Retour à Dakar sur le 9ème Forum Mondial de l’Eau.

Ouverture du 9ème Forum Mondial de l’Eau à Dakar 2022.

L’eau au cœur des enjeux géopolitiques.

Si le Forum Mondial de l’Eau n’existait pas, il faudrait l’inventer ! 25 ans après sa 1ère édition à Marrakech au Maroc, à côté des Agences des Nations-Unies qui ont un rapport avec l’eau, le FME a la particularité de rassembler tous les 3 ans au niveau international, les acteurs de l’eau dans leur diversité sur une multitude de sujets dont l’eau est le dénominateur commun.

En introduction du Forum au Dakar Arena, le Président du Sénégal, Macky Sall a d’emblée posé le diagnostic stratégique : « Ce 9ème Forum Mondial de l’Eau nous donne l’occasion de sonner l’alerte sur la gravité de la situation afin que les questions liées à l’eau restent au cœur de l’agenda international. Il y va de la vie et de la santé de milliards d’individus à travers le monde. Mais également de la préservation de la paix et de la sécurité internationale ».

De même, le Président du Conseil Mondial de l’Eau, Loïc Fauchon, co-organisateur du Forum avec le Sénégal, a mis la barre très haute en proposant l’inscription du droit d’accès à l’eau dans toutes les constitutions. Et d’y ajouter la création d’un « Fonds bleu » issu du financement du climat « un véritable Fonds International pour la Sécurité de l’Eau ».

Du 21 au 25 mars, plus de 4000 participants, venus du monde entier et en particulier de l’Afrique, se sont impliqués dans une centaine de sessions officielles, une vingtaine de panels de haut niveau, une multitude d’événements sur les stands des pays, des entreprises ou organisations et tout au long du Village Africain et du parcours de l’assainissement au Centre de Conférence Internationale de Diamniadio, situé entre l’aéroport international et Dakar.

Plusieurs caractéristiques de ce Forum répondaient bien aux attentes des humanitaires pour qui l’eau est l’une des réponses majeures aux besoins vitaux des populations, tout comme la sécurité alimentaire, les abris, la santé, la protection.

D’abord, c’était le 1er Forum en Afrique sub-saharienne, là où l’accès à l’eau et à l’assainissement manque cruellement le plus et là où les conflits sont les plus nombreux. Ensuite, parce que Dakar est une plateforme régionale pour toute l’Afrique de l’Ouest et du Centre ou l’on retrouve tous les grands acteurs humanitaires. Ensuite, le thème du Forum sur « La sécurité de l’eau pour la paix et le développement » problématisait bien l’urgence humanitaire de l’eau, l’assainissement et l’hygiène. Enfin, nous étions en accord avec le choix du Forum de se concentrer sur des réponses et des solutions concrètes.

Un Forum ou l’humanitaire avait sa place.

Intervention WASH de Solidarités International au Burkina Faso

Il n’est bien sûr pas possible d’établir ici un compte-rendu de ce Forum qui a traité aussi bien de la sécurité de l’eau que des outils et des financements, de l’eau pour l’agriculture comme de la coopération. Disons que les Sénégalais ont relevé pour l’essentiel avec succès un défi malgré quelques difficultés inhérentes à ce type d’évènement.

Ces conditions humanitaires favorables ont eu pour effet de générer au moins une douzaine de sessions officielles, de panels de haut niveau et d’événements dédiés spécifiquement aux situations humanitaires. Qu’il s’agisse de l’eau et la santé avec Action Contre la Faim, l’assainissement avec le Secours Islamique France, les plates-formes collaboratives, le financement, la protection de l’eau et des infrastructures d’eau pendant les conflits armés avec le Geneva Water Hub (GWH), la coordination des acteurs avec le Global Wash Cluster (GWC), le Field Support Team avec Jean Lapegue, et enfin le Nexus urgence-développement ou Nex’Eau avec Solidarités International.  Nous aurons même eu une réunion en direct depuis Dakar avec Sébastien Truffaut, responsable du Global Wash Cluster-UNICEF en Ukraine à Lviv.

Prenons un exemple de session humanitaire pour illustrer ce qu’a été ce Forum en rappelant qu’il y a eu 100 sessions analogues sur 5 jours avec une grande diversité de sujets sélectionnés et validés tout au long d’un processus de concertation qui aura débuté en avril 2019 à Diamniadio lors d’une réunion de lancement ou kick-off meeting et qui aura impliqué un milliers d’acteurs pour sa préparation.

La première des 100 sessions (1.A.1) était intitulé « La sécurité de l’eau, de l’urgence au développement, en situation de crise ». C’était d’ailleurs la seule ou le terme « situation de crise » apparaissait. Si je le détaille ici, c’est parce que cette session dit beaucoup de l’évolution de l’humanitaire comme de ce Forum.

Intervenants de la session 1.A.1 (de gauche à droite : Richard Bassono (GRET), Luc Soenen (ECHO), Cristal Ntchantchou (SI Burkina Faso), Martina Rame (Coordinatrice Cluster Wash –UNICEF- Burkina Faso), Alain Boinet (SI), Marc-André Bûnzli (Coopération Suisse – DDC-SDC), Guillaume Pierrehumbert (CICR Genève), Bram Riems (ACF), Baptiste Lecuyot (SI), Renaud Piarroux à distance (professeur de médecine).)

Cette session de 90 minutes que j’ai modéré et qui a été préparé par Baptiste Lecuyot, responsable du pôle eau-assainissement-hygiène de Solidarités International, comportait 4 parties. La présentation d’une vidéo sur la situation des déplacés toujours plus nombreux au Burkina Faso (de 47.000 en 2018 à 1.700.000 lors du Forum) dans laquelle Allassane Traoré, responsable EAH/Wash de Solidarités International pour la région, présente la problématique des besoins tout à la fois urgents et structurels. Ensuite, Baptiste Lecuyot nous a présenté un état des lieux et des enjeux soulevant la question de l’atteinte de l’Objectif 6 des ODD dans les situations de crise et la raison d’être d’une réponse de type Nexus urgence-développement.

La seconde partie comportait 2 volets. Un premier dédié à l’urgence dans les situations de lutte contre les épidémies du type choléra en situation de crise avec une présentation du Professeur Renaud Piarroux (Hôpital La Pitie Salpêtrière à Paris), suivie par Bram Riems, responsable senior chez ACF, pour la réponse opérationnelle.

L’autre volet présentait un projet pilote multi-acteurs (public-privé et humanitaire-développement) de soutien aux services publics pour l’eau de l’ONEA au Burkina Faso en réponse aux besoins des déplacés toujours plus nombreux et vivants parmi les populations locales. C’est Cristal Ntchantchou, de Solidarités International, et Ousmane Pitroipa, responsable ONEA pour l’eau au Burkina Faso, avec la contribution de Richard Bassono du GRET, qui ont présenté le mode d’organisation et de fonctionnement de ce projet d’une durée de 2 ans et d’un budget de 4 millions d’euros qui vise à soutenir l’ONEA à répondre à des besoins exponentiels dans un contexte d’insécurité.

Enfin, nous avons abordé la question des financements et de la coordination des acteurs. Luc Soenen de la DG ECHO de la Commission Européenne à Dakar et Marc-André Bünzli du SDC (Coopération Suisse au Développement) étaient bien placé pour traiter de l’ingénierie financière, de même que Martina Rama, coordinatrice du cluster EAH, et Guillaume Pierrehumbert, responsable de l’unité Eau et Habitat du CICR, pour la mise en œuvre intégrée de projet ou la multiplicité des acteurs et leur diversité est tout à la fois un atout mais également une difficulté.

Cette session marque tout à la fois une évolution de l’action humanitaire pour mieux répondre aux besoins face à la complexité des situations de crise tout autant qu’une ouverture positive du Forum pour présenter ces crises qui se déroulent près de nous, du Sahel à l’Ukraine, et non sur une autre planète.

Le Partenariat Français Pour l’Eau.

Parmi les participants, il nous faut ici saluer l’action sans faille du Partenariat Français pour l’Eau (PFE) dont le stand a accueilli quelques 300 acteurs français et leurs partenaires internationaux avec des sessions de qualité en continu sur l’Agora prévu à cet effet.

Le président du PFE, Jean Launay, la directrice générale, Marie-Laure Vercambre, Philippe Guettier et toute leur équipe ont été sur le pont d’un bout à l’autre de ces longues journées toute la semaine. A leurs côtés, la présence et l’implication de la Secrétaire d’Etat, Bérangère Abba, a témoigné de l’intérêt et de l’implication des autorités françaises pour promouvoir la cause de l’eau et de l’assainissement en vue de la Conférence des Nations-Unies dans un an à New-York.

De droite à gauche Marie-Laure Vercambre, Jean Launay, Bérangère Abba, Gérard Payen et Patrick Lavarde.

La clôture de ce 9ème Forum Mondial de l’Eau de Dakar a été l’occasion d’une « Déclaration de Dakar » proposant « Un Blue deal pour la sécurité de l’eau et de l’assainissement pour la paix et le développement ». C’est une excellente initiative et nous n’avons rien à retirer de ce qui y est écrit.

Mais je ne sais pas si le langage onusien tenu est le plus adapté pour se faire entendre car il a généralement pour effet de tout affadir, diluer et banaliser au moment ou au contraire, il convient d’opérer un sursaut pour sauver l’Objectif 6 des ODD qui ne sera pas atteint en 2030 au rythme actuel malgré les engagements pris en 2015 !

Il est toutefois précisé dans cette « déclaration de Dakar » qu’il faut considérer « les résultats des travaux de ce présent Forum comme un complément à cette déclaration ». Retenons également qu’en conclusion le Forum a appelé à atteindre l’Objectif 6 pour un accès universel à l’eau et à l’assainissement « y compris dans les situations de crise ».

Et maintenant que fait-on ?

Le 9ème Forum Mondial de l’Eau constituait, après les dialogues sur l’eau organisés par l’Allemagne en juillet 2021, l’un des cinq jalons préparatoires de la conférence des Nations-Unies sur l’eau de mars 2023, coorganisé par le Tadjikistan et les Pays-Bas.

Les prochains jalons sont autant de rendez-vous majeurs à relever et réussir lors du Sommet sur l’eau Asie-Pacifique au Japon, lors du symposium de haut niveau sur l’eau en marge de la conférence onusienne sur les océans au Portugal et, enfin, lors de la Conférence de Haut niveau de Douchanbé au Tadjikistan. Autant dire que l’agenda est chargé d’ici cette Conférence mais qu’il offre autant d’opportunités décisives pour remettre l’ODD 6 dans la bonne trajectoire.

La feuille de route est claire pour les acteurs de l’eau. Nul doute que le Partenariat Français pour l’Eau (PFE) et les autorités françaises, de même que dans les autres pays, seront des partenaires stratégiques pour se rendre ensemble à l’ONU en mars 2023 afin que les engagements pris en 2015 soient tenus. Pour cela il faudra renforcer la gouvernance nécessaire et les moyens indispensables qui manquent mobilisés par une volonté politique collective.

Alain Boinet.

 

Pour aller plus loin : 

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9e Forum Mondial de l’Eau à Dakar : en route pour 2023

Par Marine Collignon, cheffe du pôle eaux, pollutions et affaires transversales, Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères

et Eugénie Avram, experte eau, assainissement, gestion intégrée des ressources (DGM/DDD/CLEN), MEAE

Kick-off meeting du 9ème Forum Mondial de l’Eau @FME

Les Forums mondiaux de l’eau, organisés tous les trois ans, sont des évènements majeurs du calendrier international. La 9e édition organisée par le Sénégal et accueillie à Dakar en mars 2022 revêt cependant une importance particulière. Les résultats du Forum 2022 contribueront directement à la préparation de la Conférence onusienne sur l’eau de 2023, la première organisée sous l’égide des Nations unies depuis 1977


La 9e édition du Forum mondial de l’eau à Dakar est inédite à plus d’un titre. Premier Forum organisé en Afrique subsaharienne, elle sera l’occasion de mettre l’accent sur les problématiques spécifiques rencontrées par les pays africains et d’identifier des solutions adaptées. Cette édition se tiendra par ailleurs dans le contexte de la pandémie de la COVID-19 qui a mis en lumière les conséquences du manque d’accès à l’hygiène, à l’assainissement et à l’eau potable qui concerne 30 % de la population mondiale, dont 70 % située en Afrique subsaharienne. Ce Forum s’inscrit enfin dans une séquence multilatérale marquée par la préparation de la revue à mi-parcours de la décennie pour l’eau et le développement et de la première conférence onusienne sur l’eau (New York, 22-24 mars 2023) organisée sous l’égide des Nations unies depuis 1977.

Le 9e Forum mondial de l’eau constitue en effet le deuxième des cinq jalons préparatoires de la conférence onusienne sur l’eau, co-organisée par le Tadjikistan et les Pays-Bas1, après les dialogues sur l’eau de Bonn organisés par l’Allemagne en juillet 2021. Il sera suivi par le sommet sur l’eau Asie-Pacifique (Japon), le symposium de haut niveau sur l’eau en marge de la conférence onusienne sur les océans (Portugal, juin 2022) et la conférence de haut niveau de Douchanbé (Tadjikistan).

Pour la France, l’un des enjeux principaux est de s’assurer de l’appropriation par la communauté internationale du cadre d’accélération pour la réalisation du 6e Objectif de développement durable (ODD6) lancé en 2020 par l’ONU-eau, notamment à travers l’approfondissement et l’opérationnalisation des messages élaborés dans le cadre des dialogues sur l’eau de Bonn. La cohérence et la complémentarité des différents évènements préparatoires sont en effet l’une des conditions de réussite de la future conférence onusienne sur l’eau. À cet égard, le thème choisi par le Sénégal pour le Forum – la sécurité de l’eau et de l’assainissement pour la paix et le développement – et l’attention particulière portée aux solutions de terrain, semblent particulièrement pertinents pour embrasser l’ensemble des problématiques du secteur de l’eau et de l’assainissement, pour lequel la communauté internationale devra prendre des engagements à la hauteur des enjeux. Car c’est bien le défi de cette conférence onusienne : faire un point d’étape, s’engager et agir pour que l’accès universel à l’eau et l’assainissement et la gestion durable des ressources soient effectifs d’ici à 2030.

Fadimata Walet Alitini, utilise la latrine d’urgence que Solidarités International a offert au site des déplacés Dag wantada commune de Doukouria dans le cercle de Goundam au Mali Décembre 2021. @Solidarités International

Nous savons que les stratégies déployées jusqu’à maintenant sont insuffisantes. Près de 2,2 milliards de personnes restent privées d’eau potable, plus de la moitié de la population mondiale n’a pas accès à des services d’assainissement adéquats et ne dispose d’aucune installation pour se laver les mains (OMS, UNICEF). En parallèle, près de la moitié de la population mondiale est touchée par des pénuries d’eau sévères, un chiffre qui atteindrait 5 milliards en 2050 (ONU). Dans ce contexte, l’ONU estime qu’il faudrait quadrupler les investissements dans le secteur pour atteindre les 18 cibles de l’Agenda 2030 liées à l’eau dont dépendent tant d’autres enjeux tels que la paix et la sécurité, la santé publique, la sécurité alimentaire et nutritionnelle, l’énergie, le développement économique, la lutte contre le changement climatique et la dégradation de la biodiversité. Face à ces constats, il semble indispensable que la communauté internationale et l’ensemble des acteurs se mobilisent.

C’est pourquoi, la France, en ligne avec sa stratégie internationale pour l’eau et l’assainissement (2020-2030)2, plaide pour que la communauté internationale se saisisse de cette opportunité unique pour renforcer le dialogue multilatéral et encourage les décideurs politiques et l’ensemble des acteurs et secteurs d’activités à s’engager résolument en faveur de la réalisation du droit humain à l’eau et l’assainissement et d’un renforcement de la gestion intégrée et concertée à l’échelle des bassins versants, y compris transfrontaliers. L’amélioration de la gouvernance du secteur à toutes les échelles, la sécurisation des ressources dans le contexte actuel de changement climatique, et le renforcement des connaissances et des moyens dédiés au secteur sont des enjeux cruciaux que la France est résolue à porter dans le cadre de la conférence de 2023 et au-delà.

1 Voir la résolution A/RES/75/212 adoptée le 21 décembre 2020 par l’Assemblée Générale des Nations unies

2 eau_fr_web_cle07e783.pdf (diplomatie.gouv.fr) (version française)

Article publié dans la Baromètre 2022 de l’eau, l’assainissement et l’hygiène publié par Solidarités International. 

Baromètre 2022 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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