Daech et d’Al-Qaïda, c’est que les premiers ne s’intéressent qu’à l’Afghanistan alors que pour les Djihadistes, il s’agit seulement d’une base pour propager le terrorisme et leur idéologie ailleurs dans le monde. Les Talibans se sont engagés avec les américains à Doha, et plus récemment avec les Chinois, à ce que le territoire afghan ne soit pas utilisé à des fins terroristes dans le monde. Ils doivent donc en faire la démonstration.

La douleur des familles après l’attentat de L’Emirat Islamique à l’aéroport de Kaboul @ John Smith/ Shutterstock

J’aimerais aussi rappeler des faits qui sont oubliés ou méconnus. Oussama Ben Laden et Al-Qaida étaient en Afghanistan depuis longtemps avant la prise de pouvoir des Talibans en septembre 1996. Les Talibans n’étaient pas informés et n’ont pas participé à l’attentat contre le World Trade Center qui a conduit à leur chute. Ils en ont probablement tiré les leçons ainsi que celles de leur refus de livrer Oussama Ben Laden, pour des raisons de code d’honneur puisqu’il avait lutté avec les moudjahidins, qualifiés par l’Occident de « combattants de la liberté » contre les troupes soviétiques, alors qu’ils auraient simplement pu l’inviter à partir.

Drogue. La production afghane de pavot dont on tire l’opium, puis l’héroïne représenterait 84 % des drogues opiacées vendues dans le monde. En 2021, la production afghane d’opium a été de 6300 tonnes et représenterait entre 20 et 30% du PNB, soit entre 4,1 et 6,6 milliards de dollars, contre 18% pour l’agriculture légale. En 2020, la superficie des terres affectées à la culture du pavot a augmenté de 37%, soit 250.000 hectares, environ quatre fois plus qu’au milieu des années 1990 !

En juillet 2000, une fatwa du Mollah Omar, fondateur et chef des Talibans, avait conduit à une quasi-éradication du pavot en 2001, passant de 4600 tonnes en 1998 à 185 tonnes en mai 2001, concentré dans le nord-est du pays. Dans une récente tribune intitulée « Comment les Occidentaux ont laissé l’Afghanistan redevenir le pays de la drogue » (Le Figaro 25.8.2021), Bernard Frahi, contrôleur général honoraire de la police nationale et ancien directeur du bureau régional de l’ONUDC (Office des Nations Unies contre la drogue et le crime) pour l’Afghanistan et le Pakistan (1998 – 2002), appelle à « renouer le dialogue » et à « prendre les Talibans au mot en les mettant au défi d’imposer une interdiction totale des cultures d’opium ».

Migration. Beaucoup craignent un vaste mouvement migratoire comparable à celui des réfugiés syriens partis de Turquie vers l’Europe en 2015. Depuis longtemps, il y a près de 2,5 millions de réfugiés afghans en Iran et au Pakistan, issus principalement de la guerre avec l’Union Soviétique. Cette année, beaucoup sont rentrés d’Iran. En plus des 123.000 afghans évacués de l’aéroport de Kaboul depuis le 14 août, le Haut-Commissariat des Réfugiés des Nations-Unies (HCR) a déclaré craindre le départ de 500.000 afghans cette année dans « le pire des scénarios » tout en précisant que pour l’instant « aucun exode n’est constaté ».

Selon un récent bulletin d’UNOCHA (BCAH – Bureau commun des affaires humanitaires des Nations-Unies) présent à Kaboul, il y a eu depuis le début de l’année 558,123 déplacés forcés du fait des combats. Il est vrai aussi que l’Afghanistan représente aujourd’hui une terre d’émigration continue à cause des combats, de la pauvreté endémique et d’une forte démographie. Les postes frontières afghans sont actuellement fermés à l’exception de Spin Boldak au sud-ouest où les mouvements de part et d’autres de la frontière sont habituels. On ne voit donc pas d’exode significatif à ce stade, mais il faut prendre garde aux conséquences possibles d’un appauvrissement rapide, d’un affaiblissement de l’effort humanitaire et d’un isolement du pays.

Wang Yi rencontre le Chef de la Commission politique des Talibans de l’Afghanistan le mollah Abdul Ghani Baradar @Ministère des Affaires Étrangères Chinois
Le Ministre assistant des Affaires étrangères Wu Jianghao avec la délégation conduite par le mollah Abdul Ghani Baradar @Ministère des Affaires Étrangères Chinois

 

 

 

 

 

 

 

 

Relations internationales. C’est tout l’équilibre géopolitique qui est déstabilisé par le retrait occidental, l’effondrement du régime du président Asraf Ghani et la victoire des Talibans. Les Chinois n’ont pas attendu le départ des Américains pour recevoir officiellement une délégation conduite par le numéro 2 des Talibans, Mollah Baradar. La Turquie a annoncé par la voix de son président, Recep Tayyip Erdogan, son intention de coopérer. L’Iran, de son côté, semble bien disposé à le faire et la Russie sera pragmatique si elle reçoit des assurances concernant la sécurité et le terrorisme. Ne parlons pas du Pakistan qui a toujours soutenu les Talibans, ni de l’Arabie Saoudite et du Qatar qui les avait déjà reconnus en 1996. Pour les Etats-Unis et les pays de l’Union Européenne et celle-ci, toute la question est de savoir s’ils vont laisser dorénavant toute la place à ces pays et quelle pourrait être alors une politique alternative !

Droits humains. Ça sera la pierre d’achoppement majeure entre les pays occidentaux et le nouveau régime Taliban. Qu’en sera-t-il des élections, du parlement, des médias, de l’éducation, de la culture, du rôle des femmes dans la société ? Quand ils ont exercé le pouvoir à Kaboul entre 1996 et 2001, les Talibans ont laissé le souvenir d’un régime appliquant sévèrement la charia (lapidation, exécution publique, amputation, harcèlement et sanction physique,) et empêchant les jeunes filles d’accéder à l’enseignement supérieur et à l’exercice d’une activité professionnelle. Récemment, les Talibans, par la voix de leur porte-parole, ont déclaré officiellement qu’ils avaient besoin de femmes compétentes, qu’il s’agisse notamment de l’éducation et de la santé, et qu’elles pourraient travailler dans le respect des règles islamiques. Ils ont aussi demandé aux fonctionnaires de rester à leurs postes. N’est-ce-pas pas l’occasion de les prendre au mot et de fixer des lignes rouges ?

Le test des secours humanitaires.

Le premier test pour les Talibans comme pour les pays occidentaux portera sur l’aide humanitaire. Les Talibans vont-ils l’empêcher ou la contraindre après leur victoire, et les occidentaux vont-ils en interrompre le financement après leur départ ?

Najmuddin Hilal au centre orthopédique du CICR à Kaboul @CICR

Aujourd’hui un Afghan sur trois ne mange pas à sa faim, et 14 millions d’habitants sont confrontés à un risque de disette, si ce n’est de famine possible, selon les Nations-Unies. L’UNICEF nous alerte qu’un million d’enfants risquent de souffrir de malnutrition sévère. Sans oublier que depuis le début de l’année, les combats ont provoqué 550.000 déplacés qui nécessitent des secours suivis. De son côté l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) s’inquiète de 500 tonnes de médicaments et de fournitures médicales stockées à Dubaï qui n’ont pas pu être livré.

Les Agences humanitaires des Nations-Unies par la voix de Martin Griffiths, le CICR (Comité International de la Croix Rouge) et les ONG humanitaires se sont engagés à rester en Afghanistan conformément à leur mission. Mais les obstacles ne manquent pas. Les Talibans vont-ils tenir leur engagement quand ils demandent aux humanitaires de rester et de poursuivre leur aide ? Aide qui n’est envisageable que dans le respect des principes de neutralité, d’impartialité, d’indépendance et des pratiques de maitrise complète du cycle de l’aide : évaluer, réaliser, vérifier, rendre compte.

Un responsable d’ONG, active sur place depuis 1987, évoque plusieurs difficultés immédiates. Qu’il s’agisse de l’accès aux banques, qui sont fermées alors que le besoin de liquidités est quotidien notamment pour payer les employés afghans, le blocage actuel des aéroports, le besoin de ravitaillement en médicaments, ou encore la question du dédouanement avec les Talibans peu au fait de ces questions.

De son coté, Olivier Routeau, directeur des opérations de Première Urgence Internationale (PUI) indique être déjà passé à la question de l’après : comment continue-t-on d’agir avec les Talibans au pouvoir ? Il se trouve que c’était déjà le cas dans des territoires déjà contrôlés par les Talibans. Dans la province orientale du Nangarhar, le « Provincial Health Commettee » est maintenant dirigé par un responsable Taleb qui anime les réunions de travail. Mais il n’y a encore pas d’autorité et de règle établie au niveau central. Olivier Routeau s’inquiète également des fameuses lois antiterroristes (COTER) qui pourraient criminaliser les humanitaires. Comme souvent, les humanitaires doivent s’adapter pour agir, mais tous partagent la conviction de « rester et secourir », ou « stay and deliver » en anglais. Ainsi, MSF a une centaine d’expatriés sur place, et de manière générale, les Afghans travaillant dans ces organisations humanitaires de santé notamment, sont peu concernés par des départs et des évacuations. C’est plus délicat pour les projets de développement, particulièrement en matière d’éducation.

Depuis le début de l’aide humanitaire en 1980, celle-ci ne s’est jamais interrompue malgré les ruptures militaires et politiques successives. Elle s’est constamment adaptée avec pour fil rouge ses principes et pratiques, et les relations établies avec les Afghans depuis maintenant plus de 40 ans. A tel point que les Nations-Unies (UNOCHA) ont défini un cadre de relation avec les Talibans dans un document intitulé « Engagement strategy with Taliban in Afghanistan ».

Aujourd’hui encore, les humanitaires ne peuvent pas quitter l’Afghanistan et ses 38 millions d’habitants. C’est ainsi que l’UNICEF et l’OMS demandent « la mise en place immédiate d’un pont aérien humanitaire fiable et robuste pour envoyer des fournitures » et j’ajouterais aussi du personnel qualifié pour renforcer les équipes sur le terrain.

Conclusion toute provisoire.

Comment conclure dans un contexte en constante évolution et changement ? Quelle sera la composition d’un futur gouvernement afghan ? Les évacuations d’afghans pourront-elles se poursuivre, quelle sera l’attitude des pays occidentaux et des autres acteurs ?

Au fond, il y a deux grands choix possibles. Ou bien chercher à isoler les Talibans, voire à les punir, ou s’engager dans un dialogue justifié par les 5 défis stratégiques que sont le terrorisme, la drogue, l’émigration massive, la géopolitique et les droits humains.

Isoler et punir les Talibans aurait certainement pour conséquence de les radicaliser et de les pousser dans les bras de pays peu regardant sur les droits humains, voire d’Al-Qaida et de Daech, qui seraient confortés dans leur position et leur influence.

L’ancien représentant adjoint de l’OTAN en Afghanistan, Mark Jacobson, vétéran de l’armée américaine, vient de déclarer dans une interview au journal Libération (30.8.2021) : « Il faut se résigner à une sorte d’accord avec les Talibans ». Non, il ne faut pas se résigner mais comprendre que, sans angélisme, la meilleure manière de se faire entendre des Talibans sur les droits humains et les évacuations à venir, c’est de dialoguer avec eux sur la résolution des grands défis que la réalité afghane actuelle impose à tous.

Le rôle de la diplomatie n’est-il pas aussi celui de parler avec ses ennemis ? Et dialoguer ne veut pas dire s’incliner, au contraire ! Enfin, malgré le rigorisme rugueux des Talibans, nous connaissons aussi le pragmatisme des Afghans et la fin de cette guerre de 20 ans peut les décrisper.

Les premiers tests porteront sur la suite des évacuations d’Afghans, l’aide humanitaire et la composition de leur gouvernement.

Et puis, l’Afghanistan c’est 38 millions d’êtres humains dont près de la moitié ont moins de 15 ans. Ils seront 65 millions dans 30 ans dans un pays qui connait un déficit structurel en céréales pour nourrir sa population. Enfin, le dérèglement climatique menace la chaine himalayenne de l’Hindou-Kouch, véritable réservoir d’eau de ce pays qui risque un jour d’en manquer pour son agriculture.

Est-ce la fin de la guerre en Afghanistan ? Est- ce le début d’un chemin vers la paix ? C’est tout l’enjeu.

Alain Boinet.