La gestion des déchets générés par l’action humanitaire

Enfants fouillant une décharge publique à Port-au-Prince, Haïti. Photo ONU/Logan Abassi. (CC BY-NC-ND 2.0)

Cet article résume l’Atelier sur la gestion des déchets produits par les actions humanitaires qui s’est tenu le 27 juin au ministère de l’Europe et des affaires étrangères avec le Centre de Crise et de Soutien (CDCS), des ONG humanitaires et des entreprises dans le cadre du Groupe de travail Climat et Humanitaire du Groupe de Concertation Humanitaire. Cet atelier a été introduit par Alexis Le Cour Grandmaison et modéré par Annie Evrard du CDCS et Aline Hubert du Groupe URD.

“Nous n’avions pas aligné notre action concrète en matière d’aide humanitaire sur nos efforts multilatéraux et sur les engagements pris dans le sillage de l’accord de Paris” – Alexis Le Cour Grandmaison, Directeur Adjoint du Centre de crise et de soutien (CDCS) 

L’impact environnemental des actions humanitaires à fait l’objet de discussions cette dernière décennie. Cependant, malgré une prise de conscience grandissante,  sur 250 projets, seulement 20% ont pour objectif principal l’environnement, d’après le CDCS. Le but et l’agenda principal de cette conférence était de définir un marqueur ‘Climat’ afin de mieux identifier, quantifier et analyser les enjeux climatiques dans l’action humanitaire. Pour comprendre comment gérer les déchets générés par l’action humanitaire, il faut en premier lieu identifier la topologie de ces déchets dans le secteur. À la suite d’un questionnaire élaboré par URD, les emballages constituent la première préoccupation, suivi par les déchets d’équipements électriques et électroniques. Les autres déchets mentionnés sont les déchets organiques, d’assainissement, de construction et médicaux. 

“Ces déchets représentent toujours des enjeux à la fois environnementaux et sanitaires” – Aline Hubert – Groupe URD 

Le questionnaire met également en lumière les pratiques actuelles dans la gestion de ces déchets et les difficultés rencontrées par les différents acteurs. La collecte des déchets est majoritairement prise en charge par des acteurs privés qui les transportent, incinèrent ou les mettent en décharge. Des difficultés liées aux coûts de traitement, au tri à la source, et au stockage sont tout de même rencontrés rendant ainsi indispensable la mise en place de solutions pérennes suivant la logique des 5R : Refuser, Réduire, Réutiliser, Recycler et Rendre à la terre.

Atelier au Centre de Crise et de Soutien du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. 2022

Réduction des déchets via des critères d’achats durables 

Les pratiques d’achat des produits destinés à l’envoi pour les missions humanitaires d’urgences jouent un rôle considérable dans la réduction des déchets et des émissions carbone. 

“Les achats représentent entre 40% et 80% des émissions carbone des missions humanitaires” – Samantha Brangeon – JointInitiative 

Il est donc nécessaire d’avoir une coordination entre les secteurs privés, ONG et les bailleurs de fonds pour encourager et élaborer des projets plus éco-responsables. Cela passe d’abord par des achats plus responsables à la fois en termes de quantité, avec une meilleure estimation et analyse des besoins nécessaires sur le terrain, et de qualité, en privilégiant des fournisseurs utilisant des matériaux recyclables, évitant les usages-uniques. Il s’agit également d’encourager la sensibilisation et les formations des employés à tous les niveaux et la mise en œuvre de réglementations et législations sur le sujet. 

“Il y a trois concepts clé pour des achats durables : une analyse du cycle de vie, du coût global de possession, qui inclut les coûts directs et indirects, et une considération de la fin de vie dès la spécification technique au moment du design des activités” – Céline Heim – Action contre la Faim 

Un achat durable fait non seulement référence au produit acheté, mais pose également la question de l’acheminement et du transport vers les zones d’urgence.   

“Dans les situations d’urgence, la priorité est la livraison à temps et pas forcément le recyclage” – Agathe Tiberghien – Alpinter 

Malgré tout, des gestes peuvent être adoptés pour tendre le plus possible vers une approche durable. Par exemple, Alpinter, designer, producteur et fournisseur majeur de matériel pour les organisations humanitaires à travers le monde, a travaillé à l’optimisation de palettes de bois mises dans des conteneurs pour transporter des produits, gagner de la place et charger davantage, réduisant de fait le nombre de camions faisant les trajets. En effet, en limitant la taille des palettes (75x117cm au lieu de 80/120cm), la capacité de chargement des conteneurs augmente de 25%, réduisant de 62 le nombre de containers envoyé par an. 

Exemple de palette 75×117 dans un container, Alpinter

Pour effectuer des achats durables, il faut donc suivre la logique des 5R et l’adapter aux différents contextes d’intervention. Cette procédure est longue mais doit être entamée afin de résoudre ces problématiques sur le long terme et ainsi combler cet angle mort de l’action humanitaire d’urgence. 

Mutualisation de la gestion des déchets 

Les efforts de mutualisation de la gestion des déchets s’inscrivent dans une double logique : la prise de conscience que les organisations font face à des difficultés similaires en termes de gestion des déchets, et que ces déchets ont un impact environnemental et social important. De ce fait, une mutualisation permet d’agir de manière plus efficace afin de minimiser ces conséquences néfastes. Cela permet aussi d’établir des normes communes, ce qui pourrait faciliter l’élaboration de projets durables à l’avenir. Face aux problèmes similaires rencontrés en matière de gestion des déchets dans le Sud Soudan, le CICR, WFP et MSF ont mutualisé leurs efforts et établi un plan d’action commun. Cette collaboration a permis d’optimiser les ressources sur place, de remettre en cause et d’améliorer les pratiques de chacun, et d’innover pour des solutions plus durables 

“Nous avons examiné toutes les pratiques utilisées actuellement par les membres d’un groupe d’initiative de mutualisation de la gestion des déchets afin établir une solution commune” – Robert Matheka – Comité International de la Croix Rouge (CICR) 

En vue d’optimiser cette mutualisation dans l’objectif d’une meilleure gestion des déchets, il est nécessaire de faire appel à des partenaires locaux qui connaissent le terrain, les règlementations administratives et les populations affectées. Ces partenariats locaux sont non seulement primordiaux pour la gestion des déchets mais peuvent aussi permettre le développement d’organisations et réseaux d’acteurs locaux. C’est en effet le cas pour Africa Ecology, une association locale créée en 2019, et partenaire principal de Réseau Logistique Humanitaire (RLH) composé de 9 ONG, au Burkina Faso. Africa Ecology a pour mission de collecter les déchets et de sensibiliser au tri et au recyclage dans le pays. Ils récupèrent environ 22 tonnes de déchets par an. En établissant un partenariat solide, le groupe RLH est devenu un acteur majeur dans le développement d’Africa Ecology.  

“Nous amenons un nombre de clients important à Africa Ecology, augmentant leur base financière ce qui leur permet de mettre en place des projets plus ambitieux et d’élargir leur gamme de services. Ils nous aident à gérer nos déchets, de la collecte et au tri, jusqu’à la valorisation des déchets des ONG membres de RLH” – Alexis Ottenwaelter – Réseau logistique Humanitaire (RLH) 

Ce partenariat a non seulement pour but la collecte des déchets, mais aussi d’alimenter le développement de cette initiative en diversifiant les types de déchets traités et en augmentant les capacités de collecte d’Africa Ecology, grâce à de nouveaux outils. RLH a aussi pour ambition de développer la valorisation des déchets collectés en encourageant la vente d’objets conçus à partir de matériaux recyclés, ainsi que d’étendre les capacités d’Africa Ecology à gérer de déchets électriques et électroniques. Cette initiative majeure s’inscrit dans une volonté de soutien aux acteurs locaux afin qu’ils développent leurs activités pour, à terme, devenir auto-suffisants. Grâce à cette approche, les spécificités du terrain, des populations et leurs problématiques respectives sont au premier plan, ce qui permet une intervention ciblée et de qualité.  

Le point commun le plus important entre les différentes actions de mutualisation des déchets dans le domaine humanitaire est la communication. En effet, la communication et la transparence entre les partenaires est nécessaire pour l’élaboration de programmes communs durables et efficaces qui répondent aux besoins sur le terrain. De plus, la communication et l’engagement des populations locales est également primordiale à court et long terme. L’information et les connaissances acquises dans le cadre d’un programme va jouer un rôle à la fois de sensibilisation et de prise de contrôle des populations, en étant directement impliqués dans les projets. 

“Le premier point d’intérêt est la communication : comment collecter les déchets, comment les stocker, comment les traiter et finalement comment les recycler. Nous avons établi un centre de formation au cœur du camps de réfugiés Cox Bazar au Bangladesh pour éduquer les personnes locales sur la gestion de leurs propres déchets électriques.” – Alban Aymes – – Schneider Electrics 

Valorisation des déchets 

La valorisation des déchets s’intègre dans le concept ‘d’économie circulaire’ qui implique d’un côté l’amélioration du comportement des consommateurs et de l’autre une adaptation de l’offre proposée par les acteurs économiques avec notamment des concepts d’achats plus durable et la conception des produits de manière éco-responsable.  

Pour une bonne valorisation il faut distinguer la production directe de déchets qui résulte des populations et les déchets directement liés à l’action humanitaire. Dans les deux cas, la typologie des déchets est déjà bien connue et ont une même priorité liée à l’impératif absolu de séparer les déchets dangereux et privilégier les achats durables et favoriser la réutilisation” – Thierry Meraud – ADEME 

La bonne valorisation des déchets nécessite l’ensemble des éléments mentionnés auparavant, à savoir une bonne communication, des partenariats solides avec des informations fiables, et une acceptation globale des communités locales. Dans une démarche en vue de développer le business environnemental afin de créer et favoriser l’emploi durable pour les populations vulnérables, GVD Afrique offre des formations professionnelles sur les activités de pré-collecte, tri et valorisation et développe les outils et équipements nécessaires à la gestion des déchets. Grâce à leur travail, GVD ont installé 100 unités de valorisation de déchets dans les pays d‘Afrique de l’Ouest et Afrique Centrale dont 49 au Niger. Leurs formations et équipements soulignent l’importance de distinguer et de tenir compte de la particularité de chaque type de déchets dans le processus de valorisation.   

« La valorisation des déchets plastiques peut être appliquée au sein des communauté dans les projets WASH, en industrie en tant qu’énergie et matière première ou secondaire et dans les villes pour la réhabilitation des infrastructures urbaines. Les déchets organiques sont majoritairement valorisés dans le secteur agricole » – Moussa Ali Dongo – GVD Niger 

La valorisation des déchets est donc possible mais n’est pas sans contraintes. En effet, la valorisation des plastiques et déchets organiques, rencontre des freins majeurs liés aux contraintes du pays. Par exemple, au Myanmar, Solidarités International intervient dans le camp de Sittwe dans l’Etat du Rakhine qui accueille 80500 déplacés Rohingyas pour traiter les 60m3 de boues générées par jours. Ce projet a commencé en 2012 en développant un système de traitement centralisé (le Sludge Treatment System) qui atteint aujourd’hui 100 000 personnes vivant dans 14 camps et utilisant 4 000 latrines. Le traitement des boues et vidange est indispensable, particulièrement dans les lieux où l’accès à l’eau et produits d’hygiène et de santé sont limités, car un mauvais traitement peut entraîner la contamination des nappes phréatiques et la propagation de maladies. Malgré une acceptation générale de la part des populations, des financements pluriannuels, des partenariats solides et la mise en place d’un laboratoire d’analyse sur place, la gestion et valorisation des boues et vidange dans le secteur agricole en compost reste une tâche complexe. 

« Au Myanmar, nous n’avons pas pu encore utiliser les boues et vidanges traitées dans l’agriculture à cause du manque de standard nationaux et un accès limité au pays. » – Alberto Acquistapace – Solidarités International 

Cela met en lumière une considération importante à tous les niveaux : le contexte dans lequel un programme est mis en place joue un rôle majeur dans la gestion des déchets générés sur le terrain. 

Centre de traitement des boues, Rakhine, Myanmar, 2018 ©Solidarités International

La gestion des déchets dans l’action humanitaire pose des questions complexes auxquelles il faut trouver des solutions rapides pour répondre aux problématiques climatiques mondiales. Cet ‘angle mort’ de l’action humanitaire provoque une réflexion plus vaste sur le secteur, notamment la nature des actions menées et leurs buts. Dans un monde où la demande d’aide humanitaire ce cesse d’augmenter et le dérèglement climatique devient critique, il est indispensable de mettre les considérations climatiques au-devant de l’action humanitaire d’urgence sans perdre de vue le but initial de notre mission : venir en aide aux personnes victimes. 

Conclusion par Alain Boinet, Solidarités International, Défis Humanitaires.

Annie Evrard m’a demandé de rappeler le chemin parcouru dans la gestion des déchets. Je me souviens de ces canaux d’alimentation en eau obstrués par les déchets, à Djibouti, à Kaboul ou encore les montagnes de sacs plastiques en Macédoine lors de la guerre au Kosovo. Il ne s’agissait pas de déchets produits par les humanitaires, mais l’accroissement accéléré de l’action humanitaire internationale a fait de la gestion de ses propres déchets une nécessité, un devoir même car il nous faut d’abord « balayer devant notre porte » et ne pas abandonner chez d’autres nos propres déchets !

Ce qui me frappe à l’issue de cet atelier, ce sont les progrès considérables réalisés par les humanitaires au travers de programmes très concrets et souvent innovants dans de multiples domaines depuis la réduction des déchets, la mutualisation de leur gestion et la valorisation de ceux-ci. La dynamique est indiscutable mais est-elle à l’échelle et au rythme des défis rencontrés ?

Cette question de l’environnement vient s’ajouter à la liste déjà longue de nos obligations qui entrainent aussi plus de lourdeur, de bureaucratie au risque de provoquer une embolie de l’action humanitaire. Restons réactifs, agiles, sobres, rustiques, résilients et surtout efficaces pour réaliser l’accès des secours aux populations en danger en tenant compte de l’environnement comme lieu de vie.

De cet atelier, je retiendrai quelques priorités parmi d’autres :

  • La valeur ajoutée du partenariat multi acteurs entre ONG humanitaires, pouvoirs publics et entreprises, chacun dans son rôle et son mandat.
  • Le rôle positif de l’innovation efficace, bon marché et facile d’emploi adaptés aux populations et pays concernés.
  • La capacité d’adaptation au cas par cas et le recours systématique aux savoirs locaux et aux capacités existantes.

Poursuivons, accélérons même, nous sommes dans la bonne voie.

Eva Miccolis 

 

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Pour aller plus loin:

 

 

L’innovation humanitaire à l’épreuve du terrain : l’exemple du purificateur d’eau Orisa

L’action humanitaire est faite d’engagement, et de réponses concrètes, sans lesquelles elle n’est que mots. Pour apporter celles-ci de façon efficiente, et répondant aux besoins des personnes secourues, les solutions techniques innovantes jouent un rôle déterminant, démultipliant le temps gagné, le nombre de personnes assistées, et l’impact de l’aide. Cette notion d’innovation est présente dans tous les domaines de notre action (sécurité alimentaire, santé, abris, résilience, etc.), et bien sûr dans celui, technique par nature, de l’EHA (Eau, Hygiène et Assainissement).

Le changement de paradigme consiste parfois, sans révolutionner la solution technique elle-même, à mettre à disposition des acteurs et bénéficiaires de terrain une réponse simple d’utilisation, fiable, adaptée à l’ensemble du spectre des interventions, de l’urgence au développement, en termes d’accès individuel, familial ou collectif, à une eau potable. C’est l’idée du purificateur d’eau Orisa proposé par la société Fonto De Vivo, co-fondée par Anthony Cailleau, spécialisé en R&D, et David Monnier, ancien humanitaire ayant travaillé pendant 14 ans sur des terrains difficiles autant que variés : Libéria, Irak, Comores, Guinée, Afghanistan… Il y a pu mesurer le besoin en moyens faciles et sûrs d’accès à l’eau pour les populations impactées par des crises sécuritaires, climatiques ou épidémiques. Le développement du purificateur Orisa s’est fait, à partir de 2017, en partenariat avec des chercheurs des universités de Nantes (où Anthony Cailleau et David Monnier se sont rencontrés, et ont décidé de fonder Fonto De Vivo) et de Vendée. Un « focus group » de six ONG françaises a été mis en place, afin de spécifier leurs besoins en termes de purification et de logistique liée. Puis un cabinet de designers nantais, et un bureau d’étude en Vendée spécialisé dans la plasturgie ont finalisé le produit, qui a commencé à être commercialisé en 2021.

Concrètement, il s’agit d’un purificateur portable et autonome, de taille modeste (42,5 x 17 x 12cm), d’un poids de 2,1 kg, fonctionnant par pompage manuel, intuitif, conforme aux directives de qualité pour l’eau de boisson de l’OMS. L’ultrafiltration se fait par des membranes en fibres creuses à travers lesquelles passe l’eau. Le purificateur est adaptable à différents types de récipients, de réservoirs, et traite les eaux de surface (puits, cours d’eau…).

Le banc d’essai, pour un outil destiné à un usage humanitaire, c’est sa mise en œuvre sur le terrain. A ce titre, l’intervention menée par l’ONG SOLIDARITES INTERNATIONAL à Djibo, au Burkina-Faso (programme d’urgence), est significative, quant au potentiel du purificateur Orisa. Le contexte particulier de la ville de Djibo, soumise à un blocus par des groupes armés, y a transformé une situation critique en urgence humanitaire. Djibo, avant même ce blocus, était impactée par la raréfaction de la ressource eau due au changement climatique, et concentrait une grande partie des déplacés au Sahel. Au 31 / 03 / 2002, selon l’organisme d’état burkinabé enregistrant les déplacés internes, on y comptait 283.428 déplacés, pour une population résidente d’environ 50.000 personnes. En janvier, les groupes armés y ont déplacé de force les habitants des villages alentour ; selon OCHA, 36.532 personnes sont arrivées en moins de deux mois. La tension sur la ressource en eau potable y était maximale. Puis le blocus a été déclaré le 17 février, en posant des mines sur les routes d’accès et en attaquant tout véhicule ou personne tentant d’entrer ou de sortir de la ville. Enfin, un sabotage, par les groupes armés, des points d’eau et infrastructures d’accès à l’eau, fut mené, entre le 21 février et le 13 mars : destruction d’un groupe électrogène du réseau de l’Office National de l’Eau et de l’Assainissement (qui alimentait 2/3 de la population), de deux des trois générateurs alimentant les stations de pompage desservant le réseau public (réduisant de 80 % la production d’eau), et de six des douze adductions à énergie solaire, mises hors service par des tirs sur les réservoirs de stockage… Selon les estimations du cluster WASH, au moins 220.000 personnes ont perdu l’accès à des sources d’eau protégées au 17/03/2022 en raison de ces attaques. La population de Djibo, comme le raconte Sébastien Batangouna, chef de chantier EHA SOLIDARITES INTERNATIONAL au Burkina Faso, « fut réduite à creuser à la main des trous de fortune dans le lit du barrage à sec, extrayant des quantités insuffisantes d’eau trouble, ou d’aller puiser dans quelques puits ou des eaux de surface stagnantes ». Par ailleurs, de nombreuses agressions de personnes allant puiser l’eau ont eu lieu. L’accès à l’eau est devenu pour les groupes armés un enjeu de pression sur la population.

Photo prise à Djibo par Sebastien Batangouna Banzouzi, chef de chantier EHA à SOLIDARITES INTERNATIONAL au Burkina FASO @SOLIDARITES INTERNATIONAL

Dans ce contexte, et dans une ville qui n’est plus reliée que par hélicoptère au reste du pays, les réponses classiques en EHA, comme l’explique Lise Florin, Coordinatrice EHA à SOLIDARITES INTERNATIONAL au Burkina Faso, ne sont plus adaptées : « Trop dangereux d’effectuer des réparations des points d’eau et des groupes électrogènes vandalisés, water-trucking inenvisageable car points d’eau inaccessibles et ravitaillement en carburant limité par le blocus, installation de bladders (réservoirs souples) écartée, car une station de traitement eut été trop visible et le pompage difficile dans des trous de fortune, enfin accès limité au barrage pour des raisons de sécurité ». Ne restait que la solution d’un traitement domiciliaire et / ou communautaire, en utilisant au besoin des sources d’eau non conventionnelles (eau de surface éparses dans la ville). Solution « discrète » et sûre, donc, qui a consisté à « détourner », pour reprendre la formule de Baptiste LECUYOT, Responsable du pôle EHA – Expertise Technique et Qualité des Programmes au siège de SOLIDARITES INTERNATIONAL, « l’usage de purificateurs normalement plus adaptés au traitement d’eau à domicile, en mettant en place des points de filtration collectifs où les gens viendraient chercher de l’eau filtrée, sans avoir à mettre en place des installations plus importantes ». 242 volontaires communautaires furent recrutés et formés, 64 points de filtrations mis en place, et une équipe mobile de 50 volontaires fut chargée d’aller sensibiliser les ménages à l’hygiène et au traitement de l’eau à domicile. A ce jour 500 purificateurs Orisa ont été déployés à Djibo par SOLIDARITES INTERNATIONAL.

Même si l’intervention de SOLIDARITES INTERNATIONAL à Djibo est toujours en cours, on peut d’ores et déjà constater que, comme le souligne Sébastien Batangouna, « La prise en main, l’utilisation, l’entretien et la réparation des purificateurs Orisa s’est révélée facile, tout comme la formation du personnel national et des journaliers ». Simplicité renforcée, comme le rappelle Lise Florin, « par les tutoriels mis à disposition sur Internet par Fonto De Vivo ». Lise Florin ajoute que, outre la discrétion et la simplicité « ces purificateurs se sont montrés plus rapides que le traitement chimique « PUR » : entre 120 L/H et 180L/H pour les filtres ORISA contre 40L/H pour le PUR. Également moins volumineux : il faut 4 fois moins de seaux de 20L pour couvrir le même nombre de bénéficiaires, le transport et le stockage sont donc facilités et moins couteux. Enfin, l’eau est de meilleure qualité pour les personnes secourues, car elle est simplement chlorée après filtration pour éviter la recontamination de l’eau dans le transport/stockage ». A Djibo, ces purificateurs ont subi une utilisation intensive, de 4 à 6 h par jour, en produisant environ chacun 100 L/H, soit 4 jours de besoins d’une famille « normale ». Bien sûr, le pompage requiert un minimum de force physique, mais, compte tenu du contexte et de l’urgence, cette réponse s’est montrée la plus pertinente, efficiente et discrète. Il faut toutefois mentionner que des cas de non-conformité (liés à un fournisseur) ont été constatés à Djibo, sur un certain nombre de purificateur Orisa. Le problème a été immédiatement reconnu par Fonto De Vivo, qui a mis en place des solutions, les purificateurs étant réparables : de nouvelles pièces (bagues) ont été testées et envoyées en express au Burkina Faso ; et, en plus du stock de membranes déjà sur place, de nouvelles sont en cours d’acheminement, afin de changer celles qui ont connu un problème (avec l’appui à distance de Fonto De Vivo, et sachant que ces membranes doivent de toute façon être changées au bout d’un certain temps d’utilisation).

SOLIDARITES INTERNATIONAL (qui avait déjà utilisé de façon limitée le purificateur Orisa au Niger dans des centres de santé), l’a également déployé en Haïti dans les écoles, et prévoit de l’utiliser au Mali pour des réponses d’urgence. Allassane Traore, coordinateur EHA Dakar, souligne d’ailleurs que cet outil est intéressant « pour les interventions auprès des populations transhumantes ou affectées par les déplacements récurrents, souvent oubliées des réponses humanitaires et particulièrement à risque sur les enjeux d’accès à l’eau potable ».

@MSF, Madagascar, avril 2022

Outre SOLIDARITES INTERNATIONAL, d’autres ONG utilisent le purificateur Orisa, comme MSF en Ukraine (dans des structures de soin) et à Madagascar (auprès de communautés). Ses très bonnes performances en filtration des bactéries (99,999999%, soit LOG 8) et virus (99,999%, soit LOG 5) en font un outil de prévention d’infections évident, mais, comme le souligne Jérôme Leglise, Référent Eau et Assainissement au Pôle Opérationnel de Support de MSF, une innovation technique spécifique a particulièrement intéressé MSF : son système de rétrolavage utilisant l’eau purifiée, limitant la contamination pendant le lavage. L’ONG médicale considère que ce purificateur est particulièrement adapté pour les missions exploratoires, les petites bases ou structures de santé isolées, les communautés spécifiques loin des réseaux urbains, et les personnes à risque (femmes enceintes, immunodéprimés, enfants en bas âge, cas de rougeole) en « kit de sortie » post consultation ou hospitalisation.

Enfin, le CDCS (Centre de crise et de soutien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères) a commandé 405 purificateurs Orisa, afin de constituer un stock de contingence permettant de répondre à de potentielles urgences (catastrophes naturelles, conflits, pandémies…).

Au final, cet outil montre que, entre pari du développement d’un produit et épreuve du terrain, l’innovation humanitaire est – aussi – une forme de prise de risque…nécessaire…

Pierre Brunet

Ecrivain et humanitaire  


Pour aller plus loin : 


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Pierre Brunet

Né en 1961 à Paris d’un père français et d’une mère espagnole, Pierre Brunet a trouvé sa première vocation comme journaliste free-lance. En 1994, il croise sur sa route l’humanitaire, et s’engage comme volontaire au Rwanda, dévasté par un génocide. Il repart début 1995 en mission humanitaire en Bosnie-Herzégovine, alors déchirée par la guerre civile. Il y assumera les responsabilités de coordinateur de programme à Sarajevo, puis de chef de mission.

A son retour en France fin 1996, il intègre le siège de l’ONG française SOLIDARITES INTERNATIONAL, pour laquelle il était parti en mission. Il y sera responsable de la communication et du fundraising, tout en retournant sur le terrain, comme en Afghanistan en 2003, et en commençant à écrire… En 2011, tout en restant impliqué dans l’humanitaire, il s’engage totalement dans l’écriture, et consacre une part essentielle de son temps à sa vocation d’écrivain.

Pierre Brunet est Vice-Président de l’association SOLIDARITES INTERNATIONAL. Il s’est rendu sur le terrain dans le Nord-Est de la Syrie, dans la « jungle » de Calais en novembre 2015, ou encore en Grèce et Macédoine auprès des migrants en avril 2016.

Les romans de Pierre Brunet sont publiés chez Calmann-Lévy :

  • Janvier 2006 : parution de son premier roman « Barnum » chez Calmann-Lévy, récit né de son expérience humanitaire.
  • Septembre 2008 : parution de son second roman « JAB », l’histoire d’une petite orpheline espagnole grandie au Maroc qui deviendra, adulte, une boxeuse professionnelle.
  • Mars 2014 : sortie de son troisième roman « Fenicia », inspiré de la vie de sa mère, petite orpheline espagnole pendant la guerre civile, réfugiée en France, plus tard militante anarchiste, séductrice, qui mourut dans un institut psychiatrique à 31 ans.
  • Fin août 2017 : sortie de son quatrième roman « Le triangle d’incertitude », dans lequel l’auteur « revient » encore, comme dans « Barnum » au Rwanda de 1994, pour évoquer le traumatisme d’un officier français à l’occasion de l’opération Turquoise.

Parallèlement à son travail d’écrivain, Pierre Brunet travaille comme co-scénariste de synopsis de séries télévisées ou de longs-métrages, en partenariat avec diverses sociétés de production. Il collabore également avec divers magazines en publiant des tribunes ou des articles, notamment sur des sujets d’actualité internationale.