Témoignages des Arméniens d’Artstakh

Ces lettres d’habitants de l’Artsakh, publiées en arménien et en français, nous sont parvenues ces jours-ci grâce à Nelly, professeur de français, et avec le soutien du ministre de la Santé de la République de l’Artsakh, Mr Vardan Tadevossian que nous remercions.

Manifestations pour leurs droits. Crédit photo : Liana Margaryan
Bonjour à tout le monde!

Je m’appelle Karen, je suis chirurgien pédiatrique et directeur à temps partiel d’un hôpital pour enfants. Comme vous le savez, depuis le 12/12/2022, l’Azerbaïdjan a bloqué illégalement la seule route reliant l’Artsakh à l’Arménie – la route de la vie !

 Comme pour tout le monde dans notre petit mais fier pays, cela a créé un grand nombre de problèmes pour notre hôpital aussi; les petits Artsakhiotes ont été privé de la possibilité de recevoir un traitement adéquat. En raison du manque de médicaments et de fournitures médicales, toutes les procédures prévues ont été annulées, y compris des tests sanguins quotidiens et les opérations. Tous les médicaments disponibles ont été dirigés vers le traitement des enfants atteints de pathologies aigües.

Il y avait de gros problèmes avec la nutrition des enfants malades, il y avait un manque catastrophique de fruits et légumes, les enfants ne recevaient pas la bonne quantité de vitamines et de minéraux et cela continue toujours car aujourd’hui bien qu’on trouve un petit nombre de ces produits alimentaires, les enfants ne peuvent pas se nourrir pleinement.

 En raison de dommages aux lignes électriques, des coupures de courant ont commencé dans la république, en outre la coupure du gaz naturel, cela a entraîné des difficultés pour chauffer les salles et les salles d’opération, les enfants malades ont été regroupés autant que possible dans une seule salle afin de pouvoir se réchauffer et économiser le chauffage

Les enfants atteints de maladies chroniques, qui étaient périodiquement envoyés à Erevan, dans des cliniques spécialisées, étaient privés de cette opportunité, en voici un exemple : l’intervention chirurgicale d’un enfant avec une malformation de la main a déjà été reporté 4 fois pour une raison simple – la route est fermée !

Je peux continuer encore et encore… Les enfants malades qui ont été transférés dans les hôpitaux d’Erevan avec l’aide de la Croix-Rouge ne peuvent pas retourner chez eux, chez leurs frères et sœurs, leurs pères, leurs grands-parents… les enfants font leurs premiers pas sans leurs parents ! C’est triste!

Mais malgré tout ce qui se passe, les Arméniens d’Artsakh continueront à se battre pour leur pays ! Après tout, tôt ou tard, le monde ouvrira les yeux et verra ce qui nous arrive !

Karen Melkumyan résident d’Artsakh, médecin, mari qui n’a pas vu sa femme depuis près de 6 mois, en raison de la route fermée de la vie!

 

Bonjour

Je suis Marie, je suis collégienne et  j’ai 11 ans.

Le mot ‘’ blocus » était tout d’abord juste un mot que les adultes et nos parents prononçaient. Puis, quand la quantité des produits alimentaires a commencé à diminuer sur les rayons des épiceries, quand on avait accès à l’électricité selon des horaires proposés, quand on a commencé à aller à l’école avec des pauses,  j’ai alors compris ce que voulait dire ce mot.

Pour moi, c’était étonnant comment peut-on interdire aux gens de sortir de leur pays et de se déplacer librement, comment peut-on priver un humain du chauffage en plein hiver, de l’électricité et des produits alimentaires. Je ne comprends pas comment un humain peut agir comme ça par rapport à un autre humain.

Si au début le blocus me paraît une sorte de jeu amusant où on essayait avec des amis de trouver des épiceries qui nous proposaient nos chips et bonbons préférés, aujourd’hui je suis inquiète de l’idée de ne pas pouvoir jamais voir mes proches, de ne pas pouvoir réaliser mon rêve de voyager dans d’autres pays et d’être coupée du monde extérieur. C’est horrible surtout quand on peut voir tout cela via Internet mais qu’on soit privés de la possibilité d’y être et de réaliser ses rêves.

Marie, 11 ans.

Stépanakert, capitale de l’Artsakh, plongé dans l’obscurité par les coupures d’électricité

Aujourd’hui, dans le monde civile, l’Artsakh lutte contre le manque du gaz, de l’électricité et des simples produits dont nous avons tous besoin. Depuis que l’Azerbaïdjan a fermé la seule route reliant l’Artsakh à l’Arménie et au monde entier, il a causé des difficultés divers à la suite desquelles nous sommes privés de choses et de produits basiques.

Moi, je suis mère, mon bébé a 1 an et dès sa naissance, lui aussi, il lutte contre tout ça. Pour trouver des légumes et fruits simples pour nos bébés, on est obligés de faire la queue pendant des heures. Pour se déplacer dans la ville même, on doit marcher à pied à cause du manque du gaz et du pétrole. Beaucoup de gens et beaucoup d’enfants qui ont besoin de consulter des médecins sont confrontés à de grandes difficultés, notamment ceux qui habitent dans des villages. De jour en jour la situation devient de plus et plus sérieuse. Ça fait déjà 3 jours que je n’arrive pas à trouver de couches de bébé pour mon enfant. C’est terrible. Toutes les pharmacies et tous les marchés sont vides. Il y a même des problèmes avec les médicaments.

Nos élèves sont aussi privés d’avoir une éducation. Pendant l’hiver les cours aux écoles ont été arrêtés. Nos enfants ont certainement le droit d’avoir une meilleure enfance.

Les étudiants de l’Université d’État d’Artsakh qui habitent dans les villages sont confrontées, eux aussi à de beaucoup de difficultés manque de transport. L’état psychologique de nos enfants est évidemment critique. Chers lecteurs, vous êtes peut-être mère, père, étudiant, enseignant, imaginez-vous que vous n’arrivez non plus à trouver le nécessaire pour votre enfant;  ni de nourriture, ni de produits d’hygiène, ni de médicament, que feriez-vous alors?

Mais si vous avez tout le nécessaire, appréciez votre vie, car peut-être un jour, vous pourrez vous aussi, perdre soudainement pas seulement les choses habituelles nécessaires pour la vie mais aussi votre sécurité.

Habitante et mère de Stepanakaert.

Une mère d’Artsakh cherche des médicaments dans une pharmacie vide pour son enfant malade. @Haiastan
Bonjour le monde endormi,

Je m’appelle Arminé Badalian, je suis enseignante de français à Stépanakert.

Ça fait déjà plus de 5 mois que je suis sous blocus et je veux vous présenter comment je survis en Artsakh avec 120 000 autres habitants d’Artsakh. Tout d’abord tous nos droits sont violés. Comme être humain, nous sommes privés de tout: nous ne pouvons pas nous nourrir pleinement, parce que il n’y a pas de produits nécessaires dans les magasins.

Je suis maman de deux enfants et c’est très important pour moi. Il y avait des moments où il n’y avait rien dans les magasins et je ne pouvais pas expliquer à mes enfants pourquoi je ne pouvais pas acheter leurs produits préférés ou des fruits et légumes.

Dans les pharmacies nous ne pouvons pas toujours trouver des médicaments nécessaires .Nous n’avons pas du tout de gaz et l’électricité est coupée tous les jours toutes les 3 heures. On dit aussi que bientôt les ressources d’électricité seront également épuisées et nous n’aurons pas du tout d’électricité.

Pendant l’hiver toutes les institutions éducatives étaient fermées parce qu’il faisait très froid. Je pense que nos enfants ont aussi le droit de vivre dans leur patrie sous un ciel paisible et d’apprendre parce que c’est le 21ème siècle.

Nous ne pouvons pas aller en Arménie car la route de la vie est toujours fermée.

Ça fait déjà plus  de cinq mois que je ne peux pas rendre visite à mes parents car ils vivent en Arménie. Ma fille a des problèmes de vue mais je ne peux pas l’emmener chez le docteur à Erevan parce que la route est fermée. C’est très triste qu’on ne puisse pas se déplacer dans sa propre patrie historique.

Monde, ne soit pas indifférent! À cause de ton indifférence en 1915 plus d’un million d’Arméniens ont été objet d’un génocide perpétré par la Turquie et ils ont été expulsés de leurs terres historiques. En tant que maître de mon pays, je veux vivre dans ma patrie libre et indépendante !

Arminé Badalian

Stepanakert, mars 2023 Credit : Liana Margaryan
Bonjour

Je m’appelle Svetlana Harutyunyan. Je travaille comme rhumatologue au Centre médical républicain d’Artsakh depuis environ 7 mois.

Le 12 décembre, je devais me rendre à Erevan pour assister à une conférence ordinaire professionnelle. Cependant, on nous a appelés et on a informé que les Azerbaïdjanais avaient bloqué la route.

Et le cauchemar a commencé…

Jour après jour, la situation se compliquait. Il était difficile de  procurer des médicaments, des aliments pour bébés, de la nourriture et des articles personnels. Le transport des patients gravement malades vers Erévan est devenu impossible. Il devenait impossible d’importer des médicaments spécifiques chimiothérapeutiques et rhumatologiques en Artsakh.

Selon mes observations, presque toutes les maladies ont commencé à s’aggraver. Les problèmes se sont multipliés; dans les conditions de l’hiver froid, les Azerbaïdjanais coupent une nouvelle fois l’approvisionnement en gaz et en électricité. Il n’y avait pas de chauffage pour les patients à l’hôpital. Les opérations prévues et les examens instrumentaux de laboratoire pour les patients n’ont pas été effectués, car toutes les ressources ont été dirigées vers les cas urgents et vers ceux à ne pas remettre.

Tous ces facteurs de stress ont contribué à l’exacerbation de presque toutes les maladies rhumatologiques.

Travaillant dans des conditions extrêmes, quand on est médecin et qu’on ne dispose pas d’arsenal médical ou d’alimentation saine pour traiter les maladies, on n’a qu’à ‘espérer que la vie d’un Arménien vivant en Artsakh n’est pas moins importante que celle de l’homme vivant le monde « civilisé ».

Vivre et manger selon des tickets de rationnement, c’est ça, notre réalité, une réalité que nous essayons de surmonter, en espérant qu’un jour nous nous réveillerons dans l’Artsakh libre et indépendant, où on ne sera jamais soumis à l’agression des Azerbaïdjanais juste pour la raison qu’on est arménien chrétien…

Svetlana Harutyunyan

Manifestations contre le blocus de la route reliant l’Artsakh à l’Arménie. Crédit photo : Liana Margaryan
Bonjour cher lecteur,

Ça fait déjà 5 mois que l’Artsakh est coupé du monde extérieur. À la suite de la politique arménophobe de l’Azerbaïdjan les 120 000 habitants d’Artsakh sont privés des droits et des possibilités de se nourrir pleinement, de se déplacer librement et de se servir des établissements médicaux. À cause de la coupure de gaz et d’électricité les écoles et les maternelles ont dû fermer pendant des mois. Les Arméniens d’Artsakh s’affrontent tous les jours à des problèmes ménagers. Les forces armées azéries tirent presque tous les jours sur les citoyens paisibles travaillant dans les jardins et champs créant alors une atmosphère d’instabilité et de crainte. L’Arménien subit des  persécutions physiques et morales, il est torturé dans sa propre patrie devant les yeux du monde indifférent et immobile.

La « compassion » des superpuissances et des pays amis ne se limite qu’aux appels. L’Artsakhiote résiste grâce à son caractère têtu offert par Dieu, il ne se désespère pas, il est certain que la justice historique va gagner finalement.

Nanar Simonian

Les artsakhiotes déroulant un drapeau arménien dans les rues de la République. Credit : Liana Margaryan
Bonjour, je suis Amalia, je suis enseignante.

Au 21 siècle quand on a au moins le droit du déplacement libre, nous, on en est privés depuis 5 mois déjà et ça, pour 120 000 habitants d’Artsakh. Tout cela provoque des sentiments mélangés. D’abord, on devient déprimés, tristes, parfois on est en stress mais puis on retrouve ses esprits et on continue à vivre, à oeuvrer et à avancer. En effet, tout cela est très dur, la pression psychologique est très grande autant qu’on soit forts et qu’on essaie de la franchir la tête haute. Bien sûr, l’ennemi voudrait bien nous voir désespérés et il poursuit effectivement cet objectif, pourtant nous sommes sur notre terre; bien que nos espoirs s’épuisent comme le réservoir de Sarsangue, on est bien forts comme la statue Tatig et Papig.

Les problèmes ménagers qui sont toujours présents sont à franchir mais l’incertitude c’est tout à fait autre chose, c’est un sentiment très lourd.

Combien de temps? Jusqu’à quand est-ce que ces difficultés vont-elles durer et qu’est-ce qu’elles nous offriront comme résultat? Tous ces sentiments deviennent plus denses encore surtout quand on est enseignant et qu’on est tous les jours en contact avec des écoliers.

Des fois, c’est en moi qu’ils cherchent des réponses sur ce qui va arriver, pourtant je ne les ai pas, ces réponses!

Malheureusement, personne ne dispose de ces réponses. Que faire? Moi, j’ai choisi de vivre et  d’oeuvrer. Avec les autres enseignants, on organise des activités différentes pour les sortir de la situation psychologique dure. Ce sont généralement des jeux, des chansons et des danses nationales. Grâce à ces activités on arrive à s’éloigner de la situation dure quotidienne pendant quelques heures et on essaie alors de vivre comme la plupart des gens.

Comme le disent les Artsakhiotes, on résiste sinon si c’est pas en  poursuivant ce chemin en faveur de sa patrie, pourquoi le faire alors?

Quand j’encourage les écoliers, je suis encouragée moi-même, je regarde alors en avant et je pense à ce qui va arriver.

On essaie de vivre en se faisant vivre!

Amalia

 

Je suis Nariné,

Je vis dans ma patrie, en Artsakh, je suis Artsakhienne. Je suis différente de tous les jeunes de mon âge du monde par ce que j’ai déjà eu le temps de sentir l’horreur et la douleur de la guerre et des pertes, de regarder droit dans les yeux des mères qui ont perdu des fils, de voir la souffrance de mes compatriotes qui ont perdu leurs lieux de naissance natales. C’est, bien sûr, un honneur d’être en Artsakh, mais vivre en Artsakh c’est de l’héroisme; oui, c’est de l’héroisme, n’est-ce pas un héroisme de vivre dans ces conditions-ci quand on est en blocus depuis 158 jours déjà et on n’a pas le droit du déplacement libre à cause de la fermeture de la route. Nous n’avons aucun soutien à cause du blocus, dans les épiceries c’est le vide qu’on retrouve, il y a une pénurie des produits alimentaires, pas de fruits, ni légumes, pas de médicaments, il est même possible qu’on n’ait pas du tout d’électricité.

Aujourd’hui, nous, les 120 000 Artsakhiotes, nous sommes confrontés à ce problème aussi grave: « Auront-nous de l’électricité demain? »,  » Aurons-nous accès au lien de communication pour pouvoir contacter quelqu’un? »

En réalité, à une petite distance de chez moi, je vois installée la position des azéris et nous entendons souvent le mugham la nuit, nous entendons les tirs en l’air ou vers nos positions afin de nous faire peur et nous l’avons vraiment contre notre volonté. Je ne parle même pas de la coupure de gaz; depuis plus de 3 mois déjà, nous n’y avons plus accès.

Moi, je suis étudiante et je vis à Martouni et c’est très difficile d’aller à l’Université à Stépanakert car à cause de l’absence du gaz, très peu de voitures ou de bus fonctionnent et chaque fois ça me pose un très grand problème. Par contre, nous ne devons pas nous affaiblir, nous devons lutter pour le droit de notre vie, pour notre patrie, pour les jeunes qui n’ont pas vécu pour que nous puissions vivre nous-mêmes, pour les jeunes qui nous ont offert une vie au prix de leur sang et qui ont refusé leur vie, leurs rêves et leurs objectifs pour nous.

Nariné

Plus de 50 km2 de territoire arménien (Artsakh et Arménie) sont passés sous contrôle azéri dans l’indifférence générale. 5 villages arméniens désormais totalement isolés du reste du pays.Crédit photo : Liana Margaryan
Je suis une fille de 15 ans.

Le blocus a commencé le 12 décembre. D’abord, c’était très dur pour moi car tout le monde était en panique et chaque fois quand j’entendais parler des choses différentes ma crainte grandissait plus encore. Aujourd’hui, j’ai franchi cette crainte parce que nos parents font tout pour que nous ne sentions pas toute la charge et la difficulté du blocus. Leurs histoires de franchir les souffrances et les années sombres et froides de la première guerre nous encouragent et nous inspirent de la force de résister et de ne pas nous désespérer.

Mais malgré cela, aujourd’hui j’ai peur d’un génocide car nous avons aussi des victimes; il y a une douleur dont je souffre.

Jeune fille, habitante de Stepanakert.

 

Je m’appelle Haykuhi Aghabekyan et je viens d’Artsakh.

Je suis née et j’ai grandi ici, j’ai 2 enfants de 3 et 2 ans. Avec mon mari, mes enfants et ma belle-mère, on vivait une vie normale dans la capitale de Stépanakert avant que l’Azerbaïdjan n’ait fermé la seule route reliant l’Artsakh à l’Arménie.

Chers lecteurs,

Permettez-moi de commencer par dire que notre attachement à l’Artsakh est très grand, c’est notre terre natale, pour laquelle nous avons sacrifié des milliers de victimes, c’est notre coin natal sur cette planète, où nous voulons vivre et créer, nous ne voulons vraiment pas grand chose. Nous ne sommes que 120 000, nous avons perdu environ 70% de notre territoire lors de la dernière guerre d’Artsakh, mais nous vivons ici en plein espoir, sans tenir compte du fait que l’ennemi nous regarde de notre Shushi et se moque peut-être même de nous. Mais on dit rira bien qui rira le dernier, ce n’est pas encore la fin….

La violation régulière du régime du cessez-le-feu par l’ennemi, la fermeture de l’unique route vers le monde extérieur, le manque extrême de produits alimentaires et de médicaments et l’approvisionnement pas normal maintiennent les gens dans une atmosphère de peur. Je ne sais pas comment je dois partir avec mes 2 enfants et rester au sous-sol en cas d’une guerre!

Mon seul espoir est Dieu qui peut sauver notre Artsakh afin que nous continuions vivre ici sous un ciel paisible. Nous avons entendu de nombreux discours condamnant l’Azerbaïdjan, mais s’ils n’ont pas encore eu de résultats, ce ne sont que juste des mots, rien que ça!

Au 21e siècle, quand des gens  soulèvent les droits des animaux, quand ces gens sont soucieux de l’écologie,  voyez alors que toute une nation ayant une histoire de plusieurs siècles est assiégée depuis plus de 5 mois et est au bord du génocide, qui a alors besoin de vos discours?  Les gens vivent ici comme dans des cages, nous ne sommes pas aussi importants que les animaux ou la nature?

Nous, le peuple d’Artsakh, nous appelons la communauté internationale à se dégriser, nous avons des droits comme  les Européens qui vivent dans un pays nain ou en France, en Allemagne et ailleurs.

J’espère que par la volonté de Dieu tout sera réglé et que nous vivrons dans notre pays natal, que je mettrai à nouveau des fleurs sur la tombe de mon père, qui se trouve dans notre village occupé par l’ennemi. Nous avons des rêves, nous vivons aujourd’hui en Artsakh, entourés de 4 côtés par l’ennemi, mais nous étions là, nous sommes là et nous serons toujours là, j’en suis sûr!

Haykuhi Aghabekyan

 

Si vous souhaitez soutenir les Arméniens de l’Artsakh, un rassemblement est organisé dimanche 4 juin à 15h30 Place du Trocadéro à Paris par la Coordination des Organisations Arméniennes de France (CCAF).

TRIBUNE. Guerre et philanthropie par Francis Charhon

Guerre et philanthropie. Voici bien deux mots si opposés dans notre esprit et pourtant…

Destruction dans le quartier de Kiev, Photo par Aris Messinis / AFP

C’est un choc immense que de revivre pour les générations adultes ou séniors les sombres heures de l’Europe qui paraissaient rangées au rang des mauvais souvenirs et que nos jeunes ne connaissent plus qu’en livres ou en film. Un dictateur solitaire décide d’envahir son voisin pour supprimer tout ce qui en a fait un pays avec son histoire, sa culture, de l’anéantir sous les bombes, les tirs d’obus les plus divers dont semble-t-il certains à sous-munitions.  Cette méthode barbare n’est pas nouvelle pour ceux, comme les ONG ou les journalistes, qui ont eu à travailler sur les terrains d’interventions d’autres régions du globe. Le droit humanitaire est bafoué avec un cynisme qui passe par la création de faux couloirs humanitaires qui seront bombardés ou minés. En Tchétchénie, en Syrie, des villes entières furent ainsi rasées par l’armée russe, les populations civiles prises pour cibles ; les centres de santé, les écoles bombardés. Cette inhumanité choque le monde entier. Mais comment s’opposer à un projet si fou sinon entrer en guerre et déclencher un conflit majeur ? Personne ne le souhaite. Certes, l’armée ukrainienne tente de résister face à un rouleau compresseur qui avance inexorablement en écrasant tout sur son passage. On peut souhaiter, malheureusement sans trop d’espoir, que les sanctions feront réfléchir le président Poutine et que le coût de cette guerre deviendra trop lourd.

Honorer la résistance Ukrainienne et la soutenir n’empêcheront pas les souffrances abominables d’un peuple, les milliers de morts et de blessés, l’exil de dizaine de millions d’hommes et surtout de femmes avec leurs enfants, et in fine l’occupation de ce pays qui sera rasé. Déjà, des régions frontalières comme la Crimée, l’Ossétie, le Donbass ont déjà été occupées ; le rêve de la grande Russie du temps de l’URSS amènera-t-il à d‘autres interventions en Moldavie en Géorgie ? Qui s’y opposera ?

En attendant il faut faire face aux effets de la guerre et la philanthropie y a son rôle.

Rappelons que la philanthropie est un écosystème constitué d’acteurs (associations et fondations), de bénévoles et de donateurs ; ils se sont tous mis en mouvement. La réaction mondiale est à la hauteur du choc face à la violence des images et des témoignages. Des collectes immenses affluent provenant de particuliers et d’entreprises, des volontaires se pressent pour aider, pour soulager la population ukrainienne directement dans leurs pays ou dans les pays voisins. Si la Pologne et la Hongrie peuvent momentanément faire face, la Moldavie et la Slovénie sont des petits pays qui risquent la déstabilisation due à l’afflux de réfugiés. IIs ont besoin de soutiens importants et urgents de la communauté internationale. Toutes les organisations humanitaires se sont mobilisées et mises en ordre d’intervention pour répondre aux besoins des blessés, des réfugiés, pour apporter soins médicaux, aide alimentaire, abris, et soutenir les associations locales qui ont été les premières à faire face. Certaines ONG étaient déjà sur place, d’autres ouvrent des missions en Ukraine et dans les pays limitrophes. Les fondations se sont aussi mobilisées pour apporter leur soutien, non seulement en France, mais aussi au niveau européen grâce à une coordination réalisée à Bruxelles par leur représentation « Philae ». La Croix-Rouge internationale, le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) et autres agences de l’ONU sont aussi en mouvement.

Dans le même temps, des ONG comme Amnesty international documentent par des témoignages, des photos et des vidéos les crimes de guerre pour pouvoir un jour amener les responsables de toutes ces atrocités devant le tribunal pénal international.

En France les opérations sont menées en coordination avec le centre de crise et de soutien du ministère des Affaires étrangères qui apporte aussi un soutien financier. Cette relation est un modèle de la relation État-associations et fondations et pourrait servir d’exemple pour la mise en place d’une stratégie ambitieuse de relation entre l’État et la société civile.

Toute ces capacités de réaction ont pu se développer en partie grâce à la générosité du public. Ces fonds privés ont donné à ces ONG la capacité de se développer. Elles ont acquis des modes d’interventions de plus en plus professionnels par des années de travail sur les terrains les plus divers (guerres, catastrophes naturelles, épidémies, famine…). Parmi les progrès réalisés, il faut noter l’internationalisation des ONG françaises : elles ont ouvert des branches dans de nombreux pays, augmentant ainsi leur capacité d’intervention et l’inclusion de personnels issus des pays dans lesquels elles agissent. D’autres efforts ont porté sur la coordination entre les ONG au niveau national sous l’égide de coordination SUD, mais aussi international par le réseau VOICE, lieux d’échanges et de partage de pratiques pour faire face aux crises à une échelle suffisante. Un forum humanitaire européen se tiendra en mars organisé par la commission européenne, financeur important de l’action humanitaire par sa division Echo . Il doit permettre de faire un état de l’action humanitaire internationale et d’en faciliter l’action. Ironie du sort, il était prévu bien avant l’intervention russe un débat sur le droit humanitaire problématique dans bien des endroits du monde.

L’immense travail réalisé par les ONG françaises n’est qu’un versant de l’action des associations et fondations.  Elles sont maintenant visibles et reconnues comme une évidence dans le paysage international.

En France, ce même secteur non lucratif mène aussi des actions importantes et nécessaires dans tous les domaines qui touchent les besoins de la société : culture, environnement, action sociale… Pourtant, il n’est pas reconnu comme un acteur à part entière.

Ce serait un projet politique fort, pour un prochain gouvernement, que de donner une reconnaissance formelle à ce secteur. Il faudrait que l‘État accepte de reconnaître le secteur non lucratif comme un secteur économique à part entière, comme le sont l’agriculture, l’industrie, les entreprises, l’artisanat…, sans vouloir en permanence réduire ses capacités d’intervention. Il ne s’agit pas d’opposer deux systèmes, mais de prendre acte que ce secteur apporte des réponses adaptées en complémentarité avec les acteurs étatiques. Par son action, aussi bien au niveau national que local, il est un rempart puissant face au délitement du lien social qui mine notre nation et un élément majeur du « vivre ensemble » indispensable à notre démocratie.

Avoir une politique philanthropique ambitieuse et assumée, avec des objectifs clairs permettrait de comprendre le sens des mesures qui sont régulièrement prises. Il deviendrait possible d’anticiper un coût en amont, plutôt que de prendre des mesures fiscales morcelées sans en peser les conséquences pour les récipiendaires et éviter d‘avancer ou reculer au gré des influences politiques. Ceci serait une véritable révolution culturelle qui demandera beaucoup de travail, du renoncement à des prérogatives, un lâcher prise de l’administration. Elle serait facilitée par une prise de position au sommet de l’État. Des assises sous le patronage du Président permettraient notamment de définir collectivement une vision de l’intérêt général, de l’engagement et de la générosité, de revisiter la gouvernance publique du secteur.

Chroniques philanthropiques, par Francis Charhon. https://www.carenews.com/chroniques-philanthropiques-par-francis-charhon/news/tribune-guerre-et-philanthropie