Dakar : entretien exclusif pour le Forum Mondial de l’Eau

Serigne Mbaye Thiam, Abdoulyale Sene et Patrick Lavarde @GPE/Ludovica Pellicioli, Forum Mondial de l’Eau et Défis Humanitaires.

Entretien avec Mr Serigne Mbaye Thiam, Ministre de l’Eau et de l’Assainissement du Sénégal, Patrick Lavarde, Co-Président du Comité International de Pilotage et Abdoulyale Sene, Co-Président du 9ème Forum Mondial de l’Eau lors de la réunion préparatoire des parties prenantes les 14 et 15 octobre 2021 à Dianiadio/Dakar au Sénégal.


Alain Boinet : Le prochain Forum Mondial de l’Eau, qui aura lieu du 21 au 26 mars 2022 à Dakar au Sénégal, tiendra t’il toutes ses promesses.

Serigne Mbaye Thiam : D’abord ce que je voudrais indiquer que le président Macky Sall et le Sénégal ont la légitimité au niveau mondial d’élever le débat sur l’eau au niveau des chefs d’Etats, de gouvernement, et des grandes institutions. Je rappelle que lors de sa présidence du Conseil de Sécurité de l’ONU, c’est le Sénégal, par la voix du chef de l’Etat qui a pour la première fois en 70 ans, posé un débat sur l’eau au Conseil de sécurité, c’était la paix et sécurité. Tout le monde s’est rendu compte à l’époque qu’effectivement en 70 ans c’était la première fois que la question de l’eau était posée au Conseil de sécurité et cette initiative du Sénégal a permis d’ouvrir le débat en plaçant la question de l’eau à un niveau mondial.

Et c’est dans le continuum de cette initiative que le Président a pensé que pour le Forum de l’Eau de Dakar qui se tient en mars 2022, il faudrait innover et élargir à côté des acteurs gouvernementaux, ceux de la société civile, du secteur privé, des collectivités, des parlements. Il faut en profiter pour faire un sommet des chefs d’État des gouvernements et des grandes institutions. La question de l’eau est une question éminemment politique et ce matin lors des premières interventions au cours de ces deux réunions des parties prenantes, beaucoup sont revenus sur la question de l’engagement politique au plus haut niveau.

C’est cet engagement politique au plus haut niveau que le Président Macky Sall a voulu imprimer en perspective justement de cette conférence de 2023 aux Nations Unies sur les questions de l’eau et je suis persuadé que c’est une question qui va traverser aussi sa présidence de l’Union africaine en 2022.

Le Président de la République du Sénagal Macky Sall, à la tribune des Nations Unies en septembre 2016 @ONU

Défis Humanitaires : Le thème de ce forum est celui de « La sécurité de l’eau pour la paix et le développement ». Ne risque-t-il pas d’oublier les pays et populations qui ne sont ni en paix ni en développement, qui font face à des crises et qui ont un urgent besoin d’accès à l’eau et à l’assainissement comme les pays du Sahel ?

Serigne Mbaye Thiam : Je pense que le thème du forum déjà renseigne sur la volonté et l’ambition que nous avons d’avoir une vision holistique de l’eau, le thème je le rappelle, la sécurité de l’eau pour la paix et le développement. Dans le terme il y a le mot « sécurité » il y a le mot « paix » et il y a le mot « développement ».

Nous avons voulu toucher tous les secteurs et je suis persuadé qu’au niveau des sessions spéciales que nous aurons, au niveau des débats du forum, nous aurons à adresser la question de l’accès à l’eau de façon générale. Je veux parler de l’hydraulique et en même temps de l’assainissement. Nous aurons à aborder ces questions dans des contextes difficiles où les populations sont vulnérables ou défavorisées, y compris dans des zones de crises où ces questions-là peuvent poser des enjeux qui  ne sont peut-être pas de développement mais plutôt de survie.

Défis Humanitaires : A l’issue de ces deux jours des parties prenantes à Dakar, est-ce que le FME est bien sur les rails ?

Abdoulaye Sene : Oui c’est une question à laquelle nous répondons par un oui très optimiste et très réaliste parce que tout simplement nous avons investi beaucoup d’énergie, beaucoup de consultations et d’échanges pour élaborer ce que devait être le contenu du forum. Aujourd’hui nous sommes très satisfaits de constater que les groupes consultatifs qui ont été mis en place et qui regroupent plus de 1000 acteurs ont pu produire des solutions extrêmement pertinentes très inclusives et très concrètes aussi.

Nous considérons donc que du point de vue du contenu thématique nous avons la matière et que nous sommes absolument confiant quant à l’intérêt que ce contenu va susciter et donc aussi au succès que devait avoir en termes de résultat concret, en terme de propositions concrètes, en terme d’initiatives marquantes pour que ce forum soit un forum solide. Et sur le plan de l’engagement des acteurs on peut constater qu’avec le taux de participation que nous avons obtenu, dans un contexte très particulier de pandémie, cela nous conforte car le monde est en train de redémarrer et aujourd’hui on voit clairement que les acteurs de l’eau apportent une réponse très positive.

Les participants de cette réunion des 14 et 15 octobre au Sénégal à Diamniadio sont venus des tous continents, d’Afrique du Sud, d’Europe, d’Asie, d’Amérique et comme vous le voyez aussi au Sénégal nous avons une situation qui offre de belles embellies. Nous sommes très confiants quant au fait que nous devrions avoir un forum aussi en présentiel avec tous les impacts au plan économique, social et politique.

Défis Humanitaires : Si le FME est bien sur les rails, arrivera-t-il à l’heure au Forum de Dakar le 21 mars 2022 ?

Patrick Lavarde : Je pense que nous pouvons dire que le forum est sur les rails. A 5 mois de l’échéance, nous sommes comme je le disais ce matin dans la dernière ligne droite. Nous avons atteint l’objectif pour ce qui concerne le volet thématique des 4 priorités du forum puisque les groupes qui ont travaillé dans des conditions difficiles ont produit 92 sessions, c’est dire moins de 100, qui est l’objectif qui était assigné, qui couvre bien les 4 priorités, tous les grands enjeux liés aux cibles des ODD. Et nous sommes maintenant en train de travailler sur les messages et actions politiques avec les différent segments politiques. Les choses sont bien avancées avec les autorités locales, on l’a entendu ce matin et avec les bassins et nous travaillerons d’ailleurs demain avec les parlementaires.

Dakar, Diamniadio, réunion des parties prenantes 5 mois avant le 9ème Forum Mondial de l’Eau du 21 au 26 mars 2022. @Alain Boinet

Défis Humanitaires : Vous avez voulu que ce FME soit celui des solutions et des actions concrètes, le sera-t-il vraiment ?

Abdoulaye Sene : Vous avez certainement dû noter que nous avons mis en œuvre une grande innovation pour ce forum avec l’initiative Dakar 2022 qui a suscité un très grand intérêt et l’écho est très favorable dans tous les continents et cette dynamique que nous avons enclenché nous a permis véritablement d’apporter déjà des réponses. Ces réponses il faudra les consolider puis travailler à passer à l’échelle. Mais au-delà de cela, nous avons cherché à encourager les acteurs à discuter, échanger, mais surtout faire des propositions concrètes. Nous pouvons considérer que ce qui est ressorti de ces échanges va nous permettre véritablement d’avoir des propositions très concrètes, très faciles à traduire en action.

Les groupes consultatifs ont élaboré des propositions, nous allons nous appuyer sur ces propositions pour préparer certainement une grande déclaration politique que les chefs d’États vont endosser dès le premier jour du forum et confier cette déclaration aux différents segments politiques, ministériels, élus locaux, les parlementaires, les évaluations de bassins pour décliner cela en action et mettre cela en œuvre. Et c’est pourquoi c’est un processus un peu inversé. D’habitude on dit les gens discutent et après ?? Ici il y a eu une discussion préalable qui a abouti à des propositions, ces propositions vont nous permettre d’élaborer une déclaration que les politiques vont engager au plus haut niveau. Après cette adoption, il y aura une déclinaison sur le terrain qui va suivre. Nous sommes convaincus que de cette manière-là on va accélérer l’action.

Défis Humanitaires : Durant cette réunion des parties prenantes les 14 et 15 octobre, on est surtout  resté sur des considérations générales plutôt que sur des projets concrets en matière d’eau et d’assainissement.  Comment passer maintenant des idées aux actes ?

Patrick Lavarde : Je pense qu’il faut attendre d’avoir le détail des sessions pour se rendre compte effectivement. Le risque est tout à fait évident. Il faut se souvenir que l’on a demandé aux différents groupes d’action de travailler sur la base de projets qui sont soit des choses très concrètes sur des territoires, soit des actions à mener. Dans d’autres cas ce sera peut-être un peu plus conceptuel mais il me semble que l’on aura une base assez solide sur le plan concret et je suis assez confiant sur les segments politiques puisque, si je prends l’exemple des autorités locales, le sujet élu avec l’OCDE prévoit en particulier dans le cas des villes d’Afrique, sur la base de l’étude qui a été réalisé dans les derniers mois par l’OCDE, de mettre en place un observatoire de l’évolution de la prise en compte de l’accès à l’eau, à l’assainissement dans les villes d’Afrique qui sont quand même un enjeu majeur avec la croissance démographique et la concentration urbaine sur ce continent. Et d’avoir un dispositif d’appui permanent tel que l’OCDE l’a fait sur les principes de gouvernance après le 5ème FME à Marseille en 2012. On est donc sur le même exemple et c’est quelque chose d’extrêmement opérationnel et complet.

Darfour, l’eau est rare et difficile d’accès en saison sèche. ©William Daniels

Défis Humanitaires : Le prochain Forum de Dakar ne risque t’il pas d’oublier la réalité des situations de conflit ou de catastrophe en Afrique même et ailleurs dans le monde ?

Abdoulaye Sene : Ce que je vais répondre d’abord à cette question très importante c’est de dire que nous devons garder à l’esprit que certain de ces conflits ont été attisés ou formalisés par les difficultés d’accès à l’eau. Si vous regardez dans certaines zones aujourd’hui engagées dans les conflits multiples, vous verrez qu’il y à la base des compétitions fortes sur les ressources naturelles, en particulier sur l’eau. C’est des conflits entre éleveurs et agriculteurs, c’est aussi une restriction de la disponibilité de l’eau pour les éleveurs, et vous verrez que dans la plupart de ces zones, il y à la base le problème de l’eau qui même s’il n’est pas à l’origine première contribue à aggraver la situation. Donc s’occuper du problème de l’accès à l’eau ça conduit déjà à prévenir les conflits, ça permet de contenir les crises dont on a parlé. Ça c’est une partie de la réponse. La deuxième partie de la réponse c’est de dire que dans les situations de crise, les populations sont encore beaucoup plus confrontées à des difficultés parce que la crise génère des problèmes d’accès à l’eau.

Donc il faut que les stratégies soient développées, que les technologies soient développées, que les modalités également de solidarité soient mises en place pour que dans ces zones de conflits on puisse continuer à garantir et à assurer un accès à l’eau pour la vie, pour le bien être, pour la santé et simplement pour l’alimentation. Et également qu’on s’assure que les dispositions qui ont été prises permettront à ces populations d’envisager l’avenir avec beaucoup plus d’espoir, de consolider des situations de paix qu’il faut nécessairement construire après ces conflits-là. Le reste, fondamentalement essentiel d’abord pour réduire les listes de conflits, mais également pour gérer les situations difficiles qui résultent de ces conflits ainsi que pour prévoir le post-conflit.

Défis Humanitaires : Comment souhaitez-vous conclure à 5 mois du Forum de Dakar.

Patrick Lavarde : Ce forum est un Forum Mondial de l’Eau, ce n’est pas un forum des conditions du développement. Mais nous savons les uns et les autres que là où il y a insécurité il y a, par exemple, des mouvements migratoires de population et celles-ci doivent trouver des conditions d’accueil qui soient décentes, correctes. Donc, évidemment, avoir accès à une eau potable en quantité suffisante, des conditions d’assainissement qui concernent aussi la santé.

Et là, il va y avoir d’excellente sessions, qui seront d’ailleurs proposées par le groupe d’action sur la sécurité de l’eau, notamment sous l’impulsion de Solidarités International et d’autres acteurs. De même, ce qui est en train d’être préparé sur le processus des bassins, la mise en place d’organisations de bassins comme elles existent dans certaines zones du Sénégal est aussi une forme de réponse pour contribuer finalement à la sécurité sans prétendre régler simultanément tous les problèmes existants. Le forum est un lieu privilégié pour faire progresser la cause de l’eau et de l’assainissement dans toute leurs dimensions et inspirer les décideurs.


Biographie de Serigne Mbaye Thiam

Après avoir effectué ses études élémentaires et secondaires au Sénégal, il poursuivit ses études supérieures en France, sanctionnées par un Diplôme d’Etudes supérieures commerciales, administratives et financières de l’Ecole supérieure de Commerce et d’Administration des Entreprises de Rouen (Rouen Business School) et un Diplôme d’Expertise Comptable de l’Etat français.
Il a été Directeur administratif et financier du Port autonome de Dakar et a exercé aussi des activités de consultant en gestion, organisation, finances et comptabilité.
Il a occupé les fonctions de Conseiller régional et Vice-président du Conseil régional de Kaolack, Député, Vice-président de la Commission de l’Economie et des Finances et Rapporteur général du Budget de l’Assemblée nationale en 2001.
Il a également assumé les fonctions de ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, Porte-parole du gouvernement du 04 avril 2012 au 29 octobre 2012 et Ministre de l’Education nationale du 29 octobre 2012 au 7 avril 2019.
Monsieur Serigne Mbaye THIAM est actuellement Ministre de l’Eau et de l’Assainissement depuis le 07 avril 2019.
Il a été président en exercice de la CONFEMEN (Conférence des ministres de l’Education de la Francophonie).
En mai 2018, il a été nommé Vice-Président du Conseil d’Administration du Partenariat mondial pour l’Education.

Avant cela, de février 2014 à décembre 2015, il a présidé le Comité « Gouvernance, Ethique, Risque et Finances » du Partenariat mondial pour l’Education et a été membre du Conseil d’Administration et du Comité de coordination.
Au titre de son engagement associatif, il a été Trésorier général de la Fédération sénégalaise de Football ; il a aussi été l’initiateur et le premier Président du Mouvement national des supporters du Football sénégalais


Biographie de Patrick Lavarde :
Ingénieur général des ponts des eaux et des forêts, Patrick LAVARDE est membre permanent du Conseil général de l’environnement et du développement durable. Il a été gouverneur du Conseil Mondial de l’Eau (2012-2018) et président de l’Association Internationale des Ressources en Eau (IWRA) entre 2016 et 2018. Il a contribué à l’organisation du 6ème Forum Mondial de l’Eau à Marseille, notamment comme co-président de la commission thématique, et était membre du bureau du comité de pilotage international du 8ème forum à Brasilia. Il a créé l’Office National de l’Eau et des milieux aquatiques dont il fut le directeur général de 2007 à 2012. Entre 1998 et 2007, il a occupé les fonctions de directeur général de l’Institut National des Sciences et Technologies de l’Environnement et de l’Agriculture. Auparavant, il a exercé différentes responsabilités dans l’administration centrale et déconcentrée dans les secteurs de la forêt, de l’eau et de l’agriculture.


Biographie de Abdoulaye Sene :
Président du comité national pour l’organisation du 9ème Forum Mondial de l’Eau, « Dakar 2021 ».
Président du Conseil d’Administration de la SOGEM/OMVS (2013-2017).
Président-fondateur du Think-tank international Global Local Forum.
Député et Président de la Commission du Développement et de l’Aménagement du Territoire de l’Assemblée Nationale de la République du Sénégal, ( 2007-2012).
Président du Conseil Régional de Fatick (2002-2009).
Conseiller Spécial du Ministre des Mines, de l’Energie et de l’Hydraulique du Sénégal (2001-2002). Chef de la Mission d’Etudes et d’Aménagement des Vallées Fossiles (1994-2000).
Directeur national de l’Hydraulique et du Génie Rural (1984 à 1994).
Expert, en Hydraulique, changements climatiques, Décentralisation, Gouvernance et développement local.

Sortir de l’inefficacité collective en mars 2023 ?

Alors qu’une « rare » conférence sur l’eau est prévue en mars 2023 aux Nations unies, Gérard Payen exhorte la communauté internationale à sortir de l’inertie pour faire de ce rendez-vous un évènement historique à la fois porteur de décisions politiques fortes et d’un agenda annuel afin d’atteindre l’Objectif 6 des ODD 2030 pour un accès universel à l’eau, l’assainissement et l’hygiène.

Nous remercions Solidarités International pour son accord de publication de cet article de Gérard Payen à paraître dans son Baromètre 2021 de l’eau, l’assainissement et de l’hygiène que nous publierons dans Défis Humanitaires à sa sortie.

Bassins de décantation de l’eau et participation communautaire pour creuser des tranchés à Béni en RDC  ©Solidarités International 2005

Les gouvernements discutent d’eau douce dans des événements internationaux en si grand nombre que leurs travaux sont aujourd’hui fragmentés, organisés en événements disparates, sans fil conducteur et peu coordonnés. Eux-mêmes, ainsi que la plupart des acteurs de la communauté internationale, ont du mal à s’y retrouver. ONU-Eau assure tant bien que mal une coordination technique mais la coordination au niveau politique des différentes actions liées à l’eau reste à inventer. Ces nombreux événements sont néanmoins utiles pour faire évoluer les connaissances et préparer des décisions futures. Par exemple, les Forums mondiaux de Mexico (2006) et d’Istanbul (2009) ont préparé la reconnaissance du droit de l’homme à l’eau potable en 2010, celui de Marseille (2012) et le Sommet de Budapest de 2013 ont contribué à l’adoption en 2015 d’un Objectif de Développement Durable (ODD) dédié à l’eau.

En mars 2023, une Conférence internationale sur l’Eau se tiendra sous l’égide des Nations unies. Elle rassemblera tous les gouvernements sous la co-présidence du Tadjikistan et des Pays-Bas. Ce sera un événement majeur car seules les réunions ONU peuvent donner lieu au niveau mondial à des décisions politiques considérées comme engageantes par les États et faisant l’objet de suivis opérationnels dans le temps. Les nombreuses réunions intergouvernementales organisées par des États en marge de l’ONU peuvent aboutir à des conclusions utiles mais celles-ci restent habituellement sans lendemain car sans mécanisme institutionnel de suivi. Aux Nations unies, la plupart des réunions dédiées à des sujets Eau sont organisées par des agences ONU ou des secrétariats de traités internationaux spécialisés dans un domaine particulier concernant une partie seulement des enjeux de l’eau. Une conférence internationale qui traite de l’ensemble des enjeux de l’eau douce (eaux de toutes sortes et assainissement) est ainsi un événement rarissime à l’ONU. Alors que les enjeux de l’eau sont croissants, interagissent chaque année davantage et sous-tendent une grande partie des ODD, cette conférence de 2023 sera donc une des très rares occasions de prendre au niveau mondial des décisions collectives utiles pour une meilleure gestion des enjeux de l’eau.

Assemblée Générale des Nations Unies, Septembre 2020

La vision cohérente des ODD

En 2015, une révolution a eu lieu. L’adoption des ODD a conduit pour la première fois les gouvernements à considérer tous les grands enjeux de l’Eau dans un programme mondial. Jusque-là, seuls l’eau potable et l’accès aux toilettes faisaient l’objet d’objectifs communs. En 2015, cette vision très partielle a été complétée par des objectifs sur la gestion des ressources en eau, celle des pollutions et des eaux usées, les écosystèmes hydriques, les inondations, la participation des citoyens, l’eau dans les écoles, l’adaptation aux changements climatiques, le fonctionnement des villes, etc. Bref, une vision complète des enjeux de l’eau est apparue. Vingt cibles ODD sont directement liées à l’Eau. Formidable ! Hélas, depuis 2015, cela n’a pas changé grand-chose au niveau intergouvernemental. Comme si les errements antérieurs avaient repris leurs droits. En 2018, lors du Forum politique ONU de haut niveau sur le développement durable (HLPF), les gouvernements ont parlé d’eau pendant trois heures mais n’ont rien décidé de nouveau. Pire, en octobre 2019 lors de leur premier Sommet ODD, ils se sont gargarisés de leurs progrès en matière d’accès à l’eau potable en flagrante contradiction avec les statistiques mondiales qui laissent entrevoir que l’accès universel à l’eau potable ciblé pour 2030 ne sera pas atteint avant le 23e siècle au rythme des politiques actuelles. Depuis 2015, il n’y a pas eu de travaux intergouvernementaux visant à reconnaître et à corriger les insuffisances vers l’atteinte des cibles ODD liées à l’eau. Ce manque d’activité sur l’ensemble des aspects de l’eau résulte de l’absence de forum politique ONU dédié à l’eau. Contrairement à la plupart des grandes thématiques des ODD qui ont chacune une plateforme intergouvernementale dédiée se réunissant régulièrement au niveau politique, l’Eau n’a pas cette chance et reste déshéritée politiquement. Le besoin de cohérence et d’efficacité collective est criant mais très peu discuté tant sont nombreux les acteurs institutionnels, pays ou agences ONU, qui voient plus d’intérêts au statu quo.

Château d’eau à Koniba, Mali ©Solidarites International 2019

Une réunion politique ONU sur l’Eau est un événement rare, bien trop rare

Certains disent que la Conférence internationale de 2023 sera la première depuis celle de Mar-del-Plata en 1977. C’est faire peu de cas de la réunion de 2005 de la Commission du Développement Durable de l’ONU qui a réuni tous les gouvernements pendant deux semaines et a conduit à une résolution ONU de neuf pages sur la gestion intégrée des ressources en eau, la préservation des écosystèmes, l’eau potable et l’assainissement, y compris le traitement et la réutilisation des eaux usées. Ceci étant, depuis 2005, les seules résolutions significatives ONU sur l’Eau ont été l’instauration de l’Année internationale de l’assainissement (2008), la reconnaissance en 2010 du Droit de l’homme à l’accès à l’eau potable et à l’assainissement et l’adoption en 2015 des ODD.

La Conférence ONU de 2023 sera ainsi l’un des très rares événements permettant des décisions sur l’ensemble des enjeux de l’Eau. Ce sera l’occasion de donner plus d’efficacité aux travaux intergouvernementaux sur l’Eau en décidant d’organiser chaque année, comme cela se fait pour les autres grandes thématiques des ODD, une réunion intergouvernementale ONU sur l’ensemble des cibles ODD liées à l’Eau. Cela permettrait à la fois d’assurer une cohérence politique aux nombreux travaux éparpillés actuellement et de s’organiser pour atteindre l’ODD 6 et tous les objectifs mondiaux liés à l’Eau. Une telle décision ne pourra être prise en 2023 que si les esprits s’y préparent activement et l’anticipent suffisamment. C’est l’un des principaux enjeux du 9ème Forum Mondial de l’Eau qui aura lieu à Dakar en 2022.

Kick-off meeting préparatoire au 9ème Forum Mondial de l’eau, printemps 2019 ©WorldWaterForum

La Conférence de 2023 décidera-t-elle de réunions politiques régulières des Nations unies sur l’ensemble des cibles ODD liées à l’Eau ? Si oui, cette conférence sera quasi-historique. Si cette occasion est manquée, la communauté internationale de l’eau ne pourra que se blâmer elle-même de la continuation de sa faible efficacité collective, du déficit d’attention politique portée à l’Eau et de la lenteur des progrès vers les cibles ODD liées à l’Eau.

Gérard Payen


Qui est Gérard Payen ?

Gérard Payen travaille depuis plus de 35 ans à la résolution de problèmes liés à l’eau dans tous les pays. Conseiller pour l’Eau du Secrétaire Général des Nations Unies (membre de UNSGAB) de 2004 à 2015, il a contribué à la reconnaissance des Droits de l’Homme à l’eau potable et à l’assainissement ainsi qu’à l’adoption des nombreux objectifs mondiaux de Développement Durable liés à l’eau. Il est aujourd’hui administrateur de 3 grandes associations françaises dédiées à l’Eau et continue à travailler à la mobilisation de la communauté internationale pour une meilleure gestion des problèmes liés à l’eau, ce qui passe par des politiques publiques plus ambitieuses. Simultanément depuis 2009, il conseille les agences des Nations Unies qui produisent les statistiques mondiales relatives à l’Eau. Impressionné par le nombre d’idées fausses sur la nature des problèmes liés à l’eau, idées qui gênent les pouvoirs publics dans leurs prises des décisions, il a publié en 2013 un livre pour démonter ces idées reçues.