Crise alimentaire mondiale: va-t-on apprendre de nos erreurs ?

Une crise alimentaire qui dure en Somalie. ©EU/ECHO/Anouk Delafortrie

L’effroi. Voici le sentiment que nous, acteurs humanitaires, ressentons face à la crise alimentaire mondiale sans précédent qui secoue la planète. Le constat est sans appel et les projections plus effrayantes les unes que les autres.

Le nombre de personnes ayant besoin d’aide alimentaire augmente partout, même dans les pays à fort revenu. En 2021, les niveaux de la faim dans le monde ont dépassé tous les records antérieurs, avec 828 millions de personnes souffrant de la faim, soit 150 millions de plus qu’en 2019*. L’année 2022 s’annonce déjà comme un nouveau record : on estime à un peu plus d’un demi-million le nombre de personnes qui se trouveront en situation de famine et en danger de mort d’ici la fin de l’année**, soit l’équivalent de toute la population de la ville de Lyon qui risque de mourir de faim… Et cela va s’empirer dans les prochaines années si on ne réagit pas.

Soyons clairs, les organisations humanitaires peinent à répondre à ces besoins croissants, d’autant plus que l’assistance est de plus en plus coûteuse à mettre en œuvre, que ce soit à cause de l’augmentation du prix des denrées ou celle du pétrole pour les transporter. Face à cette situation, notre ONG, comme les autres organisations, tente de s’adapter en composant, par exemple, les paniers alimentaires distribués avec des denrées moins chères. Mais parfois aucune alternative n’est possible. Les acteurs humanitaires sont alors malheureusement obligés de réduire le nombre de personnes bénéficiaires de leurs actions. Richard Ragan, le directeur du Programme Alimentaire Mondial au Yémen, dans une interview à l’agence Reuters, décrivait ainsi la situation dans le pays : “Nous prenons la nourriture des pauvres pour nourrir les affamés”.

Alors, que faire pour sortir du cercle vicieux dans lequel nous sommes englués depuis tant d’années ? 

Si nous en sommes arrivés là, c’est par l’entrechoquement de crises successives : sécheresses intenses, pauvreté endémique, conflits armés, et inondations soudaines se sont lentement conjugués les uns aux autres et ont mis en péril des populations entières. La pandémie de Covid-19 a perturbé les systèmes alimentaires du monde entier, entraînant une augmentation généralisée des prix des aliments. La guerre en Ukraine n’a fait qu’exacerber cette situation. Les perturbations qu’elle a générées dans les chaînes d’approvisionnement des céréales, des fertilisants et du pétrole ont entraîné des spéculations et une flambée des prix. Concrètement, la population perd du pouvoir d’achat pour s’alimenter tandis que les agriculteurs peinent à produire les denrées alimentaires nécessaires.

 

Les fonds humanitaires de l’UE permettent de fournir une aide alimentaire aux familles qui subissent encore les effets du cyclone Idai, un an après qu’il ait touché terre à Beira. ©2020 Union Européenne

Il s’agit donc de repenser l’agriculture et les pratiques alimentaires.

Julie Mayans, Référente pôle Sécurité alimentaire et Moyens d’existence de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL, en témoigne : « Depuis longtemps déjà, de nombreux économistes et spécialistes de l’environnement s’accordent à dire, pour des raisons différentes mais complémentaires, que la manière dont le monde cultive, commercialise et consomme la nourriture n’est pas viable sur le long terme. Il faut se réapproprier les aliments locaux, ne pas consommer en excès les produits carnés ou laitiers, lutter contre le gaspillage alimentaire, diversifier la production agricole et développer ces filières localement, utiliser des engrais organiques, mettre en place des systèmes d’irrigation moins énergivores… Ces solutions durables existent et sont connues. Quelle frustration de constater qu’elles sont peu mises en place, alors qu’elles préviennent les situations d’insécurité alimentaire et de famine !

Chez SOLIDARITÉS INTERNATIONAL, nous formons par exemple les agriculteurs à la fabrication et l’utilisation de biopesticides et du compost en République Centrafricaine, au Cameroun mais aussi au Myanmar ou encore au Venezuela. Nous aidons aussi les pêcheurs à mieux transformer, conserver et commercialiser localement leurs poissons au Bangladesh et au Soudan du Sud. En plus de permettre une agriculture plus durable, ces solutions participent à la lutte contre le dérèglement climatique qui est un facteur majeur de la crise en cours. »

Mais ces projets nécessitent souvent un certain investissement financier et surtout une véritable volonté de changer nos fondamentaux. On leur préfère donc la perpétuation des systèmes actuels, désastreux sur le long terme. Les gouvernements doivent repenser leurs politiques agricoles et doivent avoir pour objectif d’atteindre la souveraineté alimentaire***. On le voit nettement aujourd’hui, les aliments sont globalement disponibles mais les prix s’affolent et ce sont les plus faibles qui trinquent encore.

Nous jouons avec le feu. Le monde a montré sa fragilité et des personnes paient de leurs vies les conséquences de cette crise. Après un pic sans précédent du cours des céréales en mai dernier, la tendance est à la baisse. Cependant, cette accalmie est trompeuse car elle ne change rien au problème de fond. Elle ne doit pas servir de prétexte à l’inaction au risque de perpétuer un système alimentaire mondial dangereux.

Il est temps d’agir, ensemble. Se nourrir est un droit pour toutes et tous.

Antoine Peigney,

Président de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL

 

 

*Rapport 2022 sur l’état de la sécurité alimentaire et la nutrition dans le monde (SOFI) The State of Food Security and Nutrition in the World 2022 | FAO | Food and Agriculture Organization of the United Nations

**Selon, les projections de la FAO (L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) dans sa classification IPC (Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire qui permet d’élaborer des scénarios de nombre de personnes en insécurité alimentaire dans le monde).

***La Souveraineté Alimentaire est “le droit des populations et des pays à définir leur propres politiques alimentaire et agricole, lesquelles doivent être écologiquement, socialement, économiquement et culturellement adaptées” (Sommet Mondial de l’Alimentation à Rome, 2002).

Article complet publié sur le site de Solidarités International. 

S’inscrire au Talk Humanitaire 1ère édition (6 décembre 2022): “Crise alimentaire mondiale, va-t-on apprendre de nos erreurs? ” 

Analyse de la crise alimentaire mondiale et ses liens avec la guerre en Ukraine.

 

Antoine Peigney

Président de Solidarités International, Antoine Peigney est aussi directeur du département santé de Expertise France depuis début juillet 2017. Il a été auparavant le directeur des relations et opérations internationales de la Croix-Rouge française, de 2002 à 2016. Diplômé de l’Ecole Bioforce-Développement à Lyon (dont il a été ensuite membre du C.A pendant 14 ans, jusqu’en 2016), Antoine Peigney a effectué plusieurs missions humanitaires entre 1989 à 1994 : en Roumanie, au Liban, en Bosnie (SOLIDARITÉS INTERNATIONAL), au Sud-Soudan (Action Contre la Faim), en Éthiopie (Médecins du Monde), en Somalie (ACF), en Mauritanie (MDM), en Serbie et au Kosovo (Secours populaire français), en Angola (Terre des Hommes) et en Haïti (émission France 2 « les ailes de l’espoir »).

Projet FARM, quelle efficacité face à l’insécurité alimentaire mondiale ?

Champs de blé dans le village de Spasov en Ukraine. @Liilia Moroz (CC-BY-SA-4.0)

Un mois après le début de la guerre en Ukraine le 24 février, la France dans le cadre de sa Présidence du Conseil de l’Union Européenne (UE) a proposé un cadre de coordination solidaire pour faire face à l’insécurité alimentaire mondiale engendré par le blocage des ports ukrainiens de la mer Noire et par les sanctions prises contre la Russie. Nous présentons ici à nos lecteurs et aux acteurs de l’aide les caractéristiques de cette initiative FARM (Food and Agriculture Resilience Mission) largement adopté au niveau international.

Contexte

Les conséquences de la guerre de la Russie en Ukraine sur l’insécurité alimentaire ne fait aujourd’hui plus aucun doute, et nous impacte tous. D’après le rapport sur la sécurité alimentaire mondiale publié au début de l’été 2022 par l’ONU, près d’une personne sur dix souffre de la faim. Les deux pays représentent à eux seuls environ 30% des exportations mondiales de blé. La Russie, 1er exportateur mondial de céréales depuis 2016 et l’Ukraine 1er et 4ème exportateur de tournesol et maïs, sont au cœur du système alimentaire mondial et assurent l’approvisionnement de céréales pour un grand nombre de pays, notamment en Afrique et au Moyen-Orient. La flambée du coût des engrais importés et la baisse de la production à cause du conflit dérègle considérablement les systèmes d’approvisionnements et met près de 750 millions de personnes vivant dans des pays fortement dépendant des exportations russes et ukrainiennes dans une position particulièrement vulnérable. Alors que les pays africains sont très impactés, notamment du fait de leur niveau d’endettement déjà élevé, ce conflit présente aussi des risques importants pour l’Europe. En effet, le continent Européen importe d’Ukraine de l’huile de tournesol et de maïs ainsi que des engrais N (azote) et K (potassium) qui assurent la fertilisation de nos agricultures. Dans ce contexte, il est donc indispensable de renforcer le soutien au Programme Alimentaire Mondiale (PAM) et renforcer la coordination des différents acteurs pour maximiser l’impact des aides humanitaires et alimentaires.

Des femmes au Niger préparent des champs pour la saison des pluies dans le cadre d’une initiative pour lutter contre la désertification. ©CIAT

C’est dans l’optique de répondre à la crise alimentaire provoquée par la guerre en Ukraine et venir en aide aux pays impactés les plus vulnérable que l’initiative Food and Agriculture Resilience Mission (FARM) a été mis en place dans le cadre de la Présidence française du Conseil de l’Union Européenne. Ce projet voit le jour en mars 2022, suite à une réunion entre les membres du gouvernement français, les acteurs privés, les représentants du PAM et du Fonds International de Développement Agricole (FIDA), de la Commission Européenne et de la Banque Européenne d’Investissement puis endossé par l’Union Européenne, le conseil européen, les membres du G7, et l’Union Africaine. Cette réunion a ensuite permis la création d’une Coalition du secteur Privé pour la Sécurité alimentaire (CPSA) dans laquelle chacune des entreprises s’engage à assurer la mise en œuvre des missions FARM en soutenant :

  • Le secteur agricole ukrainien dans ses capacités de production et d’exportation, en cohérence avec les efforts européens
  • L’accès des pays les plus vulnérables à des denrées agricoles et alimentaires et aux intrants aux côtés du PAM
  • Le développement de capacités de production durables et de chaînes de valeur robustes dans les pays fragiles et notamment en Afrique

Liste des acteurs privés présent durant la réunion : Archer Daniels Midland, Axereal, Blue Like an Orange Sustainable Capital, Bonduelle, Bunge, Florimond Desprez, Cargill, CMA-CGM, Coface, la Compagnie Fruitière, Crédit Agricole, Danone, Géocoton, Invivo-Soufflet, Limagrain, Louis Dreyfus Company, le groupe Roullier, Vivescia, Yara et la Fondation Bill et Melinda Gates.

Cette initiative s’articule autour de 3 piliers majeurs : commerce et transparence, solidarité, production durable. Ces 3 axes visent à assurer les échanges de céréales, garantir l’approvisionnement des pays vulnérables en céréales, soutenir la production agricole ukrainiennes et développer les capacités de production agricoles durables. Au sein de ses 3 piliers, 4 domaines d’actions ont été identifiés : augmenter les capacités de productions locales, encourager la consommation de produits locaux, développer les marchés locaux, et limiter le gaspillage alimentaire.

Pilier But Organisations partenaires Mesures
Pilier commercial Apaiser les tensions sur les marchés agricoles, garantir la pleine transparence des flux ainsi que des stocks et lutter contre les barrières commerciales injustifiées. OMC – exemption de mesures restrictives aux exportations pour tous les achats de la PAM
Pilier Solidarité Soutenir les capacités agricoles ukrainiennes, assurer un accès à prix raisonnable aux denrées agricoles dans les pays les plus touchés, et se préparer à pallier les effets de la guerre sur le niveau de production agricole. PAM, OCDE – initiative des “Corridors de solidarités”
Pilier Production Durable Renforcer les capacités agricoles de manière durable dans les pays les plus concernés. FIDA (en charge du secrétariat du pilier) + Banque Mondiale, Banque Africaine de Développement, Programme mondial pour l’agriculture et la sécurité alimentaire. + AFD – capitaliser et développer des initiatives existantes comme Grande muraille verte, le Programme global de développement de l’agriculture africaine de l’Union africaine (PDDAA) et Protéines Végétales, Projet d’appui au développement de la chaîne de valeur agricole

LES INITIATIVES MISES EN PLACE

  1. Exemple du partenariat FIDA-AFD au Cameroun – Projet d’appui au développement de la chaîne de valeur agricole (Pilier Production durable)

Le partenariat se déroule autour de trois axes :  un dialogue stratégique réaffirmé, le développement de synergies opérationnelles, l’identification d’opportunités de financement coordonnés. Le but de ce partenariat FIDA-AFD est, avec les autorités camerounaises, de renforcer les capacités techniques et de gestion des producteurs agricoles, la durabilité des pratiques agricoles et l’investissement durable et responsable dans le secteur. Pour cela, le groupe AFD-FIDA s’engage à renforcer le capital humain en offrant des formations professionnelles et du conseil agricole.

Ainsi, comme première contribution concrète et conjointe à l’initiative FARM, l’AFD a exprimé son intérêt à engager un dialogue conjoint avec les autorités camerounaises et le FIDA autour d’une contribution financière de cinq millions d’euros au Projet d’appui au développement des filières agricoles – Phase 2 (PADFA II).

Les habitants d’un village au Tchad face à une insécurité alimentaire grandissante. © EC/ECHO/Anouk Delafortrie (CC BY-NC-ND 2.0)
  1. Développement de l’initiative Grande Muraille Verte, PDDAA et initiative Protéines Végétales (Pilier production durable)

Initié en 2007, le projet de restauration écologique et de lutte contre l’insécurité alimentaire en Afrique, Grande Muraille Verte, vise à restaurer 100 millions d’hectares de terres dégradées. Le projet s’étale sur une bande de 8000km, du Sénégal à Djibouti (en passant par la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Nigéria, le Tchad, le Soudan, l’Érythrée et l’Éthiopie). La reforestation de cette région permet de lutter contre le dérèglement climatique et la désertification en favorisant le mécanisme d’évapotranspiration des plantes sur la terre. Augmenter le nombre d’arbres permet aussi de stocker du CO2. Sur le plan socio-économique, la reforestation aide pour la lutte contre la pauvreté et l’insécurité alimentaire. En effet, le projet est générateur d’emplois et produit des ressources alimentaires (fruits, légumes). Durant les 12 dernières années, le projet n’a pas atteint ces objectifs fixés à cause de plusieurs freins. En effet, le projet n’est pas toujours la priorité des gouvernements, souvent préoccupés par des problèmes géopolitiques, et de violences. Les pays rencontrent également un manque considérable de moyens financiers qui rend la concrétisation de l’initiative plus complexe. Ainsi, l’appui du projet FARM pour redynamiser ce projet en augmentant les moyens de financement et humains permettront aux pays de se réapproprier leur territoire de manière durable et soutenable.

Le PDDAA fait partie de l’Aspiration de l’Agenda 2063 et vise à aider les pays africains à éliminer la faim et réduire la pauvreté. Le programme, sous l’initiative FARM va être revalorisé et développé afin de favoriser la croissance économique en développant le secteur agricole par l’augmentation des crédits budgétaires nationaux pour le secteur. Le but est pour les pays africains de consacrer au moins 10% de leurs budgets nationaux à l’agriculture et au développement rural et atteindre un taux de croissance agricole d’au moins 6% par an. L’Union Africaine met en avant l’appropriation africaine et le leadership africain pour ouvrir la voie au changement agricole plus durable.

Le plan Protéines Végétales a été créé suite au lancement de l’Accélérateur de la Grande Muraille Verte en Janvier 2021 après le sommet “One Planet”. Le but de ce plan est d’accélérer la transformation des système alimentaires africains sur la base de modèles plus durables. Le développement de la culture protéagineuse contribue aux objectifs de sécurité alimentaire et au développement socio-économique de la région. L’initiative vise à renforcer les chaînes de valeurs durables des protéines végétales, avec pour but sur le long terme, une autosuffisance agricole de l’Afrique.

C’est trois actions concrètes de l’initiative FARM s’alignent dans une démarche de souveraineté alimentaire et agricole durable pour le continent africain pour réduire la dépendance aux exportation ukrainiennes et ainsi minimiser les conséquences du conflit sur le continent.

3. Corridors de solidarité

Les corridors, mis en place par la Commission Européenne, ont pour objectif principal d’aider l’Ukraine à exporter ses produits agricoles grâce à plusieurs actions concrètes et conjointes mais aussi d’importer les bien dont le pays a besoins. En mai 2022 (date à laquelle ces couloirs ont été mis en place), la commissaire aux transports de la Commission Européenne (CE), Adina Valean, annonce qu’il faudrait que 20 millions de tonnes de céréales sortent d’Ukraine en moins de 3 mois afin de libérer les capacités de stockage pour les récoltes 2022. Les solutions à court et long termes, tels que les corridors, s’organisent en coordination avec les autorités ukrainiennes et les membres de l’UE.

Dans un premier lieu, des corridors de solidarité ont été mis en place pour faciliter le franchissement des frontières entre l’Ukraine et les pays membres de l’UE. La CE a demandé de rendre disponible d’urgence des moyens de transport supplémentaire et à mettre en place une plateforme logistique de mise en relation entre les différents acteurs (EU-Ukraine Business Matchmaking Platform) ainsi que de désigner des points de contact spécifiques aux corridors appelés “guichet unique”. La CE demande également aux gestionnaires d’infrastructures de prioriser les exportations agricoles venant d’Ukraine en leur réservant des créneaux ferroviaires, aux autorités nationales de faire preuve de flexibilité pour accélérer les procédures aux points de passage frontaliers. Pour finir, la CE invite ses membres à se coordonner pour favoriser et faciliter l’entreposage temporaire des exportations ukrainiennes.

Un autre axe des corridors de solidarité se concentre sur les connexions entre les pays membres de l’UE et l’Ukraine, le but étant à moyen terme d’accroitre les capacités d’infrastructures des nouveaux corridors d’exportation et établir de nouvelles connexions d’infrastructures. Dans cette perspective, le 10 mai, des pourparlers ont eu lieu en vue d’un accord sur le transport de marchandises par route en dans les pays membres de l’UE, l’Ukraine et la Moldavie. De plus, la CE a également proposé d’étendre le réseau transeuropéen de transport (RTE-T) à l’Ukraine et la Moldavie pour permettre aux deux pays d’obtenir des financements européens pour leurs infrastructures et faciliter la reconstruction d’après-guerre en Ukraine.

Le port d’Odessa en Ukraine avec des conteneurs de blé près à être exporté. @George Chernilevsky
  1. Exemption de mesures restrictives aux exportations des achats du PAM

Le 27 avril 2022, la CE a présenté une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil, approuvé le 24 mai, pour instaurer des mesures de libéralisation des échanges sur 1 an. Trois mesures proposées sont à retenir :

  • La suspension temporaire de tous les droits de douane pour les produits industriels, les fruits et légumes soumis au système des prix d’entrée et les produits agricoles soumis à des contingents tarifaires
  • La non-perception temporaire des droits antidumping sur les importations originaires d’Ukraine
  • La suspension temporaire du régime commun applicable aux importations pour les importations originaires d’Ukraine.

Le but premier de ces mesures est de favoriser les flux commerciaux entre l’Ukraine et l’UE et créer des conditions propices au renforcement des relations économiques et commerciales en vue de l’intégration progressive du pays dans le marché de l’UE.

Pour bénéficier de ces mesures, l’Ukraine s’engage à respecter les règles d’origine des produits et des procédures, à ne pas introduire de nouveaux droits, taxes ou restrictions pour les importations originaires de l’UE (sauf si cela se justifie dans le contexte de la guerre), et à respecter les principes démocratiques, des droits de l’homme, des libertés fondamentales et du principe de l’état de droit.

Dans ce contexte, la signature d’un accord le 22 juillet à Istanbul entre la Russie et l’Ukraine sur l’exportation, à partir des ports de la mer Noire, des céréales ukrainiennes et russes, grâce aux bons offices de la Turquie et sous l’égide de l’ONU est une décision majeure qui reste à concrétiser dans la durée.

Les risques possibles du projet FARM

Si le plus important est bien l’adoption et la mise en œuvre du projet FARM, il est aussi utile d’en prévoir les risques de dysfonctionnement qui viendraient affecter son efficacité. Le conflit ukrainien et la crise alimentaire qu’il provoque, sans parler de la crise énergétique, engendre des tensions et des mesures d’adaptation entre les pays et redessinent le cadre des relations internationales.  De ce fait, le projet ne sera un succès seulement si les pays membres de l’UE s’affranchissent des incohérences qui accompagnent souvent les décisions prises par les 27 Etats membres. De plus, il y a un réel risque de dédoublement d’initiatives déjà existantes dans les secteurs alimentaires et agricoles. En effet, depuis mars, trois initiatives similaires à celle de FARM ont été lancée : l’Alliance Mondiale sur la Sécurité Alimentaire lancée par l’Allemagne (ayant la présidence du G7), la Roadmap for Global Food Security par les Etats-Unis et la Global Crisis Response Group on Food, Energy and Finance annoncé par les Nations Unies. Ces initiatives montrent l’intérêt et la nécessité de mesures concrètes contre l’insécurité alimentaire mais soulignent l’enjeu d’une bonne coordination internationale pour optimiser le projet FARM. Dans ce contexte, des organisations de la société civile font des propositions. Ainsi, dans un communiqué de presse, le CCFD – Terre Solidaire affirme que “toute vraie réponse internationale à la crise passera par davantage de régulation des marchés, plus de transparence sur les stocks privés et par une transformation profonde de notre système commercial au profit de la souveraineté alimentaire des peuples.”. Le CCFD-Terre Solidaire, en se basant sur les expériences passées du gouvernement en matière de politique agricole et alimentaire, met également en garde sur la possibilité de refaire les mêmes erreurs. L’organisation rappelle le lancement de la Nouvelle Alliance pour la Sécurité Alimentaire et la Nutrition lancée par le G8 en 2012 dans une situation similaire de crise qui avait des objectifs similaires à ceux de FARM. Cependant, l’alliance s’est reposée sur des multinationales et a permis des modifications législatives libéralisant le foncier, les semences et la fiscalité au détriment des producteurs locaux. Face à son manque de résultat, ses limites et aux impacts négatifs qu’elle générait (accaparements des terres, endettement de paysans, absence de redevabilité des entreprises impliquées), Emmanuel Macron a fait le choix en 2018 de s’en retirer. Il est donc important de garder ces considérations en mémoire lors des évaluations et analyses futures de l’initiative FARM.

Les acteurs de l’aide, macro ou micro, sont concernés à des stades divers par ce projet FARM qui vise à limiter les conséquences alimentaires mondiales de la guerre en Ukraine, en particulier pour les populations des pays les plus pauvres déjà affectés par d’autres crises. Avec cet article, Défis Humanitaires entend mieux informer les acteurs de l’aide afin de gagner en efficacité pour les populations en danger. Nous vous remercions pour les témoignages et les informations que vous pourriez nous communiquer à propos de cette initiative FARM.

 

Eva Miccolis avec la collaboration d’Axel Bonnechaux.