Témoignages des Arméniens d’Artstakh

Ces lettres d’habitants de l’Artsakh, publiées en arménien et en français, nous sont parvenues ces jours-ci grâce à Nelly, professeur de français, et avec le soutien du ministre de la Santé de la République de l’Artsakh, Mr Vardan Tadevossian que nous remercions.

Manifestations pour leurs droits. Crédit photo : Liana Margaryan
Bonjour à tout le monde!

Je m’appelle Karen, je suis chirurgien pédiatrique et directeur à temps partiel d’un hôpital pour enfants. Comme vous le savez, depuis le 12/12/2022, l’Azerbaïdjan a bloqué illégalement la seule route reliant l’Artsakh à l’Arménie – la route de la vie !

 Comme pour tout le monde dans notre petit mais fier pays, cela a créé un grand nombre de problèmes pour notre hôpital aussi; les petits Artsakhiotes ont été privé de la possibilité de recevoir un traitement adéquat. En raison du manque de médicaments et de fournitures médicales, toutes les procédures prévues ont été annulées, y compris des tests sanguins quotidiens et les opérations. Tous les médicaments disponibles ont été dirigés vers le traitement des enfants atteints de pathologies aigües.

Il y avait de gros problèmes avec la nutrition des enfants malades, il y avait un manque catastrophique de fruits et légumes, les enfants ne recevaient pas la bonne quantité de vitamines et de minéraux et cela continue toujours car aujourd’hui bien qu’on trouve un petit nombre de ces produits alimentaires, les enfants ne peuvent pas se nourrir pleinement.

 En raison de dommages aux lignes électriques, des coupures de courant ont commencé dans la république, en outre la coupure du gaz naturel, cela a entraîné des difficultés pour chauffer les salles et les salles d’opération, les enfants malades ont été regroupés autant que possible dans une seule salle afin de pouvoir se réchauffer et économiser le chauffage

Les enfants atteints de maladies chroniques, qui étaient périodiquement envoyés à Erevan, dans des cliniques spécialisées, étaient privés de cette opportunité, en voici un exemple : l’intervention chirurgicale d’un enfant avec une malformation de la main a déjà été reporté 4 fois pour une raison simple – la route est fermée !

Je peux continuer encore et encore… Les enfants malades qui ont été transférés dans les hôpitaux d’Erevan avec l’aide de la Croix-Rouge ne peuvent pas retourner chez eux, chez leurs frères et sœurs, leurs pères, leurs grands-parents… les enfants font leurs premiers pas sans leurs parents ! C’est triste!

Mais malgré tout ce qui se passe, les Arméniens d’Artsakh continueront à se battre pour leur pays ! Après tout, tôt ou tard, le monde ouvrira les yeux et verra ce qui nous arrive !

Karen Melkumyan résident d’Artsakh, médecin, mari qui n’a pas vu sa femme depuis près de 6 mois, en raison de la route fermée de la vie!

 

Bonjour

Je suis Marie, je suis collégienne et  j’ai 11 ans.

Le mot ‘’ blocus » était tout d’abord juste un mot que les adultes et nos parents prononçaient. Puis, quand la quantité des produits alimentaires a commencé à diminuer sur les rayons des épiceries, quand on avait accès à l’électricité selon des horaires proposés, quand on a commencé à aller à l’école avec des pauses,  j’ai alors compris ce que voulait dire ce mot.

Pour moi, c’était étonnant comment peut-on interdire aux gens de sortir de leur pays et de se déplacer librement, comment peut-on priver un humain du chauffage en plein hiver, de l’électricité et des produits alimentaires. Je ne comprends pas comment un humain peut agir comme ça par rapport à un autre humain.

Si au début le blocus me paraît une sorte de jeu amusant où on essayait avec des amis de trouver des épiceries qui nous proposaient nos chips et bonbons préférés, aujourd’hui je suis inquiète de l’idée de ne pas pouvoir jamais voir mes proches, de ne pas pouvoir réaliser mon rêve de voyager dans d’autres pays et d’être coupée du monde extérieur. C’est horrible surtout quand on peut voir tout cela via Internet mais qu’on soit privés de la possibilité d’y être et de réaliser ses rêves.

Marie, 11 ans.

Stépanakert, capitale de l’Artsakh, plongé dans l’obscurité par les coupures d’électricité

Aujourd’hui, dans le monde civile, l’Artsakh lutte contre le manque du gaz, de l’électricité et des simples produits dont nous avons tous besoin. Depuis que l’Azerbaïdjan a fermé la seule route reliant l’Artsakh à l’Arménie et au monde entier, il a causé des difficultés divers à la suite desquelles nous sommes privés de choses et de produits basiques.

Moi, je suis mère, mon bébé a 1 an et dès sa naissance, lui aussi, il lutte contre tout ça. Pour trouver des légumes et fruits simples pour nos bébés, on est obligés de faire la queue pendant des heures. Pour se déplacer dans la ville même, on doit marcher à pied à cause du manque du gaz et du pétrole. Beaucoup de gens et beaucoup d’enfants qui ont besoin de consulter des médecins sont confrontés à de grandes difficultés, notamment ceux qui habitent dans des villages. De jour en jour la situation devient de plus et plus sérieuse. Ça fait déjà 3 jours que je n’arrive pas à trouver de couches de bébé pour mon enfant. C’est terrible. Toutes les pharmacies et tous les marchés sont vides. Il y a même des problèmes avec les médicaments.

Nos élèves sont aussi privés d’avoir une éducation. Pendant l’hiver les cours aux écoles ont été arrêtés. Nos enfants ont certainement le droit d’avoir une meilleure enfance.

Les étudiants de l’Université d’État d’Artsakh qui habitent dans les villages sont confrontées, eux aussi à de beaucoup de difficultés manque de transport. L’état psychologique de nos enfants est évidemment critique. Chers lecteurs, vous êtes peut-être mère, père, étudiant, enseignant, imaginez-vous que vous n’arrivez non plus à trouver le nécessaire pour votre enfant;  ni de nourriture, ni de produits d’hygiène, ni de médicament, que feriez-vous alors?

Mais si vous avez tout le nécessaire, appréciez votre vie, car peut-être un jour, vous pourrez vous aussi, perdre soudainement pas seulement les choses habituelles nécessaires pour la vie mais aussi votre sécurité.

Habitante et mère de Stepanakaert.

Une mère d’Artsakh cherche des médicaments dans une pharmacie vide pour son enfant malade. @Haiastan
Bonjour le monde endormi,

Je m’appelle Arminé Badalian, je suis enseignante de français à Stépanakert.

Ça fait déjà plus de 5 mois que je suis sous blocus et je veux vous présenter comment je survis en Artsakh avec 120 000 autres habitants d’Artsakh. Tout d’abord tous nos droits sont violés. Comme être humain, nous sommes privés de tout: nous ne pouvons pas nous nourrir pleinement, parce que il n’y a pas de produits nécessaires dans les magasins.

Je suis maman de deux enfants et c’est très important pour moi. Il y avait des moments où il n’y avait rien dans les magasins et je ne pouvais pas expliquer à mes enfants pourquoi je ne pouvais pas acheter leurs produits préférés ou des fruits et légumes.

Dans les pharmacies nous ne pouvons pas toujours trouver des médicaments nécessaires .Nous n’avons pas du tout de gaz et l’électricité est coupée tous les jours toutes les 3 heures. On dit aussi que bientôt les ressources d’électricité seront également épuisées et nous n’aurons pas du tout d’électricité.

Pendant l’hiver toutes les institutions éducatives étaient fermées parce qu’il faisait très froid. Je pense que nos enfants ont aussi le droit de vivre dans leur patrie sous un ciel paisible et d’apprendre parce que c’est le 21ème siècle.

Nous ne pouvons pas aller en Arménie car la route de la vie est toujours fermée.

Ça fait déjà plus  de cinq mois que je ne peux pas rendre visite à mes parents car ils vivent en Arménie. Ma fille a des problèmes de vue mais je ne peux pas l’emmener chez le docteur à Erevan parce que la route est fermée. C’est très triste qu’on ne puisse pas se déplacer dans sa propre patrie historique.

Monde, ne soit pas indifférent! À cause de ton indifférence en 1915 plus d’un million d’Arméniens ont été objet d’un génocide perpétré par la Turquie et ils ont été expulsés de leurs terres historiques. En tant que maître de mon pays, je veux vivre dans ma patrie libre et indépendante !

Arminé Badalian

Stepanakert, mars 2023 Credit : Liana Margaryan
Bonjour

Je m’appelle Svetlana Harutyunyan. Je travaille comme rhumatologue au Centre médical républicain d’Artsakh depuis environ 7 mois.

Le 12 décembre, je devais me rendre à Erevan pour assister à une conférence ordinaire professionnelle. Cependant, on nous a appelés et on a informé que les Azerbaïdjanais avaient bloqué la route.

Et le cauchemar a commencé…

Jour après jour, la situation se compliquait. Il était difficile de  procurer des médicaments, des aliments pour bébés, de la nourriture et des articles personnels. Le transport des patients gravement malades vers Erévan est devenu impossible. Il devenait impossible d’importer des médicaments spécifiques chimiothérapeutiques et rhumatologiques en Artsakh.

Selon mes observations, presque toutes les maladies ont commencé à s’aggraver. Les problèmes se sont multipliés; dans les conditions de l’hiver froid, les Azerbaïdjanais coupent une nouvelle fois l’approvisionnement en gaz et en électricité. Il n’y avait pas de chauffage pour les patients à l’hôpital. Les opérations prévues et les examens instrumentaux de laboratoire pour les patients n’ont pas été effectués, car toutes les ressources ont été dirigées vers les cas urgents et vers ceux à ne pas remettre.

Tous ces facteurs de stress ont contribué à l’exacerbation de presque toutes les maladies rhumatologiques.

Travaillant dans des conditions extrêmes, quand on est médecin et qu’on ne dispose pas d’arsenal médical ou d’alimentation saine pour traiter les maladies, on n’a qu’à ‘espérer que la vie d’un Arménien vivant en Artsakh n’est pas moins importante que celle de l’homme vivant le monde « civilisé ».

Vivre et manger selon des tickets de rationnement, c’est ça, notre réalité, une réalité que nous essayons de surmonter, en espérant qu’un jour nous nous réveillerons dans l’Artsakh libre et indépendant, où on ne sera jamais soumis à l’agression des Azerbaïdjanais juste pour la raison qu’on est arménien chrétien…

Svetlana Harutyunyan

Manifestations contre le blocus de la route reliant l’Artsakh à l’Arménie. Crédit photo : Liana Margaryan
Bonjour cher lecteur,

Ça fait déjà 5 mois que l’Artsakh est coupé du monde extérieur. À la suite de la politique arménophobe de l’Azerbaïdjan les 120 000 habitants d’Artsakh sont privés des droits et des possibilités de se nourrir pleinement, de se déplacer librement et de se servir des établissements médicaux. À cause de la coupure de gaz et d’électricité les écoles et les maternelles ont dû fermer pendant des mois. Les Arméniens d’Artsakh s’affrontent tous les jours à des problèmes ménagers. Les forces armées azéries tirent presque tous les jours sur les citoyens paisibles travaillant dans les jardins et champs créant alors une atmosphère d’instabilité et de crainte. L’Arménien subit des  persécutions physiques et morales, il est torturé dans sa propre patrie devant les yeux du monde indifférent et immobile.

La « compassion » des superpuissances et des pays amis ne se limite qu’aux appels. L’Artsakhiote résiste grâce à son caractère têtu offert par Dieu, il ne se désespère pas, il est certain que la justice historique va gagner finalement.

Nanar Simonian

Les artsakhiotes déroulant un drapeau arménien dans les rues de la République. Credit : Liana Margaryan
Bonjour, je suis Amalia, je suis enseignante.

Au 21 siècle quand on a au moins le droit du déplacement libre, nous, on en est privés depuis 5 mois déjà et ça, pour 120 000 habitants d’Artsakh. Tout cela provoque des sentiments mélangés. D’abord, on devient déprimés, tristes, parfois on est en stress mais puis on retrouve ses esprits et on continue à vivre, à oeuvrer et à avancer. En effet, tout cela est très dur, la pression psychologique est très grande autant qu’on soit forts et qu’on essaie de la franchir la tête haute. Bien sûr, l’ennemi voudrait bien nous voir désespérés et il poursuit effectivement cet objectif, pourtant nous sommes sur notre terre; bien que nos espoirs s’épuisent comme le réservoir de Sarsangue, on est bien forts comme la statue Tatig et Papig.

Les problèmes ménagers qui sont toujours présents sont à franchir mais l’incertitude c’est tout à fait autre chose, c’est un sentiment très lourd.

Combien de temps? Jusqu’à quand est-ce que ces difficultés vont-elles durer et qu’est-ce qu’elles nous offriront comme résultat? Tous ces sentiments deviennent plus denses encore surtout quand on est enseignant et qu’on est tous les jours en contact avec des écoliers.

Des fois, c’est en moi qu’ils cherchent des réponses sur ce qui va arriver, pourtant je ne les ai pas, ces réponses!

Malheureusement, personne ne dispose de ces réponses. Que faire? Moi, j’ai choisi de vivre et  d’oeuvrer. Avec les autres enseignants, on organise des activités différentes pour les sortir de la situation psychologique dure. Ce sont généralement des jeux, des chansons et des danses nationales. Grâce à ces activités on arrive à s’éloigner de la situation dure quotidienne pendant quelques heures et on essaie alors de vivre comme la plupart des gens.

Comme le disent les Artsakhiotes, on résiste sinon si c’est pas en  poursuivant ce chemin en faveur de sa patrie, pourquoi le faire alors?

Quand j’encourage les écoliers, je suis encouragée moi-même, je regarde alors en avant et je pense à ce qui va arriver.

On essaie de vivre en se faisant vivre!

Amalia

 

Je suis Nariné,

Je vis dans ma patrie, en Artsakh, je suis Artsakhienne. Je suis différente de tous les jeunes de mon âge du monde par ce que j’ai déjà eu le temps de sentir l’horreur et la douleur de la guerre et des pertes, de regarder droit dans les yeux des mères qui ont perdu des fils, de voir la souffrance de mes compatriotes qui ont perdu leurs lieux de naissance natales. C’est, bien sûr, un honneur d’être en Artsakh, mais vivre en Artsakh c’est de l’héroisme; oui, c’est de l’héroisme, n’est-ce pas un héroisme de vivre dans ces conditions-ci quand on est en blocus depuis 158 jours déjà et on n’a pas le droit du déplacement libre à cause de la fermeture de la route. Nous n’avons aucun soutien à cause du blocus, dans les épiceries c’est le vide qu’on retrouve, il y a une pénurie des produits alimentaires, pas de fruits, ni légumes, pas de médicaments, il est même possible qu’on n’ait pas du tout d’électricité.

Aujourd’hui, nous, les 120 000 Artsakhiotes, nous sommes confrontés à ce problème aussi grave: « Auront-nous de l’électricité demain? »,  » Aurons-nous accès au lien de communication pour pouvoir contacter quelqu’un? »

En réalité, à une petite distance de chez moi, je vois installée la position des azéris et nous entendons souvent le mugham la nuit, nous entendons les tirs en l’air ou vers nos positions afin de nous faire peur et nous l’avons vraiment contre notre volonté. Je ne parle même pas de la coupure de gaz; depuis plus de 3 mois déjà, nous n’y avons plus accès.

Moi, je suis étudiante et je vis à Martouni et c’est très difficile d’aller à l’Université à Stépanakert car à cause de l’absence du gaz, très peu de voitures ou de bus fonctionnent et chaque fois ça me pose un très grand problème. Par contre, nous ne devons pas nous affaiblir, nous devons lutter pour le droit de notre vie, pour notre patrie, pour les jeunes qui n’ont pas vécu pour que nous puissions vivre nous-mêmes, pour les jeunes qui nous ont offert une vie au prix de leur sang et qui ont refusé leur vie, leurs rêves et leurs objectifs pour nous.

Nariné

Plus de 50 km2 de territoire arménien (Artsakh et Arménie) sont passés sous contrôle azéri dans l’indifférence générale. 5 villages arméniens désormais totalement isolés du reste du pays.Crédit photo : Liana Margaryan
Je suis une fille de 15 ans.

Le blocus a commencé le 12 décembre. D’abord, c’était très dur pour moi car tout le monde était en panique et chaque fois quand j’entendais parler des choses différentes ma crainte grandissait plus encore. Aujourd’hui, j’ai franchi cette crainte parce que nos parents font tout pour que nous ne sentions pas toute la charge et la difficulté du blocus. Leurs histoires de franchir les souffrances et les années sombres et froides de la première guerre nous encouragent et nous inspirent de la force de résister et de ne pas nous désespérer.

Mais malgré cela, aujourd’hui j’ai peur d’un génocide car nous avons aussi des victimes; il y a une douleur dont je souffre.

Jeune fille, habitante de Stepanakert.

 

Je m’appelle Haykuhi Aghabekyan et je viens d’Artsakh.

Je suis née et j’ai grandi ici, j’ai 2 enfants de 3 et 2 ans. Avec mon mari, mes enfants et ma belle-mère, on vivait une vie normale dans la capitale de Stépanakert avant que l’Azerbaïdjan n’ait fermé la seule route reliant l’Artsakh à l’Arménie.

Chers lecteurs,

Permettez-moi de commencer par dire que notre attachement à l’Artsakh est très grand, c’est notre terre natale, pour laquelle nous avons sacrifié des milliers de victimes, c’est notre coin natal sur cette planète, où nous voulons vivre et créer, nous ne voulons vraiment pas grand chose. Nous ne sommes que 120 000, nous avons perdu environ 70% de notre territoire lors de la dernière guerre d’Artsakh, mais nous vivons ici en plein espoir, sans tenir compte du fait que l’ennemi nous regarde de notre Shushi et se moque peut-être même de nous. Mais on dit rira bien qui rira le dernier, ce n’est pas encore la fin….

La violation régulière du régime du cessez-le-feu par l’ennemi, la fermeture de l’unique route vers le monde extérieur, le manque extrême de produits alimentaires et de médicaments et l’approvisionnement pas normal maintiennent les gens dans une atmosphère de peur. Je ne sais pas comment je dois partir avec mes 2 enfants et rester au sous-sol en cas d’une guerre!

Mon seul espoir est Dieu qui peut sauver notre Artsakh afin que nous continuions vivre ici sous un ciel paisible. Nous avons entendu de nombreux discours condamnant l’Azerbaïdjan, mais s’ils n’ont pas encore eu de résultats, ce ne sont que juste des mots, rien que ça!

Au 21e siècle, quand des gens  soulèvent les droits des animaux, quand ces gens sont soucieux de l’écologie,  voyez alors que toute une nation ayant une histoire de plusieurs siècles est assiégée depuis plus de 5 mois et est au bord du génocide, qui a alors besoin de vos discours?  Les gens vivent ici comme dans des cages, nous ne sommes pas aussi importants que les animaux ou la nature?

Nous, le peuple d’Artsakh, nous appelons la communauté internationale à se dégriser, nous avons des droits comme  les Européens qui vivent dans un pays nain ou en France, en Allemagne et ailleurs.

J’espère que par la volonté de Dieu tout sera réglé et que nous vivrons dans notre pays natal, que je mettrai à nouveau des fleurs sur la tombe de mon père, qui se trouve dans notre village occupé par l’ennemi. Nous avons des rêves, nous vivons aujourd’hui en Artsakh, entourés de 4 côtés par l’ennemi, mais nous étions là, nous sommes là et nous serons toujours là, j’en suis sûr!

Haykuhi Aghabekyan

 

Si vous souhaitez soutenir les Arméniens de l’Artsakh, un rassemblement est organisé dimanche 4 juin à 15h30 Place du Trocadéro à Paris par la Coordination des Organisations Arméniennes de France (CCAF).

Chine : peut-on qualifier la répression contre les Ouïghours au Xinjiang de génocide ?

STRASBOURG, FRANCE – 11 JUILLET 2015 : Des militants des droits de l’homme participent à une manifestation pour protester contre la politique du gouvernement chinois au Xinjiang

Au cœur de l’actualité depuis plusieurs mois, l’ethnie Ouïghours est millénaire et ses interactions avec la Chine ne sont pas nouvelles. Il est nécessaire de revenir sur son histoire et ses spécifités avant d’analyser les violations des droits humains à l’œuvre actuellement et de se demander si elles constituent un génocide.

QUI SONT LES OUÏGHOURS ?

Avant de se sédentariser dans la zone géographique aujourd’hui appelée Xinjiang (« nouvelles frontières » en chinois), les Ouïghours étaient un peuple nomade.

Ils furent les alliés des Chinois lors de nombreux conflits dès le milieu du 7ème siècle (contre les Göktürks occidentaux, l’Empire tibétain ou encore la dynastie Yan). Entre le 9ème et le 17ème siècle, plusieurs Royaumes Ouïghours se constituèrent et furent suivis d’épisodes d’occupation, révolte ou encore de semi-autonomie.

Dès 1950, et jusqu’à aujourd’hui, le Xinjiang passa sous la domination chinoise. Cette région autonome sous l’autorité de Pékin, trois fois plus grande que la France, représentant 16% de la Chine est peuplée d’environ 12 millions de Ouïghours. Ils seraient environ 300 000 au Kazakhstan.

Bureau national des statistiques de Chine, 2014

LA RESISTANCE ET REPRESSION AVANT LES ANNEES 2000

La résistance populaire de ces turcophones de religion musulmane remonte à la fin des années 1980. En 1990 une protestation de rue contre le refus des autorités chinoises d’autoriser la construction d’une mosquée est réprimée par des tirs chinois occasionnant plus de 60 morts et 7900 arrestations.

En 1996, la Chine utilise une campagne contre la délinquance pour s’en prendre à des responsables politiques et religieux Ouïghours et arrêter plus de 10 000 individus pour séparatisme. L’année suivante, l’arrestation d’une trentaine de dignitaires religieux la veille du Ramadan conduit à une manifestation dont le bilan sera de 167 morts et 5000 arrestations. Des peines de morts, dont 7 exécutions en public se produisent dans la foulée.

REPRESSION ET TERRORISME DANS LES ANNEES 2000

À la suite du 11 septembre 2001, le gouvernement chinois vend son programme anti-terroriste à l’étranger et obtient l’extradition de certains militants Ouïghours. Des opérations chinoises ont lieu contre la culture et le patrimoine architectural. Des pressions sont émises sur les expatriés, même binationaux, qui doivent rentrer ou fournir des données. Désormais, d’après l’Agence France Presse, des exilés Ouïghours du monde entier, même des grandes puissances démocratiques, sont harcelés à distance par des numéros cryptés qui les intimident et menacent leurs familles restées sur place. Ces individus sont sommés de transmettre des informations détaillées sur leur famille, leurs activités ou encore leurs études et ont pu être interpellés et renvoyés en Chine dans certains pays (Égypte, Thaïlande). Il s’agit de campagnes similaires à celles menées contre les Tibétains, militants Taïwanais et dissidents politiques.

Des organisations clandestines s’activent et luttent pour l’indépendance du Turkestan oriental (Xinjiang) toutefois les informations sur ces dernières sont limitées par le gouvernement chinois. En septembre 2004 est fondé au États-Unis à Washington D.C. le « Gouvernement en exil du Turkestan oriental », un régime parlementaire avec un Premier Ministre et une constitution proclamée.

Par ailleurs, plusieurs attentats sont attribués aux Ouïghours : contre un poste de police en 2008 (16 morts), sur la place de Tian’anmen en 2013 (5 morts) ou encore dans la gare de Kunming (29 morts) et Urumqi (en 2014).

LE TOURNANT DES CAMPS DE REEDUCATION

L’usage de camps d’internement en Chine n’est pas nouveau puisque le pays utilisait jusqu’en 2013 des camps de rééducation par le travail, dans lesquels étaient envoyés des dissidents et petits délinquants sans procès ni procédure légale. Au nombre de 350, ils regroupaient 160 000 prisonniers. Pas nouvelle non plus, la surveillance spécifique de la communauté Ouïghours est facilitée depuis les années 2000 par le prétexte de la lutte chinoise contre le terrorisme islamique.

À la suite des attentats et de l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2013, un tournant s’engage et se renforce avec la construction de camps d’internement, à partir de 2014, dans le but d’interner des musulmans pratiquants Ouïghours et Kazakhs. Plusieurs organisations, comme Amnesty International ou l’AFP déclarent, en s’appuyant sur des documents gouvernementaux, que plus d’un million de Ouïghours y seraient internés de façon préventive et sans procès. Leur existence a été niée par la Chine jusqu’en octobre 2018 où elle a finalement mentionné des « camps de transformation par l’éducation ». D’après le gouvernement, ce ne serait que des centres de formation professionnelle, de lutte contre le terrorisme et l’islamisme.

Image satellite d’un camp d’internement le 24 juin 2018, à Karamay, comté de Karamay, Xinjiang, Chine @Amnesty International

La politique chinoise ne vise pas simplement le séparatisme mais surtout à détruire la culture Ouïghoure d’après Rémi Castets, directeur du département d’études chinoises de l’université Bordeaux-Montaigne. En effet, il est interdit aux jeunes d’aller à la mosquée, les voyages à la Mecque sont empêchés, les prénoms à consonance islamiques sont proscrits. Par ailleurs, selon un rapport de 2020 produit par un institut de recherche australien, financé par le Département d’Etat américain et s’appuyant sur des images satellites, des milliers de mosquées auraient été détruites ou endommagées.

Pour être interné, nul besoin de militer pour le séparatisme : porter la barbe, un voile ou même posséder un Coran chez soi suffit. Ce constat est aussi partagé par Amnesty International dans son rapport « Ouïghours, Kazakhs et autres minorités musulmanes victimes de crimes contre l’humanité » qui a documenté, à partir de témoignages, des pratiques de torture, persécution et emprisonnement en violation des règles fondamentales du droit international. Il est notamment question d’arrestations, parfois de masse, en dehors du cadre judiciaire, pour des actes totalement licites tels qu’avoir séjourné ou communiqué avec l’étranger, posséder un compte WhatsApp, prier, posséder un objet à caractère religieux…

Une fois internés, les détenus sont privés d’intimité, même aux sanitaires. Les conditions d’hygiène et alimentaires sont insuffisantes et fortement restreintes d’après Amnesty. Outre la maltraitance continuelle du fait des conditions de vie, il est aussi régulièrement fait usage de la torture physique (décharges électriques, privation de sommeil, immobilisation, suspension au mur, exposition à des températures extrêmes) et mentale et l’ensemble des personnes internées ont été obligées de rester assises dans des positions très inconfortables plusieurs heures. Des cas de décès à la suite de tortures ont été documentés.

« L’emploi du temps classique prévoyait trois à quatre heures de cours après le petit-déjeuner. Ensuite, les détenu·e·s déjeunaient et prenaient un peu de « repos », ce qui consistait souvent à rester assis sans bouger sur un tabouret ou la tête appuyée sur un bureau. Après le déjeuner, il y avait de nouveau trois ou quatre heures de cours. Venait ensuite le dîner, suivi de quelques heures passées assis ou à genoux sur un tabouret à « réviser » en silence les leçons de la journée ou à visionner d’autres vidéos « pédagogiques ». Pendant les cours, les détenu·e·s devaient regarder droit devant eux pratiquement en permanence et ne pas parler à leurs camarades de classe. »

Rapport « Comme si nous étions ennemis de guerre » Amnesty International, 2021

La majorité des 55 anciens détenus interrogés par Amnesty International ont passé entre 9 et 18 mois en camp. A leur sortie ils devaient signer un document dans lequel ils s’engageaient à ne pas parler aux journalistes ni aux personnes étrangères, « avouer leurs crimes » publiquement lors de cérémonies, poursuivre leur « éducation » et se soumettre à une circulation fortement restreinte (même dans la région) accompagnée de surveillance physique et numérique de pointe. D’après Amnesty International, les musulmans du Xinjiang sont peut-être le groupe de population le plus étroitement surveillé au monde (collecte de données biométriques, « séjours à domicile » et entretiens intrusifs menés par des représentants de l’État, réseaux tentaculaires de caméras à surveillance faciale…).

Le Uyghur Human Rights Project, une organisation à but non-lucratif fondée en 2004 aux États-Unis afin de défendre les Ouïghours en s’appuyant sur le droit international, soulève d’autres aspects de violation du droit international au Xinjiang notamment :

  • La compilation de 1 046 cas d’imams et autres personnalités du Xinjiang détenus en raison de leur association avec l’enseignement religieux et le leadership communautaire depuis 2014.
  • La pratique de la stérilisation forcée depuis 2016 : les taux de natalité ont baissé de 2015 à 2018 et la croissance démographique a chuté de plus de 84% au cours de cette période dans les deux plus grandes préfectures ouïghoures.
  • L‘interdiction à partir de 2017 de l’utilisation de la langue ouïghoure à tous les niveaux d’enseignement jusqu’au lycée inclu.
  • Le travail forcé à toutes les étapes du processus de production dans l’industrie du vêtement, aussi mentionné par un rapport de 180 ONG, le Xinjiang étant la principale région productrice de coton chinois (80% de la culture d’après Human Rights Watch). Ainsi, selon ces ONG, ce serait 1 vêtement sur 5 vendu dans le monde proviendrait d’un camp de travail Ouïghour. En plus des camps d’internement, le gouvernement chinois aurait exporté environ 80 000 travailleurs Ouïghours vers d’autres régions de Chine rien qu’entre 2017 et 2019, dans des usines aux conditions qui laissent fortement présager un recours au travail forcé.

L’État Chinois aurait aussi, selon l’AFP, vendu des organes, prélevés sur des Ouïghours vivants ou exécutés, à des musulmans fortunés d’Arabie saoudite, du Koweït, ou encore du Qatar

UN GÉNOCIDE ?

Selon les éléments de nombreuses sources fiables, les membres de minorités ethniques à majorité musulmane du Xinjiang sont la cible d’une attaque correspondant à tous les éléments des crimes contre l’humanité au regard du droit international. Est-il cependant possible d’aller plus loin et comme l’a demandé L’Institut Ouïghour d’Europe, au président français Emmanuel Macron, et « reconnaître le caractère génocidaire » des politiques de Pékin. En faisant ainsi, la France s’alignerait sur les pouvoirs législatifs du Canada, de la Tchéquie, des Pays-Bas, de la Belgique et l’exécutif des Etats-Unis avec Joe Biden.

Actuellement, l’ONU reconnaît trois génocides : le génocide des Arméniens commis par l’Empire ottoman (1915- 1916), le génocide des Juifs (la qualification de génocide pour l’extermination des Tziganes et handicapés dépend des interprétations) commis par les Nazis (1941 à 1945) et le génocide des Tutsis commis par le pouvoir Hutu, au Rwanda (1994).

Toutefois, à l’instar de nombreux historiens et juristes spécialisés comme Marc Julienne (responsable des activités Chine à l’IFRI) ou l’anthropologue Adrian Zenz, il existe une base juridique solide pour attester du crime de génocide.

Concrètement, d’après la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (CPRCG), un traité de droit international approuvé à l’unanimité en 1948 par l’Assemblée générale des Nations unies (ratifié ou adhéré par 152 pays dont la Chine) un génocide se définit de la manière suivante :

« L’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) Meurtre de membres du groupe ;

b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;

d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;

e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. »

Ainsi la définition du génocide se compose de deux éléments : l’élément physique (actes commis) et l’élément mental (intention).

Pour ce qui est de l’élément physique, s’il semblerait difficile de parler de génocide à partir des points a) et c), les critères b), d) et e) sont eux très clairement documentés. Or, un seul est nécessaire pour que l’élément physique soit rempli. Ainsi les conditions et modalités d’internement mais aussi les conditions de vie de nombreux Ouïghours non internés qualifient incontestablement une atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale des membres du groupe (b). De même, l’usage de la stérilisation forcée (pose de stérilets, ligature des trompes, demande d’autorisations pour faire un enfant) qualifie le point (d) et la déportation des enfants des personnes incarcérées vers des orphelinats gérés par le gouvernement qualifie enfin le point (e).

En revanche, pour ce qui est de l’élément mental, il est difficile à confirmer étant donné que la Chine se terre dans la confidentialité, ne communique pratiquement pas et dément de nombreux éléments avérés. Dans ce cadre certains militants et associations préfèrent employer le terme de « d’ethnocide »  ou de « génocide culturel », déjà utilisé par l’ONU à propos du droit des peuples autochtones, mais finalement non retenu. Ce terme se rapporte à  la destruction de l’identité culturelle d’un groupe ethnique, sans nécessairement détruire physiquement ce groupe et sans forcément user de violence physique contre lui.

Il convient aussi de préciser que l’usage du terme de génocide à propos des Ouïghours est d’autant peu spontané qu’il renvoie à des connotations européennes liées à l’extermination des juifs par les nazis, crime de masse ayant provoqué la mort de 6 millions de personnes.

Le président chinois Xi Jinping avec le président français Emmanuel Macron à la résidence d’Etat Diaoyutai à Beijing en janvier 2018 ® Centre d’Informations sur Internet de Chine

Par égard pour ses relations économiques et diplomatiques avec la Chine, il semblerait toutefois peu probable que le Président de la République, Emmanuel Macron, de même que de nombreux autres dirigeant, fasse usage du terme de génocide.

Pour qualifier ou pas la situation de génocide, la solution optimale serait de demander à un juge compétent de trancher. Ce serait le cas de la Cour pénale internationale (CPI) mais cette dernière ne juge que ses membres dont la Chine ne fait pas partie. La Chine étant de plus membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, une décision des Nations Unies n’est pas envisageable. Un jugement d’autre cour arbitrale serait possible mais a priori non contraignante.

Toutefois, si la situation peut sembler sans issues immédiates, des campagnes de sensibilisation ou de boycott ont été organisées, notamment avec le plaidoyer contre les marques ayant bénéficié du travail forcé des Ouïghours. Ces dernières menées dans de nombreux pays ont pu favoriser la prise d’engagement de marques (Mark & Spencer, Abercrombie & Fitch, Lacoste, Calvin Klein,Tommy Hilfiger…) et de gouvernements (Grande-Bretagne, Canada, USA…).

Rodolphe ROUYER

 

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