La conférence nationale humanitaire 2020 : des avancées incontestables sur le plan du droit

La cinquième Edition de la Conférence Nationale Humanitaire (CNH) s’est tenue le 17 décembre 2020. Si les contraintes sanitaires ont pesé sur elle, notamment par son organisation totalement en distanciel (sauf la table-ronde finale), la volonté du Centre de Crise et de Soutien (CDCS) du Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères (MEAE) de l’organiser envers et contre tout – en étroite collaboration avec les ONG humanitaires françaises – doit être saluée.

Déclaration du Président de la République lors de la 5ème Conférence Nationale Humanitaire en vidéo conférence, ©Judith Litvine/MEAE

Plusieurs des sujets figurant à son ordre du jour attendaient – depuis longtemps – une expression publique dans un cadre quasi-institutionnel, ainsi que des commencements de réponses. Face aux inquiétudes croissantes du milieu humanitaire, elle a ainsi permis d’utiles clarifications et des accélérations bienvenues de chantiers parfois engagés depuis plusieurs années (comme celui des transferts bancaires). Sur d’autres, elle a favorisé des ouvertures, désormais à travailler et concrétiser. Elle a donc bien joué son rôle d’ « enceinte de dialogue »[1] associant l’ensemble des actrices et acteurs de l’action humanitaire : c’est à dire l’Etat, les ONG, les Fondations, le Mouvement Croix-Rouge/Croissant-Rouge, les agences humanitaires des Nations Unies, la DG ECHO de la Commission Européenne.

Cette CNH a regroupé plus de 500 participants qui s’y sont connectés, totalement ou partiellement, durant son déroulement. Soit – il faut le noter – un nombre bien supérieur à ce que les capacités d’accueil physiques du lieu où elle se déroule habituellement auraient autorisé.

A bien des égards, elle marque un tournant. D’abord parce que pour la première fois elle a été conclue par un Président de la République, ce qui – incontestablement – rehausse sa place et conforte son influence Emmanuel MACRON a -partant- tenu un engagement pris de longue date, et ce en dépit des effets du COVID-19 dont il ressentait, ce jour-là, les premières atteintes. Ensuite, parce que vis-à-vis des demandes des acteurs humanitaires, les pouvoirs publics se sont montrés à l’écoute et que des annonces importantes (synthétisées dans le discours présidentiel de clôture) ont été exprimées.

En dresser un bilan complet reste néanmoins encore délicat, compte tenu du faible recul temporel – au moment de la rédaction de cet article – par rapport à sa tenue. Au delà des futurs aspects opérationnels, il est néanmoins possible en adoptant la focale du droit d’en relever plusieurs éléments marquants. Car – et c’est un autre fait saillant – la CNH a été fortement illustrée par l’importance du fait juridique. Caractéristique qui se retrouve dans plusieurs des 17 engagements pris par le Chef de l’Etat.

 

1. Promotion de la primauté du Droit International Humanitaire (DIH)

Lancement de la place du DIH

Tout au long de la journée, l’importance du DIH et de son plein et entier respect a été fortement mise en relief, avant que l’intervention présidentielle la souligne à son tour. Ce qui amplifie l’investissement de la France dans ce domaine. Cela paraît aller de soi pour les humanitaires, mais va -toujours- mieux en le disant. Surtout lorsque des dispositifs concrets sont ou vont être mis en œuvre, traduisant dans la pratique – au delà du déclaratif – les engagements pris. Les actions étatiques de promotion du DIH au sein des forces armées et plus globalement de sensibilisation à celui-ci de l’ensemble des services relevant de l’Etat, mais aussi de la société civile seront désormais beaucoup plus structurées. Elles relèvent d’un programme concret qui se décline et se déclinera dans le temps. Il impliquera autant les administrations que les universités,  les chercheurs que le monde associatif, les entreprises que les enseignants. Cela devrait permettre un renforcement de son application et surtout une meilleure compréhension de son rôle fondamental, ainsi que de ses enjeux.

Représentant Spécial à l’Action Humanitaire

Au titre de cette volonté politique vis-à-vis du DIH, la création d’un poste de Représentant Spécial à l’Action Humanitaire auprès du Secrétaire Général des Nations Unies (SGNU) – et plus particulièrement du SGNU Adjoint aux Affaires Humanitaires – comportera nécessairement aussi une dimension juridique. En effet, ce Représentant Spécial devrait avoir dans son champ de mission les aspects du droit humanitaire relatifs à l’action sur le terrain des organisations humanitaires et de leurs employés. Puisque ces acteurs s’appuient sur le DIH afin – dans le respect des principes humanitaires (notamment d’impartialité, d’indépendance et de neutralité) – d’accéder aux populations en souffrance et de légitimer juridiquement leurs interventions.

Plusieurs autres principales annonces conclusives de la CNH comportent elles aussi de notables traits juridiques.

 

2. Mesures d’ordre pénal

Lutte contre l’impunité des agresseurs des travailleurs humanitaires

Les assassinats et agressions commis contre les travailleurs humanitaires tout au long des onze mois précédant la tenue de la CNH ont profondément marqué la communauté de l’aide. Particulièrement le massacre de sept employés de l’ONG ACTED (6 français et 1 nigérien) au Niger le 9 août 2020, ainsi que d’autres meurtres au Nigeria ou en RDC. Face à cette montée des risques extrêmes, la question de l’impunité quasi-générale dont profitent les auteurs et commanditaires de tels crimes impose d’aller au delà des seules mesures techniques de renforcement de la sécurité des personnels.

 

Charline, Antonin, Myriam, Stella, Léo, Nadifa, Kadri Abdou Gamatche, Boubacar Garba Soulay. Victimes de l’attaque du 9 août 2020 au Niger.

Faire cesser le scandale de l’impunité en se donnant les moyens de la combattre devient désormais crucial. A la fois pour que justice soit rendue, mais aussi en tant qu’instrument de dissuasion ou – à tout le moins – de limitation de tels actes. Le pôle « Crimes contre l’Humanité crimes et délits de guerre » du Parquet National Anti-Terroriste (PNAT) pourrait se voir confier de ce fait en 2021 de nouvelles fonctions. La question d’une incrimination spécifique différente de celle de « terrorisme  » a été débattue au cours de la Conférence. Les ONG humanitaires – particulièrement parce que cela reflète aussi une forte sensibilité de leurs employés – devraient être attentives aux évolutions attendues en ce sens.  Au delà – et en vue de faire cesser ce scandale de l’impunité – certaines réfléchissent à mutualiser les informations recueillies par chacune sur les potentiels auteurs commanditaires et complices de ces exactions. Afin de constituer des bases de données fiables et enrichies en permanence. L’initiative de création d’une structure dédiée n’a pas été tranchée lors de la CNH, mais la réflexion est en cours et l’Etat serait susceptible d’y prendre sa part.

Prévention de la criminalisation de l’aide

La menace de criminalisation des acteurs humanitaires – du fait du développement et du renforcement des normes légales tant nationales qu’internationales visant à lutter contre le terrorisme – est aujourd’hui une réalité, source de préoccupation croissante dans le milieu. Elle a aussi été largement débattue tout au long de la CNH. De ce point de vue, l’affirmation par Président de la République de la spécificité de la mission humanitaire à travers la tâche confiée au Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, de rédaction et diffusion d’une circulaire à l’ensemble des Procureurs de la République la rappelant constitue un signal positif et fort.

Elle devrait permettre – dans le contexte de l’anti-terrorisme (en soi légitime, bien entendu) de limiter drastiquement les risques de poursuites pénales. sans justification. D’autant que – de leur côté – le CICR, la grande majorité des ONG et des Organisations Croix-Rouge/ Croissant-Rouge, ont mis en place depuis plusieurs années des dispositifs de contrôles internes et externes particulièrement élaborés sur ce plan. Il serait bienvenu que – dans le processus d’élaboration de la circulaire – des échanges et un dialogue aient lieu avec les représentants des ONG françaises.

Commission Technique Paritaire

La création d’une Commission Technique Paritaire – pareillement annoncée par le Président de la République – inclura probablement aussi cette dimension de lutte contre l’impunité. Cependant sa problématique étant plus large ses aspects juridiques restent à préciser. En tout cas, il semble avéré qu’elle aura notamment pour compétence de suivre les enquêtes sur les agressions contre les humanitaires et de se faire le relais des organisations et des familles auprès des services de police et de gendarmerie, ainsi que des magistrats.

 

3. Dispositions administratives et de sécurisation financière

4ème Conférence Nationale Humanitaire, 2018 ©F. de La Mure

Transferts bancaires et régimes de sanctions

Un autre volet important des conclusions de la CNH réside dans l’annonce de la mise en place de solutions pratiques dans un délai court (6 mois) en vue de remédier aux considérables difficultés que rencontrent les ONG pour effectuer des transferts bancaires vers certaines zones de la planète, sous sanctions ou embargos. Elles passeront probablement par la construction d’un mécanisme tripartite (Etat/ ONG / Banques) proposé depuis 2017 par les humanitaires français.

Le droit constituera – à cet égard – un utile outil de cadrage d’un dispositif pratique. Qu’il s’agisse de la nature et du contenu des documents à fournir ou des règles de conformité applicables (afin de mettre un terme à des pratiques de sur-conformité qui – l’a reconnu Emmanuel MACRON- « entravent indûment l’action » des Organisations). Ou encore de la sécurisation à assurer aux établissements financiers afin de lever leurs craintes de se voir poursuivis sur une base extra-territoriale (notamment de la part du gouvernement des Etats-Unis) sous l’accusation de financement direct ou indirect de structures terroristes.

Criblage et exemption humanitaire

Quant à l’extension continue – particulièrement à la demande des bailleurs de fonds publics français comme européens ou internationaux – des exigences de criblage [ou screening dans le langage de l’aide] vis-à-vis des agences humanitaires, elle a été un aspect essentiel aussi bien des travaux préparatoires à la Conférence que de plusieurs de ses tables-ronde et de nombreuses interventions lors de celles-ci. Il se sont traduits par une demande forte et explicite de reconnaissance légale d’une « exemption humanitaire« . Cette demande a été appuyée – lors de la CNH – aussi bien par le Président du CICR Peter MAURER que par le SGNU Adjoint Mark LOWCOCK. L’adoption récente par le Parlement suisse de dispositions de ce type (et de façon voisine par un Etat africain, le Tchad) a été citée en référence. Cependant, le Président MACRON a écarté la mise en place d’une exemption généralisée, particulièrement dans les zones soumises à un régime de sanctions. Il a affirmé sa préférence pour un traitement « au cas par cas« .

Si les ONG françaises ont éprouvé une incontestable déception de ne pas voir reconnu un principe d’exemption, elles ont néanmoins pris acte que la problématique d’un mécanisme dérogatoire est admise et comprise. Par conséquent, durant les mois à venir, il va s’avérer nécessaire de travailler avec les pouvoirs publics – particulièrement le CDCS – et l’autre grand bailleur public national de l’aide, l’Agence Française de Développement (AFD) sur les critères à déterminer pour ce « cas par cas« . A cet égard, un dispositif normatif devra nécessairement être mis en place, tant pour les objectiver qu’afin d’éviter des ruptures d’égalité et de sécuriser juridiquement les organisations. C’est d’autant plus nécessaire que la distinction parfois avancée par certains bailleurs entre « aide humanitaire » et « aide au développement » constitue une zone grise, sans véritable fondement en droit, outre que nombreux sont les projets sur le terrain amalgament ces deux volets.

 

Plus encore, peut-être que ses devancières, cette 5ème CNH loin d’être un aboutissement va constituer durant l’année à venir et la majeure partie de la suivante (2022) une source et une référence auxquelles l’ensemble du secteur humanitaire va s’alimenter. Si -probablement – elles vont continuer à mettre en avant dans leurs relations avec l’Etat et les diverses administrations ce qu’on pourrait dénommer les 4P (plaidoyer / pédagogie / propositions / pratiques), les 3ème et 4ème P vont constituer désormais, un axe essentiel, autant sous l’angle organisationnel que normatif. Car cette CNH a montré – de manière exemplaire – que en ces temps d’incertitudes multiples et de besoins humanitaires démultipliés, sinon surmultipliés ,les acteurs ne sauraient se contenter de rester au stade du déclaratif ou du démonstratif. L’impératif – et rapidement – est de conceptualiser du normatif, puis de le mettre en œuvre afin de faciliter l’opérationnalité.

 

Philippe Ryfman


Qui est Philippe Ryfman ?

Philippe Ryfman

 

Philippe Ryfman est spécialiste des questions non gouvernementales et humanitaires sur la scène internationale. Avocat au Barreau de Paris, spécialiste en droit des associations et fondations ainsi qu’en droit humanitaire et Expert-Consultant, il est aussi professeur et chercheur associé honoraire à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Co-fondateur et Coordinateur du Forum Espace Humanitaire (FEH). Il travaille – au sein d’équipes et groupes de réflexion – sur la prospective stratégique du milieu ONG et de l’action humanitaire à l’horizon 2030. Auteur de divers ouvrages   » Dernier paru, en co-direction avec S. Szurek & M. Eudes : Droit et Pratique de l’action humanitaire, Paris, LGDJ, 2019. Dernier article publié : « Se donner les moyens de lutter contre l’impunité des agresseurs de travailleurs humanitaires », Alternatives Humanitaires, n° 15, 11/20.

 

 

 


[1] Terme employé sur le site de France Diplomatie dans la page de synthèse des résultats de la CNH

 

  Pour en savoir plus sur la CNH :

Défis Humanitaires : bilan 2020, perspectives 2021.

Ce site a pour raison d’être de promouvoir et renforcer l’action humanitaire, d’éclairer le lien entre l’humanitaire et la géopolitique et enfin, d’identifier et de documenter les grands défis qui sont autant de menaces, comme l’épidémie de la Covid-19.

Ce bilan et ces perspectives ne sont bien sûr pas exhaustifs. Ils cherchent plutôt à souligner quelques faits et tendances ainsi que, en conclusion, d’illustrer l’action de ce site qui entend être à sa manière un acteur humanitaire.

Distribution d’eau en temps de Covid-19, Myanmar, 2020 / ©Solidarités International

Bilan 2020

Pour aller à l’essentiel, les deux faits majeurs qui marquent 2020 ont bien été l’extension mondiale du virus de la Covid-19 venu de Chine et la poursuite, si ce n’est la dégradation, des principaux conflits. Signalons aussi la 5ème Conférence Nationale Humanitaire (CNH) à Paris le 17 décembre à laquelle tous les articles sont consacrés dans cette édition.

L’année 2020 restera dans l’histoire comme celle de la Covid-19. Apparu au début de l’année (décembre-janvier), le virus s’est ensuite déployé rapidement à l’échelle de la planète.

Selon l’OMS, au 5 janvier 2021, le bilan est de 84 millions de cas et de 1 800 000 décès dans le monde. Si les pronostics les plus inquiétants ont été heureusement déjoués en Afrique où les systèmes de santé sont réduits, on y décompte 64 790 décès et 2 280 488 cas dont près de la moitié en Afrique du Sud. Actuellement c’est en Europe et dans les Amériques que la pandémie est la plus meurtrière.

La Conférence des Nations-Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) évalue les pertes économiques à 1 000 milliards de dollars et, si les pays les plus développés ont réussi à mobiliser les ressources nécessaires pour protéger leur population, cela n’est pas le cas pour 6 milliards d’êtres humains parmi lesquels une main d’œuvre nombreuse et peu qualifiée, très dépendante de l’économie informelle.

L’autre front humanitaire est celui des crises majeures qui n’ont pas diminuées, bien au contraire, et aucune n’a été réglées. Qu’il s’agisse du Yémen au bord de la famine, du Moyen-Orient et particulièrement de la Syrie, du nord-est du Nigeria. Rien de positif non plus pour les Rohingyas au Myanmar et au Bangladesh ni à l’est de la République Démocratique du Congo où le chaos prospère. Quant au Sahel, la situation militaire et de sécurité ne cesse de se dégrader et d’entrainer des populations toujours plus nombreuses dans la vulnérabilité.

©Réseau Logistique Humanitaire

Dans ce contexte chaotique, les humanitaires ont été confrontés à l’interruption de la quasi-totalité du transport aérien, de la fermeture des frontières et donc des chaines d’approvisionnement. Il a fallu faire preuve de résilience, s’adapter et innover. C’est ainsi que les ONG du Réseau Logistique Humanitaire (RLH) ont mis en place, en complémentarité de celui du Programme Alimentaire Mondial (PAM), un pont aérien humanitaire européen avec l’aide du Centre de Crise et de Soutien du ministère français de l’Europe et des affaires étrangères et celui de la Commission Européenne avec ECHO. Celui-ci a permis d’organiser 42 vols pour des destinations prioritaires et de transporter 1208 passagers et 785 tonnes de fret. S’adapter est un maitre mot pour l’action humanitaire qui doit tirer toutes les leçons apprises en 2020 pour les mettre à profit cette année.

Rappelons que fin 2019, Les Nations-Unies (OCHA) lançait pour 2020 un appel de 29 milliards de dollars pour secourir 168 millions de personnes, soit 22 millions de plus que l’année précédente. Depuis, la Covid-19 a largement augmenté les besoins les plus élémentaires.

Perspectives 2021

« La pandémie de Covid-19 a modifié le paysage de la réponse humanitaire en rendant 235 millions de personnes tributaires de l’aide internationale. Il s’agit d’une augmentation de 40% par rapport à la même période l’année dernière » selon Mark Lowcock, secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires des Nations unies.

Pour David Beasley, directeur exécutif du Programme Alimentaire Mondial, prix Nobel de la paix 2020, « la pandémie de Covid-19 menace de déclencher une autre « pandémie », celle de la famine ». Il précise « Au total, 270 millions de personnes seront confrontées à une faim extrême en 2021. Il rappelle aussi qu’environ 3 millions d’enfants meurent de faim et de malnutrition chaque année dans le monde.

En fait, le virus fragilise toujours plus des populations en danger plus nombreuses dans des pays déjà confrontés à de graves crises humanitaires comme le Yémen, le Burkina Faso, le Soudan du Sud, le nord-est du Kenya et l’Afghanistan et le Sahel sont très vulnérables. La Syrie sera encore en tête des besoins essentiels avec 2 millions de personnes supplémentaires à secourir.

Inondations en République Centre Africaine, 2019 / ©Solidarités International

Cette crise vient se superposer et en accélérer une autre qui est celle des réfugiés et déplacés dans le monde. Si ceux-ci étaient en moyenne 40 millions entre 1990 et 2010, ils étaient près de 80 millions en 2019 et ce chiffre devrait encore augmenter sous l’effet d’un virus porteur de vulnérabilités, de tensions et de conflictualités.

Si aucun des grands conflits n’est en voie d’apaisement et de solution, nous redoutons que certains puissent même entrainer des famines comme au Yémen. L’explosion dans le port de Beyrouth, la guerre au Haut Karabakh, le risque sérieux d’intensification du conflit en Afghanistan qui connait un déficit chronique de céréales, sont des signes précurseurs de détérioration qui ont manifestement conduits l’ONU a lancé un appel record de 35 milliards de dollars pour 230 millions de personnes dans le besoin en 2021 contre un appel de 29 milliards de dollars l’année dernière.

Mais la mobilisation des ressources financières sera-t-elle à la hauteur de l’urgence des besoins ? Beaucoup de voix s’inquiètent, dont celle du Secrétaire général de l’ONU Antonio Gueterres, et redoutent des « coupes terribles » compte-tenu des pertes économiques et des investissements massifs dans la protection sociale des pays de l’OCDE qui sont les principaux bailleurs de l’aide internationale.

Et puisque le vaccin arrive et que l’on commence à vacciner, notamment dans les pays les plus touchés, il faut d’ores et déjà prévoir la vaccination dans les pays les plus fragiles et exposés selon tel ou tel mécanisme, en particulier celui mis en place par l’Organisation Mondiale de la Santé (ACT, COVAX).

Dans une telle situation qui va durer et sans doute s’aggraver avec le temps cette année, l’aide humanitaire est l’assurance vie des populations en danger et celle-ci doit fonctionner avec rapidité et efficacité.

Quelle valeur ajoutée pour la 5ème Conférence Nationale Humanitaire ?

Lors de la 5ème Conférence Nationale Humanitaire qui s’est tenue le 17 décembre à Paris en présence du Président de la République, Emmanuel Macron, celui-ci a posé la question cruciale « qu’est ce qui est le plus urgent » ?

Mark Lowcock a répondu sans hésiter « la famine et l’aide aux pays les plus fragiles. Le commissaire européen à l’humanitaire, Janez Lenarcic, a priorisé « l’impact de la Covid-19 sur l’économie mondiale et les conséquences sociales ». Pour Philippe Jahshan, président de Coordination Sud qui regroupe les ONG humanitaires et de développement, « l’urgence c’est les chaines d’approvisionnement et la mobilisation de moyens financiers massifs pour éviter le pire ». Comme on le voit, ces priorités sont imbriquées et se complètent.

Si l’on tente de résumer brièvement cette CNH, sachant que nous reviendrons dessus lors de la prochaine édition début février, nous pouvons dire que les principales attentes des ONG humanitaires étaient les suivantes :

  • Que la crise de la Covid-19 serve d’accélérateur à l’anticipation des crises, la prévention, la mutualisation et le renforcement de la complémentarité entre acteurs internationaux et nationaux.
  • Que les engagements budgétaires pour l’APD (0,55 % du RNB) et l’aide humanitaires (500 ME) soient tenus en 2022.
  • De faire respecter le Droit International Humanitaire (DIH) et les principes humanitaires d’humanité, d’impartialité et d’indépendance et permettre l’accès aux population en danger.
  • De refuser le criblage des bénéficiaires de l’aide dans le cadre du DIH, pour l’accès de l’aide et la sécurité des humanitaires sur le terrain des crises.
  • De limiter le criblage de sécurité des prestataires, partenaires et des personnels au début de chaque nouveau programme et ensuite selon une régularité de 2 à 3 fois par an selon les cas.
  • Que l’on renforce la synergie humanitaire – développement en lien avec les acteurs locaux sans être pour autant en charge de la paix qui revient aux décideurs politiques.
  • Que l’ensemble des acteurs humanitaires prennent pleinement en compte dans leur action la lutte contre le dérèglement climatique, pour l’environnement et la biodiversité.
  • Que les acteurs humanitaires bénéficient d’une exemption face au lois antiterroristes qui les mettent en risque et que le droit pénal français intègre le DIH.
Interventions du Président de la République lors de la 5ème Conférence Nationale Humanitaire.

Après avoir fait le constat que l’impunité devenait la règle et que la sécurité se dégradait dangereusement pour les humanitaires, Emmanuel Macron a déclaré « La France sera votre alliée ».

Le Président de la République a notamment pris les engagements suivants :

  • Réengagement pour l’Aide Publique au Développement, moratoire sur la dette des pays africains, émission de droit de tirage monétaire. A la suite du récent G 20, la France organisera un Sommet sur le financement des économies africaines en mai 2021 à Paris.
  • Il est favorable à la création d’un poste d’envoyé spécial auprès du Secrétaire général de l’ONU pour la préservation de l’espace humanitaire.
  • Propose la création d’une commission technique paritaire pour le renforcement des enquêtes sur les crimes contre les humanitaires.
  • Qu’une solution soit trouvée dans les 6 mois à venir pour faciliter les transferts bancaires des ONG et la publication d’un « Guide pédagogique ».
  • Le Président a demandé au Garde des sceaux l’envoi d’une circulaire à tous les parquets en France pour les sensibiliser au DIH qui s’applique aux ONG.
  • Il a évoqué une amélioration de la dérogation des sanctions pour les ONG, au cas par cas, face aux lois antiterroristes.
  • Il a rappelé son engagement que la France consacre à 0,55 % de son RNB à l’APD en 2022 selon une trajectoire croissante ainsi qu’un budget de 500 ME pour l’aide humanitaire.

Dans cette 48ème édition de Défis Humanitaires vous trouverez plusieurs articles sur la CNH et nous y reviendrons dans notre prochaine édition début février.

Et pour conclure, bilan et perspectives pour le site Défis Humanitaires.

Comme site publiant ces articles, analyses, interviews, nous souhaitons aussi vous faire part en résumé de nos réalisations en 2020 et de nos projets cette année.

En 2020, nous avons publié 13 éditions et 51 articles écrits par 30 auteurs. Le nombre de lecteurs a été de 33 529 pour 21 370 en 2019 et 11 116 en 2018. Ce triplement du nombre de lecteurs témoigne bien de l’intérêt suscité par Défis Humanitaires et nous vous en remercions ainsi que les auteurs pour leur contribution.

Les 10 articles les plus lus ont eu pour thème la CNH, la protection et l’exemption des humanitaires face aux lois antiterroristes, la Covid-19, le Sahel, la sécurité des humanitaires et la démographie au Sahel.

Cette année, nous prévoyons d’actualiser la maquette du site et de la promouvoir, de renforcer la rédaction, d’améliorer les photos, de publier une édition mensuelle et, enfin, de publier la 2ème édition de l’Etude sur les ONG humanitaires françaises à l’international pour la période 2006 – 2019.

Mais soyons francs, pour y parvenir, nous avons besoin de votre soutien financier. Pour perdurer et se développer après 3 ans et 48 éditions, ce site gratuit a maintenant besoin de quelques ressources financières. Vous trouverez la présentation de ce projet pour lequel nous vous remercions par avance pour votre don sur HelloAsso.

Je vous présente mes vœux les meilleurs pour vous et vos proches pour la nouvelle année.

Alain Boinet.