VOICE EU – Déclaration : les réflexions du réseau VOICE après le Forum humanitaire européen 2023

Traduit de l’anglais.

Dominic Crowley, président de VOICE EU au Forum Humanitaire Européen. Crédit : DG ECHO

Les besoins humanitaires n’ont jamais été aussi importants. Selon le dernier Aperçu Humanitaire Mondial (Global Humanitarian Overview) 2023, 347,7 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire. Le nombre de personnes qui devraient être en situation d’insécurité alimentaire en 2023 a doublé depuis 2020, atteignant un niveau record de 345,2 millions de personnes (PAM). Les crises à l’origine de ces besoins s’aggravent : le nombre de conflits a plus que doublé au cours de la décennie 2010-2020 (SOHS) ; le nombre de catastrophes liées au climat a augmenté chaque année depuis 2018 (SOHS) et les crises se prolongent de plus en plus.

Dans ce contexte alarmant, le réseau VOICE salue la deuxième édition du Forum humanitaire européen (FHE), co-organisé par la Commission européenne (DG ECHO) et la Présidence suédoise du Conseil de l’UE, comme une opportunité clé pour la sensibilisation des décideurs à la nature aiguë de cette crise mondiale qui s’aggrave et qui ne peut être résolue que par une action politique concertée. Le Forum a mis en lumière avec succès la nécessité : d’augmenter le volume des financements de qualité (‘quality funding’) pour combler le fossé besoins-ressources qui se creuse, de renforcer l’action anticipative, de progresser en faveur de la localisation de l’aide, d’atténuer l’impact des régimes de sanctions sur l’action humanitaire et de garantir le respect du droit international humanitaire (DIH).

Parmi ces enjeux, le réseau VOICE souhaite mettre l’accent sur trois domaines prioritaires :

  1. Combler le déficit de financement : de la reconnaissance à l’action
  2. Casser les silos : l’aide humanitaire ne peut être la solution à elle seule
  3. Préserver l’espace humanitaire : Les principes humanitaires doivent être défendus et les impacts des régimes de sanctions sur l’aide humanitaire doivent être atténués.
Panel pour l’Afghanistan au FHE 2023. Crédit : VOICE

I) Combler le déficit de financement : de la reconnaissance à l’action

Le sous-financement chronique de l’aide humanitaire rend les populations touchées par les crises de plus en plus vulnérables aux chocs et aux tensions. En 2022, seuls 55 % des besoins établis par l’Aperçu Humanitaire Mondial (Global Humanitarian Overview) des Nations unies ont été couverts, ce qui représente un déficit de financement de 23 milliards de dollars (FTS). Le FHE a permis de mettre en lumière cet inquiétant état des lieux et a souligné avec succès la responsabilité des acteurs politiques pour y remédier. Le Forum a proposé une vision commune de la voie à suivre : le volume du financement humanitaire doit augmenter de manière significative, et l’efficacité de l’aide humanitaire doit être améliorée grâce à un financement de qualité et à une meilleure localisation. Si la reconnaissance de la nécessité d’augmenter à la fois la qualité et la quantité de l’aide est bienvenue, VOICE demande que cette reconnaissance soit suivie d’actions spécifiques.

Le réseau VOICE encourage les États membres de l’UE à intensifier leurs efforts pour augmenter leurs contributions nationales l’aide humanitaire et à envisager de suivre l’exemple de l’Espagne en introduisant un engagement légal d’allouer 0,7 % du RNB à l’APD d’ici 2030, dont 10 % pourrait être réservés à l’aide humanitaire. La décision de l’Espagne montre une fois de plus qu’à condition d’une volonté politique forte, il est possible d’agir.

Outre l’augmentation du volume de financement, il est essentiel d’améliorer l’efficacité de l’aide humanitaire. Tout au long du Forum et sur un large éventail d’enjeux, les participants ont souligné la nécessité d’augmenter le volume des financements de qualité (‘quality funding’). VOICE soutient ces appels répétés et encourage l’UE et ses États membres à fournir des financements pluriannuels, flexibles et non affectés.

En ce qui concerne les appels répétés en faveur de la localisation des réponses humanitaires qui ont eu lieu tout au long du FHE, et bien que VOICE salue la nouvelle note d’orientation de la DG ECHO sur la promotion de partenariats équitables, nous demandons à l’UE d’identifier des moyens de soutenir les ONGI dans la réalisation des ambitions énoncées dans le document. Nous recommandons que la DG ECHO définisse activement sa propre contribution à un partage plus équitable des risques, notamment en cherchant des moyens d’accroître le niveau de flexibilité des exigences de conformité. En outre, le financement des frais généraux des partenaires locaux et nationaux, qui est essentiel pour une localisation de l’aide réussie, devrait venir en surcroît des 7% actuellement alloués par la DG ECHO à ses partenaires internationaux, soit par l’augmentation de ce pourcentage, soit en garantissant des lignes budgétaires supplémentaires. En outre, VOICE encourage les États membres de l’UE à suivre l’exemple de la DG ECHO, par le développement de leurs propres stratégies de localisation, ou par l’intensification de leurs efforts de localisation existants, en collaboration avec leurs partenaires internationaux, nationaux et locaux.

Exposition de International Resuce Comittee, VOICE membre, au FHE.

II ) Casser les silos : l’aide humanitaire ne peut être la solution à elle seule

Les discussions du Forum ont mis en évidence le fait que l’aide humanitaire n’est qu’une partie de la solution à la crise mondiale actuelle. L’augmentation du nombre et de l’intensité des conflits, la crise alimentaire mondiale et le changement climatique sont parmi les principaux facteurs à l’origine des besoins humanitaires. Empêcher ces crises de s’aggraver davantage devrait être au premier plan des priorités de la communauté internationale, et les humanitaires ne peuvent être laissés seuls face à ces enjeux.

Le Forum est, pour VOICE, une opportunité clé pour briser les silos et rassembler une diversité d’acteurs. Le FHE 2023 a mis en lumière, au travers de nombreux panels, à quel point l’approche nexus et l’action anticipative sont essentielles à l’identification de solutions. À cet égard, VOICE recommande à l’UE et aux États membres d’explorer les possibilités d’adaptation de leurs différents cadres et outils financiers pour permettre une approche nexus, tout en s’assurant de la mise en œuvre de cette approche en conformité avec les principes humanitaires. En outre, VOICE appelle l’UE et ses États membres à augmenter les financements liés au climat destinés à renforcer la résilience. À cet égard, VOICE apprécie que le Forum ait proposé un suivi de la Charte sur le climat et l’environnement et de la déclaration des donateurs d’aide humanitaire sur le climat et l’environnement, un an après son lancement. Cette initiative démontre d’un processus collectif exemplaire, incluant un certain degré de redevabilité sur la façon dont les donateurs et les organisations humanitaires progressent dans la mise en œuvre de leurs engagements.

Pour inverser la courbe d’augmentation des besoins humanitaires, il faut renforcer la collaboration entre acteurs aux mandats divers. Le Forum a un important pouvoir de rassemblement, et VOICE recommande d’intensifier les efforts en faveur d’une participation significative des acteurs du développement, du climat et du secteur privé, en particulier lorsqu’il s’agit de discussions sur le nexus ou sur les mécanismes de financement innovants.

III) Préserver l’espace humanitaire : Les principes humanitaires doivent être défendus et les impacts des régimes de sanctions sur l’aide humanitaire doivent être atténués.

Les principes humanitaires d’humanité, d’impartialité, de neutralité et d’indépendance sont fondamentaux pour toute action humanitaire. Le FHE, en tant qu’événement rassemblant acteurs humanitaires et décideurs politiques, est l’occasion de défendre ces principes et de s’assurer que les différents acteurs comprennent leur centralité pour les intervenants humanitaires. VOICE suggère que les futurs FHE exposent comment l’UE et ses États membres respectent leurs engagements en matière d’aide humanitaire fondée sur les principes, notamment en veillant à ce que cette dernière ne soit pas un outil de gestion de crise, comme indiqué dans le Consensus européen sur l’aide humanitaire – reconfirmé en 2017 – et qu’elle ne soit pas utilisée pour atteindre des objectifs autres que des objectifs humanitaires fondés sur les principes. Alors que les co-organisateurs du Forum soulignent que l’événement se déroule dans un contexte de “réalités géopolitiques changeantes”, VOICE rappelle que la politisation de l’aide est une menace majeure pour la sécurité des travailleuses et travailleurs humanitaires et des communautés qu’elles servent.

Par ailleurs, tout au long du Forum, les répercussions des régimes de sanctions sur l’aide humanitaire ont été particulièrement soulignées. VOICE se félicite de la reconnaissance collective de l’importance de veiller à ce que les régimes de sanctions n’entravent pas l’acheminent efficace d’une aide humanitaire fondée sur les principes, comme le souligne la déclaration des co-organisateurs. À la suite de l’adoption de la résolution 2664 du Conseil de sécurité des Nations unies, VOICE saluela décision du Conseil de l’UE d’introduire des exemptions humanitaires dans ses régimes de sanctions mixtes et encourage l’UE et ses États membres à adopter la même approche pour leurs régimes de sanctions autonomes.

Le FHE 2023 a confirmé sa position d’évènement international clé. Il a fourni une occasion importante pour sensibiliser les décideurs politiques au niveau record des besoins humanitaires et aux moyens potentiels d’y répondre. Toutefois, la sensibilisation ne suffira pas à relever les défis auxquels le secteur humanitaire est confronté. Pour que le Forum soit considéré comme un succès, il doit déclencher des actions concrètes et agir comme organe de réflexion inclusif et participatif de l’aide humanitaire européenne.

VOICE se tient disposé à soutenir l’UE et la Belgique dans leur réflexion pour intégrer les préoccupations et solutions exprimées tout au long du Forum 2023, en vue de l’organisation de sa prochaine édition en 2024.

 

VOICE.

Identité, culture et biodiversité : le combat des peuples autochtones

Entre résilience et espoir, l’importance de la lutte pour la sauvegarde des peuples autochtones aux regards des enjeux actuels.

L’importance des liens entre les autochtones et la terre. @OHCR

Groupes sociaux et culturels distincts, les peuples autochtones entretiennent des liens ancestraux forts avec les ressources naturelles et les terres sur lesquelles ils vivent et dont ils dépendent. Celles-ci participent à forger leur identité, leur culture, mais également leur subsistance économique et leur mode de vie aussi bien matériel que spirituel.  Grâce à un mode d’organisation propre à chacun, les autochtones vivent de manière distincte de la société dominante, avec leurs propres us, coutumes et toujours en harmonie avec les terres sur lesquels ils se trouvent.

Les populations autochtones ne répondent pas à une définition précise, puisque selon la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, l’auto-identification est considérée comme un critère fondamental, celle-ci faisant référence à leur droit de déterminer leur propre identité ainsi que leur appartenance à un groupe conformément à leurs coutumes et traditions.

À ce jour, les populations autochtones représentent 476 millions de personnes réparties dans plus de 90 pays et 5000 groupes distincts, au sein desquels plus de 6700 langues sont parlées ou signées. Il s’agit d’une véritable diversité de populations, cultures et savoirs-vivres.

Pourtant, la situation des autochtones est alarmante : ils ne forment que 6,2% de la population mondiale, mais représentent 15% du nombre d’individus qui vivent dans l’extrême pauvreté mondiale. Les peuples autochtones, souvent invisibilisés, occultés, dépeignent une réalité dont il est nécessaire de se saisir, au regard des enjeux qu’ils représentent et des défis auxquels ils sont confrontés.

Des populations marginalisées, en proie à une pauvreté accrue

Selon un rapport publié à l’occasion du 30ème anniversaire de la Convention relative aux peuples indigènes et tribaux de 1989, les populations autochtones ont trois fois plus de risques de vivre dans une situation d’extrême pauvreté que le reste de la population.

Bien que les moyens de subsistance et les activités économique des autochtones évoluent – désormais environ 45% des autochtones ont un emploi en dehors du secteur agricole primaire – et qu’ils ont un taux d’activité supérieur à celui du reste de la population (63,3% contre 59,1%), ces données s’accompagnent de déséquilibres et inégalités importantes en termes d’emplois, de conditions de travail et de rémunération.

Photo ONU/F. Charton Une famille Cakchiquel dans le village de Patzutzun, au Guatemala.

Ce rapport met en exergue que 86% des populations autochtones œuvrent dans l’économie informelle, avec bien souvent de mauvaises conditions de travail et d’absence de protection sociale, contre 66% pour le reste de la population. Plus particulièrement et sans surprise, les femmes autochtones sont davantage touchées par ces difficultés d’emploi, puisqu’elles représentent 86,5%  dans le secteur de l’activité informelle.

S’agissant de l’éducation, le rapport indique que plus de la moitié (53,3%) des femmes autochtones qui travaillent n’ont reçu aucune éducation, les femmes autochtones vivant en Afrique sont les plus désavantagées – toutes régions et catégories de revenues confondues – avec un taux de 89,9% d’analphabétisation contre 62,2% de leurs homologues autochtones.

Les femmes autochtones sont également les plus représentés dans le travail familial (environ 34%) et, seulement un quart d’entre elles occupent un travail salarié, face à 51,1% des femmes non autochtones et 30,1% des hommes autochtone.

Enfin, et pour terminer sur les inégalités salariales, les individus autochtones gagnent en moyenne 18% de moins que le reste de la population au même poste.

Ces données analysées traduisent la nécessité, induite par la pauvreté, pour les populations autochtones d’occuper un emploi, même mal rémunéré et exercé dans de mauvaises conditions de travail, dans le but de générer un revenu pour tenter de subvenir à leurs besoins.

L’importance du droit foncier autochtone dans la lutte des ODD, notamment de l’Eau

Par leurs modes de vie différenciés de celui de la culture dominante du pays dans lequel ils se trouvent, les peuples autochtones sont fréquemment exclus, non pris en compte ou encore mal représentés dans les processus décisionnels sur des questions qui les concernent bien souvent directement, notamment sur des projets affectant leurs terres ou sur l’adoption de normes ou mesures législatives pouvant porter atteintes à leurs ressources et conditions de vie.

Ancrées dans un colonialisme exacerbé, les populations autochtones se sont souvent vues déplacées de leurs terres natales au profit d’entreprises et d’exploitations des ressources naturelles présentes sur leurs territoires.

Pourtant, si le système du droit coutumier conférant propriétés de leurs terres aux autochtones est instauré, il n’est que peu effectif et illusoire tant de nombreux gouvernements empiètent sur leurs terres en ne leur conférant que des parcelles de terrain en guise de propriétés et s’octroyant la quasi-totalité de leurs espaces.

Cette atteinte au droit foncier à des conséquences néfastes. Elle est vectrice de conflit, de précarité pour les populations autochtones vivant initialement de ces ressources, mais est également un danger pour l’environnement, notamment en menaçant les cultures et systèmes de savoirs mis en place par les populations autochtones et qui participent initialement à une meilleure intégrité écologique, à protéger la biodiversité et donc la santé environnementale à plus grande échelle.

En effet, l’Economiste en chef des Nations Unies, Elliot Harris, déclarait : « Garantir les droits collectifs des peuples autochtones sur les terres, les territoires et les ressources ne sert pas seulement à leur bien-être, mais aussi à relever certains des défis mondiaux les plus pressants, comme le changement climatique et la dégradation de l’environnement. »

Au cours de la Conférence des Nations-Unies sur l’Eau (22 au 25 mars 2023), les peuples autochtones, les Etats membres et le système des Nations Unies se sont mis en accord autour d’engagements conjoints pour transformer la gouvernance de l’eau, et s’adapter au climat, à la biodiversité. Depuis toujours, les populations autochtones gèrent et gouvernent les ressources en eau, quel que soit l’environnement dans lequel elles se trouvent, que l’eau soit présente en abondance ou en faible quantité sur des terres semi-arides ou très sèches. Les différentes méthodes, bien souvent ancestrales, des autochtones permettent d’arborer de nouvelles approches, extrêmement pertinentes et utiles dans la lutte contre la crise de l’eau douce. La conférence a permis de mettre en exergue les pratiques actuelles des autochtones dans la gestion de leurs ressources en eau, ainsi que d’établir une feuille de route pour favoriser l’inclusion de ces méthodes dans la gouvernance de l’eau mais également affirmer de nouveaux engagements dans la protection du droit foncier des autochtones, nécessaires au regard de l’implication des peuples autochtones dans la politique de gestion de l’eau qui contribue considérablement à répondre au changement climatique, aux systèmes alimentaires et au maintien de la biodiversité.

À titre d’exemple, une tribu de chasseurs-cueilleurs vieille de 40 000 ans obtient des droits légaux sur ses terres ancestrales en Tanzanie, ce qui lui permet de protéger ses forêts contre les agriculteurs et les éleveurs qui cherchent à les défricher. La déforestation dans le territoire central des Hadzabe a depuis diminué, alors qu’elle a augmenté de manière significative dans la région. Les populations d’éléphants d’Afrique, de chiens sauvages d’Afrique, de lions et de léopards, qui sont menacés d’extinction, ont augmenté et les Hadzabe ont gagné plus de 450 000 USD grâce à l’échange de droits d’émission de carbone. Pour en savoir plus, cliquez ici.

Les autochtones renvoient à des acteurs indispensables dans la lutte contre la crise de l’eau douce et dans le maintien de la biodiversité. Leurs différentes approches et méthodes de gouvernance des ressources est un atout clé au regard des enjeux climatiques actuels. Pour cela, il est donc primordial d’assurer et de sécuriser leurs droits fonciers, tout en adoptant une gouvernance plus inclusive et en promouvant des investissements publics adaptés aux cultures ancestrales et aux systèmes de gestion des populations autochtones ainsi que dans la lutte contre l’extinction des langues autochtones, élément clé dans la transmission des savoirs.

Des cultures menacées

À ce jour, sur les 6700 langues autochtones signées et parlées, 40% d’entre elles sont menacées, faute de locuteurs. La disparition d’une langue met en péril la transmission du patrimoine immatériel, des coutumes et des savoirs, qui peuvent s’avérer vitaux sur le plan culturel, sociétal mais également écologique au regard des défis actuels que nous devons relever (changement climatique, épuisement des ressources, maintien de la biodiversité). En 2022, le décès de Critina Calderon, dernière personne à parler parfaitement la langue du peuple yagan au Chili illustre la menace d’extinction des langues autochtones. Selon l’UNESCO, une langue disparait toutes les deux semaines et plus de 1500 d’entre elles seraient en voie d’extinction dans un avenir proche. 67% des langues répertoriées le sont dans des zones à forte biodiversité où les individus ont une parfaite connaissance de leur environnement, au sein duquel ils ont accumulé une multiplicité de savoirs écologiques, qui ont une valeur mondiale très importante.

« Des vocabulaires élaborés sont construits autour de sujets avec une importance économique, socioculturelle mais aussi écologique particulière », rapport de l’UNESCO.

UNICEF/Des fillettes d’une communauté autochtone lisent dans la cour de l’école primaire Ban Pho, dans la province de Lao Cai, au Viet Nam.

Les causes de disparitions des langues sont liées à la fois à la pratique, à la reconnaissance complexe de ces langues, à l’absence de diversité des langues utilisées mais également aux conséquences directes de l’oppression subie par les peuples. En effet, au Canada, on recense 1,7 millions d’autochtones et pourtant, c’est moins de 16% qui pratiquent une langue autochtone. L’ethnologue de la nation huronne-wendate Isabelle Picard, interrogée par Radio Canada estime que les gouvernements  « ont des responsabilités morales et politiques dans la transmission et conservation de ces langues », en rapport à la sombre affaire des pensionnats autochtones, mis en lumière récemment.

Ainsi donc, il est indispensable de mettre en œuvre des outils pour pouvoir perpétuer et faciliter l’enseignement de ces langues et empêcher cet héritage linguistique de disparaitre, dans un dessein impérieux pour la préservation de la diversité, l’identité et l’intégrité des peuples autochtones mais également des connaissances vitales servant aux enjeux climatiques actuels.

Vers une reconnaissance plus effective des peuples autochtones et de leurs droits

Au cours des vingt dernières années, la reconnaissance des droits des peuples autochtones a fortement progressé, comme en témoigne la mise en place de plusieurs instruments et mécanismes internationaux : la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones adoptée en 2007 et la Déclaration américaine sur les droits des peuples autochtones  en 2016, mais aussi la ratification par 23 pays depuis 1991 de la Convention relative aux peuples indigènes et tribaux, l’instauration de l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones, la création du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones et la mise en place d’un Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones.

En Juin 2019, le Canada a adopté une loi reconnaissant que « les langues autochtones font partie intégrante des cultures et des identités des peuples autochtones de la société canadienne » et créa un bureau du commissaire aux langues autochtones, efforts appréciés par le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Canada, Perry Bellegarde.

Photo : ONU/Mark Garten Tadodaho Sid Hill, chef de la nation Onondaga, prononce un discours à la Conférence mondiale des peuples autochtones.

Plus récemment, l’UNESCO se mobilise pour la sauvegarde du patrimoine culturel des autochtones. En 2022, dans le but de prolonger le travail de « l’année internationale des langues autochtones », l’ONU a décidé de lance une Décennie internationale des langues autochtones (2022-2032). Parmi les différentes actions mises en place, la publication de l’Atlas mondial des langues autochtones destiné à rassembler et diffuser les données relatives aux langues dans le monde et dans chaque pays, a été salué par le Rapporteur spécial des nations unies sur les droits des peuples autochtones, «  les langues autochtones jouent un rôle essentiel dans la définition de la relation autochtone avec la Terre mère, la préservation du territoire autochtone, la transmission de la vision du monde, de la science, de l’histoire et de la culture autochtones et l’éradication de la faim en maintenant l’intégrité des systèmes alimentaires autochtones ».

Dans ce même esprit, d’autres moyens voient le jour, comme le lancement d’un cours en ligne – un MOOC – portant sur l’initiation au Dongba, l’écriture de la minorité ethnique Naxi du Yunnan, en Chine. Celui-ci, disponible en quatre langues a pour but de toucher des milliers d’individus à travers le monde et de permettre de contribuer à la sauvegarde de ce patrimoine culturel. A l’instar, à la suite d’un débat multipartite à l’ONU sur le développement des médias communautaires autochtones, il a été décidé que de nombreux efforts seront fait pour promouvoir l’accès au contenu et aux services des médias dans les langues indigènes, notamment pour diffuser plus largement l’information pour les communautés locales et renforcer la voix des autochtones dans la couverture médiatique.

Toutes ces tendances sont induites par le Plan d’action global qui guide la mise en œuvre de la lutte pour la préservation de la culture des peuples autochtones, dans le cadre de cette Décennie. Le Plan aborde tous les aspects de la vie quotidienne des locuteurs. Il plaide pour un meilleur accès à l’alimentation, à la justice et aux services de santé, à la cohésion sociale, à l’autonomisation numérique, à la culture, à la biodiversité, à l’accès à l’emploi dans le contexte de la revitalisation, de la culture et de la durabilité des langues autochtones.

A l’orée de cette Décennie, le chemin est encore long et les efforts doivent se poursuivre. Il s’agit là d’une nécessité à la fois individuelle au regard de la protection identitaire et culturelle des individus mais également globale dans l’importance des éléments de réponses permises par les cultures autochtones dans la protection de la biodiversité et la gestion des ressources face aux enjeux climatiques actuels auxquels nous faisons face.

Inès Legendre 
Finissante en Master 2 Droit et Relations internationales à l’Université de Montréal.