
L’eau au cœur des enjeux géopolitiques.
Si le Forum Mondial de l’Eau n’existait pas, il faudrait l’inventer ! 25 ans après sa 1ère édition à Marrakech au Maroc, à côté des Agences des Nations-Unies qui ont un rapport avec l’eau, le FME a la particularité de rassembler tous les 3 ans au niveau international, les acteurs de l’eau dans leur diversité sur une multitude de sujets dont l’eau est le dénominateur commun.
En introduction du Forum au Dakar Arena, le Président du Sénégal, Macky Sall a d’emblée posé le diagnostic stratégique : « Ce 9ème Forum Mondial de l’Eau nous donne l’occasion de sonner l’alerte sur la gravité de la situation afin que les questions liées à l’eau restent au cœur de l’agenda international. Il y va de la vie et de la santé de milliards d’individus à travers le monde. Mais également de la préservation de la paix et de la sécurité internationale ».
De même, le Président du Conseil Mondial de l’Eau, Loïc Fauchon, co-organisateur du Forum avec le Sénégal, a mis la barre très haute en proposant l’inscription du droit d’accès à l’eau dans toutes les constitutions. Et d’y ajouter la création d’un « Fonds bleu » issu du financement du climat « un véritable Fonds International pour la Sécurité de l’Eau ».
Du 21 au 25 mars, plus de 4000 participants, venus du monde entier et en particulier de l’Afrique, se sont impliqués dans une centaine de sessions officielles, une vingtaine de panels de haut niveau, une multitude d’événements sur les stands des pays, des entreprises ou organisations et tout au long du Village Africain et du parcours de l’assainissement au Centre de Conférence Internationale de Diamniadio, situé entre l’aéroport international et Dakar.
Plusieurs caractéristiques de ce Forum répondaient bien aux attentes des humanitaires pour qui l’eau est l’une des réponses majeures aux besoins vitaux des populations, tout comme la sécurité alimentaire, les abris, la santé, la protection.
D’abord, c’était le 1er Forum en Afrique sub-saharienne, là où l’accès à l’eau et à l’assainissement manque cruellement le plus et là où les conflits sont les plus nombreux. Ensuite, parce que Dakar est une plateforme régionale pour toute l’Afrique de l’Ouest et du Centre ou l’on retrouve tous les grands acteurs humanitaires. Ensuite, le thème du Forum sur « La sécurité de l’eau pour la paix et le développement » problématisait bien l’urgence humanitaire de l’eau, l’assainissement et l’hygiène. Enfin, nous étions en accord avec le choix du Forum de se concentrer sur des réponses et des solutions concrètes.
Un Forum ou l’humanitaire avait sa place.

Il n’est bien sûr pas possible d’établir ici un compte-rendu de ce Forum qui a traité aussi bien de la sécurité de l’eau que des outils et des financements, de l’eau pour l’agriculture comme de la coopération. Disons que les Sénégalais ont relevé pour l’essentiel avec succès un défi malgré quelques difficultés inhérentes à ce type d’évènement.
Ces conditions humanitaires favorables ont eu pour effet de générer au moins une douzaine de sessions officielles, de panels de haut niveau et d’événements dédiés spécifiquement aux situations humanitaires. Qu’il s’agisse de l’eau et la santé avec Action Contre la Faim, l’assainissement avec le Secours Islamique France, les plates-formes collaboratives, le financement, la protection de l’eau et des infrastructures d’eau pendant les conflits armés avec le Geneva Water Hub (GWH), la coordination des acteurs avec le Global Wash Cluster (GWC), le Field Support Team avec Jean Lapegue, et enfin le Nexus urgence-développement ou Nex’Eau avec Solidarités International. Nous aurons même eu une réunion en direct depuis Dakar avec Sébastien Truffaut, responsable du Global Wash Cluster-UNICEF en Ukraine à Lviv.
Prenons un exemple de session humanitaire pour illustrer ce qu’a été ce Forum en rappelant qu’il y a eu 100 sessions analogues sur 5 jours avec une grande diversité de sujets sélectionnés et validés tout au long d’un processus de concertation qui aura débuté en avril 2019 à Diamniadio lors d’une réunion de lancement ou kick-off meeting et qui aura impliqué un milliers d’acteurs pour sa préparation.
La première des 100 sessions (1.A.1) était intitulé « La sécurité de l’eau, de l’urgence au développement, en situation de crise ». C’était d’ailleurs la seule ou le terme « situation de crise » apparaissait. Si je le détaille ici, c’est parce que cette session dit beaucoup de l’évolution de l’humanitaire comme de ce Forum.

Cette session de 90 minutes que j’ai modéré et qui a été préparé par Baptiste Lecuyot, responsable du pôle eau-assainissement-hygiène de Solidarités International, comportait 4 parties. La présentation d’une vidéo sur la situation des déplacés toujours plus nombreux au Burkina Faso (de 47.000 en 2018 à 1.700.000 lors du Forum) dans laquelle Allassane Traoré, responsable EAH/Wash de Solidarités International pour la région, présente la problématique des besoins tout à la fois urgents et structurels. Ensuite, Baptiste Lecuyot nous a présenté un état des lieux et des enjeux soulevant la question de l’atteinte de l’Objectif 6 des ODD dans les situations de crise et la raison d’être d’une réponse de type Nexus urgence-développement.
La seconde partie comportait 2 volets. Un premier dédié à l’urgence dans les situations de lutte contre les épidémies du type choléra en situation de crise avec une présentation du Professeur Renaud Piarroux (Hôpital La Pitie Salpêtrière à Paris), suivie par Bram Riems, responsable senior chez ACF, pour la réponse opérationnelle.
L’autre volet présentait un projet pilote multi-acteurs (public-privé et humanitaire-développement) de soutien aux services publics pour l’eau de l’ONEA au Burkina Faso en réponse aux besoins des déplacés toujours plus nombreux et vivants parmi les populations locales. C’est Cristal Ntchantchou, de Solidarités International, et Ousmane Pitroipa, responsable ONEA pour l’eau au Burkina Faso, avec la contribution de Richard Bassono du GRET, qui ont présenté le mode d’organisation et de fonctionnement de ce projet d’une durée de 2 ans et d’un budget de 4 millions d’euros qui vise à soutenir l’ONEA à répondre à des besoins exponentiels dans un contexte d’insécurité.
Enfin, nous avons abordé la question des financements et de la coordination des acteurs. Luc Soenen de la DG ECHO de la Commission Européenne à Dakar et Marc-André Bünzli du SDC (Coopération Suisse au Développement) étaient bien placé pour traiter de l’ingénierie financière, de même que Martina Rama, coordinatrice du cluster EAH, et Guillaume Pierrehumbert, responsable de l’unité Eau et Habitat du CICR, pour la mise en œuvre intégrée de projet ou la multiplicité des acteurs et leur diversité est tout à la fois un atout mais également une difficulté.
Cette session marque tout à la fois une évolution de l’action humanitaire pour mieux répondre aux besoins face à la complexité des situations de crise tout autant qu’une ouverture positive du Forum pour présenter ces crises qui se déroulent près de nous, du Sahel à l’Ukraine, et non sur une autre planète.
Le Partenariat Français Pour l’Eau.
Parmi les participants, il nous faut ici saluer l’action sans faille du Partenariat Français pour l’Eau (PFE) dont le stand a accueilli quelques 300 acteurs français et leurs partenaires internationaux avec des sessions de qualité en continu sur l’Agora prévu à cet effet.
Le président du PFE, Jean Launay, la directrice générale, Marie-Laure Vercambre, Philippe Guettier et toute leur équipe ont été sur le pont d’un bout à l’autre de ces longues journées toute la semaine. A leurs côtés, la présence et l’implication de la Secrétaire d’Etat, Bérangère Abba, a témoigné de l’intérêt et de l’implication des autorités françaises pour promouvoir la cause de l’eau et de l’assainissement en vue de la Conférence des Nations-Unies dans un an à New-York.

La clôture de ce 9ème Forum Mondial de l’Eau de Dakar a été l’occasion d’une « Déclaration de Dakar » proposant « Un Blue deal pour la sécurité de l’eau et de l’assainissement pour la paix et le développement ». C’est une excellente initiative et nous n’avons rien à retirer de ce qui y est écrit.
Mais je ne sais pas si le langage onusien tenu est le plus adapté pour se faire entendre car il a généralement pour effet de tout affadir, diluer et banaliser au moment ou au contraire, il convient d’opérer un sursaut pour sauver l’Objectif 6 des ODD qui ne sera pas atteint en 2030 au rythme actuel malgré les engagements pris en 2015 !
Il est toutefois précisé dans cette « déclaration de Dakar » qu’il faut considérer « les résultats des travaux de ce présent Forum comme un complément à cette déclaration ». Retenons également qu’en conclusion le Forum a appelé à atteindre l’Objectif 6 pour un accès universel à l’eau et à l’assainissement « y compris dans les situations de crise ».
Et maintenant que fait-on ?
Le 9ème Forum Mondial de l’Eau constituait, après les dialogues sur l’eau organisés par l’Allemagne en juillet 2021, l’un des cinq jalons préparatoires de la conférence des Nations-Unies sur l’eau de mars 2023, coorganisé par le Tadjikistan et les Pays-Bas.
Les prochains jalons sont autant de rendez-vous majeurs à relever et réussir lors du Sommet sur l’eau Asie-Pacifique au Japon, lors du symposium de haut niveau sur l’eau en marge de la conférence onusienne sur les océans au Portugal et, enfin, lors de la Conférence de Haut niveau de Douchanbé au Tadjikistan. Autant dire que l’agenda est chargé d’ici cette Conférence mais qu’il offre autant d’opportunités décisives pour remettre l’ODD 6 dans la bonne trajectoire.
La feuille de route est claire pour les acteurs de l’eau. Nul doute que le Partenariat Français pour l’Eau (PFE) et les autorités françaises, de même que dans les autres pays, seront des partenaires stratégiques pour se rendre ensemble à l’ONU en mars 2023 afin que les engagements pris en 2015 soient tenus. Pour cela il faudra renforcer la gouvernance nécessaire et les moyens indispensables qui manquent mobilisés par une volonté politique collective.
Alain Boinet.
Pour aller plus loin :
- Partenariat Français pour l’Eau (PFE)
- barometre-eau-2022-solidarites-international.pdf
- L’Appel de Dakar adopté à l’issue du Forum et soumis comme contribution à la Conférence des Nations unies sur l’eau en 2023
- Le bulletin du Forum du lundi 21 mars, résumant l’allocution du Président de la république du Sénégal et la remise du Grand Prix mondial Hassan II de l’eau à l’Organisation pour la mise en valeur du Fleuve Sénégal.
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