L’Union Européenne ECHO et l’humanitaire

 

Entretien avec Pauline Chetcuti, présidente de VOICE

Pauline Chetcuti s’exprimant lors de la conférence de presse en marge du Forum humanitaire européen 2025. © DG ECHO

 

Alain Boinet : A la fin du mois de juillet, l’appel consolidé s’élevait à 45,84 milliards de dollars. A cette date, seulement 7,64 milliards de dollars étaient réunis, ce qui représente environ 40% de moins qu’a la même époque l’année dernière ! En conséquence, les Nations-Unies ont annoncé une réduction drastique de leur plan conduisant à une hyper-priorisation ciblant seulement 114 millions de personnes en danger sur les 310 millions identifiés, avec un budget de 29 milliards de dollars sans aucune garantie d’y parvenir. Qu’en penses-tu ?

Pauline Chetcuti :

Le constat est préoccupant : 40 % de moins que l’an dernier et seulement 17 % du montant demandé est effectivement réuni. Les conséquences seront dramatiques pour les communautés qui ont besoin d’aide.

Cette hyper-priorisation aura des effets très lourds. D’une part, des dizaines de millions de personnes resteront sans aide vitale, avec le risque de basculer dans une précarité accrue. D’autre part, elle risque de créer de nouvelles urgences qui auraient pu être évitées si ces populations avaient été prises en compte.

Elle pose également une question morale et éthique : comment peut-on « trier » ainsi des vies ?

Depuis des années, on travaille sur la question du triple nexus, sur la résilience et la prévention —tout ce qui dépasse la pure urgence. Or, avec cette hyper-priorisation on risque un retour à la seule logique d’urgence, plus coûteuse et génératrice de déséquilibres entre les populations.

Ce mouvement contribue ainsi à décrédibiliser le secteur humanitaire, en laissant de côté des populations, dans un contexte où la confiance des bénéficiaires comme des bailleurs est déjà profondément fragilisée.

Le Secrétaire général António Guterres prononce le discours d’ouverture du débat général de la quatre-vingtième session de l’Assemblée générale. ©Nations Unies

Alain Boinet : Dans un contexte de crise de financement et d’affaiblissement du leadership des Nations-Unies, comment appréhender le projet UN 80 de réforme structurelle lancée par le Secrétaire général à l’occasion du 80ème anniversaire de l’ONU et, dans ce cadre, celui spécifique de l’Humanitarian Reset qui concerne d’une manière ou d’une autre l’ensemble des acteurs humanitaires ?

Pauline Chetchuti :

Évidemment, les coupes budgétaires rendent une réforme nécessaire, même si ce n’est pas nouveau puisque l’ONU se réforme par cycles depuis plusieurs années. Aujourd’hui, nous sommes dans un contexte de crise où les budgets sont coupés, et la réorganisation proposée par UN 80 ainsi que le Humanitarian Reset sont menés en réponse directe à cette situation.

Le projet UN 80, c’est une réorganisation des entités onusiennes avec une meilleure coordination entre les piliers paix – développement – droits humains, ainsi qu’une simplification des mandats, avec potentiellement de grandes agences des Nations Unies regroupées entre elles.

Cette réforme répond donc à une double urgence : la baisse des financements et la perte de crédibilité du multilatéralisme.

Le Humanitarian Reset s’inscrit dans cette logique, avec un objectif de simplification, d’efficacité et de « rentabilité » du secteur. Il vise à recentrer les financements au plus près des pays, notamment via les country-based pooled funds d’OCHA, et met aussi l’accent sur la localisation. Sur le principe, la localisation n’est pas écartée, mais la manière dont elle sera mise en œuvre soulève des questions. Chez VOICE, nous travaillons précisément sur ces points, notamment sur l’importance de maintenir une diversité d’instruments et d’acteurs pour répondre à des contextes complexes et divers.

Il faut toutefois éviter de tout réduire à des aspects techniques. Le succès de ces réformes dépendra également de la volonté politique des bailleurs et de l’engagement des États. À nous, ONG et réseaux, de documenter les conséquences concrètes du Reset pour les organisations et de rappeler notre rôle fondamental et complémentaire dans l’écosystème humanitaire. Les ONG apportent une diversité essentielle, au plus près des contextes et d’une compréhension fine des besoins des populations. Il est donc crucial de s’assurer que tous les acteurs humanitaires soient pris en compte dans le Reset mené par Tom Fletcher.

Enfin, il faut préserver et surtout prioriser la mise en œuvre des acquis des réformes engagées depuis le Sommet humanitaire mondial et le Grand Bargain : la flexibilité des financements, la localisation, le partage des risques et l’allègement des exigences de reporting. On ne peut pas se permettre un retour en arrière.

Tom Fletcher, Secrétaire général adjoint des Nations Unies aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence (OCHA), lors d’une conférence de presse à Genève, le 3 décembre 2024. ©UNOCHA

 

Alain Boinet : Des gouvernements représentant diverses sensibilités politiques, au sein de l’Union Européenne et membres de l’OCDE notamment, sans parler des Etats-Unis, baissent considérablement leur aide humanitaire et au développement. Comment comprendre ces décisions, quelles en seront les conséquences possibles et que peuvent et doivent faire les acteurs humanitaires ?

Pauline Chetcuti :

La crise humanitaire est sévère actuellement, accentuée par les coupes américaines avec la fin de l’USAID, mais c’est aussi une tendance de fond depuis quelques années. Les raisons sont multiples mais on trouve tout de même certains points communs : repli national, recentrage sur les priorités internes, austérité budgétaire, inflation, dette publique. On observe parallèlement une hausse des dépenses militaires et une baisse des dépenses pour la coopération internationale.

S’ajoute une lassitude des bailleurs et une défiance envers l’aide, après le Covid, l’Ukraine, etc. De plus, il devient très difficile pour les États de continuer à défendre et à justifier ces investissements. En effet, il leur est compliqué de maintenir leur engagement lorsqu’ils ne peuvent pas en montrer des résultats immédiats et tangibles, dans une logique de réponse prioritaire aux besoins internes de leurs propres populations.

Par ailleurs, on a un leadership affaibli auprès des Nations Unies, malgré une augmentation énorme des services qu’ils rendent. Il y a vraiment une perte de vitesse et de légitimité des institutions multilatérales et qui sont évidemment poussées par certaines grands puissances (Chine, États Unis..) qui  modifient le contexte dans lequel on est. Et c’est ce qui pousse aujourd’hui les coupes budgétaires.

Les conséquences directes seront particulièrement lourdes pour les communautés déjà fragilisées par les conflits, les chocs climatiques ou les inégalités économiques. Ces populations seront doublement affectées par la baisse des financements, la diminution de la coopération internationale et la réduction du soutien. C’est un cercle vicieux : moins on finance le système d’aide et le sytème multilatéral, moins l’impact de ce système est visible auprès des plus vulnérable. Donc il y a un désengagement des institutions qui affaiblit leur efficacité et leur légitimité et qui ensuite de fait justifie le fait de moins s’engager et investir dans ces mêmes institutions.

Pour nous en tant qu’ONG, membres de la société civile et réseau représentant un grand nombre d’organisations, nous devons résister et réaffirmer l’impact de la coopération internationale et plus particulièrement de l’aide humanitaire. Il faut montrer son impact concret auprès des populations les plus vulnérables, former un narratif fort vis-à-vis des institutions, des bailleurs, mais aussi du grand public.

Les sondages européens montrent encore un soutien citoyen important à l’aide humanitaire mais non toujours reflété par les politiques des États membres. C’est pourquoi il est essentiel de maintenir une voix forte, de continuer à démontrer l’impact positif de l’aide humanitaire et de mettre en avant le partenariat avec les ONG locales. C’est-à-dire que ce n’est pas simplement l’Union européenne qui agit auprès des États dans le reste du monde, mais surtout une démarche visant à créer des sociétés civiles fortes et capables de développer leurs propres capacités au sein des contextes dans lesquels elles évoluent.

Donc c’est un cercle vertueux, auquel on contribue, où les communautés se développent positivement et sortent des cycles de vulnérabilité. Pour nous, l’enjeu est de continuer à s’engager pour contrer la lassitude et le désengagement actuels.

Malakal, capitale de l’État du Haut-Nil, Soudan du Sud, le 16 mai 2023. ©Solidarités International/Bebe Joel

Alain Boinet : Dans une publication récente de VOICE Out Loud (septembre 2025), vous avez publié un long entretien avec la Commissaire Hadja Lahbib sur les divers enjeux de communication pour l’aide humanitaire de l’Union Européenne. Que faut-il en retenir selon toi ?

Pauline Chetcuti :

D’abord, nous sommes très reconnaissants envers la commissaire Hadja Lahbib pour avoir donné sa voix et contribué à cet entretien. Je vous recommande de le lire, il est vraiment très intéressant.

Un message clé ressort de cet échange : parler avec principes et valeurs. Elle place au centre la dignité et le besoin d’être en intégrité avec l’agence de chaque population. Elle met aussi au cœur la communication, écouter ce que veulent les populations avant de « parler par-dessus ». Il ne s’agit pas de « faire de la pub », mais de faire entendre la voix de nos partenaires, dans les différents pays, de manière intègre.

Elle incite à communiquer avec des valeurs, avec une vraie envie de faire passer un message de solidarité et de communauté. L’idée est qu’on peut montrer l’impact tout en allant au-delà des images, parfois indignes (comme celles d’enfants en conflit), souvent utilisées par le passé. On peut communiquer avec dignité pour susciter la solidarité, pas seulement la visibilité.

Hadja Lahbib au Tchad, 2025 © European Union/Denis Sassou Gueipeur.

Alain Boinet : Lors d’un précédent entretien avec toi publié dans Défis Humanitaires au mois de février 2025, nous avions notamment évoqué le budget de la DG ECHO pour 2025. A trois mois de la fin de l’année, connait-on aujourd’hui son montant et comment l’analysez-vous à VOICE ?

Pauline Chetcuti :

La question du budget est fondamentale, et tous nos membres au sein de VOICE la posent.

Pour 2025, le montant s’élève à environ 2,46 milliards d’euros pour la ligne strictement humanitaire. Le chiffre sera consolidé d’ici la fin de l’année, avec d’éventuels renforcements budgétaires. On sait déjà que la réserve d’aide d’urgence a été entièrement mobilisée cette année pour répondre à plusieurs crises majeures, et il est peu probable qu’elle soit renouvelée d’ici la clôture. Cette réserve prévoyait 583 millions d’euros pour 2025.

Nous ne pensons pas qu’il y aura de changement majeur dans la manière dont l’Union européenne financera les crises humanitaires.

S’agissant du projet de budget 2026, La Commission propose un peu plus de 1,8 milliard d’euros pour l’humanitaire, par la suite la Conseil a proposé une hausse de 18 millions à ce montant. C’est une progression, mais elle reste limitée au regard de l’ampleur croissante des besoins humanitaires et de l’inflation. Par ailleurs, cela n’intègre pas à ce stade, la réserve d’urgence et de solidarité qui fera l’objet de discussions au fil de l’année.

Alain Boinet :  Les discussions pour le prochain Cadre Financier Pluriannuel (2028-2035) ont commencé à la Commission Européenne qui devrait présenter une proposition courant 2025. Par ailleurs, la présidente Ursula Von der Leyen et le commissaire Piotr Serafin ont annoncé un budget de 200 milliards d’euros pour « L’Europe globale dans le monde », le nouvel instrument d’action extérieure avec un montant indicatif de 25 milliards d’euros pour l’aide humanitaire. Si l’augmentation est très significative et positive, en revanche des acteurs humanitaires sont inquiets sur le flou et les risques relatifs au cadre et aux finalités. Qu’en pense VOICE et sa présidente ?

Pauline Chetcuti : :

C’est un sujet au cœur de VOICE : comment utiliser ce nouveau cadre financier pluriannuel (MFF) et comprendre ce qu’implique cette Europe globale ?

À VOICE, nous accueillons positivement le montant indicatif de 25 milliards d’euros prévu pour l’aide humanitaire dans ce nouvel instrument Europe Globale. C’est un signal politique fort dans un contexte particulièrement difficile, marqué à la fois par l’augmentation des besoins humanitaires et par un déficit d’intérêt croissant des bailleurs pour soutenir l’aide.

Mais il faut relativiser. D’abord, on ne sait pas encore comment cet instrument sera utilisé. Si l’on additionne le budget annuel et les renforcements des dernières années (dont la réserve d’aide d’urgence) on atteignait déjà un peu plus de 17 milliards d’euros. L’augmentation est donc réelle, mais pas spectaculaire, surtout si l’on considère que les besoins humanitaires vont continuer d’augmenter, d’autant plus si l’ONU poursuit son hyper-priorisation.

Ensuite, ces chiffres ne sont pour l’instant que des propositions puisque les États membres doivent encore se prononcer.

Enfin, une autre préoccupation de VOICE concerne le cadrage politique de ce nouvel instrument. Europe Globale met l’accent sur la compétitivité, la souveraineté et la puissance économique de l’Union européenne plutôt que sur les besoins des populations affectées. On se trouve donc face à un instrument plus politique, inscrit dans une logique de renforcement des intérêts de l’Union européenne.

Néanmoins, l’aide humanitaire semble préservée, et c’est positif. Mais restera-t-elle indépendante des priorités politiques de l’UE ? Ce n’est pas garanti. C’est précisément ce que nous voulons déterminer. Nous plaiderons pour que l’aide demeure fondée sur les besoins des populations et sur les principes humanitaires, et non sur les intérêts des États membres.

Au sein de VOICE, nous allons continuer à pousser ces questions et à engager directement la DG ECHO et la Commission européenne sur les enjeux du MFF. Nous invitons également tous les membres de VOICE à contribuer, à faire remonter leurs préoccupations et surtout à mobiliser les États membres pour qu’ils soutiennent le maintien d’une aide humanitaire indépendante au sein de ce nouvel instrument. Nous appelons chaque État à se positionner sur le nouveau MFF afin de garantir la sécurité et la pérennité de l’enveloppe humanitaire.

Forum Humanitaire Européen, 2024 – © Union européenne

Alain Boinet : Certains Etats-membres souhaitent s’impliquer plus avant et envisagent la création d’une enceinte spécifique des Etats dédiée à l’humanitaire avec pour objectif de sanctuariser l’humanitaire et d’éviter en conséquence toute fongibilité des fonds humanitaires dans l’ensemble des 200 milliards d’euros. Est-ce une piste intéressante ?

Pauline Chetcuti :

Toutes les pistes méritent d’être explorées si elles renforcent l’efficacité et la crédibilité de la dépense.

Néanmoins, il est essentiel de s’assurer aujourd’hui que les financements humanitaires ne soient ni dilués, ni contrôlés par les intérêts nationaux des États membres ou de l’Union européenne autrement dit, par des considérations géopolitiques.

Il faut également que l’aide humanitaire reste flexible, afin de pouvoir réagir à un contexte extrêmement volatile, marqué par des détériorations graves et soudaines dans certains pays. Cette flexibilité doit permettre de répondre à des besoins immédiats, mais aussi à des crises négligées ou oubliées souvent absentes de la lumière médiatique.

Quel que soit le nouvel instrument que l’on construit, il doit  répondre au plus près des besoins des populations, tout en demeurant accessible aux ONG, et en particulier aux partenaires locaux.

En somme, si l’on ouvre ou crée un nouvel instrument, il faut absolument intégrer ces conditions dès le départ et veiller à ce qu’elles soient pleinement incluses dans la piste évoquée.

Alain Boinet : Pour une bonne information de nos lecteurs, notamment hors d’Europe, peux-tu nous présenter VOICE dans les grandes lignes ?

Pauline Chetcuti :

VOICE est un réseau européen d’ONG humanitaires. Nous rassemblons plus de 90 organisations membres basées dans l’UE, ainsi qu’au Royaume-Uni et en Suisse, qui mettent en œuvre ou soutiennent l’aide humanitaire.

Notre rôle est double. D’une part on est un espace de coordination et d’échange entre ONG humanitaire  européennes. Ce qui favorise la prise de positions communes, partage d’expertise, de connaissances et la création de synergies.

D’autre part, on porte un plaidoyer collectif auprès des institutions européennes (DG ECHO, Parlement européen, États membres). À travers nos membres européens et leurs réseaux d’ONG. Par exemple nous travaillons étroitement avec les réseaux nationaux comme Coordination SUD en France pour construire des positions communes.

En somme, VOICE est un pont entre la société civile humanitaire européenne et les décideurs publics dans une région qui reste l’un des principaux bailleurs humanitaires dans le monde.

Un membre du personnel d’Oxfam aide une famille à transporter chez elle les articles non alimentaires qu’elle vient de recevoir à la Maison des Nations Unies, à Djouba. © Oxfam / Anita Kattakuzhy

Alain Boinet : Comment souhaites-tu conclure cet entretien ? Un message, un appel ?

Pauline Chetcuti :

C’est une question difficile. Comment conclure de façon positive face aux défis dont nous venons de parler ?

Évidemment, nous faisons face à une crise existentielle très sévère du système humanitaire. Nous souffrons d’un déficit de crédibilité, auquel il faut savoir répondre. La réponse doit être collective. Les ONG doivent se rassembler pour créer une voix forte, un récit commun qui réaffirme la valeur de la coopération internationale et de la solidarité mondiale. C’est un véritable défi que nous nous fixons au sein des ONG et que nous sommes déterminés à relever.

L’autre point, c’est que les questions de financement, bien qu’essentielles et au cœur des débats actuels, ne sont pas tout. Il faut aussi se rappeler pourquoi nous faisons tout cela et pourquoi il est si important de poser ces questions. Parce que ces financements permettent avant tout de maintenir l’aide auprès des plus vulnérables.

Évidemment, on pense aux conflits oubliés, comme en République démocratique du Congo ou au Soudan, où les contextes sont absolument terribles. On pense aussi à nos collègues et aux populations à Gaza et en Palestine. Si nous nous interrogeons aujourd’hui c’est pour préserver cette solidarité internationale, pour agir au plus près des populations, les aider non seulement à survivre, mais surtout à vivre dignement et à exercer leurs droits fondamentaux.

Enfin, c’est pour moi un appel à la collectivité, un sursaut de solidarité entre nos différentes ONG. Nous avons un réel potentiel collectif si toutes les organisations se mettent ensemble, notamment à travers des réseaux comme VOICE. Nous pouvons porter une voix plus forte et faire passer des idées ainsi que des valeurs essentielles.

Je conclurai en disant que l’argent ne fait pas tout. Ce qui compte, c’est ce que nous en faisons. Comment nous transformons ces financements en changements concrets, en vies améliorées dans les contextes les plus complexes, pour que chacun puisse s’en sortir, survivre et vivre une vie meilleure.

Experts de l’UE et du HCR à la frontière entre le Soudan et le Tchad. Environ 40 000 personnes – réfugiés soudanais et rapatriés tchadiens – ont traversé la frontière depuis le début du conflit au Soudan. © HCR/Aristophane Ngargoune

 


 


 

Pauline Chetcuti : 

Pauline Chetcuti est – depuis juin 2024 – la Présidente de VOICE. Pauline Chetcuti est également responsable des campagnes humanitaires et du plaidoyer pour Oxfam International. Juriste spécialisée en droit international humanitaire et droits humains, elle possède une solide expérience au sein d’agences de l’ONU et d’ONG dans des contextes tels que la Palestine, l’Afghanistan, la RDC et le Myanmar. Elle apporte un leadership stratégique sur les campagnes mondiales et les politiques liées à la protection des civils, à la fragilité et à l’impact du changement climatique sur les populations vulnérables. Auteure de plusieurs publications sur les principes humanitaires, la faim et le lien entre climat et action humanitaire, elle contribue activement au débat international. Experte en gestion de réseaux, elle renforce les partenariats humanitaires et représente Oxfam dans des forums de haut niveau. Guidée par un leadership féministe, elle valorise la diversité, l’inclusion et l’expression des voix de son équipe et de ses partenaires.

 

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Entretien avec Maria Groenewald, Directrice de VOICE

Alain Boinet : Vous êtes la nouvelle directrice de VOICE (Voluntary Organisations in Cooperation in Europe Coordination des ONG humanitaires dans l’Union Européenne) basée à Bruxelles. Je vous remercie pour cette interview. Pouvez-vous d’abord présenter VOICE à nos lectrices et lecteurs ? 

Maria Groenewald : Bonjour Alain ! Pour commencer, je tiens à vous remercier pour cette invitation. C’est un honneur pour moi d’être la nouvelle Directrice de VOICE et de participer en tant que telle à cette interview.

VOICE est le réseau des organisations humanitaires en Europe. Il comporte 80 membres répartis dans 18 pays européens. Une valeur commune nous rassemble tous, celle du respect des principes humanitaires et du Droit International Humanitaire. La force de notre réseau repose sur la diversité de nos membres qui œuvrent dans différents secteurs, avec différents moyens, différentes structures… Ensemble, nous représentons l’interlocuteur humanitaire principal auprès de l’Union européenne, notamment de DG ECHO.

Alain Boinet : Vous avez participé au premier Forum Humanitaire Européen (FHE) du 21 au 23 mars à Bruxelles. Que pensez-vous de cette initiative de la Présidence française et de la Commission Européenne avec la DG ECHO, comment ce Forum s’est-il déroulé et quelles sont ses réponses concrètes à l’ampleur des besoins urgents d’aide humanitaire ?

Maria Groenewald : Premièrement, VOICE salue l’organisation de ce premier Forum Humanitaire Européen. C’était une bonne occasion de mettre l’accent sur l’importance de l’aide humanitaire, sur ses principes et ses défis. Ces moments sont importants car ils permettent de montrer aux acteurs extérieurs, en particulier politiques, que l’aide humanitaire nous concerne tous. Les événements en Ukraine l’illustrent bien. Selon les Nations Unies, plus de 274 millions de personnes en 2022 ont besoin d’une aide humanitaire. Cela est sans compter les 15,7 millions d’Ukrainiens dans le besoin depuis le début des hostilités. Il est impératif d’en parler, d’avoir des discussions, au niveau politique, sur l’aide humanitaire et ses défis.

Deuxièmement, beaucoup de nos membres ont apprécié ce moment de rencontre en présentiel après deux ans de période covid. Ce fut un moment de networking entre les ONG mais aussi avec les acteurs politiques, la Commission européenne, DG ECHO… Toutefois, les discussions étaient un peu limitées en termes de participation, de débats et d’échanges spontanés. Il faudrait donc revoir le format du forum pour permettre plus d’échanges. Aussi, bien que beaucoup de sujets importants ont été abordés, le choix de ces derniers ne s’est pas fait de manière suffisamment participative.

Chez VOICE, nous aimerions collaborer plus étroitement avec la DG ECHO et la présidence suédoise du Conseil de l’Union européenne, dans la préparation du prochain Forum afin de porter la perspective des ONG, de proposer une approche davantage participative et conduisant à des engagements concrets de la part des principaux acteurs. Nous aimerions donc échanger bien en amont de l’événement sur les sujets les plus pertinents à aborder pour réellement faire avancer les choses. Evidemment, tous les thèmes sont importants mais se concentrer sur certains sujets pourrait aussi être plus efficace.

2) Maria Groenewald (à gauche) Directrice de VOICE, Dominic Crowley (à droite), Président de VOICE, et le député européen Barry Andrews (au milieu), en réunion en marge de Forum Humanitaire Européen 2022.

Alain Boinet : Les financements humanitaires ne sont pas suffisants pour répondre cette année encore aux besoins identifiés qui concernent 300 millions de personnes en danger dans le monde du fait d’une crise (conflit, catastrophe, épidémie).  Il manquerait en moyenne 40% des fonds indispensables pour une aide d’urgence ! Quelle a été la réponse de la Commission Européenne à ce sujet lors du FHE et que devons-nous faire nous-mêmes ?  

Maria Groenewald : C’est une question majeure, mais aussi l’une des plus compliquées.  Cette question est d’autant plus importante lorsque l’on observe ces dernières années une augmentation continue du nombre de personnes dans le besoin humanitaire – augmentation bien plus rapide que celle des financements. Il est donc primordial de se concerter pour chercher des solutions et d’échanger sur des idées innovantes.

Au niveau européen, DG ECHO a de nouveau augmenté son budget pour l’aide humanitaire pour l’année 2022. De plus, la question de l’élargissement de la base des donateurs est une des priorités de la DG ECHO, et à ce titre, le sujet a également été traité durant le forum. Il est donc positif de constater que la problématique est largement reconnue par DG ECHO et que des efforts de plaidoyer pour élargir la base des bailleurs de fonds sont mis en œuvre. Cela reste une tâche très difficile et VOICE aimerait voir plus d’efforts de la part des États membres qui, selon nous, disposent d’un potentiel non-négligeable d’augmentation des financements humanitaires. Les capacités de notre réseau, et la présence de nos membres dans les différents pays de l’UE, pourraient permettre de participer à un effort d’argumentation et de persuasion.

En parallèle, et bien que l’augmentation des financements humanitaires par les bailleurs de fonds reste une condition sine qua non pour faire face aux besoins humanitaires grandissant, nous sommes engagés chez VOICE dans un travail de réflexion sur les modalités d’utilisation de ces fonds. Notre groupe de travail Grand Bargain 2.0 traite ce sujet, et notre « VOICE Policy Resolution 2021 » s’est focalisé sur ce point. Comment pouvons-nous opérer de façon plus efficace dans le cadre d’actions humanitaires ? Car la grande question reste celle-ci : comment investir les moyens mis à notre disposition de la manière la plus efficace possible ? C’est aussi la raison pour laquelle, pour le prochain forum, nous aimerions qu’il y ait plus de discussions invitant les ONG et les autres acteurs à réfléchir à des idées innovantes dans le cadre de la question de l’utilisation optimale de financements limités, et de l’impact des actions humanitaires. On peut penser à la digitalisation par exemple.

Alain Boinet : La Présidente de la Commission Européenne, Ursula Von der Leyen, a déclaré que l’Union Européenne était le premier bailleur de fonds humanitaires au monde. Quel est le budget de la DG ECHO en 2022 ? 

Maria Groenewald : Le budget de l’UE pour l’aide humanitaire est en 2022 de 1,8 milliards d’euros, un chiffre qui a augmenté depuis l’année dernière. En 2021, la Commission européenne était le deuxième plus grand bailleur de fonds public au monde, derrière les Etats-Unis.

VOICE insiste chaque année dans son plaidoyer auprès de l’Union européenne pour qu’une attention particulière soit portée au budget humanitaire. Nous le savons, chaque année les besoins humanitaires augmentent. Le budget alloué doit donc être cohérent, et augmenter également.

Bien que l’augmentation du budget en 2022 soit un signe positif, il reste tout du moins la question de la répartition de ces financements entre les crises humanitaires et les différentes parties du monde.

Intervention du président Emmanuel Macron au Forum Humanitaire Européen en mars 2022 @European Union (Yasmina et Djamel Besseghir, 2022)

Alain Boinet : Parmi les questions à l’ordre du jour du Forum, il y avait notamment celle du développement de capacités européennes de réponse humanitaire. Il a été question d’ équipes prêtes à intervenir, de matériels pré positionnés, de possible pont aérien et de pont terrestre. Cela veut-il dire que la DG ECHO envisage de devenir opérationnelle ou plutôt quelle souhaite développer de telles capacités avec ces actuels partenaires comme cela a été le cas durant la COVID 19 avec le Réseau Logistique Humanitaire et le pont aérien mis en place pour faire face à l’interruption du transport aérien à l’époque ?  

Maria Groenewald : La plupart de nos membres sont des ONG certifiées auprès de la DG ECHO et travaillent étroitement avec celle-ci depuis des années. Ce Humanitarian Partnership (auparavant le FPA – Framework Partnership Agreement) avec ECHO est nécessaire pour avoir le droit de leur soumettre une proposition pour recevoir des financements pour la mise en œuvre d’un projet humanitaire.

VOICE a des échanges réguliers avec ECHO car nous avons aussi la tâche d’être l’interlocuteur principal entre ECHO et les ONG partenaires pour toutes les questions techniques et opérationnelles dans le cadre de ce Humanitarian Partnership. A cet égard, nous sommes toujours ouverts aux idées et approches innovantes afin de mieux travailler ensemble et pour continuer à répondre aux crises le plus vite possible.

En ce qui concerne le pont humanitaire aérien que vous avez mentionné, c’est une idée qui est née auprès d’ONG françaises, dont quelques ONG membres de VOICE. Nous sommes très enthousiastes de voir qu’ECHO continue d’utiliser ce moyen d’opération qui aide grandement nos membres à résoudre des défis logistiques de façon rapide. Toutefois, cette ‘European Humanitarian Response Capacity’ a pour l’instant un bilan mitigé auprès de VOICE, même s’il est important de préciser que cet outil n’est pas encore totalement développé et déployé. Il faut donc attendre un peu pour connaitre les réels impacts de ces opérations.

Selon VOICE, il n’est pas nécessaire qu’ECHO devienne un opérateur opérationnel, parce que les ONG sont les premières à répondre dans l’urgence aux diverses crises. Nos membres, ONG internationales et leurs partenaires nationaux sont des experts en la matière. Cependant, il y a quand même aussi des points positifs dans cette approche coopérative. Par exemple, une contribution accrue de la DG ECHO pour le pré-positionnement des stocks pour diminuer les défis logistiques une fois qu’une crise commence est une idée positive. Il est cependant important pour nous de rester en contact régulier avec ECHO sur ce sujet, pour être sûr qu’il n’y ait pas de dédoublement des mécanismes existants.

Forum Humanitaire Européen en mars 2022 @European Union (Yasmina et Djamel Besseghir, 2022)

Alain Boinet : Parmi les grandes questions abordées lors du Forum, il y a celle du renforcement des capacités locales. Dans la déclaration finale du Forum, il est question d’une procédure de consultation à ce sujet. Quel est l’agenda de cette consultation et comment VOICE et les ONG partenaires vont-elles y participer ?  

Maria Groenewald : En effet nous étions contents de voir que le sujet de la localisation était très présent pendant le forum. C’est une thématique importante pour la plupart de nos membres qui comme vous l’avez dit, travaillent déjà étroitement avec leurs partenaires locaux et nationaux.

Par ailleurs, le développement de ces nouvelles lignes directrices et la procédure de consultation qui l’accompagne ne sont pas une surprise, puisqu’elles avaient été annoncées en mars 2021, lors de la publication de la Communication de la Commission sur l’action humanitaire. Nous sommes très satisfaits que la DG ECHO ait décidé de prioriser ce sujet via le lancement de cette consultation, que nous espérons inclusive et transparente.

VOICE a 2 groupes de travail qui s’occupent, parmi d’autres sujets, de la localisation. Il y a tout d’abord le Watch Group, le groupe de travail en charge des sujets liés au Humanitarian Partnership, et le groupe de travail Grand Bargain 2.0. Nous allons participer à cette consultation car comme vous l’avez mentionné, il existe déjà des cultures de travail entre nos membres et leurs partenaires locaux, des bons exemples de collaboration sur lesquels nous pourrions prendre appui et en retirer des leçons. Cela nous permettrait de mettre en place une approche de localisation soutenue par DG ECHO. Il est aussi primordial pour nous de lancer une approche coopérative entre les différentes ONG, nationales et internationales, pour mieux travailler ensemble. A titre personnel, je suis convaincue que nous avons besoin l’un de l’autre. Bien sûr, il existe encore de nombreuses barrières à la mise en œuvre de partenariats équitables. Cependant, il ne faut pas se voir comme ennemis mais comme des partenaires devant trouver de nouvelles manières de mieux travailler ensemble, de manière coopérative en s’appuyant sur les expertises respectives. J’espère que les nouvelles lignes directrices de la DG ECHO sur la localisation vont aller dans cette direction.

La raffinerie du parc Vanderbijl du géant du fer et de l’acier ISKOR, en Afrique du Sud. Terres agricoles bordant la zone industrielle. 2007. Photo : © John Hogg/Banque mondiale (CC BY-NC-ND 2.0)

Alain Boinet : Le dérèglement climatique et ses conséquences pour les populations dans les situations de crise est une préoccupation majeure pour les acteurs humanitaires. Plusieurs documents de référence ont été publiés récemment à ce sujet. Mais pour répondre concrètement sur le terrain aux conséquences des défis climatique, quelles sont les initiatives et mesures prévues ?  

Maria Groenewald : Le changement climatique et la résilience dans l’aide humanitaire était le 2e sujet, avec la localisation, qui était le plus présent dans les discussions du forum. De plus, ce sujet majeur, au-delà du secteur humanitaire est, comparé à d’autres sujets, un peu moins difficile à aborder avec un bailleur de fonds comme ECHO, car assez consensuel sur la gravité et l’urgence de la situation. En effet, le nombre de réfugiés et de déplacés internes du au dérèglement climatique est alarmant, sans compter les pronostics effrayants pour les années à venir. D’ailleurs, 11 ONG françaises, dont plusieurs membres de VOICE, ont publié une déclaration après le forum en réaction au lancement de la Déclaration des bailleurs de l’aide humanitaire sur le climat et l’environnement. Nous avons d’ailleurs mentionné leur déclaration dans notre propre déclaration après le forum, puisque nous soutenons tout particulièrement leurs demandes : l’attribution de fonds supplémentaires pour répondre à ces défis est impératif. Nous devons continuer à échanger sur cette problématique, notamment dans le cadre des prochains forums, qui devront déboucher sur des engagements clairs des États membres et de la Commission européenne. La reconnaissance de manière unanime que nous ne pouvons pas ignorer l’urgence climatique plus longtemps est une bonne nouvelle, mais ne constitue qu’une première étape, la prochaine étant de discuter des moyens financiers.

Enfin, il est nécessaire de préciser que bien que nous soyons prêts à faire notre part, en tant qu’ONG internationales, avec le soutien des bailleurs de l’aide humanitaire, nous ne sommes pas la solution à cette crise climatique. Je ne pense pas que ce soit ce que l’on attende de nous. Toutefois, la question climatique est au cœur de la stratégie de plaidoyer de VOICE, auprès de la Commission européenne car chaque euro investit dans les actions d’anticipation est 1€ qui ne sera pas dépensé par la suite en aide humanitaire. VOICE espère aussi que la DG ECHO continuera de s’engager davantage pour soutenir ces actions anticipatives, avec des moyens financiers supplémentaires, sans impact sur les autres lignes du budget humanitaire.

Alain Boinet : Parmi les recommandations de ce document publié par ces 11 ONG dont vous faisiez mention, il est indiqué que « nous invitons la Commission européenne à mettre en place un mécanisme de redevabilité à travers un reporting public annuel dont le Forum Humanitaire Européen pourrait être le lieu Que pensez-vous de cette proposition ? 

Maria Groenewald : Nous sommes tout à fait d’accord avec cette proposition. Ce mécanisme me semble nécessaire car en améliorant la transparence, cela va jouer sur les décisions de répartition des financements. En théorie, tous les chiffres sont disponibles en ligne. Mais en réalité, il n’est pas facile de comprendre l’état actuel des financements humanitaires de DG ECHO et la source de ces financements. Il manque aussi des informations sur les logiques de répartition des montants. Pourquoi tel montant pour le Sahel, tel montant pour l’Asie ou tel pour l’Amérique latine ?

Cette discussion est d’autant plus pertinente dans le cadre de la crise en Ukraine où des montants importants ont été mobilisés. Nous saluons le déploiement de ces aides financières de l’Union européenne et de DG ECHO pour la crise en Ukraine mais cela ne doit pas réduire les budgets pour les autres crises humanitaires, y compris pour les crises de long terme, parfois oubliées.

Donc chaque effort vers plus de transparence est un effort que VOICE salue, en particulier pour tenir responsable les bailleurs de fonds. Nous devons veiller à ce que les intérêts des personnes bénéficiaires de l’aide humanitaire soient au cœur de toutes les décisions.

Alain Boinet : La guerre en Ukraine et ses conséquences dramatiques dans ce pays pour la population, l’accueil de nombreux réfugiés dans les pays limitrophes, les conséquences sur la sécurité alimentaires dans de nombreux pays, en particulier au Proche et au Moyen-Orient et en Afrique, entraine une mobilisation humanitaire internationale exceptionnelle. Mais les budgets sont déjà votés alors qu’il faut secourir l’Ukraine tout en n’abandonnant personne dans les autres crises en cours. Comment agir auprès de la Commission Européenne et des autres bailleurs de fonds afin de n’oublier personne ? Que peuvent et doivent faire VOICE et ses partenaires pour cela ?  

Maria Groenewald : C’est évidemment une question complexe mais primordiale. La crise en Ukraine a bien montré que l’Union européenne et DG ECHO sont des acteurs qui peuvent réagir vite et mobiliser les financements supplémentaires nécessaires face à une crise que peu de personnes avaient anticipé il y a encore 3-4 mois. Nous aimerions voir cette rapidité d’action et cet engagement financier s’appliquer à d’autres crises actuelles et futures.

Acheminement de l’aide par avion-cargo de la France vers la Moldavie, coordonné par le mécanisme de protection civile de l’UE. © Union européenne, 2022 (CC BY-NC-ND 2.0)

Bien sûr, les impacts de cette crise s’appliquent bien au-delà du territoire ukrainien. Elle touche aussi les pays limitrophes qui accueillent les réfugiés, et l’augmentation des prix menace tout particulièrement la sécurité alimentaire dans d’autres régions du monde. VOICE joue un rôle pour influencer l’agenda au niveau politique, y compris sur ce dernier point. Par exemple, le sujet de la relation entre la faim et les conflits n’était pas sur l’agenda initial du Forum Humanitaire Européen 2022. Après une réunion entre nos membres et le directeur adjoint de la DG ECHO, Michael Köhler, en novembre 2021 où nous avons signalé l’absence du sujet, les organisateurs du Forum – la DG ECHO et la présidence française du conseil de l’UE – ont accepté d’ajouter le sujet « Faim & Conflit » à l’agenda. Entre temps, le conflit en Ukraine a éclaté, et il est devenu d’autant plus d’actualité de discuter de ce sujet au cours du Forum.

Donc oui effectivement, nous sommes l’interlocuteur principal entre les ONG certifiées et ECHO pour discuter de toutes les questions techniques mais la plus grande partie de notre travail est de garantir un espace pour les sujets les plus importants au cœur des débats ici à Bruxelles avec DG ECHO et les États membres et d’influencer la manière dont ils sont discutés. Promouvoir l’aide humanitaire et engager davantage d’Etats membres font aussi partie de nos objectifs. Cette nouvelle crise en Ukraine et ses effets globaux montre que l’aide humanitaire n’est pas quelque chose qui ne concerne qu’un petit groupe essayant d’aider les personnes dans le besoin. Non, c’est un sujet qui concerne tout le monde, et en particulier l’ensemble des Etats Membres.

Enfin, à propos des enjeux autour du Droit International Humanitaire, qui est parfois un peu questionné, je pense que nous devons utiliser toutes les occasions possibles pour expliquer systématiquement ce qu’est le Droit International Humanitaire et pourquoi il faut le respecter, dans n’importe quelle crise, guerre ou confrontation, car la mise en place de l’aide humanitaire repose et dépend de ce droit. Il est également important de comprendre que ce n’est pas une question de solidarité. Tout le monde se sent solidaire avec l’Ukraine pour de bonnes raisons. Mais le respect du DIH va au-delà, nos ONG sont obligées de suivre les principes de l’aide humanitaire pour garantir l’arrivée de cette aide aux personnes dans le besoin. C’est l’objectif final de notre action, le reste est politique. Comme vous l’avez dit plus tôt, nous ne sommes pas des acteurs politiques mais des acteurs humanitaires et chacun doit jouer son rôle.

Alain Boinet : Comment voulez-vous conclure cette interview ? 

Maria Groenewald : Il existe 3 points importants pour moi. Tout d’abord, chez VOICE, nous sommes prêts à continuer le dialogue avec DG ECHO et les États membres sur tous les sujets que nous avons discuté pendant le forum parce que ce sont des sujets majeurs, mais aussi pour permettre une continuité et un suivi des déclarations faites au forum. Il faut s’assurer que les discussions se transforment en actions sur les sujets clés tels que la localisation, la recherche des bailleurs de fonds alternatifs, la question des financements pour le climat, une plus grande coopération pour plus efficacité… Nous devons maintenir le lien entre le forum 2022 et 2023 et commencer le prochain forum en discutant de nos avancées sur les différents sujets.

Deuxièmement, il est primordial de continuer, ensemble, la promotion du respect du Droit International Humanitaire et des principes humanitaires. Les récents événements en Ukraine ont bien montré la remise en question de ces principes, ce qui met en danger nos collègues qui travaillent sur le terrain.

Enfin, la question des sanctions de l’Union européenne et des mesures anti-terroristes est un enjeu majeur. Nous ne remettons pas en question la nécessité de telles mesures mais elles ne doivent pas empêcher les organisations humanitaires de mettre en place leurs actions de façon rapide et efficace.

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Qui est Maria Groenewald ? 

Avec plus de 15 ans d’expérience dans le secteur des ONG, Maria Groenewald a développé de solides compétences en matière de plaidoyer et de gestion de projet, tant dans le domaine humanitaire que dans celui du développement. Après avoir étudié les sciences politiques, les sciences de la communication et la sociologie en Allemagne et en France, Maria a commencé sa carrière en travaillant pour Johanniter International Assistance, où elle a acquis de nombreuses expériences de terrain en Afrique. Maria a ensuite rejoint Plan International Allemagne, où elle a occupé différents postes pendant plus de dix ans, par exemple celui de responsable des programmes humanitaire et de développement en Asie. Au cours des quatre années précédant son arrivée chez VOICE, Maria était basée à Bruxelles en tant que Senior Resource Mobilisation Manager chez Plan International Allemagne avec un focus sur les financements et rapports avec la DG ECHO et DG DEVCO (maintenant DG INTPA).

Spécialisée dans la programmation humanitaire et de développement, le nexus, le développement des activités, la mobilisation des ressources, la programmation en lien avec les droits de l’enfant, le partenariat humanitaire (en particulier avec la DG ECHO) et le Grand Bargain, Maria a rejoint l’équipe du secrétariat de VOICE en février 2021 en tant que coordinatrice programme. Elle devient directrice ad intérim en juillet 2021, avant d’être été nommée comme nouvelle directrice de VOICE en novembre 2021.

Pour aller plus loin :

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