Bombardement sur les civils à Gaza : le droit international doit être notre seule boussole

Une tribune de Jean-Pierre Delomier

Le 21 février dernier, je me suis rendu à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. Dans cette ville palestinienne, à la frontière commune avec l’Egypte, près d’un million cinq cent mille personnes ont fui les bombardements et se retrouvent piégées. Si la possibilité d’une trêve est ici et là évoquée, les bombes, larguées quotidiennement dans la zone, additionnées au manque d’accès à une aide humanitaire, plongent les civils dans une situation de dénuement absolu.

 

Une tragédie humanitaire en cours  

La population de Rafah est désormais multipliée par six. Des tentes sont dressées à chaque coin de rue. En ville, les centres d’hébergement collectifs débordent. Il n’y a pas un mètre carré, pas un trottoir, pas un balcon ou une cour d’école qui ne soient occupés également par des familles déplacées, réfugiées partout où la place est disponible. Dans chaque regard, on décèle aisément le poids des souffrances endurées. Toutes et tous sont épuisés, désespérés, traumatisés. Ils ont besoin de tout : de nourriture, d’eau, d’abris, alors que les camions d’aide humanitaire sont bloqués à la frontière pourtant si proche. La tension est palpable dans cette ville où règne une atmosphère de chaos.

Il n’y a aucun endroit sûr, et l’aide humanitaire arrive au compte-gouttes. Les largages aériens ou le corridor maritime ne sont pas suffisants. Les blocages dans l’acheminement de l’aide humanitaire qui se situe juste là, de l’autre côté de la frontière sont inacceptables et doivent être levés.

Le schéma de dommages entrainé par la violence des armes explosives

Pourtant engagé de longue date sur des terrains d’action d’urgence, je suis ébranlé par ce que j’ai vu. Gaza est l’une des zones les plus densément peuplées au monde et les bombes pleuvent sans discontinuer depuis 5 mois. Quand les armes explosives sont utilisées en zones peuplées, 90 % des victimes sont des civils : la population est tuée, mutilée, traumatisée. Des infrastructures essentielles, telles que les hôpitaux ou les écoles sont détruites, ce qui a d’ores et déjà un impact durable, car ces services sont désormais indisponibles et le resteront pendant longtemps. Même après la fin des combats, les bombardements et les pilonnages laisseront derrière eux des zones fortement contaminées par les restes explosifs, représentant une grave menace sur le long terme. Des opérations de dépollution déminage longues et complexes seront nécessaires afin de permettre toute reconstruction. Les conséquences de l’usage des engins explosifs sont encore visibles dans de nombreux pays dans le monde. A titre d’exemple, près de 30 ans après la fin du conflit en Bosnie, le pays est toujours contaminé par les mines et les restes explosifs de guerre. 50 ans après la fin de la guerre du Vietnam, les opérations de déminage sont toujours en cours au Cambodge et au Laos.

Ce que nous observons à Gaza correspond au schéma habituel des dévastations causées par les bombardements urbains, schéma que Handicap International (HI) a observé et documenté depuis des années : des déplacements massifs de population, des destructions des infrastructures civiles essentielles et des logements, des neutralisations des surfaces agricoles et moyens de subsistance, et bien sûr les morts et les blessés.

Ici, les conséquences sont sans comparaison. L’impact humanitaire de ces cinq derniers mois est sans précédent, car les bombardements, très intenses, pleuvent sans s’arrêter sur une bande de 40 km de long, peuplée par près de 2 millions d’habitants.

Le Droit International Humanitaire comme seule boussole

Si ce schéma de dommages est tristement prévisible, un nouvel extrême a été atteint à Gaza. Cinq mois après l’attaque du 7 Octobre perpétrée par le Hamas, au cours de laquelle 1 200 israéliens ont été tués et 240 personnes prises en otages, le bilan dans la bande de Gaza s’élève à 30 000 morts et près de 70 000 blessés. La moitié des bâtiments des cinq provinces gazaouies sont détruits ou endommagés, après que 45,000 bombes ont été larguées jusqu’à la mi-janvier. Tout le territoire est rendu extrêmement dangereux par les bombardements et attaques constantes et par la contamination par les restes explosifs de guerre. Les villes sont en ruine et 1,7 millions de personnes sont déplacées.

HI est engagée de longue date pour protéger les civils contre les armes explosives, qu’il s’agisse de mines, de sous-munitions ou de bombardements urbains. L’association appelle ainsi à l’arrêt des bombardements à Gaza, l’effet indiscriminé des armes explosives étant systématique sur les civils quand celles-ci sont utilisées dans des zones peuplées. Ces effets dévastateurs ont été reconnus par 84 Etats qui ont adopté, en novembre 2022, une Déclaration Politique contre les bombardements en zones peuplées. Cette déclaration s’inscrit dans le cadre du Droit International Humanitaire. Il est en cohérence avec le soutien de HI à l’appel au cessez-le-feu et à la libération de tous les otages et personnes détenues illégalement. Seul un cessez-le-feu peut permettre de répondre à l’immensité et l’urgence des besoins avec un accès rapide et sans entrave sur l’ensemble de la bande de Gaza.

 

Jean-Pierre Delomier

Directeur adjoint des opérations pour Handicap International

 

Tribune publiée dans Le Monde le 21 mars 2024.