Action humanitaire : l’urgence de l’adaptation face au changement climatique.

L’actualité est rythmée par l’annonce de rapports, de chiffres et événements toujours plus alarmants, tous tirant leurs origines du changement climatique. L’augmentation de 2 à 7 degrés à l’horizon 2100 selon le GIEC, la démographie galopante et la pression sur les ressources impacteront inéluctablement le travail des humanitaires. En décembre dernier à Madrid, la COP25 avait pour fil rouge le slogan « Time for Action » : la nécessité d’agir n’est plus à prouver. Si la lenteur des institutions internationales et des gouvernements à entrer dans ce temps de l’action est dénoncée, des changements s’opèrent à d’autres échelles.

Le secteur de l’humanitaire est directement et doublement concerné par l’urgence climatique. En premier lieu, parce que les besoins en assistance humanitaire vont augmenter indéniablement. Les phénomènes météorologiques extrêmes, l’augmentation du nombre de déplacés climatiques avec une prévision de 250 millions de personnes en 20502, l’ensemble dans un contexte d’explosion démographique, laissent prédire un accroissement des situations d’urgence. De même, le déficit 40% des ressources en eau prévu pour 20301, les perturbations des systèmes pluviométriques ainsi que l’infiltration des sous-sols par les pollutions font de l’eau, ressource première et vitale, un enjeu humanitaire. 2019 figure d’ores et déjà comme une année d’urgence humanitaire aggravée par le changement climatique, en témoignent les brutales inondations dans l’Extrême-Nord du Cameroun et en RDC, le cyclone Idai au Mozambique et les sécheresses en Afrique australe. En 2020, selon les estimations onusiennes, les besoins en assistance humanitaire atteindront le palier de 26,1 milliards d’euros.

©PNUE

 « Ne pas nuire » ou l’impératif éthique d’une prise en compte de l’environnement dans l’action humanitaire.  

A la fois témoin des conséquences directes du changement climatique, l’aide humanitaire peut aussi être génératrice de pollution. En 2015, une étude du Groupe URD démontre que les 125 ONG présentes à Port-au-Prince produisaient 90 tonnes de déchets domestiques par jour. Pourtant, chaque étape de l’action humanitaire est conçue à l’aune de son leitmotiv « ne pas nuire ». Pour éviter tous hiatus entre ses principes et ses pratiques, les ONG s’efforcent d’intégrer le volet « environnement » dans la conception des projets et programmes d’aide. L’urgence et l’environnement ont parfois été opposés l’un à l’autre, les présentant ainsi comme un duo irréconciliable. En effet, l’urgence et l’impératif humanitaire primaient sur les efforts de réduction de l’impact environnemental. Or, la dégradation de l’environnement réduit les capacités de résistance des populations aidées et les expose à de nouveaux préjudices.

Innovations, outils théoriques et pratiques.

Les références à la protection de l’environnement se sont multipliées dans les codes de conduite. Dans celui du CICR de 1995, il est question d’une attention particulière quant aux préoccupations environnementales dans la conception des programmes de secours (article 8).  En 2015, la Norme humanitaire fondamentale de qualité et de redevabilité alerte des effets négatifs d’une intervention sur l’environnement et préconise une utilisation rationnée des ressources naturelles (engagements 3 et 9). Les références se multiplient et se précisent, le manuel Sphere de 2018 prône l’intégration de l’enjeu environnemental à chaque étape du cycle d’un projet. Cela passe entre autres par la mise en œuvre d’évaluation environnementale, par l’utilisation de matériaux et d’énergies durables et par un approfondissement de la coopération avec des professionnels de l’environnement.

La création d’outils pratiques et de groupes de réflexion démontrent le dynamisme et la volonté du secteur d’agir rapidement. A l’échelle internationale et sous l’impulsion de l’Unité conjointe PNUE/OCHA pour l’environnement, des outils comme le EHA Connect, Environmental Emergencies Center,  avec le Nexus Environmental Assessment Tool (NEAT+) sont initiés. En  France, c’est le groupe URD qui  coordonne les réflexions, et qui, dès 2012, crée avec les ONG,  le Réseau Environnement Humanitaire

 

Les dérèglements climatiques et catastrophes naturelles se multiplient tout en conservant leur caractère incertain. Face à cette complexe équation, les voies s’unissent pour plaider en faveur d’une plus ample flexibilité des mécanismes de financements. La possibilité d’une réaffectation rapide des fonds autoriserait une plus grande fluidité entre urgence et développement et permettrait l’application du triple nexus. Dans ce sens, des  innovations en termes de financement existent : le Crisis Modifier et le Forecast-Based financing en sont deux exemples. A son tour, le  Start Network est un système alternatif de financements qui a fait le pari de l’anticipation et de la rapidité. En place depuis 2014, les organisations sur place peuvent jouer un rôle de lanceur d’alerte et ainsi déclencher des financements dans un laps de temps réduit. Solidarités International avait recouru à cette méthode lors des inondations au Cameroun en octobre 2019.

©Solidarités International, RCA, 2019.

De la théorie à la pratique : quelques exemples d’opérationnalisation.  

ONG après ONG, des initiatives voient le jour. Active sur le sujet, l’ONG Humanité & Inclusion (HI) établi un agenda environnemental, révise ses outils (guides méthodologiques, procédures d’achat, formations) et intègre des nouveaux critères qui garantissent la préservation de l’environnement en accordant, par exemple, une attention particulière à la quantité d’eau et d’énergie utilisée. A son tour, Médecins Sans Frontières a instauré des outils d’évaluation et de contrôle de la consommation d’énergie et d’eau. Les efforts sont aussi portés sur la réduction des déchets plastiques. Par exemple, Action contre la Faim remplace le plastique par le papier dans ses « kits choléra » et le PAM favorise la réutilisation des contenants. Au sein des programmes liés à la sécurité alimentaire, Solidarités International promeut des pratiques durables de pêche et d’agriculture lors des formations dispensées. Le matériel utilisé est respectueux des écosystèmes et les fertilisants organiques sont préférés aux chimiques. De même, l’achat local est favorisé à l’importation : il permet la stimulation de l’économie locale, de la production locale et d’une réduction des frais de transport. Le traitement des boues fécales avec la création de la plateforme OCTOPUS et l’utilisation du pompage solaire, notamment au Yémen, sont deux illustrations symbolisant les efforts dans la recherche de solutions pour répondre aux préoccupations environnementales.

Devant l’urgence, certains concepts et outils peinent actuellement à être opérationnalisés sans entacher la rapidité et l’efficacité des réponses. La mutualisation des moyens, la réflexion autour de la dépendance technologique et des efforts de réduction d’émissions de CO2 sont des axes à prioriser et renforcer pour atteindre les objectifs environnementaux et améliorer ainsi l’impact de l’aide humanitaire.

 

Par Alicia Piveteau.

1 https://news.un.org/fr/story/2008/12/145732-climat-250-millions-de-nouveaux-deplaces-dici-2050-selon-le-hcr
2 –  https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/water-action-decade/

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