Conférence pour le Soudan : il était plus qu’urgent d’agir

Depuis le 15 avril 2023 le Soudan a plongé dans la guerre civile. On compte à minima 14 000 morts, un chiffre très certainement sous-estimé, mais aussi des dizaines de milliers de blessés. 25 millions de personnes, soit la moitié de la population, a besoin d’assistance humanitaire. Le conflit a d’ores et déjà amené près de 9 millions de personnes à fuir leur domicile, dont 1,8 million ont trouvé refuge dans un des pays limitrophes. On ne compte plus les récits glaçants d’enfants, de femmes et d’hommes déplacés racontant les effroyables violences auxquelles ils ont été confrontés. Enfin, loin d’aller vers une résolution, le conflit s’enfonce dans une crise de plus en plus profonde, menaçant la vie de centaines de milliers de Soudanais.  

Le 21 septembre 2023 à Adré à l’Est de Tchad Hussam Ali, 7 ans, boit de l’eau assis sur les affaires que sa famille a pu à emporter alors qu’ils fuyaient la localité de Murnei à l’ouest du Darfour.
TCHAD – septembre 2023 – ©Abdulmonam Eassa

Une conférence internationale pour tirer la sonnette d’alarme    

A l’initiative de la France, de l’Allemagne et de l’Union européenne, une Conférence humanitaire internationale pour le Soudan et les pays voisins s’est tenue à Paris le 15 avril 2024. Rassemblant 58 Etats, dont des pays de la région et des pays bailleurs de fonds, ainsi que les principales organisations régionales et les dirigeants de plusieurs agences des Nations Unies, elle n’a permis de recueillir que la moitié des 4,01 milliards de dollars demandés par les Nations Unies : 1,4 milliard de dollars pour un plan régional d’intervention pour les réfugiés visant à aider 2,7 millions de personnes dans cinq pays voisins, et 2,7 milliards de dollars pour un plan d’intervention humanitaire national ciblant 14,7 millions de personnes au Soudan même – un chiffre à mettre en parallèle avec les 25 millions de personnes ayant besoin d’aide. 

Afraa (prénom modifié) – des hommes armés ont pénétré dans la maison familiale et se sont défoulés sur elle et ses proches. TCHAD – septembre 2023 – ©Abdulmonam Eassa

Cette conférence intervient après des mois d’apathie et de silence de la communauté internationale. Alors que de plus en plus de personnes sont confrontées à la faim, aux maladies et aux déplacements forcés, que l’économie et les services de base se sont effondrés, le plan de réponse humanitaire n’était jusqu’alors financé qu’à hauteur de 5%. À cet égard, la Conférence apparaît comme un sursaut, une prise de conscience bienvenue mais tardive.  

Les ONG mobilisées pour contrecarrer la famine qui guette  

Intervention de Kevin Goldberg, Directeur général de Solidarités International, lors de la Conférence Humanitaire internationale pour le Soudan et les pays voisins.

Invitées en tant que témoins et acteurs directs de l’aide au Soudan comme dans les pays voisins, les ONG locales et internationales, dont Solidarités International, ont pu faire part de l’absolue nécessité d’accélérer les engagements financiers pour éviter une situation de famine qui semble malheureusement de plus en plus inéluctable, et qu’il nous faut circonscrire de toutes nos forces.  

En effet, la destruction des infrastructures agricoles, la hausse des prix alimentaires et l’impossibilité de cultiver les terres en raison des combats laissent présager une période de soudure, de juin à septembre prochain, extrêmement difficile pour les populations. De plus, la saison des pluies, qui coïncide avec la période de soudure, va rendre de nombreuses routes impraticables car inondées, limitant ainsi l’acheminement de l’aide. Dès à présent, on estime que 17,7 millions de personnes, soit plus que la population actuelle des Pays-Bas, sont confrontées à des niveaux élevés d’insécurité alimentaire aiguë 

Cette crise exige des ressources additionnelles et disponibles immédiatement. Il nous faut augmenter le volume d’aide d’urgence, mais aussi prépositionner des réserves alimentaires massives en prévision de la saison des pluies, déployer des capacités de traitement de la malnutrition aigüe, assurer un accès à l’eau et à l’hygiène pour éviter que les maladies hydriques qui accompagnent la faim ne fassent elles aussi des ravages.  

Par ailleurs, si l’aide d’urgence est vitale, elle ne peut être la seule réponse. Les bailleurs doivent aussi réinvestir massivement dans l’aide à plus long terme pour la région afin de renforcer la résilience des communautés qui accueillent les personnes qui fuient le conflit. Les systèmes alimentaires locaux, mis d’autant plus sous pression par cette crise prolongée, doivent aussi être largement soutenus.  

Un aide humanitaire extrêmement difficile à acheminer 

SOUDAN – Campagnes de nettoyage SIRBA – 01/02/2024 – Solidarités International

A travers nos prises de parole, nous avons aussi pu souligner combien en l’état l’accès aux populations ayant besoin de l’aide reste extrêmement laborieux au Soudan. D’abord du fait de l’instabilité sécuritaire qui règne : l’acheminement de l’aide est possible mais il est dangereux, la sécurité de nos collègues travailleurs humanitaires n’est pas suffisamment assurée. Ensuite parce que les infrastructures dégradées et l’accès limité aux zones de conflits augmentent considérablement les coûts de transport du personnel et de matériel. L‘inflation élevée, la dépréciation de la monnaie et les perturbations des chaînes d’approvisionnement contribuent aussi à l’augmentation du coût des produits essentiels, ce qui exerce une pression supplémentaire sur les ressources déjà limitées qui nous sont allouées. Enfin, nous faisons face à trop d’obstacles bureaucratiques, qu’il s’agisse de restrictions de visa ou du nombre insuffisant de points de passage aux frontières.  

Un effort à poursuivre 

Carte du Soudan et des pays alentours.

Deux points en conclusion. D’abord, si les nombreuses déclarations des représentants des gouvernements ont été encourageantes, les efforts mondiaux doivent se poursuivre après la conférence. Il s’agira pour nous de veiller à ce que les financements annoncés se concrétisent très rapidement, et de vérifier qu’ils viennent bien en addition de précédents engagements. N’oublions pas aussi l’effet domino de cette crise : l’instabilité du Soudan menace toute la région, et notamment des pays déjà fragiles, confrontés à leurs propres défis humanitaires et économiques – le Tchad, le Soudan du Sud, l’Égypte, l’Éthiopie et la République centrafricaine. C’est pourquoi une réponse internationale plus coordonnée au niveau régional est nécessaire.  

Ensuite, si obtenir des financements pour que l’aide parvienne au plus vite aux populations est crucial, ce n’est pas suffisant. Il faut le répéter encore et encore : tous les acteurs du conflit doivent respecter le droit international humanitaire et protéger les civils et les travailleurs humanitaires. Et nous avons besoin de la pression diplomatique de toutes les parties prenantes pour y parvenir. En attendant un accord de paix qui permettrait, enfin, de sortir du cycle infernal de violences dans lequel le Soudan est aujourd’hui bloqué.  

 

Cliquez ici pour accéder à la rediffusion de la Conférence et écouter l’intervention de Kevin Goldberg.

Vous trouverez ici le communiqué officiel du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères sur la Conférence.

 

Kevin Goldberg
Directeur général, Solidarités International 

Résolument tourné vers l’intérêt général et l’amélioration des conditions de vie des populations les plus défavorisées, Kevin Goldberg a débuté sa carrière en travaillant auprès de parlementaires et d’élus locaux, à Bruxelles puis à Paris. En 2013 il rejoint le Cabinet du Président du Directoire du GROUPE SOS, acteur associatif majeur de la cohésion sociale en France et dans le monde, en tant que responsable du développement et des partenariats. Il prend en 2017 la direction du secteur international du Groupe, où il développe avec ses équipes des projets sur les thématiques de l’accès à la santé primaire au Sahel, la protection du couvert forestier en Asie du Sud-est, ou encore le développement de l’entrepreneuriat social en Afrique australe, au Maghreb et dans les Balkans. En janvier 2021, Kevin rejoint en tant que Directeur général l’ONG humanitaire SOLIDARITÉS INTERNATIONAL, dont les 3000 salariés agissent dans plus de 25 pays confrontés aux crises les plus graves. Diplômé de Sciences Po Grenoble, du Collège d’Europe et de l’Université Paris Dauphine-PSL, Kevin est également membre du Conseil d’administration de Coordination SUD. 

Bombardement sur les civils à Gaza : le droit international doit être notre seule boussole

Une tribune de Jean-Pierre Delomier

Le 21 février dernier, je me suis rendu à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. Dans cette ville palestinienne, à la frontière commune avec l’Egypte, près d’un million cinq cent mille personnes ont fui les bombardements et se retrouvent piégées. Si la possibilité d’une trêve est ici et là évoquée, les bombes, larguées quotidiennement dans la zone, additionnées au manque d’accès à une aide humanitaire, plongent les civils dans une situation de dénuement absolu.

 

Une tragédie humanitaire en cours  

La population de Rafah est désormais multipliée par six. Des tentes sont dressées à chaque coin de rue. En ville, les centres d’hébergement collectifs débordent. Il n’y a pas un mètre carré, pas un trottoir, pas un balcon ou une cour d’école qui ne soient occupés également par des familles déplacées, réfugiées partout où la place est disponible. Dans chaque regard, on décèle aisément le poids des souffrances endurées. Toutes et tous sont épuisés, désespérés, traumatisés. Ils ont besoin de tout : de nourriture, d’eau, d’abris, alors que les camions d’aide humanitaire sont bloqués à la frontière pourtant si proche. La tension est palpable dans cette ville où règne une atmosphère de chaos.

Il n’y a aucun endroit sûr, et l’aide humanitaire arrive au compte-gouttes. Les largages aériens ou le corridor maritime ne sont pas suffisants. Les blocages dans l’acheminement de l’aide humanitaire qui se situe juste là, de l’autre côté de la frontière sont inacceptables et doivent être levés.

Le schéma de dommages entrainé par la violence des armes explosives

Pourtant engagé de longue date sur des terrains d’action d’urgence, je suis ébranlé par ce que j’ai vu. Gaza est l’une des zones les plus densément peuplées au monde et les bombes pleuvent sans discontinuer depuis 5 mois. Quand les armes explosives sont utilisées en zones peuplées, 90 % des victimes sont des civils : la population est tuée, mutilée, traumatisée. Des infrastructures essentielles, telles que les hôpitaux ou les écoles sont détruites, ce qui a d’ores et déjà un impact durable, car ces services sont désormais indisponibles et le resteront pendant longtemps. Même après la fin des combats, les bombardements et les pilonnages laisseront derrière eux des zones fortement contaminées par les restes explosifs, représentant une grave menace sur le long terme. Des opérations de dépollution déminage longues et complexes seront nécessaires afin de permettre toute reconstruction. Les conséquences de l’usage des engins explosifs sont encore visibles dans de nombreux pays dans le monde. A titre d’exemple, près de 30 ans après la fin du conflit en Bosnie, le pays est toujours contaminé par les mines et les restes explosifs de guerre. 50 ans après la fin de la guerre du Vietnam, les opérations de déminage sont toujours en cours au Cambodge et au Laos.

Ce que nous observons à Gaza correspond au schéma habituel des dévastations causées par les bombardements urbains, schéma que Handicap International (HI) a observé et documenté depuis des années : des déplacements massifs de population, des destructions des infrastructures civiles essentielles et des logements, des neutralisations des surfaces agricoles et moyens de subsistance, et bien sûr les morts et les blessés.

Ici, les conséquences sont sans comparaison. L’impact humanitaire de ces cinq derniers mois est sans précédent, car les bombardements, très intenses, pleuvent sans s’arrêter sur une bande de 40 km de long, peuplée par près de 2 millions d’habitants.

Le Droit International Humanitaire comme seule boussole

Si ce schéma de dommages est tristement prévisible, un nouvel extrême a été atteint à Gaza. Cinq mois après l’attaque du 7 Octobre perpétrée par le Hamas, au cours de laquelle 1 200 israéliens ont été tués et 240 personnes prises en otages, le bilan dans la bande de Gaza s’élève à 30 000 morts et près de 70 000 blessés. La moitié des bâtiments des cinq provinces gazaouies sont détruits ou endommagés, après que 45,000 bombes ont été larguées jusqu’à la mi-janvier. Tout le territoire est rendu extrêmement dangereux par les bombardements et attaques constantes et par la contamination par les restes explosifs de guerre. Les villes sont en ruine et 1,7 millions de personnes sont déplacées.

HI est engagée de longue date pour protéger les civils contre les armes explosives, qu’il s’agisse de mines, de sous-munitions ou de bombardements urbains. L’association appelle ainsi à l’arrêt des bombardements à Gaza, l’effet indiscriminé des armes explosives étant systématique sur les civils quand celles-ci sont utilisées dans des zones peuplées. Ces effets dévastateurs ont été reconnus par 84 Etats qui ont adopté, en novembre 2022, une Déclaration Politique contre les bombardements en zones peuplées. Cette déclaration s’inscrit dans le cadre du Droit International Humanitaire. Il est en cohérence avec le soutien de HI à l’appel au cessez-le-feu et à la libération de tous les otages et personnes détenues illégalement. Seul un cessez-le-feu peut permettre de répondre à l’immensité et l’urgence des besoins avec un accès rapide et sans entrave sur l’ensemble de la bande de Gaza.

 

Jean-Pierre Delomier

Directeur adjoint des opérations pour Handicap International

 

Tribune publiée dans Le Monde le 21 mars 2024.