« Eviter un ouragan de famines » !

Champs de blé en Ukraine.

A la mi-mars déjà, Antonio Guterres, Secrétaire Général des Nations-Unies, déclarait : « Nous devons faire tout notre possible pour éviter un ouragan de famines et un effondrement du système alimentaire mondial ».

Vendredi 3 juin 2022 à Sotchi, sur les bords de la mer noire, après 100 jours de guerre en Ukraine, le chef d’Etat sénégalais et président en exercice de l’Union Africaine, Macky Sall, déclare à Vladimir Poutine : « Je suis venu vous voir, pour demander de prendre conscience que nos pays (africains NDLR) (…) sont des victimes de cette crise, au plan économique ». Le Sénégal est bien placé pour le savoir, lui qui importe plus de 50% de son blé de Russie.

Note d’information sur l’importance de l’Ukraine et de la Fédération de Russie pour les marchés agricoles mondiaux et les risques liés au conflit actuel. Rome 2022 @FAO

Les chiffres sont en effet sans appel. La Russie et l’Ukraine représentaient avant la guerre 30% des exportations de céréales dans le monde. Et selon les experts, entre 2018 et 2020, l’Afrique a importé de Russie et d’Ukraine la moitié de sa consommation de blé. Le ministre ukrainien, Taras Kachka déclare à Davos (Le Monde, 29 et 30.5.2022) « En 2021, nous avons exporté 20 millions de tonnes de blé et 24,6 millions de tonnes de maïs, la quasi-totalité par la mer ».

Port d’Odessa, Ukraine Photo: Patrik Rastenberger/NEFCO (CC BY-NC 2.0)

Mais, la flotte russe de la mer Noire bloque les ports ukrainiens, en particulier celui d’Odessa. Et des mines ont été posées en mer par les défenseurs pour empêcher un éventuel débarquement. En conséquence, 20 à 25 millions de tonnes de céréales sont bloqués en Ukraine. Les milliers de wagons, camions et barges mobilisés pour acheminer les céréales vers les ports de Constanta en Roumanie et vers les ports de la Baltique ne videront pas les stocks.

Côté russe, les sanctions bloquent les moyens logistiques d’exportation et le système de règlement bancaire Swift, que les Russes ne peuvent plus utilisés, limite voire empêche tout paiement, notamment pour les acheteurs africains et du Moyen-Orient et donc tout approvisionnement.

Pénurie et hausse des prix.

Résultat, le prix du blé a augmenté d’environ 40 à 45% depuis le début de l’année. Ainsi, à Paris, le prix est passé de 280 euros la tonne à 400 euros. Le président sénégalais s’est aussi alarmé que la flambée des prix des engrais, principalement produits en Russie, en Ukraine et au Bélarus, « pourrait provoquer un effondrement de « 20 à 50% » des rendements céréaliers en Afrique cette année.

Si aucune solution n’est trouvée à brève échéance, la paralysie s’étendra à l’année 2023. Taras Kachka, ministre ukrainien, indique que « 80% des terres arables est planté et nous aurons une production de blé comparable à celle de 2021 ». Mais si les stocks restent pleins, faute d’exportations, où mettre les récoltes qui vont maintenant commencer en juillet pour le blé et en août pour le maïs ?

Et de conclure « Si on ne résout pas ce problème d’écoulement, l’année 2023 sera pire ». Elle sera pire pour l’Ukraine et ses agriculteurs par manque de rentrée d’argent permettant d’acheter du carburant et de récolter. De même que pour les pays et populations qui manqueront de blé, orge, maïs, tournesol, d’engrais et de semences !

Lors de l’entretien de Macky Sall avec Vladimir Poutine, le président russe a déclaré « Nous sommes prêts à offrir un passage sécurisé aux bateaux utilisant ces ports, y compris aux bateaux ukrainiens ». Bien sûr, cela impliquerait que certaines sanctions soient levées et que ces ports soient « déminés ». On voit bien tout le chemin qui reste à parcourir alors que le temps presse. Comment peut-on tout à la fois livrer des armes et renforcer les sanctions tout en atténuant certaines pour l’exportation des céréales des deux belligérants engagés dans des combats intenses !

Dans la corne de l’Afrique. ©EU/ECHO/Mo Dahir (CC BY-NC-ND 2.0)

En l’absence de négociations et de concessions, Amin Awad, le coordinateur de crise des Nations-Unies pour l’Ukraine prévient « L’impossibilité d’ouvrir ces ports entraînera la famine, la déstabilisation et la migration massive dans le monde ». Selon lui, 1,4 milliards de personnes pourraient être affectées.

Non seulement les humanitaires doivent engager un effort exceptionnel et durable en Ukraine, mais ils doivent se préparer aux risques d’ouragan, en Afrique et au Moyen-Orient notamment, dans les pays les plus fragiles affaiblis par la pandémie de Covid 19 et, pour certains, victimes d’une terrible sécheresse comme dans la Corne de l’Afrique et au Sahel.

Guerre, pandémie, dérèglement climatique, sécheresse et manque de céréales, d’engrais et semences, l’équation de l’urgence est bien là et il nous faut nous mobiliser comme jamais. Déjà, le 2 juin le Tchad a décrété « l’urgence alimentaire ».

L’immense défis auquel nous faisons face est que les organisations humanitaires, et même le PAM (Programme Alimentaire Mondial des Nations-Unies) et la FAO (Organisation des Nations-Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture), sont dépendantes des sanctions. Alors que peuvent-elles faire ?

« On prend de la nourriture à ceux qui ont faim pour la donner à ceux qui meurent de faim » déclare David Beasley, le patron du PAM.

La réponse humanitaire s’impose. Faire le maximum et au-delà même quand c’est une question de survie, voire de vie ou de mort. Il faut sortir des habitudes, se poser les questions comme elles se posent pour les populations et trouver, anticiper les meilleures réponses à chaque situation particulière. Car si les organisations humanitaires n’ont pas la réponse globale, elles sont les mieux placées sur le terrain, avec les populations et les autorités, pour réagir, cas par cas.

Aide alimentaire d’urgence au Soudant du Sud avec l’UNICEF et le PAM. Photo ONU/Tim McKulka. (CC BY-NC-ND 2.0)

Approvisionnons-nous au plus vite et en quantité, notamment pour lutter contre la malnutrition. Recherchons des solutions alternatives avec la distribution de bons alimentaires et des programmes de transfert monétaire.  Développons certaines cultures (manioc, mil, patate douce, niébé), coordonnons-nous mieux avec les acteurs locaux, priorisons les secours et réduisons les pertes agricoles.

Nous pouvons aussi contribuer là où nous avons une plus-value et un effet de levier avec l’Alliance Mondiale pour la Sécurité Alimentaire (GAFS) et l’initiative française FARM (Food and Agriculture Resilience Mission) en agissant contre la spéculation, en adaptant et renforçant les dispositifs de solidarité et les capacités locales de production. Le riz dont les prix sont encore stables peut-il être une alternative ?

Pour empêcher « l’ouragan des famines » qui pourrait faire plus de victimes que le conflit en Ukraine, les solutions d’un « corridor maritime sécurisé » à l’échelle des quantités à transporter ne sont pas nombreuses. L’option de passer en force entraine un risque majeur, celui d’une bataille navale en mer Noire et de sa fermeture complète. Il y a la proposition du président Macky Sall de mettre « hors sanction » le secteur alimentaire et de permettre l’exportation du blé ukrainien et russe. C’est tout l’enjeu des négociations en cours entre l’Ukraine, la Turquie et la Russie. Autre option, que les principaux exportateurs de blé, hors Ukraine et Russie, l’Europe (36 millions de tonnes), les Etats-Unis (21 millions de tonnes), l’Australie (25 millions de tonnes) selon les estimations 2022-2023, organisent un véritable pont maritime d’urgence pour éviter la famine et les émeutes de la faim.  Le compte à rebours est déjà engagé.

Alain Boinet.

Président de Défis Humanitaires.

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Entretien avec Maria Groenewald, Directrice de VOICE

Alain Boinet : Vous êtes la nouvelle directrice de VOICE (Voluntary Organisations in Cooperation in Europe Coordination des ONG humanitaires dans l’Union Européenne) basée à Bruxelles. Je vous remercie pour cette interview. Pouvez-vous d’abord présenter VOICE à nos lectrices et lecteurs ? 

Maria Groenewald : Bonjour Alain ! Pour commencer, je tiens à vous remercier pour cette invitation. C’est un honneur pour moi d’être la nouvelle Directrice de VOICE et de participer en tant que telle à cette interview.

VOICE est le réseau des organisations humanitaires en Europe. Il comporte 80 membres répartis dans 18 pays européens. Une valeur commune nous rassemble tous, celle du respect des principes humanitaires et du Droit International Humanitaire. La force de notre réseau repose sur la diversité de nos membres qui œuvrent dans différents secteurs, avec différents moyens, différentes structures… Ensemble, nous représentons l’interlocuteur humanitaire principal auprès de l’Union européenne, notamment de DG ECHO.

Alain Boinet : Vous avez participé au premier Forum Humanitaire Européen (FHE) du 21 au 23 mars à Bruxelles. Que pensez-vous de cette initiative de la Présidence française et de la Commission Européenne avec la DG ECHO, comment ce Forum s’est-il déroulé et quelles sont ses réponses concrètes à l’ampleur des besoins urgents d’aide humanitaire ?

Maria Groenewald : Premièrement, VOICE salue l’organisation de ce premier Forum Humanitaire Européen. C’était une bonne occasion de mettre l’accent sur l’importance de l’aide humanitaire, sur ses principes et ses défis. Ces moments sont importants car ils permettent de montrer aux acteurs extérieurs, en particulier politiques, que l’aide humanitaire nous concerne tous. Les événements en Ukraine l’illustrent bien. Selon les Nations Unies, plus de 274 millions de personnes en 2022 ont besoin d’une aide humanitaire. Cela est sans compter les 15,7 millions d’Ukrainiens dans le besoin depuis le début des hostilités. Il est impératif d’en parler, d’avoir des discussions, au niveau politique, sur l’aide humanitaire et ses défis.

Deuxièmement, beaucoup de nos membres ont apprécié ce moment de rencontre en présentiel après deux ans de période covid. Ce fut un moment de networking entre les ONG mais aussi avec les acteurs politiques, la Commission européenne, DG ECHO… Toutefois, les discussions étaient un peu limitées en termes de participation, de débats et d’échanges spontanés. Il faudrait donc revoir le format du forum pour permettre plus d’échanges. Aussi, bien que beaucoup de sujets importants ont été abordés, le choix de ces derniers ne s’est pas fait de manière suffisamment participative.

Chez VOICE, nous aimerions collaborer plus étroitement avec la DG ECHO et la présidence suédoise du Conseil de l’Union européenne, dans la préparation du prochain Forum afin de porter la perspective des ONG, de proposer une approche davantage participative et conduisant à des engagements concrets de la part des principaux acteurs. Nous aimerions donc échanger bien en amont de l’événement sur les sujets les plus pertinents à aborder pour réellement faire avancer les choses. Evidemment, tous les thèmes sont importants mais se concentrer sur certains sujets pourrait aussi être plus efficace.

2) Maria Groenewald (à gauche) Directrice de VOICE, Dominic Crowley (à droite), Président de VOICE, et le député européen Barry Andrews (au milieu), en réunion en marge de Forum Humanitaire Européen 2022.

Alain Boinet : Les financements humanitaires ne sont pas suffisants pour répondre cette année encore aux besoins identifiés qui concernent 300 millions de personnes en danger dans le monde du fait d’une crise (conflit, catastrophe, épidémie).  Il manquerait en moyenne 40% des fonds indispensables pour une aide d’urgence ! Quelle a été la réponse de la Commission Européenne à ce sujet lors du FHE et que devons-nous faire nous-mêmes ?  

Maria Groenewald : C’est une question majeure, mais aussi l’une des plus compliquées.  Cette question est d’autant plus importante lorsque l’on observe ces dernières années une augmentation continue du nombre de personnes dans le besoin humanitaire – augmentation bien plus rapide que celle des financements. Il est donc primordial de se concerter pour chercher des solutions et d’échanger sur des idées innovantes.

Au niveau européen, DG ECHO a de nouveau augmenté son budget pour l’aide humanitaire pour l’année 2022. De plus, la question de l’élargissement de la base des donateurs est une des priorités de la DG ECHO, et à ce titre, le sujet a également été traité durant le forum. Il est donc positif de constater que la problématique est largement reconnue par DG ECHO et que des efforts de plaidoyer pour élargir la base des bailleurs de fonds sont mis en œuvre. Cela reste une tâche très difficile et VOICE aimerait voir plus d’efforts de la part des États membres qui, selon nous, disposent d’un potentiel non-négligeable d’augmentation des financements humanitaires. Les capacités de notre réseau, et la présence de nos membres dans les différents pays de l’UE, pourraient permettre de participer à un effort d’argumentation et de persuasion.

En parallèle, et bien que l’augmentation des financements humanitaires par les bailleurs de fonds reste une condition sine qua non pour faire face aux besoins humanitaires grandissant, nous sommes engagés chez VOICE dans un travail de réflexion sur les modalités d’utilisation de ces fonds. Notre groupe de travail Grand Bargain 2.0 traite ce sujet, et notre « VOICE Policy Resolution 2021 » s’est focalisé sur ce point. Comment pouvons-nous opérer de façon plus efficace dans le cadre d’actions humanitaires ? Car la grande question reste celle-ci : comment investir les moyens mis à notre disposition de la manière la plus efficace possible ? C’est aussi la raison pour laquelle, pour le prochain forum, nous aimerions qu’il y ait plus de discussions invitant les ONG et les autres acteurs à réfléchir à des idées innovantes dans le cadre de la question de l’utilisation optimale de financements limités, et de l’impact des actions humanitaires. On peut penser à la digitalisation par exemple.

Alain Boinet : La Présidente de la Commission Européenne, Ursula Von der Leyen, a déclaré que l’Union Européenne était le premier bailleur de fonds humanitaires au monde. Quel est le budget de la DG ECHO en 2022 ? 

Maria Groenewald : Le budget de l’UE pour l’aide humanitaire est en 2022 de 1,8 milliards d’euros, un chiffre qui a augmenté depuis l’année dernière. En 2021, la Commission européenne était le deuxième plus grand bailleur de fonds public au monde, derrière les Etats-Unis.

VOICE insiste chaque année dans son plaidoyer auprès de l’Union européenne pour qu’une attention particulière soit portée au budget humanitaire. Nous le savons, chaque année les besoins humanitaires augmentent. Le budget alloué doit donc être cohérent, et augmenter également.

Bien que l’augmentation du budget en 2022 soit un signe positif, il reste tout du moins la question de la répartition de ces financements entre les crises humanitaires et les différentes parties du monde.

Intervention du président Emmanuel Macron au Forum Humanitaire Européen en mars 2022 @European Union (Yasmina et Djamel Besseghir, 2022)

Alain Boinet : Parmi les questions à l’ordre du jour du Forum, il y avait notamment celle du développement de capacités européennes de réponse humanitaire. Il a été question d’ équipes prêtes à intervenir, de matériels pré positionnés, de possible pont aérien et de pont terrestre. Cela veut-il dire que la DG ECHO envisage de devenir opérationnelle ou plutôt quelle souhaite développer de telles capacités avec ces actuels partenaires comme cela a été le cas durant la COVID 19 avec le Réseau Logistique Humanitaire et le pont aérien mis en place pour faire face à l’interruption du transport aérien à l’époque ?  

Maria Groenewald : La plupart de nos membres sont des ONG certifiées auprès de la DG ECHO et travaillent étroitement avec celle-ci depuis des années. Ce Humanitarian Partnership (auparavant le FPA – Framework Partnership Agreement) avec ECHO est nécessaire pour avoir le droit de leur soumettre une proposition pour recevoir des financements pour la mise en œuvre d’un projet humanitaire.

VOICE a des échanges réguliers avec ECHO car nous avons aussi la tâche d’être l’interlocuteur principal entre ECHO et les ONG partenaires pour toutes les questions techniques et opérationnelles dans le cadre de ce Humanitarian Partnership. A cet égard, nous sommes toujours ouverts aux idées et approches innovantes afin de mieux travailler ensemble et pour continuer à répondre aux crises le plus vite possible.

En ce qui concerne le pont humanitaire aérien que vous avez mentionné, c’est une idée qui est née auprès d’ONG françaises, dont quelques ONG membres de VOICE. Nous sommes très enthousiastes de voir qu’ECHO continue d’utiliser ce moyen d’opération qui aide grandement nos membres à résoudre des défis logistiques de façon rapide. Toutefois, cette ‘European Humanitarian Response Capacity’ a pour l’instant un bilan mitigé auprès de VOICE, même s’il est important de préciser que cet outil n’est pas encore totalement développé et déployé. Il faut donc attendre un peu pour connaitre les réels impacts de ces opérations.

Selon VOICE, il n’est pas nécessaire qu’ECHO devienne un opérateur opérationnel, parce que les ONG sont les premières à répondre dans l’urgence aux diverses crises. Nos membres, ONG internationales et leurs partenaires nationaux sont des experts en la matière. Cependant, il y a quand même aussi des points positifs dans cette approche coopérative. Par exemple, une contribution accrue de la DG ECHO pour le pré-positionnement des stocks pour diminuer les défis logistiques une fois qu’une crise commence est une idée positive. Il est cependant important pour nous de rester en contact régulier avec ECHO sur ce sujet, pour être sûr qu’il n’y ait pas de dédoublement des mécanismes existants.

Forum Humanitaire Européen en mars 2022 @European Union (Yasmina et Djamel Besseghir, 2022)

Alain Boinet : Parmi les grandes questions abordées lors du Forum, il y a celle du renforcement des capacités locales. Dans la déclaration finale du Forum, il est question d’une procédure de consultation à ce sujet. Quel est l’agenda de cette consultation et comment VOICE et les ONG partenaires vont-elles y participer ?  

Maria Groenewald : En effet nous étions contents de voir que le sujet de la localisation était très présent pendant le forum. C’est une thématique importante pour la plupart de nos membres qui comme vous l’avez dit, travaillent déjà étroitement avec leurs partenaires locaux et nationaux.

Par ailleurs, le développement de ces nouvelles lignes directrices et la procédure de consultation qui l’accompagne ne sont pas une surprise, puisqu’elles avaient été annoncées en mars 2021, lors de la publication de la Communication de la Commission sur l’action humanitaire. Nous sommes très satisfaits que la DG ECHO ait décidé de prioriser ce sujet via le lancement de cette consultation, que nous espérons inclusive et transparente.

VOICE a 2 groupes de travail qui s’occupent, parmi d’autres sujets, de la localisation. Il y a tout d’abord le Watch Group, le groupe de travail en charge des sujets liés au Humanitarian Partnership, et le groupe de travail Grand Bargain 2.0. Nous allons participer à cette consultation car comme vous l’avez mentionné, il existe déjà des cultures de travail entre nos membres et leurs partenaires locaux, des bons exemples de collaboration sur lesquels nous pourrions prendre appui et en retirer des leçons. Cela nous permettrait de mettre en place une approche de localisation soutenue par DG ECHO. Il est aussi primordial pour nous de lancer une approche coopérative entre les différentes ONG, nationales et internationales, pour mieux travailler ensemble. A titre personnel, je suis convaincue que nous avons besoin l’un de l’autre. Bien sûr, il existe encore de nombreuses barrières à la mise en œuvre de partenariats équitables. Cependant, il ne faut pas se voir comme ennemis mais comme des partenaires devant trouver de nouvelles manières de mieux travailler ensemble, de manière coopérative en s’appuyant sur les expertises respectives. J’espère que les nouvelles lignes directrices de la DG ECHO sur la localisation vont aller dans cette direction.

La raffinerie du parc Vanderbijl du géant du fer et de l’acier ISKOR, en Afrique du Sud. Terres agricoles bordant la zone industrielle. 2007. Photo : © John Hogg/Banque mondiale (CC BY-NC-ND 2.0)

Alain Boinet : Le dérèglement climatique et ses conséquences pour les populations dans les situations de crise est une préoccupation majeure pour les acteurs humanitaires. Plusieurs documents de référence ont été publiés récemment à ce sujet. Mais pour répondre concrètement sur le terrain aux conséquences des défis climatique, quelles sont les initiatives et mesures prévues ?  

Maria Groenewald : Le changement climatique et la résilience dans l’aide humanitaire était le 2e sujet, avec la localisation, qui était le plus présent dans les discussions du forum. De plus, ce sujet majeur, au-delà du secteur humanitaire est, comparé à d’autres sujets, un peu moins difficile à aborder avec un bailleur de fonds comme ECHO, car assez consensuel sur la gravité et l’urgence de la situation. En effet, le nombre de réfugiés et de déplacés internes du au dérèglement climatique est alarmant, sans compter les pronostics effrayants pour les années à venir. D’ailleurs, 11 ONG françaises, dont plusieurs membres de VOICE, ont publié une déclaration après le forum en réaction au lancement de la Déclaration des bailleurs de l’aide humanitaire sur le climat et l’environnement. Nous avons d’ailleurs mentionné leur déclaration dans notre propre déclaration après le forum, puisque nous soutenons tout particulièrement leurs demandes : l’attribution de fonds supplémentaires pour répondre à ces défis est impératif. Nous devons continuer à échanger sur cette problématique, notamment dans le cadre des prochains forums, qui devront déboucher sur des engagements clairs des États membres et de la Commission européenne. La reconnaissance de manière unanime que nous ne pouvons pas ignorer l’urgence climatique plus longtemps est une bonne nouvelle, mais ne constitue qu’une première étape, la prochaine étant de discuter des moyens financiers.

Enfin, il est nécessaire de préciser que bien que nous soyons prêts à faire notre part, en tant qu’ONG internationales, avec le soutien des bailleurs de l’aide humanitaire, nous ne sommes pas la solution à cette crise climatique. Je ne pense pas que ce soit ce que l’on attende de nous. Toutefois, la question climatique est au cœur de la stratégie de plaidoyer de VOICE, auprès de la Commission européenne car chaque euro investit dans les actions d’anticipation est 1€ qui ne sera pas dépensé par la suite en aide humanitaire. VOICE espère aussi que la DG ECHO continuera de s’engager davantage pour soutenir ces actions anticipatives, avec des moyens financiers supplémentaires, sans impact sur les autres lignes du budget humanitaire.

Alain Boinet : Parmi les recommandations de ce document publié par ces 11 ONG dont vous faisiez mention, il est indiqué que « nous invitons la Commission européenne à mettre en place un mécanisme de redevabilité à travers un reporting public annuel dont le Forum Humanitaire Européen pourrait être le lieu Que pensez-vous de cette proposition ? 

Maria Groenewald : Nous sommes tout à fait d’accord avec cette proposition. Ce mécanisme me semble nécessaire car en améliorant la transparence, cela va jouer sur les décisions de répartition des financements. En théorie, tous les chiffres sont disponibles en ligne. Mais en réalité, il n’est pas facile de comprendre l’état actuel des financements humanitaires de DG ECHO et la source de ces financements. Il manque aussi des informations sur les logiques de répartition des montants. Pourquoi tel montant pour le Sahel, tel montant pour l’Asie ou tel pour l’Amérique latine ?

Cette discussion est d’autant plus pertinente dans le cadre de la crise en Ukraine où des montants importants ont été mobilisés. Nous saluons le déploiement de ces aides financières de l’Union européenne et de DG ECHO pour la crise en Ukraine mais cela ne doit pas réduire les budgets pour les autres crises humanitaires, y compris pour les crises de long terme, parfois oubliées.

Donc chaque effort vers plus de transparence est un effort que VOICE salue, en particulier pour tenir responsable les bailleurs de fonds. Nous devons veiller à ce que les intérêts des personnes bénéficiaires de l’aide humanitaire soient au cœur de toutes les décisions.

Alain Boinet : La guerre en Ukraine et ses conséquences dramatiques dans ce pays pour la population, l’accueil de nombreux réfugiés dans les pays limitrophes, les conséquences sur la sécurité alimentaires dans de nombreux pays, en particulier au Proche et au Moyen-Orient et en Afrique, entraine une mobilisation humanitaire internationale exceptionnelle. Mais les budgets sont déjà votés alors qu’il faut secourir l’Ukraine tout en n’abandonnant personne dans les autres crises en cours. Comment agir auprès de la Commission Européenne et des autres bailleurs de fonds afin de n’oublier personne ? Que peuvent et doivent faire VOICE et ses partenaires pour cela ?  

Maria Groenewald : C’est évidemment une question complexe mais primordiale. La crise en Ukraine a bien montré que l’Union européenne et DG ECHO sont des acteurs qui peuvent réagir vite et mobiliser les financements supplémentaires nécessaires face à une crise que peu de personnes avaient anticipé il y a encore 3-4 mois. Nous aimerions voir cette rapidité d’action et cet engagement financier s’appliquer à d’autres crises actuelles et futures.

Acheminement de l’aide par avion-cargo de la France vers la Moldavie, coordonné par le mécanisme de protection civile de l’UE. © Union européenne, 2022 (CC BY-NC-ND 2.0)

Bien sûr, les impacts de cette crise s’appliquent bien au-delà du territoire ukrainien. Elle touche aussi les pays limitrophes qui accueillent les réfugiés, et l’augmentation des prix menace tout particulièrement la sécurité alimentaire dans d’autres régions du monde. VOICE joue un rôle pour influencer l’agenda au niveau politique, y compris sur ce dernier point. Par exemple, le sujet de la relation entre la faim et les conflits n’était pas sur l’agenda initial du Forum Humanitaire Européen 2022. Après une réunion entre nos membres et le directeur adjoint de la DG ECHO, Michael Köhler, en novembre 2021 où nous avons signalé l’absence du sujet, les organisateurs du Forum – la DG ECHO et la présidence française du conseil de l’UE – ont accepté d’ajouter le sujet « Faim & Conflit » à l’agenda. Entre temps, le conflit en Ukraine a éclaté, et il est devenu d’autant plus d’actualité de discuter de ce sujet au cours du Forum.

Donc oui effectivement, nous sommes l’interlocuteur principal entre les ONG certifiées et ECHO pour discuter de toutes les questions techniques mais la plus grande partie de notre travail est de garantir un espace pour les sujets les plus importants au cœur des débats ici à Bruxelles avec DG ECHO et les États membres et d’influencer la manière dont ils sont discutés. Promouvoir l’aide humanitaire et engager davantage d’Etats membres font aussi partie de nos objectifs. Cette nouvelle crise en Ukraine et ses effets globaux montre que l’aide humanitaire n’est pas quelque chose qui ne concerne qu’un petit groupe essayant d’aider les personnes dans le besoin. Non, c’est un sujet qui concerne tout le monde, et en particulier l’ensemble des Etats Membres.

Enfin, à propos des enjeux autour du Droit International Humanitaire, qui est parfois un peu questionné, je pense que nous devons utiliser toutes les occasions possibles pour expliquer systématiquement ce qu’est le Droit International Humanitaire et pourquoi il faut le respecter, dans n’importe quelle crise, guerre ou confrontation, car la mise en place de l’aide humanitaire repose et dépend de ce droit. Il est également important de comprendre que ce n’est pas une question de solidarité. Tout le monde se sent solidaire avec l’Ukraine pour de bonnes raisons. Mais le respect du DIH va au-delà, nos ONG sont obligées de suivre les principes de l’aide humanitaire pour garantir l’arrivée de cette aide aux personnes dans le besoin. C’est l’objectif final de notre action, le reste est politique. Comme vous l’avez dit plus tôt, nous ne sommes pas des acteurs politiques mais des acteurs humanitaires et chacun doit jouer son rôle.

Alain Boinet : Comment voulez-vous conclure cette interview ? 

Maria Groenewald : Il existe 3 points importants pour moi. Tout d’abord, chez VOICE, nous sommes prêts à continuer le dialogue avec DG ECHO et les États membres sur tous les sujets que nous avons discuté pendant le forum parce que ce sont des sujets majeurs, mais aussi pour permettre une continuité et un suivi des déclarations faites au forum. Il faut s’assurer que les discussions se transforment en actions sur les sujets clés tels que la localisation, la recherche des bailleurs de fonds alternatifs, la question des financements pour le climat, une plus grande coopération pour plus efficacité… Nous devons maintenir le lien entre le forum 2022 et 2023 et commencer le prochain forum en discutant de nos avancées sur les différents sujets.

Deuxièmement, il est primordial de continuer, ensemble, la promotion du respect du Droit International Humanitaire et des principes humanitaires. Les récents événements en Ukraine ont bien montré la remise en question de ces principes, ce qui met en danger nos collègues qui travaillent sur le terrain.

Enfin, la question des sanctions de l’Union européenne et des mesures anti-terroristes est un enjeu majeur. Nous ne remettons pas en question la nécessité de telles mesures mais elles ne doivent pas empêcher les organisations humanitaires de mettre en place leurs actions de façon rapide et efficace.

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Qui est Maria Groenewald ? 

Avec plus de 15 ans d’expérience dans le secteur des ONG, Maria Groenewald a développé de solides compétences en matière de plaidoyer et de gestion de projet, tant dans le domaine humanitaire que dans celui du développement. Après avoir étudié les sciences politiques, les sciences de la communication et la sociologie en Allemagne et en France, Maria a commencé sa carrière en travaillant pour Johanniter International Assistance, où elle a acquis de nombreuses expériences de terrain en Afrique. Maria a ensuite rejoint Plan International Allemagne, où elle a occupé différents postes pendant plus de dix ans, par exemple celui de responsable des programmes humanitaire et de développement en Asie. Au cours des quatre années précédant son arrivée chez VOICE, Maria était basée à Bruxelles en tant que Senior Resource Mobilisation Manager chez Plan International Allemagne avec un focus sur les financements et rapports avec la DG ECHO et DG DEVCO (maintenant DG INTPA).

Spécialisée dans la programmation humanitaire et de développement, le nexus, le développement des activités, la mobilisation des ressources, la programmation en lien avec les droits de l’enfant, le partenariat humanitaire (en particulier avec la DG ECHO) et le Grand Bargain, Maria a rejoint l’équipe du secrétariat de VOICE en février 2021 en tant que coordinatrice programme. Elle devient directrice ad intérim en juillet 2021, avant d’être été nommée comme nouvelle directrice de VOICE en novembre 2021.

Pour aller plus loin :

Interview vidéo :