Projet FARM, quelle efficacité face à l’insécurité alimentaire mondiale ?

Champs de blé dans le village de Spasov en Ukraine. @Liilia Moroz (CC-BY-SA-4.0)

Un mois après le début de la guerre en Ukraine le 24 février, la France dans le cadre de sa Présidence du Conseil de l’Union Européenne (UE) a proposé un cadre de coordination solidaire pour faire face à l’insécurité alimentaire mondiale engendré par le blocage des ports ukrainiens de la mer Noire et par les sanctions prises contre la Russie. Nous présentons ici à nos lecteurs et aux acteurs de l’aide les caractéristiques de cette initiative FARM (Food and Agriculture Resilience Mission) largement adopté au niveau international.

Contexte

Les conséquences de la guerre de la Russie en Ukraine sur l’insécurité alimentaire ne fait aujourd’hui plus aucun doute, et nous impacte tous. D’après le rapport sur la sécurité alimentaire mondiale publié au début de l’été 2022 par l’ONU, près d’une personne sur dix souffre de la faim. Les deux pays représentent à eux seuls environ 30% des exportations mondiales de blé. La Russie, 1er exportateur mondial de céréales depuis 2016 et l’Ukraine 1er et 4ème exportateur de tournesol et maïs, sont au cœur du système alimentaire mondial et assurent l’approvisionnement de céréales pour un grand nombre de pays, notamment en Afrique et au Moyen-Orient. La flambée du coût des engrais importés et la baisse de la production à cause du conflit dérègle considérablement les systèmes d’approvisionnements et met près de 750 millions de personnes vivant dans des pays fortement dépendant des exportations russes et ukrainiennes dans une position particulièrement vulnérable. Alors que les pays africains sont très impactés, notamment du fait de leur niveau d’endettement déjà élevé, ce conflit présente aussi des risques importants pour l’Europe. En effet, le continent Européen importe d’Ukraine de l’huile de tournesol et de maïs ainsi que des engrais N (azote) et K (potassium) qui assurent la fertilisation de nos agricultures. Dans ce contexte, il est donc indispensable de renforcer le soutien au Programme Alimentaire Mondiale (PAM) et renforcer la coordination des différents acteurs pour maximiser l’impact des aides humanitaires et alimentaires.

Des femmes au Niger préparent des champs pour la saison des pluies dans le cadre d’une initiative pour lutter contre la désertification. ©CIAT

C’est dans l’optique de répondre à la crise alimentaire provoquée par la guerre en Ukraine et venir en aide aux pays impactés les plus vulnérable que l’initiative Food and Agriculture Resilience Mission (FARM) a été mis en place dans le cadre de la Présidence française du Conseil de l’Union Européenne. Ce projet voit le jour en mars 2022, suite à une réunion entre les membres du gouvernement français, les acteurs privés, les représentants du PAM et du Fonds International de Développement Agricole (FIDA), de la Commission Européenne et de la Banque Européenne d’Investissement puis endossé par l’Union Européenne, le conseil européen, les membres du G7, et l’Union Africaine. Cette réunion a ensuite permis la création d’une Coalition du secteur Privé pour la Sécurité alimentaire (CPSA) dans laquelle chacune des entreprises s’engage à assurer la mise en œuvre des missions FARM en soutenant :

  • Le secteur agricole ukrainien dans ses capacités de production et d’exportation, en cohérence avec les efforts européens
  • L’accès des pays les plus vulnérables à des denrées agricoles et alimentaires et aux intrants aux côtés du PAM
  • Le développement de capacités de production durables et de chaînes de valeur robustes dans les pays fragiles et notamment en Afrique

Liste des acteurs privés présent durant la réunion : Archer Daniels Midland, Axereal, Blue Like an Orange Sustainable Capital, Bonduelle, Bunge, Florimond Desprez, Cargill, CMA-CGM, Coface, la Compagnie Fruitière, Crédit Agricole, Danone, Géocoton, Invivo-Soufflet, Limagrain, Louis Dreyfus Company, le groupe Roullier, Vivescia, Yara et la Fondation Bill et Melinda Gates.

Cette initiative s’articule autour de 3 piliers majeurs : commerce et transparence, solidarité, production durable. Ces 3 axes visent à assurer les échanges de céréales, garantir l’approvisionnement des pays vulnérables en céréales, soutenir la production agricole ukrainiennes et développer les capacités de production agricoles durables. Au sein de ses 3 piliers, 4 domaines d’actions ont été identifiés : augmenter les capacités de productions locales, encourager la consommation de produits locaux, développer les marchés locaux, et limiter le gaspillage alimentaire.

Pilier But Organisations partenaires Mesures
Pilier commercial Apaiser les tensions sur les marchés agricoles, garantir la pleine transparence des flux ainsi que des stocks et lutter contre les barrières commerciales injustifiées. OMC – exemption de mesures restrictives aux exportations pour tous les achats de la PAM
Pilier Solidarité Soutenir les capacités agricoles ukrainiennes, assurer un accès à prix raisonnable aux denrées agricoles dans les pays les plus touchés, et se préparer à pallier les effets de la guerre sur le niveau de production agricole. PAM, OCDE – initiative des “Corridors de solidarités”
Pilier Production Durable Renforcer les capacités agricoles de manière durable dans les pays les plus concernés. FIDA (en charge du secrétariat du pilier) + Banque Mondiale, Banque Africaine de Développement, Programme mondial pour l’agriculture et la sécurité alimentaire. + AFD – capitaliser et développer des initiatives existantes comme Grande muraille verte, le Programme global de développement de l’agriculture africaine de l’Union africaine (PDDAA) et Protéines Végétales, Projet d’appui au développement de la chaîne de valeur agricole

LES INITIATIVES MISES EN PLACE

  1. Exemple du partenariat FIDA-AFD au Cameroun – Projet d’appui au développement de la chaîne de valeur agricole (Pilier Production durable)

Le partenariat se déroule autour de trois axes :  un dialogue stratégique réaffirmé, le développement de synergies opérationnelles, l’identification d’opportunités de financement coordonnés. Le but de ce partenariat FIDA-AFD est, avec les autorités camerounaises, de renforcer les capacités techniques et de gestion des producteurs agricoles, la durabilité des pratiques agricoles et l’investissement durable et responsable dans le secteur. Pour cela, le groupe AFD-FIDA s’engage à renforcer le capital humain en offrant des formations professionnelles et du conseil agricole.

Ainsi, comme première contribution concrète et conjointe à l’initiative FARM, l’AFD a exprimé son intérêt à engager un dialogue conjoint avec les autorités camerounaises et le FIDA autour d’une contribution financière de cinq millions d’euros au Projet d’appui au développement des filières agricoles – Phase 2 (PADFA II).

Les habitants d’un village au Tchad face à une insécurité alimentaire grandissante. © EC/ECHO/Anouk Delafortrie (CC BY-NC-ND 2.0)
  1. Développement de l’initiative Grande Muraille Verte, PDDAA et initiative Protéines Végétales (Pilier production durable)

Initié en 2007, le projet de restauration écologique et de lutte contre l’insécurité alimentaire en Afrique, Grande Muraille Verte, vise à restaurer 100 millions d’hectares de terres dégradées. Le projet s’étale sur une bande de 8000km, du Sénégal à Djibouti (en passant par la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Nigéria, le Tchad, le Soudan, l’Érythrée et l’Éthiopie). La reforestation de cette région permet de lutter contre le dérèglement climatique et la désertification en favorisant le mécanisme d’évapotranspiration des plantes sur la terre. Augmenter le nombre d’arbres permet aussi de stocker du CO2. Sur le plan socio-économique, la reforestation aide pour la lutte contre la pauvreté et l’insécurité alimentaire. En effet, le projet est générateur d’emplois et produit des ressources alimentaires (fruits, légumes). Durant les 12 dernières années, le projet n’a pas atteint ces objectifs fixés à cause de plusieurs freins. En effet, le projet n’est pas toujours la priorité des gouvernements, souvent préoccupés par des problèmes géopolitiques, et de violences. Les pays rencontrent également un manque considérable de moyens financiers qui rend la concrétisation de l’initiative plus complexe. Ainsi, l’appui du projet FARM pour redynamiser ce projet en augmentant les moyens de financement et humains permettront aux pays de se réapproprier leur territoire de manière durable et soutenable.

Le PDDAA fait partie de l’Aspiration de l’Agenda 2063 et vise à aider les pays africains à éliminer la faim et réduire la pauvreté. Le programme, sous l’initiative FARM va être revalorisé et développé afin de favoriser la croissance économique en développant le secteur agricole par l’augmentation des crédits budgétaires nationaux pour le secteur. Le but est pour les pays africains de consacrer au moins 10% de leurs budgets nationaux à l’agriculture et au développement rural et atteindre un taux de croissance agricole d’au moins 6% par an. L’Union Africaine met en avant l’appropriation africaine et le leadership africain pour ouvrir la voie au changement agricole plus durable.

Le plan Protéines Végétales a été créé suite au lancement de l’Accélérateur de la Grande Muraille Verte en Janvier 2021 après le sommet “One Planet”. Le but de ce plan est d’accélérer la transformation des système alimentaires africains sur la base de modèles plus durables. Le développement de la culture protéagineuse contribue aux objectifs de sécurité alimentaire et au développement socio-économique de la région. L’initiative vise à renforcer les chaînes de valeurs durables des protéines végétales, avec pour but sur le long terme, une autosuffisance agricole de l’Afrique.

C’est trois actions concrètes de l’initiative FARM s’alignent dans une démarche de souveraineté alimentaire et agricole durable pour le continent africain pour réduire la dépendance aux exportation ukrainiennes et ainsi minimiser les conséquences du conflit sur le continent.

3. Corridors de solidarité

Les corridors, mis en place par la Commission Européenne, ont pour objectif principal d’aider l’Ukraine à exporter ses produits agricoles grâce à plusieurs actions concrètes et conjointes mais aussi d’importer les bien dont le pays a besoins. En mai 2022 (date à laquelle ces couloirs ont été mis en place), la commissaire aux transports de la Commission Européenne (CE), Adina Valean, annonce qu’il faudrait que 20 millions de tonnes de céréales sortent d’Ukraine en moins de 3 mois afin de libérer les capacités de stockage pour les récoltes 2022. Les solutions à court et long termes, tels que les corridors, s’organisent en coordination avec les autorités ukrainiennes et les membres de l’UE.

Dans un premier lieu, des corridors de solidarité ont été mis en place pour faciliter le franchissement des frontières entre l’Ukraine et les pays membres de l’UE. La CE a demandé de rendre disponible d’urgence des moyens de transport supplémentaire et à mettre en place une plateforme logistique de mise en relation entre les différents acteurs (EU-Ukraine Business Matchmaking Platform) ainsi que de désigner des points de contact spécifiques aux corridors appelés “guichet unique”. La CE demande également aux gestionnaires d’infrastructures de prioriser les exportations agricoles venant d’Ukraine en leur réservant des créneaux ferroviaires, aux autorités nationales de faire preuve de flexibilité pour accélérer les procédures aux points de passage frontaliers. Pour finir, la CE invite ses membres à se coordonner pour favoriser et faciliter l’entreposage temporaire des exportations ukrainiennes.

Un autre axe des corridors de solidarité se concentre sur les connexions entre les pays membres de l’UE et l’Ukraine, le but étant à moyen terme d’accroitre les capacités d’infrastructures des nouveaux corridors d’exportation et établir de nouvelles connexions d’infrastructures. Dans cette perspective, le 10 mai, des pourparlers ont eu lieu en vue d’un accord sur le transport de marchandises par route en dans les pays membres de l’UE, l’Ukraine et la Moldavie. De plus, la CE a également proposé d’étendre le réseau transeuropéen de transport (RTE-T) à l’Ukraine et la Moldavie pour permettre aux deux pays d’obtenir des financements européens pour leurs infrastructures et faciliter la reconstruction d’après-guerre en Ukraine.

Le port d’Odessa en Ukraine avec des conteneurs de blé près à être exporté. @George Chernilevsky
  1. Exemption de mesures restrictives aux exportations des achats du PAM

Le 27 avril 2022, la CE a présenté une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil, approuvé le 24 mai, pour instaurer des mesures de libéralisation des échanges sur 1 an. Trois mesures proposées sont à retenir :

  • La suspension temporaire de tous les droits de douane pour les produits industriels, les fruits et légumes soumis au système des prix d’entrée et les produits agricoles soumis à des contingents tarifaires
  • La non-perception temporaire des droits antidumping sur les importations originaires d’Ukraine
  • La suspension temporaire du régime commun applicable aux importations pour les importations originaires d’Ukraine.

Le but premier de ces mesures est de favoriser les flux commerciaux entre l’Ukraine et l’UE et créer des conditions propices au renforcement des relations économiques et commerciales en vue de l’intégration progressive du pays dans le marché de l’UE.

Pour bénéficier de ces mesures, l’Ukraine s’engage à respecter les règles d’origine des produits et des procédures, à ne pas introduire de nouveaux droits, taxes ou restrictions pour les importations originaires de l’UE (sauf si cela se justifie dans le contexte de la guerre), et à respecter les principes démocratiques, des droits de l’homme, des libertés fondamentales et du principe de l’état de droit.

Dans ce contexte, la signature d’un accord le 22 juillet à Istanbul entre la Russie et l’Ukraine sur l’exportation, à partir des ports de la mer Noire, des céréales ukrainiennes et russes, grâce aux bons offices de la Turquie et sous l’égide de l’ONU est une décision majeure qui reste à concrétiser dans la durée.

Les risques possibles du projet FARM

Si le plus important est bien l’adoption et la mise en œuvre du projet FARM, il est aussi utile d’en prévoir les risques de dysfonctionnement qui viendraient affecter son efficacité. Le conflit ukrainien et la crise alimentaire qu’il provoque, sans parler de la crise énergétique, engendre des tensions et des mesures d’adaptation entre les pays et redessinent le cadre des relations internationales.  De ce fait, le projet ne sera un succès seulement si les pays membres de l’UE s’affranchissent des incohérences qui accompagnent souvent les décisions prises par les 27 Etats membres. De plus, il y a un réel risque de dédoublement d’initiatives déjà existantes dans les secteurs alimentaires et agricoles. En effet, depuis mars, trois initiatives similaires à celle de FARM ont été lancée : l’Alliance Mondiale sur la Sécurité Alimentaire lancée par l’Allemagne (ayant la présidence du G7), la Roadmap for Global Food Security par les Etats-Unis et la Global Crisis Response Group on Food, Energy and Finance annoncé par les Nations Unies. Ces initiatives montrent l’intérêt et la nécessité de mesures concrètes contre l’insécurité alimentaire mais soulignent l’enjeu d’une bonne coordination internationale pour optimiser le projet FARM. Dans ce contexte, des organisations de la société civile font des propositions. Ainsi, dans un communiqué de presse, le CCFD – Terre Solidaire affirme que “toute vraie réponse internationale à la crise passera par davantage de régulation des marchés, plus de transparence sur les stocks privés et par une transformation profonde de notre système commercial au profit de la souveraineté alimentaire des peuples.”. Le CCFD-Terre Solidaire, en se basant sur les expériences passées du gouvernement en matière de politique agricole et alimentaire, met également en garde sur la possibilité de refaire les mêmes erreurs. L’organisation rappelle le lancement de la Nouvelle Alliance pour la Sécurité Alimentaire et la Nutrition lancée par le G8 en 2012 dans une situation similaire de crise qui avait des objectifs similaires à ceux de FARM. Cependant, l’alliance s’est reposée sur des multinationales et a permis des modifications législatives libéralisant le foncier, les semences et la fiscalité au détriment des producteurs locaux. Face à son manque de résultat, ses limites et aux impacts négatifs qu’elle générait (accaparements des terres, endettement de paysans, absence de redevabilité des entreprises impliquées), Emmanuel Macron a fait le choix en 2018 de s’en retirer. Il est donc important de garder ces considérations en mémoire lors des évaluations et analyses futures de l’initiative FARM.

Les acteurs de l’aide, macro ou micro, sont concernés à des stades divers par ce projet FARM qui vise à limiter les conséquences alimentaires mondiales de la guerre en Ukraine, en particulier pour les populations des pays les plus pauvres déjà affectés par d’autres crises. Avec cet article, Défis Humanitaires entend mieux informer les acteurs de l’aide afin de gagner en efficacité pour les populations en danger. Nous vous remercions pour les témoignages et les informations que vous pourriez nous communiquer à propos de cette initiative FARM.

 

Eva Miccolis avec la collaboration d’Axel Bonnechaux.

Que retenir du premier Forum Humanitaire Européen ?

Kevin Goldberg au Forum Humanitaire Européen en mars 2022 @European Union (Yasmina et Djamel Besseghir, 2022)

Accompagné de plusieurs collègues de Solidarités International, j’ai eu le plaisir de participer au Forum Humanitaire Européen qui s’est tenu dans un format hybride à Bruxelles et en ligne, du 21 au 23 mars dernier. Décalé de deux mois du fait de la cinquième vague de COVID19, ce premier forum européen dédié au secteur et à ses enjeux s’est finalement tenu dans un contexte de crise humanitaire aigüe, la guerre en Ukraine et ses millions de déplacés apportant une tonalité toute particulière aux échanges qui ont rassemblé plusieurs centaines de participants.

Porté par la Présidence française du Conseil de l’Union Européenne (PFUE) et la Direction générale pour la protection civile et les opérations d’aide humanitaire européennes de la Commission européenne (DG ECHO), le forum se voulait être à la fois une mise en débat des principaux enjeux d’évolution de l’aide humanitaire européenne tels qu’ils ont été récemment exprimés par la Commission dans sa dernière communication (lien), et le pendant européen des Conférences Nationales Humanitaires (CNH) organisées par le ministère des affaires étrangères français et les ONG implantées en France depuis 2011. De fait, plusieurs des thèmes centraux lors de la dernière CNH de décembre 2020 ont été abordés : la protection des travailleurs humanitaires, l’impact des régimes de sanctions et des mesures antiterroristes sur notre capacité à mettre en œuvre nos actions de terrain, la question du nexus humanitaire-développement-paix et du développement de financements structurants, etc.

Forum Humanitaire Européen en mars 2022 @European Union (Yasmina et Djamel Besseghir, 2022)

Un exercice convenu mais toujours utile

Après deux ans de réunions à distance, il était évident que les participants qui se sont retrouvés à Bruxelles goûtaient le plaisir retrouvé des échanges informels, dîners officiels et discussions de couloir, le tout dans le cadre exceptionnel du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Le format des sessions du forum, très cadré, laissait malheureusement assez peu de place au véritable débat entre intervenants et à des interpellations spontanées de la part du public. Mais ce moment de retrouvailles était surtout l’occasion de rappeler les principales préoccupations que nous partageons au sein du secteur : le gouffre qui ne cesse de se creuser entre le montant global de l’aide humanitaire mis à disposition par un nombre trop faible de bailleurs et les besoins des 300 millions de personnes ayant besoin d’assistance, la question brûlante des violations du Droit International Humanitaire et du rétrécissement de l’espace qui nous est laissé pour venir en aide aux populations, la difficulté à maintenir un dialogue avec les groupes armés non-étatiques dans le cadre de plus en plus contraint des lois antiterroristes nationales et internationales, etc.

Parmi les nombreux thèmes abordés, quelques points à souligner. Tout un chacun a pu constater l’importance donnée aux enjeux de localisation de l’aide, lesquels feront bientôt l’objet d’une nouvelle consultation de la Commission Européenne. Espérons que l’angle pris par la DG ECHO pour introduire ce sujet, c’est-à-dire la promotion de partenariats d’égal à égal mutuellement bénéfiques entre intervenants locaux et ONG internationales, trouvera sa juste place dans les conclusions de ces travaux. Les efforts portés vers une plus grande efficience et la transition numérique dans le domaine de la logistique humanitaire ont aussi été mis en avant, ce qui est aussi un axe de travail important chez Solidarités International. Sur l’enjeu climatique, le Forum a permis la publication d’une « Déclaration des bailleurs de l’aide humanitaire sur le climat et l’environnement », endossée par les 27 Etats membres de l’Union européenne et la Commission. Nous nous en sommes publiquement félicités (lien), tout en invitant les bailleurs de fonds à traduire en actes forts leur soutien de principe aux actions de prévention, préparation, anticipation et réponse aux catastrophes.

La crise en Ukraine dans tous les esprits

S’il était au départ prévu que le forum n’aborde que des enjeux transversaux sans focus géographique spécifique, une session a finalement été dédiée à la crise ukrainienne. Cette session a réuni de nombreux acteurs, tels Amin Awad, Coordinateur de l’ONU en Ukraine, Hans Das, qui dirige la gestion des situations d’urgence au sein de la DG ECHO ou encore Maksym Dotsenko, Directeur Général de la Croix-rouge ukrainienne. J’y ai pour ma part apporté mon témoignage des actions que mène Solidarités International en Ukraine depuis fin février en partenariat avec de nombreux acteurs locaux. En parallèle, tout au long du forum a été répétée l’absolue nécessité d’éviter que la réponse humanitaire à la crise ukrainienne ne se fasse au dépend des autres crises, dans un contexte de hausse vertigineuse des besoins et au moment où le conflit provoque d’ores et déjà d’importantes augmentations du prix des denrées alimentaires aux quatre coins du monde.

Kevin Goldberg à la table ronde dédiée à l’Ukraine apportant le témoignage de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL sur la situation sur place et abordant la question de la coopération entre les différents acteurs de l’aide

C’est enfin encore le contexte ukrainien qui est sans nul doute à l’origine de l’importance politique accordée à ce premier forum européen. Que l’on en juge : 15 ministres des affaires étrangères issus de différents Etats membres ont pris part aux échanges, les Nations Unies étaient représentées par les responsables de plusieurs des principales agences onusiennes, le Commissaire Janez Lenarčič s’est exprimé à maintes reprises, et les deux hôtes principaux Ursula Von Der Leyen et Emmanuel Macron ont tous deux apportés leurs témoignages respectifs via une vidéo. Avec une telle assistance, on pourra simplement regretter que le forum ne fût pas l’occasion d’engagements politiques plus concrets, au-delà de l’affirmation d’une « team Europe » se revendiquant comme véritable « puissance humanitaire » mondiale du fait de son rôle de premier plan en tant que bailleur de fonds, ce qui relève certainement de l’oxymore et masque mal la disparité persistante dans le niveau de contribution des différents Etats membres au financement de l’aide.

On peut toutefois féliciter les organisateurs pour la réussite de cette première édition, et se réjouir de l’annonce d’ores et déjà faite par la Commission d’un renouvellement de cette initiative, avec une deuxième édition qui devrait se tenir sous présidence suédoise du conseil de l’Union européenne, en mars 2023.

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Qui est Kevin Goldberg ? 

Kevin Goldberg débute sa carrière en travaillant auprès de parlementaires et d’élus locaux, à Bruxelles puis à Paris. En 2013 il intègre le cabinet du Président du Directoire du GROUPE SOS, première entreprise sociale européenne, en tant que responsable du développement et des partenariats. En 2017, il prend part à la création d’un secteur Action Internationale rassemblant les ONG affiliées au GROUPE SOS, et en assure ensuite la direction générale. En parallèle, il a en charge la direction de PULSE, association spécialisée dans l’accompagnement à la création d’entreprises sociales en France et à l’international. En janvier 2021, Kevin Goldberg rejoint l’ONG humanitaire SOLIDARITÉS INTERNATIONAL en tant que Directeur général. Kevin est diplômé de Sciences Po Grenoble, du Collège d’Europe et de l’Université Paris Dauphine.