Syrie : la médecine en première ligne

Entretien 2ème partie

La malnutrition fait des ravages chez les enfants sous alimentés ©ECHO

Entretien avec le Docteur Ziad Alissa, cofondateur et Président de l’UOSSM France et le professeur Raphaël Pitti, Responsable formation de l’UOSSM France par Pierre Brunet.


Pierre Brunet : Revenons sur la situation avec le Covid, abordée en première partie de cette interview par le professeur Pitti. Quelle a été l’action de l’UOSSM France ? Je sais que vous avez commencé à faire des formations spéciales Covid à partir de juin dernier. Vous avez mis en place 13 centres d’isolement. Vous apportez une aide aux structures de santé. Pouvez-vous développer cette aide d’urgence liée au Covid en Syrie ?

Ziad Alissa : Pour le Covid en Syrie, il n’y avait pas de structures spécialisées. Déjà il y a un manque de tout sur le plan médical. Avec le Covid, les choses se sont compliquées un peu plus. Nous avons essayé quand même, sachant que les autorités locales n’ont pas pu mettre en place le confinement ni la distanciation sociale. Donc nous avons mis en place des centres d’isolement, pour les gens fragiles, les gens à risque. Ils sont envoyés dans ces centres afin que l’on puisse mieux les soigner, parce que nous n’arrivions pas à les confiner comme il le fallait. Les gens ne peuvent pas s’isoler chez eux. On ne peut pas demander à quelqu’un qui a le Covid ou qui est cas contact de rester chez lui alors qu’on sait que chez lui toute sa famille est là. Comment parler d’isolement dans une tente, où il y a 15-20 personnes sous le même toit, ou lorsqu’il y a 4-5 familles dans chaque maison ? Il n’y a pas de chambres individuelles pour les personnes. Nous avons donc remplacé le confinement par des centres d’isolement, et dans ces centres il y a des zones pour les cas de Covid confirmé, et des zones pour les cas contact. Et c’est là où l’on soigne les gens. C’est un confinement à l’envers, en mettant à disposition tout ce qu’il faut : des masques, des gants, du matériel, de l’oxygène, les médicaments… Avec en plus une difficulté, qui est que c’est déjà difficile de faire rentrer les vaccins, et que malgré l’arrivée de la vaccination, il y a quand même un refus de vaccin, et une difficulté logistique pour vacciner tout le monde. Malgré toutes les campagnes, nous n’avons pas réussi à vacciner beaucoup de gens. Seulement 3% des personnes sont vaccinées au Nord-ouest de la Syrie, et le Covid risque d’exploser. Il y a beaucoup de complications, de morts. Nous essayons quand même d’informer les gens, en utilisant tous les moyens sur place, sur le risque du Covid, sur l’intérêt de l’isolement, sur l’intérêt de se faire vacciner. Après nous avons mis en place cette première formation Covid à Raqqa avec le Pr Raphael Pitti. C’était une première à Raqqa, de former des soignants à la prise en charge des cas sévères de Covid-19.

Raphaël Pitti : il faut savoir que le pays est complètement fermé, ils ont internet dans certaines zones et peuvent chercher les informations que l’on peut trouver sur internet par rapport au Covid.  Pour nous aussi, lors de la première vague dans les hôpitaux, nous avons été confrontés à une pathologie que personne ne connaissait et nous ne savions pas non plus comment nous devions la traiter. Nous avons été amenés à être en veille scientifique permanente, par les webinaires, chaque jour, en essayant de nous confronter les uns aux autres, de suivre les recommandations émises par les sociétés savantes, etc. Donc lors de la deuxième vague nous étions beaucoup plus aguerris pour prendre en charge cette maladie. Nous la connaissions mieux, nous savions les risques qu’elle pouvait occasionner et nous étions à même d’y répondre. Les personnels soignants syriens, eux, sont sans aucune formation médicale continue depuis dix ans… Dix ans qu’ils n’ont pas participé à des congrès, qu’ils n’ont pas fait évoluer leur formation. Il nous a semblé important d’essayer de refaire le point avec eux et nous avons organisé ces formations sur la zone d’Idleb en particulier. Nous l’avons fait par Zoom avec eux, en leur expliquant le génie évolutif de cette maladie, la manière dont il fallait prendre en charge les patients. Sur la zone de Raqqa, nous sommes allés sur place pour les rencontrer, mettre en place cette formation avec l’idée qu’il y ait deux centres anti-Covid qui puissent ouvrir, en s’appuyant sur ces médecins. Sur les vingt que nous avons formés, nous en avons sélectionnés dans chaque centre, pour assurer la prise en charge des patients Covid. Nous avons aussi fait une formation pour les sage-femmes : avec un collègue obstétricien, le docteur Zouhair Lahna, nous sommes allés dans notre centre de formation à Dêrik et nous avons réuni des sage-femmes pour les remettre à niveau, leur apporter les nouvelles recommandations sur des complications au premier trimestre, deuxième trimestre, troisième trimestre de la grossesse et la réanimation des nouveau-nés à la naissance. C’était vraiment important et elles en ont senti le besoin, de se dire « ben non ce n’est plus comme ça qu’on soigne, voilà comment on procède ». Quand nous avons rencontré le Commissaire européen à l’aide humanitaire, nous lui avons dit « la situation sur le plan de la guerre est un peu plus calme, du fait que le régime a réoccupé 60% du territoire, à part la zone d’Idleb et la zone du Nord-Est qui sont soumises encore à la violence, aux bombardements, et il est peut-être temps de réhabiliter un service de santé en Syrie, de pouvoir prendre en charge des pathologies chroniques, de refaire de la médecine préventive, de lancer des campagnes de vaccination de grande ampleur.

Bombardement, attentat, mine ? Cet enfant a perdu ses 2 jambes ©UOSSM

Il faut réhabiliter les structures sanitaires pour répondre au-delà de l’urgence, car nous ne faisons que répondre à l’urgence du quotidien ». Et aujourd’hui les subventions commencent à baisser, et on nous dit « Ecoutez, vous avez moins besoin d’argent, il y a beaucoup plus de situations difficiles au Yémen etc, la crise économique à laquelle nous sommes confrontés diminue les subventions internationales » alors même que nous essayons d’expliquer que nous avons besoin aujourd’hui de beaucoup plus d’argent qu’en 2012, car la situation n’a pas arrêté de se détériorer. Pour en apporter la preuve, nous avons décidé de lancer une enquête de santé publique dans les camps de réfugiés qui existent depuis dix ans, dans lesquels il y a des enfants de 4-6 ans, des enfants qui sont nés dans ces camps, qui n’ont pas de suivi sanitaire. Si vous entrez dans un camp de réfugiés en Syrie, aucun enfant de 4-6 ans ne porte de lunettes ! Et nous avions déjà des problèmes dentaires liés à la dénutrition, énormément de caries chez ces enfants, du fait de leur alimentation surtout faite de sucres, avec très peu de légumes verts capables d’apporter les oligo-éléments dont ils ont besoin. Ce sera une enquête complète pour faire le point sur leurs besoins sanitaires et pouvoir, à partir de là, en fonction des résultats, alerter la communauté internationale, alerter l’OMS, alerter l’UNICEF sur l’avenir de ces enfants qui vivent dans ces camps depuis leur naissance et dans un pays en guerre depuis dix ans. Comment reconstruirons-nous demain un pays comme la Syrie, à partir d’enfants qui ont déjà une situation de handicap sur le plan somatique et psychologique ? Rappelons que les examens médicaux faits dans les écoles pour les enfants de 4-6 ans, tous les ans en France (examen obligatoire par les directions de la protection maternelle et infantile), notent que 40% des enfants français présentent des problèmes détectés au moment de ces visites. Quand je dis 40%, c’est tous azimuts : ce sont à la fois des caries, des problèmes oculaires, des problèmes auditifs, des problèmes de retard du langage, des problèmes comportementaux, des problèmes somatiques : 40% en France ! Qu’en est-il en Syrie ?

Pierre Brunet : toujours sur la formation Covid, j’ai le sentiment que l’idée force de ces formations c’est de « faire au mieux avec ce que l’on a ». C’est-à-dire que vous partez des moyens disponibles sur place pour « inventer » des protocoles certes basés sur les directives de l’OMS, mais adaptés et réalisables. On part du réel pour produire une théorie praticable au lieu, comme on fait peut-être en Occident, de partir de la théorie vers la pratique ?

Equipe médicale de l’UOSSM en visite dans un camp de déplacés forcés ©UOSSM

Raphaël Pitti : Dans une situation comme celle de la Syrie, avec la pénurie de médicaments, l’absence de service de réanimation, le manque de moyens techniques, vous voudriez que l’on forme selon les recommandations internationales, pour des pays à haut niveau technologiques, développés ? Vous voudriez qu’on crée un sentiment de frustration, en leur disant « voilà ce qu’il faut faire, malheureusement pour vous, vous ne pouvez pas le faire » ? Nous sommes bien obligés de nous mettre à leur niveau et dire « qu’est-ce que nous pouvons faire, au mieux, dans la situation qui est la vôtre, pour prendre en charge ces patients ? ». Évidemment, ça sous-entend qu’on va en laisser mourir un certain nombre, puisqu’il n’y a pas suffisamment de services de réanimation. S’il y a un tri qui est fait, c’est bien dans ce pays. Nos collègues syriens nous disent « Nous avons utilisé de l’oxygène industriel », avec tout ce que cela présuppose, l’oxygène industriel n’est pas un oxygène pur, il peut contenir un certain nombre d’éléments pouvant altérer les alvéoles pulmonaires et les détruire. Mais ils l’ont fait ! Est-ce qu’ils ont trié ? Bien sûr qu’ils ont trié. Il y a des gens qu’ils ont laissé mourir faute de moyens, évidemment. Alors il fallait que nous partions de leur quotidien pour trouver comment on pouvait sauver du monde à partir de ce quotidien.

Pierre Brunet : Sur la formation. Je me suis posé la question : est-ce qu’on forme en même temps, car c’est urgent et parce qu’il faut répondre vite aux besoins, des spécialistes, des médecins, des sage-femmes etc, ou est-ce qu’on se dit qu’on va d’abord former des formateurs ?

Le docteur Ziad Alissa et le professeur Raphaël Pitti présentent l’emploi d’une tenue de protection contre les armes chimiques. La photo a été prise en 2017 à l’hôpital Bab Al Hawa en Syrie suite aux attaques chimiques sur Khan Sheikhoun ©UOSSM

Raphaël Pitti : L’important c’est de former des formateurs pour qu’ils puissent continuer par eux-mêmes. Les centres de formations que nous avons mis en place, nous les avons voulus autonomes. Le but était : nous formions des formateurs et c’étaient les formateurs ensuite, avec les directeurs, qui mettaient en place les formations. Nous assurions nous l’apport logistique et financier nécessaire au fonctionnement de ces structures. En dix ans, comment aurions-nous pu former 31.000 personnes en nous déplaçant à chaque fois, pour en former combien ? Les Syriens, et le personnel soignant syrien, durant ces dix ans, ont écrit une page de l’histoire de la médecine. Tout s’est fait par les Syriens, à l’intérieur de la Syrie. Nous leur avons apporté l’aide nécessaire mais c’est eux seuls qui ont maintenu un système sanitaire malgré la situation de guerre durant ces dix années. Nous n’avons fait, nous les ONG, que leur apporter des moyens. Ce sont les vrais héros du conflit syrien. Nous leur devons la reconnaissance pour leur sacrifice. L’UOSSM France a dénombré 923 médecins morts durant ces dix ans.

Pierre Brunet : Vous mettez également l’accent sur ce que vous appelez « la santé communautaire » c’est-à-dire les structures médicales de proximité, centres de santé primaire (17 créés au Nord de la Syrie), et cliniques mobiles. Quelle a été la nécessité qui a conduit à mettre l’accent sur ces moyens de santé communautaires ?

Pharmacie de l’UOSSM ©UOSSM

Ziad Alissa : Nous avons commencé avec cette idée parce que c’était difficile pour les malades d’aller vers les hôpitaux. L’hôpital devenait une zone dangereuse, les gens avaient peur d’y aller car les hôpitaux étaient pris pour cible par les bombardements, Donc avec ce système de santé communautaire nous allons là où il y a des gens, là où surtout il y a des déplacés qui s’installent, nous mettons en place un centre de santé au plus proche d’eux. Les cliniques mobiles aussi nous permettent d’aller encore plus loin, à l’intérieur des camps de déplacées, dans les zones les plus difficiles d’accès. Les centres de santé sont coûteux et il nous est difficile d’en mettre en place comme nous le voudrions. D’où l’idée de clinique mobile, car avec les mêmes ressources humaines, ils vont aller vers des zones où il n’y a pas de centre ouvert. Ils se déplacent avec des petits vans à l’intérieur desquels il y a un médecin, une sage-femme, une infirmière, avec de quoi faire un examen médical, de quoi soigner les maladies simples. Si la clinique mobile détecte des gens qui ont des maladies graves, qui sont mal suivis, qui nécessitent d’aller au centre, ils lui donnent un rendez-vous au centre le plus proche ou à l’hôpital. Avec ce système, nous avons réussi à nous approcher au plus près des gens qui ont besoin de nous, tout en réduisant les risques d’accès aux grands centres hospitaliers. Les gens se posaient la question « et si je vais à l’hôpital, est-ce que je vais rentrer vivant chez moi ? ». Sans parler des difficultés et des coûts de transports. Nous avons rencontré avec Raphaël des gens dialysés 2-3 fois par semaine, qui, au lieu d’aller 3 fois au centre de dialyse, vont y aller 2 fois voir une seule fois par semaine, car ils n’ont pas les moyens de payer l’aller-retour ou d’acheter les filtres.

Pierre Brunet : Vous dites à l’UOSSM France que témoigner fait aussi partie de notre action.

Raphaël Pitti : Vous ne pouvez pas être médecin, être sur place, et juste prendre en charge des victimes qui sont des victimes innocentes, prises entre des belligérants, des frontières maintenant fermées, avec un mur qui sépare la Syrie de la Turquie de plus de 900 kilomètres. Ces populations sont dans un véritable camp de concentration, où la mort et la faim planent en permanence. Comment voulez-vous que nous allions sur place, que nous constations cela, et que nous sortions pour reprendre notre vie tranquille ? C’est impossible. L’action de témoignage va en même temps que celle du soin, de l’aide apportée sur le plan humanitaire. Elle est concordante, il ne peut d’ailleurs en être autrement, sinon nous devenons complices de cette situation. L’action de témoignage s’impose à l’humanitaire et lui fait dire, et en particulier aux gouvernants occidentaux « regardez ce qu’il se passe, vous tentez de tourner la tête pour ne pas voir ce qu’il se passe, et bien nous, nous sommes là-bas et nous pouvons vous dire, les choses ne sont pas comme vous croyez qu’elles sont ou comme vous voulez qu’elles soient, nous vous apportons une information qui est celle du terrain, des sans voix ». Quand nous avons demandé plusieurs fois à voir le président Hollande, comme nous sommes allés voir le président Macron, comme nous sommes allés à l’ONU, à New-York, à Genève etc, nous nous sommes déplacés avec un seul but : leur faire trouver des solutions. Pour l’action humanitaire vous pouvez compter sur nous, mais pour l’action politique, c’est à vous. Le politique à souvent tendance à vouloir faire de l’humanitaire alors qu’on lui demande de trouver des solutions politiques pour permettre la paix. Le politique a l’impression qu’au fond, en nous donnant de l’argent, en nous aidant dans notre action humanitaire, ça le disculpe de ne pas trouver de solution. Et ben non, à chacun son travail. Aux humanitaires le travail humanitaire et aux politiques de trouver les solutions politiques.

Ziad Alissa : Nous médecins qui nous rendons sur place, ainsi que nos équipes qui soignent tous les jours, pouvons témoigner des atteintes au droit humanitaire et rapporter des preuves de notre témoignage. Lorsque on parle de victimes dans les hôpitaux à la suite d’un bombardement, et que certains disent « Non non, on a bombardé des militaires, des terroristes dans telle zone, dans telle ville, dans tel quartier », nous constatons que dans les hôpitaux ce sont des enfants, des femmes, des civils qui viennent, de toute tranche d’âge. Nous avons les registres des hôpitaux, nous avons les photos, nous avons les vidéos, nous avons les médecins qui ont soigné ces victimes-là, et nous pouvons démontrer que les victimes sont des civils. Lorsque nous avons constaté l’utilisation d’armes chimiques, nous avons témoigné. Nous avons vu les victimes des armes chimiques, nous avons fait des prélèvements, nous avons rapporté des preuves. C’est là où notre rôle de témoignage est essentiel.

Pierre Brunet : Une dernière question : pourquoi cet engagement spécifique de l’UOSSM France auprès des réfugiés Rohingyas au Bangladesh, si loin de la Syrie ?

Raphaël Pitti : Combien étaient-ils les Rohingyas à fuir la Birmanie ? Plus d’un million de personnes, dans le pays le plus pauvre du monde, 80 millions d’habitants, le Bangladesh, et qui reçoit ce million de Rohingyas fuyant la Birmanie, dans le camp de Cox’s Bazar d’un million de personnes, dans une situation de précarité immense. Nous avons été vraiment confrontés à des pathologies que je n’imaginais pas voir durant mes 30 années de médecine. Des cancers de la face, des patients qui avaient des fractures qui n’avaient pas été réduites et qui vivaient dans des conditions impossibles. Nous avons vu des calculs vésicaux, des jeunes femmes, du fait de leur accouchement traumatique, qui avaient des fistules vésico-vaginales infectées. Une population qui durant des années avait été complètement abandonnée à elle-même sans aucun soin possible. Alors nous avons loué une clinique et nous avons opéré pendant deux semaines. Nous étions deux équipes et nous avons opéré sans discontinuer, et il aurait fallu rester encore bien plus longtemps. Nous pensions apporter une aide d’urgence et nous avons été confrontés à une situation de pathologies chroniques non traitées depuis très longtemps, et pour laquelle il aurait fallu rester.

 

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Docteur Ziad Alissa, cofondateur et Président de l’UOSSM France

Médecin anesthésiste-réanimateur, le Docteur Ziad Alissa s’engage dès le déclenchement du conflit en Syrie dans la mise en place d’une aide médicale et humanitaire auprès des soignants en Syrie en co-fondant l’ONG médicale française et internationale UOSSM, l’Union des Organisations de Secours et Soins Médicaux. Il a réalisé une quarantaine de missions humanitaires en Syrie et dans les pays limitrophes en Turquie, Liban, Jordanie. Formé à la médecine de guerre par le Pr Raphaël Pitti, il coordonne la mise en place de programmes de formation de soignants en Syrie ayant permis de former 31.000 soignants depuis 2012.

 

Professeur Raphaël Pitti, Responsable formation de l’UOSSM France

Raphaël Pitti est professeur agrégé de médecine d’urgence, anesthésiste-réanimateur, médecin-général des armées. Spécialiste de la médecine de guerre, il rejoint l’UOSSM France en 2012 comme responsable formation et permet la formation de dizaine de milliers de soignants. Le 1er mars 2021, il a effectué trente et une missions humanitaires auprès des soignants syriens dans le nord du pays. En juin 2021, il réalise avec le Dr Ziad Alissa la première formation à Raqqa pour lutter contre la COVID-19.

 

Pierre Brunet, écrivain et humanitaire 

Né en 1961 à Paris d’un père français et d’une mère espagnole, Pierre Brunet a trouvé sa première vocation comme journaliste free-lance. En 1994, il croise sur sa route l’humanitaire, et s’engage comme volontaire au Rwanda, dévasté par un génocide. Il repart début 1995 en mission humanitaire en Bosnie-Herzégovine, alors déchirée par la guerre civile. Il y assumera les responsabilités de coordinateur de programme à Sarajevo, puis de chef de mission.

A son retour en France fin 1996, il intègre le siège de l’ONG française SOLIDARITES INTERNATIONAL, pour laquelle il était parti en mission. Il y sera responsable de la communication et du fundraising, tout en retournant sur le terrain, comme en Afghanistan en 2003, et en commençant à écrire… En 2011, tout en restant impliqué dans l’humanitaire, il s’engage totalement dans l’écriture, et consacre une part essentielle de son temps à sa vocation d’écrivain.

Pierre Brunet est Vice-Président de l’association SOLIDARITES INTERNATIONAL. Il s’est rendu sur le terrain dans le Nord-Est de la Syrie, dans la « jungle » de Calais en novembre 2015, ou encore en Grèce et Macédoine auprès des migrants en avril 2016.

Les romans de Pierre Brunet sont publiés chez Calmann-Lévy :

  • Janvier 2006 : parution de son premier roman « Barnum » chez Calmann-Lévy, récit né de son expérience humanitaire.
  • Septembre 2008 : parution de son second roman « JAB », l’histoire d’une petite orpheline espagnole grandie au Maroc qui deviendra, adulte, une boxeuse professionnelle.
  • Mars 2014 : sortie de son troisième roman « Fenicia », inspiré de la vie de sa mère, petite orpheline espagnole pendant la guerre civile, réfugiée en France, plus tard militante anarchiste, séductrice, qui mourut dans un institut psychiatrique à 31 ans.
  • Fin août 2017 : sortie de son quatrième roman « Le triangle d’incertitude », dans lequel l’auteur « revient » encore, comme dans « Barnum » au Rwanda de 1994, pour évoquer le traumatisme d’un officier français à l’occasion de l’opération Turquoise.

Parallèlement à son travail d’écrivain, Pierre Brunet travaille comme co-scénariste de synopsis de séries télévisées ou de longs-métrages, en partenariat avec diverses sociétés de production. Il collabore également avec divers magazines en publiant des tribunes ou des articles, notamment sur des sujets d’actualité internationale.

 


Pour aller plus loin :

Syrie : la médecine en première ligne

@UOSSM

Entretien avec le Docteur Ziad Alissa, cofondateur et Président de l’UOSSM France et le professeur Raphaël Pitti, Responsable formation de l’UOSSM France par Pierre Brunet.


Pierre Brunet : Rappelons que l’UOSSM France, c’est l’Union des Organisations de Secours et Soins Médicaux. C’est une ONG française et internationale dont la mission est de garantir aux populations affectées par la guerre en Syrie un accès permanent à des soins de santé de qualité et gracieux.

Commençons par des questions simples. Comment et pourquoi est née l’UOSSM France ? Au départ, vous pensiez que c’était pour du court-terme, et dix ans après vous faites encore des missions régulières, à former des soignants en Syrie et dans les pays alentour. Est-ce que la naissance de l’UOSSM France a été une réponse à un appel à l’aide des soignants syriens auxquels vous avez répondu, ou une prise de conscience spontanée de médecins et de soignants de la diaspora syrienne et de Français qui ont décidé, au vu de ce qui se passait en Syrie, de s’engager, de fonder l’UOSSM France et de tout faire pour répondre à l’urgence ? Question subsidiaire : aujourd’hui l’UOSSM France, ça représente combien de personnes ?

Docteur Ziad Alissa de l’UOSSM en Syrie ©UOSSM

Ziad Alissa : L’UOSSM France a été une réponse à la demande de nos collègues syriens. Au début c’est vrai que nous avons pensé que c’était quelque chose à court terme. Au début, chacun parmi nous, dans la diaspora syrienne, je parle de l’Europe, des Etats-Unis, je parle même des pays du Golfe, a essayé d’aider à sa manière. Beaucoup de collègues ont fait des allers-retours de façon individuelle, moi aussi. Nous avons commencé à nous rencontrer là-bas, sur la frontière, les collègues qui sont partis en Turquie pour essayer d’aider à travers le Nord de la Syrie, mais aussi en Jordanie, au Liban. Au bout de quelques mois, nous avons senti que la catastrophe nécessitait une réponse plus grande qu’une aide individuelle. Nous avons pris conscience qu’il fallait construire une réponse collective. Pour arriver à répondre aux besoins, parce que ceux-ci dépassaient les moyens individuels.

Pierre Brunet : L’UOSSM France, en novembre 2021, ça représente combien de personnes ?

Ziad Alissa : Le plus gros des effectifs de l’UOSSM France est en Syrie. Aujourd’hui, nous sommes plus de 1.100 salariés en Syrie, à Gaziantep en Turquie, à Erbil en Irak et en France.

©UOSSM

Pierre Brunet : Abordons la situation humanitaire et sanitaire en Syrie aujourd’hui. L’ONU il y a quelques temps a dit qu’il y avait plus de 350.000 personnes qui avaient été tuées en dix ans de guerre en Syrie. L’observatoire syrien des droits de l’homme parle d’au moins 500.000 tués, et peut être 200.000 morts de plus. L’UOSSM cite le chiffre d’au moins 500.000 morts directes, sans compter les morts indirectes, car les maladies chroniques ne pouvant pas, ou très mal, être prises en charge, il y a un grand nombre de morts indirectes difficiles à comptabiliser, que vous évaluez entre 1.5 et 2 millions. Vous rappelez qu’il y a 13.4 millions de personnes en Syrie qui ont besoin d’une assistance humanitaire, 75% de la population syrienne dépend de l’aide humanitaire pour sa survie quotidienne, 60% des structures sanitaires sont détruites, plus de 90% de la population syrienne est au-dessous du seuil de pauvreté et 80% des structures économiques sont détruites. Que peut-on dire au-delà des chiffres ?

Ziad Alissa : Il est vrai que le nombre de morts que nous citons est plus élevé que le chiffre que l’on entend, par la voix soit de la Syrie officielle, soit de gens qui prennent en compte simplement les morts directes annoncées. Or il y a beaucoup de décès qui n’ont pas été annoncés. Il ne faut pas oublier que lorsque l’on voit les victimes directes à la suite de bombardements ou d’opérations militaires, il y a aussi des dizaines de milliers de gens qui ont été arrêtés dans les prisons, torturés et en sont décédés. Tout ça n’est pas pris en compte. Il ne faut pas oublier aussi, comme vous venez dire et comme l’UOSSM France l’a constaté, que le système de santé, dans les zones non contrôlées par Damas en Syrie, est complètement effondré. Ce système ne répond pas aux besoins quotidiens des populations. En plus des victimes directes, il y a les victimes indirectes, les malades chroniques qui ne trouvent pas leurs traitements, les problèmes par exemple de crises cardiaques sans service de radiologie pour faire une coronarographie en urgence, nous le voyons tous les jours. Les malades avec des cancers qui ne trouvent plus leurs traitements et les centres pour soigner les cancers, les insuffisants rénaux chroniques qui ne trouvent pas de centres pour se faire dialyser. Donc beaucoup de victimes ne sont pas dans les statistiques. Quand nous avons constaté cela, nous avons indiqué que les chiffres étaient plus élevés en réalité que ceux annoncés. Et toute la Syrie connaît cette absence d’accès aux services de santé, pas seulement dans le nord du pays. Je pense que les chiffres cités par l’UOSSM France et d’autres ONG sur le terrain s’approchent plus de la vérité et démontrent une réalité encore plus dramatique que ce qui est dépeint ans les médias.

©UOSSM

Pierre Brunet : Professeur Pitti, avez-vous quelque chose à ajouter ?

Raphaël Pitti : Il y a un effondrement du système sanitaire. Regardez l’impact du Covid par exemple. Nous intervenons sur la zone d’Idleb en particulier, où vous avez 4.2 millions de personnes, dont 2.8 millions qui sont des réfugiés venus de la zone d’Alep, de la Ghouta ou d’ailleurs, et qui vivent le plus souvent sous tente dans des conditions très précaires, dépendant totalement de l’aide humanitaire internationale, puis d’un seul coup apparaît le Covid. Comment, à ce moment-là, envisager de faire de l’isolement pour ces gens quand ils sont confinés à vivre sous tente, à devoir chercher tous les jours leur nourriture, à aller chercher l’eau, à aller aux toilettes, etc ? Aujourd’hui, plus de 90% des cas identifiés de la zone proviennent du variant Delta, le taux de mortalité est très important. Et quand nous parlons de tri des gens en France, en disant « Dans les services de réanimation nous avons trié les malades, compte tenu de la situation telle qu’elle se présentait » comme si c’était une situation de catastrophe, que penser alors de la situation dans cette zone de Syrie, quand il n’y a que 200 lits de réanimation occupés à 100%, quand on manque d’oxygène médical, qu’il n’y a que 95 respirateurs, quand il n’y a pas d’appareil pour monitorer les taux d’oxygène et de gaz carbonique dans le sang, quand il n’y a pas d’antibiotiques, quand il n’y a pas suffisamment de corticoïdes ? Que penser de la situation de cette population, qui de surcroît présente un taux de dénutrition très important, ce qui la rend très vulnérable sur le plan des défenses immunitaires ? Nous avons demandé à Médecins du Monde, qui travaille aussi dans ces zones-là, de venir avec nous rencontrer le Commissaire à l’action humanitaire de l’Union Européenne à Bruxelles, il y a à peu près trois mois. Nous sommes allés leur dire combien la situation était grave en Syrie. Et pas seulement dans les zones du nord de la Syrie, mais bien sur l’ensemble du territoire syrien. Avec en plus la crise économique au Liban qui impacte la situation déjà extrêmement difficile en Syrie. Nous avons expliqué qu’il y a un risque de famine en Syrie, surtout dans cette période hivernale où nous arrivons en période de rupture, c’est-à-dire cette période où les récoltes ont été consommées et où il faut attendre les prochaines récoltes, et qu’il n’y a pas d’argent pour aller acheter les denrées les plus urgentes dont les gens ont besoin. Donc voilà une situation terrible pour la Syrie, pas seulement pour les zones encore contrôlées par des groupes rebelles, mais sur l’ensemble du territoire syrien.

©UOSSM

Pierre Brunet : Justement parlons de la malnutrition. Je rappelle qu’un enfant sur trois est en état de malnutrition en Syrie. Parallèlement à votre aide médicale, sanitaire, vous développez une aide en réponse à cette situation, au risque de famine que le professeur Pitti vient d’expliquer ?

Ziad Alissa : Nous avons, à l’UOSSM France, des centres de soins primaires à l’intérieur de la Syrie. A travers ces centres qui reçoivent des mamans, des enfants et des malades pour des examens quotidiens, nos équipes sur place ont constaté de nombreux cas d’enfants malnutris. Nous avons voulu aller plus loin et réaliser une étude auprès des enfants des camps de déplacés, les examiner et déterminer les causes de la malnutrition. Nous avons surtout été à la rencontre des populations qui vivent dans les camps de déplacés à l’intérieur de la Syrie, et leur situation est beaucoup plus grave et dramatique. Déplacés à l’intérieur la Syrie, ils n’ont pas le statut de réfugiés, donc pas d’aide humanitaire comme ceux dans les camps de réfugiés en Turquie, au Liban, en Jordanie. Le statut de réfugiés dans les pays limitrophes leur permet d’avoir accès à un minimum d’aide humanitaire pour vivre. Tandis qu’à l’intérieur de la Syrie, ils dépendent complètement d’associations comme l’UOSSM France pouvant y travailler. La malnutrition débute avec les mamans qui n’arrivent pas à allaiter leurs enfants comme il faut, car elles-mêmes sont malnutries. Leur situation est misérable. La livre syrienne a beaucoup perdu de sa valeur. Les populations n’arrivent pas à se nourrir correctement parce qu’elles n’ont pas les moyens d’acheter à manger. Comme les jeunes mamans sont malnutries et n’arrivent pas à allaiter leurs enfants, elles ont besoin de lait infantile, qui est difficile à trouver sur place. Nous savons qu’un enfant malnutri est un enfant qui va attraper des maladies facilement. Les familles vivent dans des conditions d’hygiène déficientes, souvent dans des tentes, il n’y a pas de sanitaires appropriés. Tous ces éléments génèrent une galaxie de problèmes autour de la malnutrition, et nos équipes sur place l’ont constaté. Nous avons mis en place des programmes pour lutter contre la malnutrition, mais malgré toute la bonne volonté de nos équipes, malgré tous les moyens de l’UOSSM France, ce fléau de la malnutrition persiste chez les enfants. Nous avons vu des familles qui ne mangent que deux repas par jour, voire un seul repas parfois, pour laisser la nourriture aux enfants, et malgré ça jusqu’à maintenant nous n’avons pas réussi à lutter comme il le faudrait contre la malnutrition des enfants dans les camps de déplacés.

©UOSSM

Pierre Brunet : J’ai été frappé par un terme dans l’une de vos dernières lettres d’information, où vous expliquez que sur près de trois millions de personnes vivant dans la région d’Idleb, 40% sont des déplacés de guerre, et une grande partie d’entre eux ressent ce que vous appelez un « chaos psychologique ». Je rappelle d’ailleurs qu’il y a une reprise des bombardements sur la région d’Idleb depuis octobre dernier, avec les traumatismes de ces situations de guerre. Est-ce que vous pouvez développer cette notion de chaos psychologique ?

Raphaël Pitti : Il faut essayer d’imaginer ce que peut être la situation de ces personnes, qui ont été déplacées, qui ne vivent plus chez elles, qui dépendent essentiellement de l’aide humanitaire internationale, avec la pression russe, en particulier au niveau du Conseil de sécurité, qui tente de faire fermer tous les corridors humanitaires. Il ne reste plus qu’un seul corridor humanitaire ouvert, et celui-ci devrait se terminer au mois de décembre. Sera-t-il renouvelé ? Quelle va être la situation de cette population si l’aide humanitaire internationale ne peut plus transiter par la Turquie pour lui être distribuée ? L’avenir est totalement incertain, avec de surcroît ces bombardements constants, la situation sanitaire telle que nous l’avons décrite. Quelle est l’espérance que l’on peut donner à ces gens dans cette situation, qui en même temps vivent dans des camps ? Il n’y a pas d’éducation, il n’y a pas de possibilités pour les jeunes de poursuivre des études supérieures. Que pensez-vous que cela puisse donner sur le plan psychologique si on ne peut absolument pas se projeter dans l’avenir, quand on sait qu’à tout moment un avion peut passer, bombarder et vous tuer ? Il y a un stress profond, très important, générant une situation de traumatisme psychologique constant. Toutes les expériences faites en laboratoire animal le montrent : il suffit de mettre des souris dans une situation de stress constant, journalier, continu, sans espoir de s’en sortir, pour voir l’état de dépression dans lesquels se retrouvent ces animaux. C’est ça la réalité de la population qui vit à Idleb. Elle ne sait pas de quoi demain sera fait, et aujourd’hui est extrêmement difficile. On ne peut pas s’attendre à ce que cette population soit heureuse de vivre comme elle vit. Donc le terme utilisé par le docteur Ziad Alissa est bien celui-là, c’est un véritable « chaos » au sens psychologique du terme que vit cette population.

Professeur Raphaël Pitti de l’UOSSM en Syrie ©UOSSM

Pierre Brunet : Vous avez abordé la question des points de passage de l’aide humanitaire en Syrie, sur laquelle je voulais vous questionner. Je rappelle qu’après dix ans de conflits, l’aide humanitaire internationale reste le moyen de survie essentiel d’une grande partie de la population syrienne. Et pourtant, comme vous l’avez rappelé, professeur Pitti, elle est entravée par la remise en cause de la résolution 2165 adoptée en 2014 à l’unanimité, qui n’a été prolongée que jusqu’à fin décembre 2021. Rappelons que 50.000 camions d’aide humanitaire avaient pu bénéficier de ces points de passage depuis 2014, et que 1.000 camions de l’ONU transitent, chaque mois, par le couloir humanitaire de Bab Al-Hawa qui est le seul à être encore ouvert, au Nord-Ouest de la Syrie, à la frontière turque. Il y a trois autres points de passage aujourd’hui fermés : celui Bab Al-Salam également au Nord Nord-Ouest à la frontière turque, celui d’Al Yarubiyah au Nord Nord-Est à la frontière irakienne et celui de Al Ramtha au Sud Sud-Ouest à la frontière jordanienne. Selon-vous, sur ces quatre points de passage qui avaient été approuvés au départ par la résolution de l’ONU, quels sont ceux qu’il faudrait rouvrir en priorité, en plus de maintenir celui de Bab Al-Hawa, qui est le dernier cordon vital ? 

Ziad Alissa : Vous avez bien situé les quatre corridors. Actuellement, il n’y a que celui de Bab Al-Hawa d’ouvert. Les couloirs humanitaires sont utilisés par tous ceux qui travaillent sur le terrain pour acheminer l’aide humanitaire à l’intérieur de la Syrie dans les zones non contrôlées par Damas. En tant qu’ONG médicale, cette aide humanitaire se traduit principalement pour nous par des médicaments, des consommables et tout ce dont ont besoin les hôpitaux. D’autres associations humanitaires acheminent de la nourriture, des biens de première nécessité. Tous ces couloirs humanitaires sont essentiels pour pouvoir apporter l’aide humanitaire à l’intérieur de la Syrie dans ces zones. Or ce que nous voyons, avec les vétos russes et chinois à l’ONU, c’est que tous les six mois nous devons nous mobiliser pour renouveler ces ouvertures. Maintenant décembre s’approche de nouveau, et nous allons encore vivre cette angoisse :  est-ce que l’ouverture sera renouvelée ou pas ? Nous savons que la Russie pousse pour l’aide « crossline » à l’intérieur de la Syrie. Or le crossline signifie que toute l’aide humanitaire passe par Damas, à travers des lignes de combat. Et le constat de tous les gens qui travaillent à l’intérieur de la Syrie, c’est que lorsque cette aide passe par Damas, elle n’arrive pas jusqu’aux gens qui en ont besoin. Malheureusement l’aide humanitaire, ces dernières années, a été utilisée comme arme de guerre, c’est une réalité. Tous les gens qui travaillent sur le terrain le savent. Ils choisissent à qui ils veulent donner cette aide humanitaire. C’est inacceptable.  Ils utilisent la technique du siège pour étouffer les populations et tout une ville. Nous avons vu cela à Al Boutan, à Deraa, et ailleurs : une ville est encerclée, en état de siège, et on lui interdit le passage de l’aide humanitaire. Nous l’avons vu à la Ghouta et à Alep Est par exemple, des enfants qui meurent car ils n’ont pas trouvé de médicaments ou de nourriture. Donc si ce dernier couloir humanitaire est fermé, si nous allons dans le sens proposé par la Russie, il y aura une catastrophe humanitaire supplémentaire parce que des zones entières seront complètement coupées du monde sans qu’on puisse amener l’aide humanitaire. Nous avons vu les exemples d’Alep pendant cette guerre, où pour vider une zone et pousser les gens à la quitter, l’aide humanitaire est bloquée. Ce que nous cherchons, c’est à stabiliser ces zones-là. Et pour stabiliser ces zones-là il faut continuer à amener aux gens ce dont ils ont besoin, les besoins quotidiens. Ils ont besoin de manger, ils ont besoin de se soigner, ils ont besoin d’un toit, ils ont besoin de s’occuper de leurs enfants et surtout ils ont besoin que les bombardements, les morts s’arrêtent. Et le couloir humanitaire essentiel de Bab Al-Hawa ne suffit pas pour tout le Nord de la Syrie. Il faut réouvrir impérativement tous les couloirs humanitaires. Ce que nous demandons, c’est l’ouverture sans limite de temps et sans condition des quatre couloirs humanitaires qui avaient été décidés à l’origine.

AVERTISSEMENT aux lecteurs : La seconde partie de cet interview sera publiée dans la prochaine édition de Défis Humanitaires n° 60 le mardi 11 janvier 2022.

 


Docteur Ziad Alissa, cofondateur et Président de l’UOSSM France

Médecin anesthésiste-réanimateur, le Docteur Ziad Alissa s’engage dès le déclenchement du conflit en Syrie dans la mise en place d’une aide médicale et humanitaire auprès des soignants en Syrie en co-fondant l’ONG médicale française et internationale UOSSM, l’Union des Organisations de Secours et Soins Médicaux. Il a réalisé une quarantaine de missions humanitaires en Syrie et dans les pays limitrophes en Turquie, Liban, Jordanie. Formé à la médecine de guerre par le Pr Raphaël Pitti, il coordonne la mise en place de programmes de formation de soignants en Syrie ayant permis de former 31.000 soignants depuis 2012.

Professeur Raphaël Pitti, Responsable formation de l’UOSSM France

Raphaël Pitti est professeur agrégé de médecine d’urgence, anesthésiste-réanimateur, médecin-général des armées. Spécialiste de la médecine de guerre, il rejoint l’UOSSM France en 2012 comme responsable formation et permet la formation de dizaine de milliers de soignants. Le 1er mars 2021, il a effectué trente et une missions humanitaires auprès des soignants syriens dans le nord du pays. En juin 2021, il réalise avec le Dr Ziad Alissa la première formation à Raqqa pour lutter contre la COVID-19.

Pierre Brunet, écrivain et humanitaire :

Né en 1961 à Paris d’un père français et d’une mère espagnole, Pierre Brunet a trouvé sa première vocation comme journaliste free-lance. En 1994, il croise sur sa route l’humanitaire, et s’engage comme volontaire au Rwanda, dévasté par un génocide. Il repart début 1995 en mission humanitaire en Bosnie-Herzégovine, alors déchirée par la guerre civile. Il y assumera les responsabilités de coordinateur de programme à Sarajevo, puis de chef de mission.

A son retour en France fin 1996, il intègre le siège de l’ONG française SOLIDARITES INTERNATIONAL, pour laquelle il était parti en mission. Il y sera responsable de la communication et du fundraising, tout en retournant sur le terrain, comme en Afghanistan en 2003, et en commençant à écrire… En 2011, tout en restant impliqué dans l’humanitaire, il s’engage totalement dans l’écriture, et consacre une part essentielle de son temps à sa vocation d’écrivain.

Pierre Brunet est Vice-Président de l’association SOLIDARITES INTERNATIONAL. Il s’est rendu sur le terrain dans le Nord-Est de la Syrie, dans la « jungle » de Calais en novembre 2015, ou encore en Grèce et Macédoine auprès des migrants en avril 2016.

Les romans de Pierre Brunet sont publiés chez Calmann-Lévy :

  • Janvier 2006 : parution de son premier roman « Barnum » chez Calmann-Lévy, récit né de son expérience humanitaire.
  • Septembre 2008 : parution de son second roman « JAB », l’histoire d’une petite orpheline espagnole grandie au Maroc qui deviendra, adulte, une boxeuse professionnelle.
  • Mars 2014 : sortie de son troisième roman « Fenicia », inspiré de la vie de sa mère, petite orpheline espagnole pendant la guerre civile, réfugiée en France, plus tard militante anarchiste, séductrice, qui mourut dans un institut psychiatrique à 31 ans.
  • Fin août 2017 : sortie de son quatrième roman « Le triangle d’incertitude », dans lequel l’auteur « revient » encore, comme dans « Barnum » au Rwanda de 1994, pour évoquer le traumatisme d’un officier français à l’occasion de l’opération Turquoise.

Parallèlement à son travail d’écrivain, Pierre Brunet travaille comme co-scénariste de synopsis de séries télévisées ou de longs-métrages, en partenariat avec diverses sociétés de production. Il collabore également avec divers magazines en publiant des tribunes ou des articles, notamment sur des sujets d’actualité internationale.

 


Pour aller plus loin :