Interview de Véronique Andrieux, directrice générale du WWF France

Sécheresse en Ethiopie après 3 saisons des pluies manquées. ©EU/ECHO/Anouk Delafortrie (CC BY-NC-ND 2.0)

Alain Boinet : Nous sommes heureux d’accueillir aujourd’hui Véronique Andrieux, la directrice générale de WWF France. Rappelons que WWF (World Wide Fund for Nature), est une organisation non gouvernementale internationale créée en 1961 et qui est vouée à la protection de l’environnement et au développement durable. Pour commencer notre entretien et avant d’aborder des questions plus spécifiques, peux-tu nous indiquer quelles sont les priorités du WWF et en quoi consiste votre action ?

Véronique Andrieux : Notre mission se compose de trois volets. Le premier axe c’est d’abord d’alerter sur la crise climatique et d’effondrement de la biodiversité à travers des rapports basés sur l’expertise du WWF, notamment le rapport « Planète Vivante ». Le deuxième axe relève de la protection et la restauration du monde vivant, des écosystèmes, les espèces sauvages et ceux qui en dépendent, notamment les communautés locales avec une gestion durable des ressources naturelles. Ce sont des projets de terrain, que ce soit en France Métropolitaine, dans les départements d’Outre-Mer ou dans les « hotspots de biodiversité » comme le bassin du Congo, le Mékong, ou encore l’Indonésie, le Brésil, Madagascar. Le troisième axe enfin, c’est transformer : agir sur les causes structurelles de destruction d’écosystèmes et de perte du vivant. Sur cet axe, nous travaillons avec le gouvernement et les collectivités locales pour changer les politiques publiques mais aussi avec des entreprises et des acteurs financiers pour transformer leurs modèles d’affaires.

 

A.B. : Précédemment tu as occupé plusieurs responsabilités associatives, dans des organisations humanitaires et des organisations de développement. Comment, avec l’expérience que tu as, vois-tu des liens et des complémentarités entre l’humanitaire, l’environnement, et le développement ?

V.A. : Cela fait vingt-cinq ans que je fais ce travail et j’ai toujours vu les impacts néfastes qu’avait le changement climatique sur les populations locales, notamment quand je travaillais sur le terrain. Par exemple, dans les Andes, il y a 20 ans, on voyait déjà les effets du dérèglement climatique sur les courants marins et ce que cela impliquait pour la saison des pluies, les récoltes, la fonte des glaciers. Au Yémen ou au Sahel, le dérèglement climatique provoque des sécheresses plus fréquentes et plus longues et une hausse des températures qui impactent la sécurité alimentaire et alimentent les tensions sur les ressources naturelles. Autre exemple, les industries extractives en Amérique Latine qui polluent les sols et les eaux par leur utilisation massive de produits chimiques et des études d’impact environnemental et social insuffisantes. En Guyane, la pollution des eaux au mercure (interdit par la Convention de Minamata) entraîne des maladies aux populations autochtones. Ce sont des exemples parmi tant d’autres de gestion non-durable des ressources qui montrent que la prise en compte de l’environnement au centre des programmes de développement humain et inversement est la seule réponse adaptée.

C’est pourquoi le triple nexus climat, biodiversité et développement humain est au cœur de l’action du WWF, à travers des mesures d’atténuation et d’adaptation telles que par exemple les solutions fondées sur la nature (ndlr : protéger ou restaurer les écosystèmes pour faire face à la crise climatique, l’insécurité alimentaire, l’approvisionnement en eau etc). Face à la crise climat et biodiversité et à ses effets dévastateurs en matière de développement humain et d’accélération des inégalités, il est essentiel de sortir des silos et des approches fragmentées. Cette dichotomie entre développement et environnement ne peut donc tenir, puisque l’environnement est le socle essentiel au développement humain. Les études démontrent que 80% des ODD sont menacés par la crise climatique.

 

A.B. : Puisque tu évoques le dérèglement climatique, quelles mesures propose le WWF pour y faire face ? Ne sommes-nous pas dans une situation d’urgence ?

V.A. : Complètement. Nous avions tendance pendant des années à nous dire que les problèmes liés au dérèglement climatique et à la dégradation de la biodiversité étaient ailleurs. L’Amazonie, c’est terrible ce qui s’y passe mais c’est loin, les températures extrêmes au Sahel ou au Pakistan, la montée des eaux dans les îles du Pacifique, c’est terrible mais c’est loin etc. De nos jours nous ne pouvons plus ignorer la crise climatique : c’est aussi ici et maintenant. Je compare cela à une slow onset crisis (ndlr : crise humanitaire qui se manifeste progressivement au fil des mois, voire des années, et qui résulte souvent de la confluence de différents facteurs ou événements). En France, nous connaissons à présent des incendies, des sécheresses à répétition et une sécheresse historique cette année, des canicules, des grêles, nous sommes donc en situation d’urgence et c’est pour cela qu’il faut non seulement réduire et atténuer les différentes causes du dérèglement climatique, mais aussi agir de manière beaucoup plus affirmée sur l’adaptation et la prévention.

Au WWF, nous proposons des solutions au niveau systémique et au niveau sectoriel. Il y a un problème majeur de cohérence climatique et biodiversité des politiques publiques. Par exemple, la France finance davantage de subventions pour les combustibles fossiles que pour les énergies renouvelables. Or continuer de flécher de l’argent public vers des subventions dommageables pour le climat plutôt que vers des activités économiques durables nous verrouille dans un modèle carboné et détourne des ressources indispensables pour la transition. Il y a donc une nécessité d’agir sur ces questions systémiques. Le WWF a proposé un « pass climatique et biodiversité », qui passerait au crible les politiques publiques et les budgets de l’état pour assurer leur compatibilité avec les engagements pris par la France et l’Union Européenne en matière de climat et de biodiversité. Par ailleurs, nous proposons des mesures sectorielles pour la France dans les domaines des transports, de l’agriculture, du logement, de l’énergie. C’est l’ensemble du logiciel et de la matrice de production et de consommation qu’il faut remettre à plat et revoir de manière radicale et profonde.

Sécheresse en Ethiopie a cause du phénomène El Nino. ©EU/ECHO/Anouk Delafortrie (CC BY-NC-ND 2.0)

A.B. : La guerre en Ukraine provoque un séisme dans le domaine de l’énergie (hydrocarbures, gaz) avec la réouverture des centrales à charbon et avec la relance du nucléaire comme seule alternative stable. Comment analyses-tu cette situation et comment faire face à cette situation de rupture majeure ?

V.A. : L’Ukraine a accéléré certaines problématiques et pourrait être une fenêtre d’opportunité pour certaines transformations de fond tant au niveau énergétique que sur le système agroalimentaire.

Au niveau énergétique et au-delà des mesures d’urgence absolument nécessaires, il faudra miser sur le triptyque : énergies renouvelables, efficacité énergétique et sobriété. Le gouvernement travaille sur un plan d’action sobriété énergétique. C’est une bonne chose, il faudra en effet consommer moins (et pas seulement cet hiver, mais dans la durée). En parallèle, aborder un des leviers majeurs d’efficacité énergétique : un large plan de rénovation énergétique des bâtiments (rénovation complète de 700 000 logements/an en France). Il ne faut pas oublier que plus de 12 millions de français sont en situation de précarité énergétique –plus de 5 millions de passoires énergétiques, et qu’il est nécessaire de les accompagner. En matière d’énergies renouvelables, la France est le seul état membre européen à ne pas tenir ses engagements (19% vs objectif de 23% en 2020). Dans le cadre de RePowerEU (plan de la Commission Européenne visant à rendre indépendante l’Union Européenne des énergies fossiles russes), certains projets qui sont aujourd’hui à l’arrêt pourraient être débloqués. Cependant, il faudra faire attention à ne pas diluer ou faire sauter les critères biodiversité et sociaux. A titre d’exemple, ne pas placer des éoliennes sur des zones Natura 2000 ou des lieux de nidification ou de migration des oiseaux.

Concernant le système alimentaire, le principal levier de solution c’est de revoir notre régime alimentaire et de réduire la consommation de protéines animales. Nous mangeons le double de protéines animales que ce qui est recommandé par les autorités sanitaires. Nous préconisons de remplacer par davantage de protéines végétales. 2/3 des céréales consommées en Europe va dans l’alimentation du bétail et seulement 17% pour la consommation humaine ; 60% des sols sont destinés à la production d’alimentation animale (avec une efficience ou facteur de conversion faible pour certaines filières). Il faut revoir la hiérarchisation de l’usage des sols et prioriser la production d’alimentation pour les populations.

On est face à une contradiction lorsque l’Union Européenne se désigne comme puissance nourricière alors qu’en réalité elle a délocalisé une partie significative de son empreinte écologique sur des pays tiers et est la deuxième puissance importatrice de déforestation derrière la Chine. Les produits issus de la déforestation ou de la conversion d’écosystèmes se retrouvent dans notre alimentation (indirectement, lorsque la viande qu’on mange a été nourrie à base de soja brésilien issu de la déforestation par exemple) et dans les agro-carburants. C’est pourquoi le WWF pousse pour une législation contraignante afin d’interdire la mise sur le marché européen de produits issus de la déforestation ou de la conversion d’écosystèmes.

 

A.B. : Un autre sujet sur lequel le WWF est très engagé, c’est celui des rivières et des fleuves. Face aux conséquences du dérèglement climatique, à l’augmentation de la pollution de l’eau du fait notamment de la démographie mais aussi du développement des modes de vie, quelles initiatives prenez-vous et quelles actions engagez-vous ?

V.A. : Sur la question de l’eau, nous travaillons à partir de deux approches complémentaires : biodiversité et empreinte écologique. Côté biodiversité, le WWF porte différentes initiatives telles que « Free Flowing Rivers » pour une renaturation des cours d’eau et le démantèlement d’infrastructures telles que certains barrages et microbarrages qui fragmentent les cours d’eau et empêchent la nature, sans production d’énergie significative. Il y a aussi tout un travail de restauration de zones humides, qui jouent un rôle d’éponge en cas de sécheresse et de buffer en cas de risque d’inondation, protégeant ainsi les communautés locales. En France, nous sommes présents depuis des décennies en Camargue et en Brenne, par exemple.

Concernant l’empreinte écologique, notre modèle agricole industriel est extrêmement intensif et consommateur en eau douce (l’agriculture utilise 70% de l’eau douce disponible à l’échelle de la planète, essentiellement pour l’irrigation). Au regard des années de sécheresse successives et de la sécheresse historique que traverse la France cette année, y a un impératif d’avancer vers un modèle d’agriculture beaucoup moins gourmand en eau, plus durable et résilient, compatible avec les autres usages de l’eau et avec la biodiversité. Une grande partie de l’eau part irriguer des céréales dont la grande majorité servira à nourrir du bétail, alors que les populations et la biodiversité manquent d’eau. Il faudra revoir la place de l’alimentation du bétail dans l’usage des sols et de l’eau, et prioriser les usages et la production pour les populations humaines.

Aide humanitaire de l’Union Européenne en Amérique Centrale suite au inondations dues aux ouragans ETA and IOTA. © Alianza por la Solidaridad, 2020 (CC BY-ND 2.0)

A.B. : La guerre en Ukraine avec la Russie risque de provoquer comme le disait Antonio Guterres un « ouragan famine » n’est-il pas urgent, en particulier au Moyen-Orient et en Afrique, de prévoir un plan d’action mondial ?

V.A. : Il n’y a pas une action unique qui va résoudre le problème mais c’est plutôt une palette d’actions. Les mesures d’urgence telles que celles menées par le PAM sont cruciales. Sur le moyen/long terme, il faut agir sur les régimes alimentaires en réduisant notre consommation de protéines animales et promouvoir la consommation de protéines végétales, stopper la déforestation, développer l’agroécologie (augmenter la surface en bio, moins de pesticides et d’engrais azotés, diversification des cultures, etc), réduire le gaspillage alimentaire, et revenir vers des cultures endémiques plus résilientes. Avec notre système de monoculture, nous avons détruit la diversité des plantes qui existent dans le monde et qui est absolument nécessaire pour une résilience et souveraineté agricole. Le but est de réduire la dépendance des pays d’Afrique et du Moyen Orient en créant un socle de résilience et de souveraineté alimentaire dans ces pays.  Plutôt que d’importer du blé, promouvoir la production locale et durable de farine de manioc, de sorgho et de mil – des cultures endémiques, adaptées aux milieux, plus résilientes au stress hydrique – comme le font déjà plusieurs pays africains face à la crise. Investir dans cette souveraineté et résilience locale, c’est aussi restaurer les millions d’hectares de terres dégradées.

 

A.B. : La Terre compte désormais huit milliards d’êtres humains et d’ici 2050 la population africaine va passer de 1,1 milliard d’habitants à 2,1 milliards d’habitants. Comment répondre à ces besoins démographiques, osons parler d’une explosion démographique pouvant impacter la situation mondiale, tout en sachant que le continent nécessite des besoins d’aménagement phénoménaux ?

V.A. :  Cette question touche aux inégalités au cœur de la crise climatique. L’Afrique est le continent qui émet le moins de gaz à effets de serre or celui qui subit de plein fouet les effets les plus importants (avec une partie de l’Asie) du dérèglement climatique. Les inégalités climatiques sont criantes entre les différentes régions et pays du monde, mais aussi à l’intérieur de chacun des pays. Si l’on prend par exemple les élites globales, à échelle planétaire entendons, les modes de consommation du 1% de la population plus riche représente 20% de la croissance des émissions de gaz à effet de serre depuis 1990. De l’autre côté, si l’on prend 50% de la population la plus pauvre, elles ne sont responsables que de la croissance de 16% des émissions de gaz à effets de serre. Ce n’est donc pas qu’une question démographique, c’est surtout une question des modes de consommation qu’il faut rééquilibrer. Il y a une corrélation claire entre le niveau de richesse et le niveau d’émission. La question qui se pose est alors comment pouvons-nous assurer que les élites globales adoptent des modes de vie plus sobres. De mon point de vue, ce n’est pas l’augmentation démographique en Afrique qui va à elle seule accroitre les émissions de gaz à effets de serre. Des études montrent que les millions de personnes qui sont sorties de la pauvreté extrême ces dernières décennies n’ont eu qu’un faible impact sur l’augmentation des émissions GES (autour de 1%).

Une autre question à se poser c’est comment rendre compatible un Indicateur de Développement Humain fort et une empreinte écologique faible. Les pays riches ont une responsabilité pour réduire les pressions qu’ils ont sur les hotspots de biodiversité. Ils doivent établir des transferts de financements et de technologies vers les pays pauvres pour éviter de passer par la case des énergies fossiles dites de transition, alors que les énergies renouvelables sont disponibles et accessibles. Il y a également une responsabilisation à faire sur les acteurs financiers, pour que la taxonomie verte –hors gaz fossile et nucléaire (ndlr : la taxonomie verte de l’Union européenne est la classification des activités économiques durables et compatibles avec la transition écologique) soit davantage respectée et que les institutions financières publiques et privées alignent leurs portfolios d’investissement avec la taxonomie verte.

Enfin, il est nécessaire de se poser la question des indicateurs économiques : en se concentrant sur le PIB comme métrique largement dominante, on perpétue le point aveugle de la valeur de la nature, ce qui nous conduit à la crise écologique dans laquelle nous nous trouvons. Il est essentiel de compléter l’insuffisance du PIB et d’autres indicateurs de croissance économique avec un indicateur d’empreinte écologique, tel que le Jour du dépassement qui mesure l’empreinte carbone, forêts, agriculture, pêche, etc de l’activité humaine en hectares globaux.

Discussion entre Stephanie Mehta, Peter Sands, Bill Gates, Francis de Souza, Helen E. Clark, Paul Kagame à Davos en mai 2022. @Paul Kagame (CC BY-NC-ND 2.0)

A.B. : Tu as occupé plusieurs postes de direction dans divers associations humanitaires et environnementales. Quelle leçon et conseil de gouvernance et de stratégie en tires-tu ?

V.A. : Je dirais qu’il y a surtout un cap clair à tenir, et que pour obtenir de l’impact il faut éviter de se disperser. Il faut aussi ne pas perdre l’âme du terrain, la cultiver avec soin ; je pense personnellement qu’un des gros risques des différentes ONG c’est la bureaucratisation. Quand les procédures continuent de se multiplier et se sophistiquer, ça peut devenir un frein pour l’action de terrain, la localisation de l’aide, l’innovation.

Il me semble important de préserver notre ADN de société civile, de militants, de justice sociale et environnementale. Nous avons la légitimité de toutes ces années de travail de qualité sur les terrains les plus complexes, des réalisations et des résultats tangibles, une solide expertise technique, et une action pour l’intérêt général. Ces savoirs tant science-based (expertise) que evidence-based (programmes terrain) sur le temps long font notre force.

Mettre l’accent sur la qualité de nos programmes, toujours la qualité, pour obtenir de l’impact et faire la différence.

Il faut miser sur la diversité, la pluralité de regards et de bagages, l’agilité, la prise de risque et l’innovation pour mieux naviguer des contextes plus volatiles, disruptifs et incertains qui constituent désormais notre quotidien.

Enfin, faciliter l’émergence de nouveaux types de leadership, basés sur des valeurs telles que le courage, le care, le self-awareness, l’humilité, l’inclusion, le partage du pouvoir – plus connectés de mon point de vue aux aspirations de notre secteur et de notre temps.

 

Alain Boinet : Pour conclure cet entretien, que souhaites-tu ajouter ?

Véronique Andrieux : Nous prenons conscience que l’ère de l’open bar des ressources naturelles est finie. Il va falloir nous adapter très rapidement à l’ère de la rareté, qui arrive au galop et devient le nouveau normal. Sobriété, ça vaut pour l’énergie mais aussi pour l’eau, les forêts, la pêche, pour les ressources naturelles dans leur ensemble. C’est le sens du Jour du dépassement qui cette année est arrivé le 28 juillet pour le monde et le 5 mai pour la France. En creusant le déficit écologique d’année en année depuis plus de 50 ans, nous nous mettons en danger. Il est urgent d’intégrer des marqueurs d’empreinte écologique dans le pilotage du pays, de l’économie, de l’agriculture.

 

Pour aller plus loin:

Site internet de WWF France. 

 

Biographie de Véronique Andrieux

Véronique Andrieux est spécialiste en développement international.
Elle détient une maîtrise en administration des affaires de l’ESADE de Barcelone et des diplômes d’études supérieures en Développement de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) de Paris et en Politiques Publiques de l’École des études orientales et africaines (School of African and Oriental Studies, SOAS) de l’Université de Londres. Elle a occupé le poste de Directrice Régionale pour l’Amérique du Sud et les Caraïbes ainsi que de l’Afrique de l’Ouest chez Oxfam. Antérieurement elle était Conseillère Senior sur les politiques de développement au Ministère des Affaires étrangères espagnol et a été également Conseillère senior au Club de Madrid. Elle a exercé des responsabilités sur le terrain en Amérique latine, en Afrique de l’ouest et centrale et Méditerranée. Elle a dirigé plusieurs processus d’évaluation et de planification et représenté le gouvernement espagnol dans différents groupes de travail multilatéraux sur l’aide publique au développement. Elle a ensuite rejoint Action contre la faim en 2016 comme Directrice Générale. Elle a écrit différentes publications sur le développement international, dont: « Better Aid : A necessary condition for development », « Contributions for a European Development Policy under the Spanish EU Presidency » et « Policy Coherence: an urgent agenda for Development ». Véronique est Directrice générale du WWF France depuis août 2019. Le World Wide Fund for Nature, première organisation mondiale de protection de l’environnement, œuvre depuis 50 ans pour la préservation des milieux naturels et des espèces animales ou végétales les plus menacées, en s’efforçant de mobiliser l’ensemble des parties prenantes de la société.

Action humanitaire : l’urgence de l’adaptation face au changement climatique.

L’actualité est rythmée par l’annonce de rapports, de chiffres et événements toujours plus alarmants, tous tirant leurs origines du changement climatique. L’augmentation de 2 à 7 degrés à l’horizon 2100 selon le GIEC, la démographie galopante et la pression sur les ressources impacteront inéluctablement le travail des humanitaires. En décembre dernier à Madrid, la COP25 avait pour fil rouge le slogan « Time for Action » : la nécessité d’agir n’est plus à prouver. Si la lenteur des institutions internationales et des gouvernements à entrer dans ce temps de l’action est dénoncée, des changements s’opèrent à d’autres échelles.

Le secteur de l’humanitaire est directement et doublement concerné par l’urgence climatique. En premier lieu, parce que les besoins en assistance humanitaire vont augmenter indéniablement. Les phénomènes météorologiques extrêmes, l’augmentation du nombre de déplacés climatiques avec une prévision de 250 millions de personnes en 20502, l’ensemble dans un contexte d’explosion démographique, laissent prédire un accroissement des situations d’urgence. De même, le déficit 40% des ressources en eau prévu pour 20301, les perturbations des systèmes pluviométriques ainsi que l’infiltration des sous-sols par les pollutions font de l’eau, ressource première et vitale, un enjeu humanitaire. 2019 figure d’ores et déjà comme une année d’urgence humanitaire aggravée par le changement climatique, en témoignent les brutales inondations dans l’Extrême-Nord du Cameroun et en RDC, le cyclone Idai au Mozambique et les sécheresses en Afrique australe. En 2020, selon les estimations onusiennes, les besoins en assistance humanitaire atteindront le palier de 26,1 milliards d’euros.

©PNUE

 « Ne pas nuire » ou l’impératif éthique d’une prise en compte de l’environnement dans l’action humanitaire.  

A la fois témoin des conséquences directes du changement climatique, l’aide humanitaire peut aussi être génératrice de pollution. En 2015, une étude du Groupe URD démontre que les 125 ONG présentes à Port-au-Prince produisaient 90 tonnes de déchets domestiques par jour. Pourtant, chaque étape de l’action humanitaire est conçue à l’aune de son leitmotiv « ne pas nuire ». Pour éviter tous hiatus entre ses principes et ses pratiques, les ONG s’efforcent d’intégrer le volet « environnement » dans la conception des projets et programmes d’aide. L’urgence et l’environnement ont parfois été opposés l’un à l’autre, les présentant ainsi comme un duo irréconciliable. En effet, l’urgence et l’impératif humanitaire primaient sur les efforts de réduction de l’impact environnemental. Or, la dégradation de l’environnement réduit les capacités de résistance des populations aidées et les expose à de nouveaux préjudices.

Innovations, outils théoriques et pratiques.

Les références à la protection de l’environnement se sont multipliées dans les codes de conduite. Dans celui du CICR de 1995, il est question d’une attention particulière quant aux préoccupations environnementales dans la conception des programmes de secours (article 8).  En 2015, la Norme humanitaire fondamentale de qualité et de redevabilité alerte des effets négatifs d’une intervention sur l’environnement et préconise une utilisation rationnée des ressources naturelles (engagements 3 et 9). Les références se multiplient et se précisent, le manuel Sphere de 2018 prône l’intégration de l’enjeu environnemental à chaque étape du cycle d’un projet. Cela passe entre autres par la mise en œuvre d’évaluation environnementale, par l’utilisation de matériaux et d’énergies durables et par un approfondissement de la coopération avec des professionnels de l’environnement.

La création d’outils pratiques et de groupes de réflexion démontrent le dynamisme et la volonté du secteur d’agir rapidement. A l’échelle internationale et sous l’impulsion de l’Unité conjointe PNUE/OCHA pour l’environnement, des outils comme le EHA Connect, Environmental Emergencies Center,  avec le Nexus Environmental Assessment Tool (NEAT+) sont initiés. En  France, c’est le groupe URD qui  coordonne les réflexions, et qui, dès 2012, crée avec les ONG,  le Réseau Environnement Humanitaire

 

Les dérèglements climatiques et catastrophes naturelles se multiplient tout en conservant leur caractère incertain. Face à cette complexe équation, les voies s’unissent pour plaider en faveur d’une plus ample flexibilité des mécanismes de financements. La possibilité d’une réaffectation rapide des fonds autoriserait une plus grande fluidité entre urgence et développement et permettrait l’application du triple nexus. Dans ce sens, des  innovations en termes de financement existent : le Crisis Modifier et le Forecast-Based financing en sont deux exemples. A son tour, le  Start Network est un système alternatif de financements qui a fait le pari de l’anticipation et de la rapidité. En place depuis 2014, les organisations sur place peuvent jouer un rôle de lanceur d’alerte et ainsi déclencher des financements dans un laps de temps réduit. Solidarités International avait recouru à cette méthode lors des inondations au Cameroun en octobre 2019.

©Solidarités International, RCA, 2019.

De la théorie à la pratique : quelques exemples d’opérationnalisation.  

ONG après ONG, des initiatives voient le jour. Active sur le sujet, l’ONG Humanité & Inclusion (HI) établi un agenda environnemental, révise ses outils (guides méthodologiques, procédures d’achat, formations) et intègre des nouveaux critères qui garantissent la préservation de l’environnement en accordant, par exemple, une attention particulière à la quantité d’eau et d’énergie utilisée. A son tour, Médecins Sans Frontières a instauré des outils d’évaluation et de contrôle de la consommation d’énergie et d’eau. Les efforts sont aussi portés sur la réduction des déchets plastiques. Par exemple, Action contre la Faim remplace le plastique par le papier dans ses « kits choléra » et le PAM favorise la réutilisation des contenants. Au sein des programmes liés à la sécurité alimentaire, Solidarités International promeut des pratiques durables de pêche et d’agriculture lors des formations dispensées. Le matériel utilisé est respectueux des écosystèmes et les fertilisants organiques sont préférés aux chimiques. De même, l’achat local est favorisé à l’importation : il permet la stimulation de l’économie locale, de la production locale et d’une réduction des frais de transport. Le traitement des boues fécales avec la création de la plateforme OCTOPUS et l’utilisation du pompage solaire, notamment au Yémen, sont deux illustrations symbolisant les efforts dans la recherche de solutions pour répondre aux préoccupations environnementales.

Devant l’urgence, certains concepts et outils peinent actuellement à être opérationnalisés sans entacher la rapidité et l’efficacité des réponses. La mutualisation des moyens, la réflexion autour de la dépendance technologique et des efforts de réduction d’émissions de CO2 sont des axes à prioriser et renforcer pour atteindre les objectifs environnementaux et améliorer ainsi l’impact de l’aide humanitaire.

 

Par Alicia Piveteau.

1 https://news.un.org/fr/story/2008/12/145732-climat-250-millions-de-nouveaux-deplaces-dici-2050-selon-le-hcr
2 –  https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/water-action-decade/

Pour aller plus loin …