La « Journée Mondiale de l’aide Humanitaire » est célébrée tous les 19 août depuis 2008. Si les humanitaires ont fêtés cela à leur manière en mettant en œuvre les secours appropriés, les déclarations officielles n’ont pas manquées. Il nous faut d’abord les saluer car ces prises de position sont utiles pour renforcer l’impératif de solidarité avec les populations en danger. Il faut également les prendre au mot car l’aide humanitaire est-elle toujours à la hauteur des besoins et des risques des victimes de guerre, de catastrophe, d’épidémie sur fond d’extrême pauvreté ?
A l’occasion du 19 août, c’est Martin Griffiths, secrétaire général adjoint des Nations-Unies pour les affaires humanitaires, qui précise qu’aujourd’hui 303 millions d’êtres humains ont un urgent besoin d’aide humanitaire et qu’il garde un « grand espoir » malgré « les profondeurs du désespoir et de la division ». Joseph Borell et Janez Lenarcic pour la Commission Européenne saluent « …tous ceux qui travaillent en première ligne, qui risquent constamment leur vie pour en sauver d’autres et réduire les souffrances humaines ». Même le président des Etats-Unis, Joe Biden depuis la Maison-Blanche, a déclaré que les humanitaires ont « …plus que jamais besoin de notre protection et de notre soutien » et « Il est donc impératif que nous renforcions collectivement notre réponse humanitaire ». C’est Antonio Guterres, Secrétaire général de l’ONU qui a rappelé que « Très loin des projecteurs », « Envers et contre tout, souvent au péril de leur vie, les humanitaires apaisent les souffrances dans les conditions les plus dangereuses qui soient ». Il va jusqu’à dire que « Les humanitaires représentent ce que l’humanité a de meilleur ». J’ajouterai qu’il nous faut avec humilité et conviction en apporter la preuve chaque jour pour être à la hauteur de notre mission de sauver des vies !

Le thème de cette journée cette année est « il faut tout un village » entre les personnes touchées, les voisins qui s’entraident, les humanitaires locaux, nationaux et internationaux avec des compétences et capacités diverses et complémentaires. Sans oublier les services publics et les Etats car ils sont la solution durable à soutenir et promouvoir.
Cette reconnaissance ne peut pas ne pas nous questionner et nous être aussi utile auprès des opinions publiques, des gouvernements et des divers acteurs de la vie politique, économique et sociale. Mais pour réaliser notre mission humanitaire, au-delà du soutien moral de ces dirigeants, nous avons surtout besoin de mesures concrètes et de politique adaptée et exigeante de leur part.
En saluant leur déclaration, voilà ce qu’ils pourraient faire de mieux pour apporter à l’humanitaire ce dont il a besoin pour gagner en efficacité dans les secours.
L’humanitaire est fondé sur les principes d’humanité, de neutralité, d’impartialité et d’indépendance. Ceux-ci s’appliquent à tous et le partenariat entre les acteurs humanitaires et les acteurs Etatiques ou inter-étatiques doivent scrupuleusement les respecter et les appliquer. Aux humanitaires d’en montrer l’exemple les premiers dans l’action quotidienne en évitant tout risque de politisation partisane pour d’autres finalités que celle des secours impartiaux.
Au-delà de l’engagement, l’aide humanitaire ce sont des moyens pour répondre à des besoins vitaux de personnes en danger. En 2020, nous avons constaté que si les besoins humanitaires avaient augmenté rapidement, les ressources étaient restées au point mort alors qu’elles avaient connu une augmentation continue les années précédentes. C’est OCHA qui constate cette année que les besoins sont évalués à 46,3 milliards de dollars mais que seulement 15 milliards ont été mobilisés en milieu d’année ! Qu’en sera-t-il à la fin de l’année alors que l’Ukraine requiert d’immenses moyens que l’on ne peut tout de même pas retirer aux victimes d’autres crises, du Sahel au Proche-Orient.
Disons-le, le Droit International Humanitaire (DIH) est en danger d’affaiblissement, si ce n’est de remise en cause, par les Lois anti-terroristes (COTER), qui risquent d’une part de « criminaliser « les humanitaires sur les territoires où ils apportent des secours et où opèrent des groupes dits terroristes et, d’autre part, en nous imposant des obligations de criblage administratif des populations secourues. L’application mécanique et sans intelligence de ces mesures aura pour effet de faire reculer l’aide aux victimes et de mettre en danger les humanitaires. Qui prendra cette responsabilité.

De même, lors du 1er Sommet Humanitaire Mondial en mai 2016, une des décisions collectives avaient été de décider de simplifier l’administration de l’action humanitaire qui a la fâcheuse tendance de se bureaucratiser au risque d’affaiblir la réactivité, l’adaptation, l’accès, l’impact indispensables aux secours et d’en accroître le coût. Mais cela ne semble pas avoir eu lieu. Bien au contraire, la bureaucratie prospère et coûte de plus en plus cher dans tous les domaines de l’aide aux populations. Pourquoi les institutions ne font pas ce à quoi elles s’engagent publiquement ? Peut-on croire que toujours plus de bureaucratie c’est toujours mieux d’humanitaire ! Quelle est l’institution qui donnera l’exemple de la simplification vertueuse, efficace et suffisante pour tous ?
Par ailleurs, l’industrialisation de l’aide est aussi un danger au bout de la chaine humanitaire. Face aux grandes crises comme celle de la sécurité alimentaire générée par la guerre en Ukraine, il est indispensable de massifier les volumes de l’aide internationale. Mais, à l’autre bout de la chaine, l’aide doit au contraire savoir s’adapter au plus près des besoins de chaque population, des modes de vie, des capacités pour être optimisée de manière qualitative au profit des destinataires de l’aide. Dans cette voie, la diversité des acteurs et leur complémentarité est un atout majeur alors qu’un « modèle unique » conçu pour gérer d’abord du volume affaiblirait finalement l’écosystème humanitaire qui s’est construit dans le temps par une sorte d’empirisme organisateur régulièrement revisité. Comme tout le monde ne peut pas tout faire et que quelques-uns ne peuvent pas faire ce que font tous les autres, la synergie de la diversité est un atout déterminant.

Au-delà de ces messages aux dirigeant et aux institutions partenaires que sont les Nations-Unies, les Etats, la Commission Européenne et d’autres que l’on qualifie de « bailleurs » dans les ONG mais qui sont d’abord des partenaires, pour conclure, je souhaite replacer tout cela dans un cadre plus global.
Si l’humanité est une, l’humanité est aussi diversité qui mérite respect et reconnaissance. Une diversité de peuples, de pays et nations, d’Etats, de cultures, de langues, de mode de vie, de religion, de cuisine, de musique et de bien d’autres « identités » inscrite dans l’histoire. A l’inverse, la massification est l’une des caractéristiques des systèmes totalitaires ou celle d’une vision qui réduirait l’être humain au rôle exclusif de producteur et de consommateur dans un monde qui ressemblerait à un vaste supermarché.
La guerre en Ukraine, au-delà de la liberté et de l’indépendance, est aussi une guerre géopolitique mondiale qui va modifier l’ordre existant et l’équilibre du monde. Certains pensent que c’est la fin du « mondialisme », voire de « l’universalisme » et l’affirmation du localisme, des nations, des peuples, des religions et de l’histoire comme cadres d’appartenance collectif nécessaire à la gouvernance souveraine de chaque peuple et à la sécurité des communautés humaines. Si l’humanitaire a fonctionné dans le « mondialisme », il peut tout autant s’adapter à ces cadres de vie qui ont tout autant besoin d’humanitaire en temps de crise.
A condition de faire plus attention aux « autres », en particulier aux petits peuples, aux petits pays, aux cultures minoritaires qui nécessitent d’autant plus notre attention, notre respect et notre aide qu’ils sont petits et souvent l’objet de domination et de grands malheurs dans leur histoire. Dans ce contexte que l’on pourrait qualifier de « relocalisation humaine», les acteurs humanitaires peuvent et doivent aussi alerter, mobiliser et agir face à des risques globaux de plus en plus menaçants comme le changement climatique, les sécheresses et les inondations extrêmes, la raréfaction de l’eau et de la biodiversité dont l’humanité dans sa diversité à partout le plus urgent besoin pour vivre. L’humanitaire saura t’-il y contribuer, c’est là tout le défis.
Enfin, je souhaite ici remercier celles et ceux qui rendent possibles cette édition de Défis Humanitaires par leur don même modeste (faire un don). Merci.
Alain Boinet.
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