Le Sahel est une bombe démographique

La démographie, c’est une géographie humaine et les chiffres sont là. En Afrique, au Sahel en particulier, nous assistons à un changement d’échelle vertigineux. En 1950, il y avait 2.5 milliards d’êtres humains sur terre dont 229 millions en Afrique. Aujourd’hui, nous sommes 7,7 milliards d’habitants dont 1,3 milliard en Afrique. Dans 30 ans, nous serons environ 10 milliards dont 2,5 milliards en Afrique en 2050.

Les pays du G 5 Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso, Mauritanie, Tchad) vont passer de 83,7 millions d’habitants en 2019, dont environ 50% de moins de 15 ans, à 196 millions en 2050. Il y a une véritable urgence à en tirer les conséquences pour éviter ce qui se passe toujours dans l’histoire en cas de surpopulation selon le démographe Michel Garenne : départs, guerres, famines, épidémies, car « il n’y aura pas assez de place et de ressources pour tout le monde » précise t-il.

La mission de Défis Humanitaires, c’est d’alerter pour agir et construire des réponses à la hauteur des risques. La gouvernance de ces pays doit assumer toutes ses responsabilités, le développement doit impérativement intégrer la démographie, enfin il est indispensable d’associer étroitement les populations à une réduction des naissances dans une perspective d’amélioration durable des conditions de vie.

L’Afrique : un habitant sur quatre de la population mondiale à l’horizon 2050

Part de la population africaine (en milliards et pourcentage) sur la population mondiale. Graphiques réalisés à partir des chiffres prévisionnels des Nations-Unis.

L’Afrique fut longtemps présentée comme un continent sous-peuplé du fait de ses caractéristiques géographiques et de la faible connaissance que l’on avait du continent. Depuis les années 70, des campagnes de recensement sont initiées afin de permettre aux gouvernements de mesurer les enjeux démographiques à venir. Par la suite, la conférence internationale sur la population de Mexico en 1984 officialise l’importance de la démographie et la prise de conscience des dirigeants africains à ce sujet. Les efforts de coopération aboutissent au Programme d’Action de Kilimandjaro composé de recommandations non contraignantes. L’objectif était de doter les Etats de véritable politique démographique. Les décennies se sont écoulées et la démographie africaine, régulièrement au centre des discussions lors des sommets internationaux, est maintenant présentée comme la bombe à retardement du XXIème siècle.

Le Nigéria est de loin l’exemple le plus éloquent : d’ici 2050 le pays comptera 401 millions d’habitants, soit le troisième pays le plus peuplé du monde derrière l’Inde et la Chine. Sous-jacent à cette démographie exponentielle, les nombreux défis de développement inquiètent. La seconde caractéristique de la démographie nigérienne est la jeunesse de sa population : 50 % ont moins de 15 ans en 2017. C’est à la fois perçue comme une force économique et comme un danger compte-tenu du déficit structurel des services publics et des troubes sécuritaires.

Il est réducteur de dresser un seul et unique tableau pour l’ensemble du continent mais il s’est avéré que l’Afrique a remis en cause les certitudes et schémas d’évolution démographique. C’est le continent qui a nuancé l’universalité prétendue du modèle de transition démographique crée à partir du phénomène européen au XIXème siècle. Jusqu’à présent, le modèle de référence était le suivant : une baisse importante de la mortalité grâce à une amélioration des conditions de vie, de santé et d’éducation, doit mécaniquement engendrer une baisse importante des natalités. Les démographes estimaient également qu’une soixantaine d’années étaient nécessaires pour parvenir à une maîtrise de la fécondité. Les logiques sociologiques propres à certaines régions africaines nuancent le schéma traditionnel. In fine, la baisse du taux de fécondité ne répond pas seulement à une mécanique et ne se révèle pas aussi proportionnelle à la baisse de la mortalité que ce que prévoyaient les démographes. L’ONU a d’ailleurs dû revoir ses prévisions à la hausse en ralentissant la baisse du taux de fécondité par femme.

Les tendances démographiques dans la région du Sahel

Graphiques réalisés à partir des chiffres prévisionnels des Nations-Unis.

Le premier préalable avant d’étudier la démographie au Sahel est la définition même de cet espace. Géographiquement, le Sahel s’étend de part et d’autre du continent, bordé au Nord par le Sahara. Les pays qu’il recouvre sont la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad, le Soudan, et l’Érythrée. Le Sahel ne se limite pas à des frontières nationales : c’est une zone qui tend à s’élargir en cette période de dérèglement climatique et de désertification. Son avenir ne concerne plus uniquement les six pays cités : le plan d’investissement sur le réchauffement climatique pour les pays du Sahel (2019-2030) englobe 17 pays, le Comité inter-Etat de lutte contre la sécheresse au Sahel comprend lui 13 Etats. A l’inverse, on parle du G5 Sahel uniquement pour le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Tchad et le Burkina Faso. Dans une perspective régionale et transfrontalière, le G5 Sahel, créé en 2014, a pour mandat de rétablir un climat de sécurité propice au développement de la région. Des caractéristiques communes lient ces pays les uns aux autres par des paramètres climatiques (aride ou semi-aride), météorologiques (alternance entre saison des pluies et saison sèche), géographiques (enclavement des pays et faible densité de population avec une moyenne de 15 hab/km2), sociales (transhumances et ethnies transfrontalières) et économiques (système agropastoral).

À l’échelle du continent, le poids démographique du Sahel reste relativement stable. La population sahélienne représente 8,4% de la population africaine en 2020, 9,6% en 2050 puis 11% à l’horizon 2100. Avec des volumes différents, chaque pays suit une évolution semblable, à l’exception du Niger. En 2019, ce pays compte 21,48 millions de nigériens, enregistre la plus forte croissance africaine (3,8% selon la Banque Mondiale) et un taux de fécondité le plus élevé avec une moyenne de 6,5 enfants par femme selon les données onusiennes.

Graphiques réalisés à partir des chiffres prévisionnels des Nations-Unis.

Au-delà du constat démographique : les défis pour les pays du G5 Sahel.

Au Mali, depuis 2012, la crise sécuritaire ne cesse de s’intensifier et de se propager dans la région. La zone des trois frontières, à l’intersection du Niger, du Burkina Faso et du Mali, apparaît comme l’épicentre de la crise. Dans cette guerre asymétrique, l’enlisement des combats depuis août 2014 face à la myriade de groupes djihadistes1 reflète les difficultés du G5 Sahel. Mais quels liens peut-on véritablement établir entre cette dégradation sécuritaire et l’explosion démographique ? Pour cette crise, le paramètre démographique est à concevoir comme un élément amplificateur qui agit tant sur les racines du conflit que sur ses conséquences. Les pays du G5 Sahel connaissaient des fragilités structurelles et sécuritaires préexistantes à l’explosion démographique, le phénomène ne fait que renforcer les perturbations et dysfonctionnements du système.

Synthèse de l’impact du facteur démographique sur les différents secteurs.

**Le dividende démographique correspond à la situation suivant la baisse rapide d’une fécondité élevée. La part des personnes en âge de travailler est favorable : il y a peu de personnes âgés et peu d’enfants à charge. C’est une période de forte stimulation économique qui a énormément profité aux émergents asiatiques. Dans le cas présent, la validité du phénomène est questionnée. La baisse de la fécondité est trop lente et les perspectives d’emplois sont faibles.

Et les besoins humanitaires ?

Le contexte sécuritaire se détériore, le dérèglement climatique s’accélère, l’empreinte territoriale des Etats est faible et la pression démographique s’intensifie : l’équation rend les besoins humanitaires nombreux et croissant. Comment garantir un accès à l’eau et une sécurité alimentaire pour les prochaines décennies dans un contexte si fragile ? La question se pose pour les 10 milliards d’êtres humains sur terre en 2050 mais les réponses sont d’autant plus incertaines au Sahel. Les derniers chiffres de l’OCHA parus ce novembre dresse le bilan des besoins humanitaires :

  • Déplacés : victimes des violences, ce sont 4,1 millions de déplacés au Sahel en 2019 avec une multiplication par dix en une année seulement pour la zone des trois frontières, soit 860 000 personnes dont 486 000 burkinabés. D’après USAID, les régions accueillant le plus de réfugiés sont la partie sahélienne du Burkina Faso, la région de Mopti au Mali et de Tillabéri au Niger. Le phénomène de déplacements est double : temporaires ou définitifs, internes ou externes, ils peuvent être déclenchés par l’instabilité sécuritaire et par la détérioration de l’environnement (stress hydrique et inondations). Les migrations climatiques sont d’ailleurs annoncées comme la « bombe migratoire » pour les prochaines décennies.
  • Urgence: La perte des moyens d’existence à la suite des déplacements exacerbe les tensions et augmente les besoins alimentaires. 6,1 millions de personnes ont besoin d’une aide d’urgence dont 3,9 millions au Mali, 1,5 au Burkina Faso et 700 000 à l’ouest du Niger (OCHA). Selon le PAM, 2,4 millions de personnes ont besoin d’aide alimentaire dans le Sahel central, dont 1,8 millions de personnes concernées et 400 000 enfants en cas de malnutrition dans la région des trois frontières. Dans une région où l’eau est également source de tensions, l’ONG Solidarités International agit. Grâce à l’installation de Systèmes Hydrauliques Pastoraux Améliorés, de distribution de kits d’eau potable et à des campagnes de sensibilisation, l’ONG se mobilise pour offrir un meilleur accès à l’eau, à l’hygiène et à l’assainissement au Mali (Kidal), et au nord du Burkina Faso.
  • Besoins : Pour répondre aux besoins urgents de 4,7 millions de personnes dans la zone des trois frontières 717 millions de dollars seraient nécessaires. Selon les derniers chiffres, moins de la moitié des fonds ont été reçus. USAID dans son rapport de juillet 2019 alerte, sur les difficultés d’accessibilité aux populations dont les besoins sont les plus grands qui empêche une estimation des besoins et une distribution de l’aide.

Le constat humanitaire est alarmant alors que le contexte sécuritaire continue de se détériorer et la population de croître. L’explosion démographique est en cours et si le phénomène ne peut être diminué significativement à court et moyen terme, l’accélération de la transition démographique peut être permise grâce à d’immenses efforts de développement tout en associant les populations à ces politiques. Les Etats semblent prendre progressivement les mesures qui s’imposent face au défi démographique. Le plus concerné, le Niger s’est doté d’une Politique Nationale de population depuis août 2019. Gouvernements, ONG et institutions devront travailler de concert pour combler les besoins et relever les défis dans cette période de transition démographique.

Alicia Piveteau

 

1 – Pour une meilleure compréhension de l’implantation des GAT, le centre de recherche « European council on foreign relations » propose une cartographie des acteurs : https://www.ecfr.eu/mena/sahel_mapping#

2 – United Nations, Department of Economic and Social Affairs, Population Division (2013). Update for the MDG Database: Contraceptive Prevalence & Unmet Need for Family Planning. http://www.un.org/en/development/desa/population/theme/mdg/index.shtml.

 

Pour aller plus loin :

  • DUMONT Gérard-François, Géographie des populations, Paris, Armand Colin, 2018.
  • GARENNE Michel, « Le Sahel est une bombe démographique », Le Monde, 2017. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/01/16/le-sahel-est-une-bombe-demographique_5063147_3212.html
  • GUENGANT Jean-Pierre, F. May John, “Les défis démographiques des pays Sahéliens”, Etudes, 2014.
  • PISON Gilles, Atlas de la population mondiale, Paris, Autrement, 2019.
  • SMITH Stephen, La Ruée vers l’Europe. La jeune Afrique en route pour le Vieux Continent, Grasset, Paris, 2018.
  • Rapport d’étude n°6, Prospective Sahel, Observatoire Défense et Climat, 2018.
  • Alternatives Humanitaires, “Démographie : des chiffres et des maux”, n°12, 2019. https://fr.calameo.com/read/0046558297aa86eda98e8

Interview avec Alain Le Roy sur le sommet de financement des économies africaines

Emmanuel Macron lors du sommet sur le financement des économies africaines, le 18 mai 2021 à l’Elysée entouré de la directrice générale du FMI, Kristalina Gueorguieva et des présidents sénégalais Macky Sall (à droite) et congolais Félix Tshisekedi. ©LUDOVIC MARIN/POOL/AFP

Alain Boinet pour Défis Humanitaires.La France a accueilli mardi 18 mai, à l’initiative du président français, Emmanuel Macron, un Sommet consacré au financement des économies africaines pour faire face aux graves conséquences économiques et sociale de la pandémie et la forte augmentation de la dette. Quel était l’objectif de ce sommet et quels en sont les principaux résultats ? On a beaucoup parlé à ce propos, de droits de tirage spéciaux (DTs). Pour nos lecteurs, afin d’en mesurer l’intérêt, pourrais-tu détailler ce mécanisme et l’impact qui en est attendu ?

Alain Le Roy. L’objectif principal de ce sommet était effectivement de répondre à l’impact très fort de la pandémie sur les économies africaines. Alors que l’Afrique avait connu une croissance forte et soutenue pendant ces 25 dernières années, elle a connu une récession de 1,9% en 2020 et ses perspectives de croissance pour 2021 sont, selon le FMI, de l’ordre de la moitié de la croissance mondiale. Il y avait donc urgence à agir, afin notamment de réduire le nombre de personnes risquant de glisser dans l’extrême pauvreté.

Notre constatation de base a été la suivante. Alors que l’impact économique de la pandémie a été partout très fort, certains continents ont eu à leur disposition des instruments leur permettant des plans de relance rapides et massifs ; cela a été vrai pour l’Europe grâce en particulier au rôle de la Banque centrale européenne, et à sa politique très forte de rachat d’actifs, qui a permis des plans de relance en Europe au total de plusieurs centaines de milliards d’euros. Cela a été vrai également pour les Etats-Unis, où la politique monétaire de la FED (Federal Reserve System) a permis au gouvernement américain de mettre en place des plans de relance dépassant les 2000 milliards.
L’Afrique, elle, ne dispose pas d’instruments équivalents et en particulier pas d’une Banque centrale continentale.
D’où l’idée de faire appel au FMI et aux Droits de tirages spéciaux (DTS) qui sont une autre façon de réinjecter des liquidités dans l’économie, cette fois au profit de tous les pays. Les DTS sont des instruments de change qui alimentent les balances des paiements et permettent ainsi aux pays concernés de financer leurs importations.

C’est certes un peu technique, mais l’essentiel c’est que, face à l’impact de la pandémie, la Communauté internationale s’est mise d’accord pour une nouvelle allocation de DTS à hauteur de 650 milliards de dollars pour les pays membres du FMI. Cette allocation qui sera juridiquement décidée par le Conseil d’administration du FMI en juin permettra aux pays africains de recevoir directement 33 milliards de dollars dès septembre 2021.

Et les pays présents au sommet se sont mis d’accord pour que, sur une base volontaire, une part significative des DTS revenant aux pays avancés profite également aux pays africains, à travers divers mécanismes en cours d’élaboration permettant notamment des prêts à taux nul.

Le Président Macron a indiqué que nous travaillons à ce que la somme des DTS qui bénéficieront à l’Afrique atteigne au moins 100 milliards de dollars.
Ceci s’ajoute à l’impact des allègements de dettes qui sont en cours de mise en œuvre dans le cadre du G20 et du Club de Paris, ainsi qu’à la prochaine reconstitution des ressources de l’AID (guichet de la Banque mondiale pour les pays à bas revenu).

DH. Tous les acteurs stratégiques étaient-ils présents lors de  ce sommet ?

Alain Le Roy. Oui, sans aucun doute. En raison de la Covid, nous n’avions pas pu inviter les 54 chefs d’Etat africains, mais la quasi-totalité des chefs d’Etat africains que nous avions invités étaient bien présents à Paris le 18 mai pour ce sommet ; il y avait notamment les Présidents d’Afrique du sud, du Sénégal, du Rwanda, du Ghana, de Côte d’Ivoire, du Nigeria, d’Egypte, et beaucoup d’autres, soit vingt-deux au total, ainsi que le Président du Conseil européen, la Présidente de la Commission européenne et plusieurs chefs de gouvernement européens. Ont de plus participé en visio les Premiers ministres japonais et canadien, les Etats-Unis, à travers la Secrétaire d’Etat au Trésor, Janet Yellen, le premier vice-Premier ministre chinois Han Zheng, et beaucoup d’autres dirigeants. Etaient bien également entendu présents à Paris la Directrice général du FMI, le Directeur général de la Banque mondiale, le Secrétaire général de l’OCDE, la directrice générale de l’OMC et de nombreux autres dirigeants d’institutions financières .

La totalité des pays qui ont participé au sommet ont approuvé la déclaration finale du sommet que l’on peut retrouver sur le site de l’Elysée (elysee.fr, rubrique agenda 18 mai) ; cette déclaration est certes très technique, mais elle est recense les différents progrès accomplis au cours du sommet.

Sommet sur le financement des économies africaines, 18 mai 2021, Elysée. ©Judith Litvine, MEAE

DH. Le financier franco-ivoirien Tidjane Thiam a déclaré que le développement de l’Afrique était d’abord et avant tout l’affaire des Africains, que l’Afrique ne demandait pas de faveur et le président du Sénégal, Macky Sall,  a ajouté qu’il fallait passer d’une logique d’assistance à une dynamique de co-construction. Du côté africain, quels sont les ingrédients indispensables d’un « New deal » gagnant ?

Alain Le Roy. Le sommet a en effet conclu à la nécessité d’une part d’une relance massive qui sera financée notamment par les DTS, comme je viens de l’indiquer, pour faire face à la crise exceptionnelle engendrée par la pandémie, et d’autre part d’un fort soutien au principal facteur de croissance endogène de l’Afrique, c’est-à-dire son très dynamique secteur privé. A été ainsi lancée au cours du sommet une Alliance pour l’entrepreneuriat en Afrique qui est une initiative destinée à réunir tous les efforts publics et privés pour renforcer le financement du secteur privé africain. C’est lui qui, dès à présent ainsi qu’à moyen et long terme, assurera une croissance durable en Afrique en attirant une part plus importante des abondants flux privés internationaux. Et pour cela le sommet a permis de progresser dans les instruments de partage du risque que mettent en place les institutions financières internationales pour que se réduisent singulièrement les taux d’intérêt des financements auxquels les pays africains ont recours.

DH. Un autre objectif  du Sommet concernait la vaccination des populations africaines qui est encore faible, même si le nombre de personnes infectées est heureusement très bas. Ou en est-on du mécanisme dit de l’accélérateur ACT et de sa facilité Covax qui doit y répondre. Il a aussi été question de la production de vaccins en Afrique et de la levée des contraintes en termes de propriété intellectuelle. A quoi est-on parvenu sur ce plan ?

Alain Le Roy. C’est évidemment une urgence que chacun a rappelé au cours du sommet. La facilité Covax, dont la France a été à l’origine avec notamment la Commission européenne, devrait permettre de vacciner 20% de la population africaine d’ici fin 2021. Avec la facilité AVATT créée par l’Union Africaine, le taux de vaccination devrait atteindre 30% d’ici la fin de l’année. Et nous examinons en ce moment diverses solutions pour parvenir à un taux de vaccination de 40% d’ici fin 2021 et 60% d’ici mi-2022.

Et la France soutient aussi fortement les initiatives en cours pour développer la production de vaccins en Afrique. Le Président Macron vient de parler de la mise en œuvre de cette initiative avec ses homologues lors de son déplacement en Afrique du sud et au Rwanda. Quant à la discussion sur la suspension, à titre exceptionnel, des droits de propriété intellectuelle, elle est en cours à l’OMC, mais le consensus n’est pas encore atteint.

Le Mali a commencé son programme de vaccination contre la Covid-19 avec la Ministre de la santé, Fanta Siby. ©UNICEF/Seyba Keïta

DH. Un autre volet du Sommet était consacré au soutien du secteur privé, surtout aux PME et TPE, dans le but de stimuler la croissance interne et de créer des millions d’emplois face à l’explosion démographique. Y a-t’-il eu des vraies avancées dans ce domaine crucial ?

Alain Le Roy. Oui, clairement. D’abord en mettant ce sujet au cœur du sommet, tant il est essentiel pour la création d’emplois pour la très nombreuse jeunesse africaine. Ensuite en lançant cette Alliance pour l’entrepreneuriat en Afrique qui peut déjà mobiliser un milliard de dollars, grâce à l’appui de la SFI (la filiale de la Banque mondiale consacrée au secteur privé), pour investir dans le secteur privé africain à la fois en fonds propres et en prêts. Et la Commission européenne est désormais elle aussi en train de développer d’importants nouveaux instruments, avec les financements associés, pour améliorer le financement de ce secteur qui jusqu’à présent avait de grandes difficultés à trouver des financements locaux. Il s’agit en particulier d’accroître le nombre des acteurs de capital-risque, de contribuer à renforcer les banques locales et les fonds africains, afin que les financements parviennent y compris aux plus petites entreprises. Le mouvement est désormais bien lancé.

DH. En complément des décisions macro économiques qui portent sur des milliards, quelle peut-être la valeur ajoutée des ONG humanitaires et/ou de développement compte tenu de leur proximité avec les populations les plus vulnérables, de leur expérience  et de leur engagement dans la durée ?

Alain Le Roy. Ce sommet qui réunissait des chefs d’Etat et des dirigeants d’organisations internationales s’est naturellement intéressé aux solutions globales, macro-économiques, compte tenu des très importants besoins de financement actuels de l’Afrique ; le FMI les chiffre ainsi à près de 300 milliards de dollars d’ici 2025. Et bien entendu seuls les chefs d’Etat peuvent décider des allocations de DTS aux montants appropriés

Mais il est évident qu’il faut des acteurs de terrain pour s’assurer que ces financements globaux indispensables bénéficient in fine aux populations locales qui en ont le plus besoin. Et pour cela, le rôle des ONG humanitaires et/ou de développement est essentiel, dans la durée, en complément du rôle des agences publiques de développement comme l’AFD. Il y a une évidente complémentarité entre les efforts des Etats qui s’intéressent au développement de l’Afrique et les efforts des ONG qui assurent le relais effectif sur le terrain et peuvent atteindre les populations les plus vulnérables.

DH. Certains commentateurs laissent entendre qu’il n’y a pas eu d’engagement ferme de l’ensemble des participants lors de ce Sommet et que le Président de la République, Emmanuel Macron, espérait maintenant un « accord » politique lors du prochain G7 ou G20. Qu’en est-il selon toi qui a préparé et participé à ce Sommet de Paris d’un bout à l’autre ?

Alain Le Roy. Il y a eu beaucoup d’engagements fermes au cours du sommet, il suffit pour cela de lire la déclaration finale du sommet, adoptée par tous les pays participants. Mais c’est vrai que nous aurions souhaité que figure dans la déclaration un chiffre précis sur le montant des DTS que les pays avancés vont réallouer aux pays africains. Le Président Macron a ainsi indiqué au cours de la conférence de presse qui a suivi le sommet que nous souhaitions que ce soient au moins 100 milliards de dollars qui parviennent à l’Afrique à partir de l’allocation de DTS, qui s’ajouteraient aux dizaines de milliards que va apporter la reconstitution de l’AID.

Ce chiffre n’a pas pu figurer dans la déclaration, car plusieurs pays comme les Etats-Unis, ne peuvent s’engager juridiquement tant que l’allocation de 650 milliards de DTS n’a pas été formellement votée par le CA du FMI. Ce vote interviendra en juin, et c’est pour cela que ce n’est qu’en octobre, lors de la réunion du G20, que les chiffres de réallocation seront rendus publics, avec les mécanismes associés sur lesquels nous travaillons.

DH. En guise de conclusion, que souhaiterais-tu ajouter ?

Alain Le Roy. Que ce sommet, malgré tous les progrès accomplis, n’est évidemment qu’une étape de ce processus destiné à donner à l’Afrique les moyens d’assurer sa croissance à long terme et d’atteindre les objectifs de développement durable. Les prochaines échéances de cette année, G7, G20, COP26 doivent également y contribuer.

Il était en tout cas très important de parvenir à ce que tous les principaux acteurs mondiaux, africains, européens, américains, canadiens, chinois, japonais,.., soient autour de la même table et s’engagent d’une part à plus de solidarité avec le continent africain et d’autre part à travailler dans un cadre multilatéral pour réduire concrètement les divergences entre les économies africaines et celles des pays les plus avancés, c’est évidemment l’intérêt de tous.

À Goma, en République démocratique du Congo, la fuite des habitants sous le feu du volcan Nyiragongo, le 27 mai 2021. ©GUERCHOM NDEBO / AFP

Plus d’informations :


Qui est Alain Le Roy ?

Alain Le Roy est Ambassadeur de France et Conseiller maître honoraire à la Cour des comptes. Il été notamment Ambassadeur de France à Madagascar et en Italie, ainsi que Secrétaire général adjoint de l’ONU, chargé des opérations de maintien de la paix, et Secrétaire général du Service européen pour l’action extérieure.