
« Si le 20ème siècle, en France, a été le siècle des associations, le 21ème sera celui des fondations »[1]
La récente étude de la Fondation de France[2] illustre de façon magistrale cette prophétie.
Les résultats de cette étude sont éloquents, mais revenons avant de s’y plonger aux origines de l’essor de ce momentum. « Ce siècle avait trois ans … » comme aurait pu l’écrire Victor Hugo, lorsque la loi dite Aillagon d’août 2003 a été promulguée et a donné une nouvelle impulsion au secteur associatif qui fait appel à la générosité du public. Cette loi a permis de compléter favorablement la loi sur les fondations de juillet 1990.
Je ne reviendrai pas sur l’amélioration des divers dispositifs fiscaux, qu’elle a permis pour encourager les dons et legs aux organisations d’intérêt général et vous renvoie au texte[3].
Sur le volet des fondations, cette loi prévoit, entre autres, une facilitation de la création des fondations RUP (Reconnue d’Utilité Publique) et ouvre la possibilité de les transformer, le cas échéant, en Fondations abritantes. Ce texte rend aussi plus agiles les fondations d’entreprises en leur facilitant notamment l’accès aux dons manuels pour ses parties prenantes.
L’accélération du rythme législatif va permettre d’en compléter l’attirail juridique, en en faisant l’un des plus avancés des pays occidentaux.
Voici quelques dates marquantes qui scandent ce début de siècle :
- 2006, création de la fondation de coopération scientifique (avec dotation consomptible)
- 2007, création des fondations partenariales et des fondations d’universités sans personnalité morale.
- 2008, loi sur les fonds de dotation, permettant de créer de véritables quasi -fondations.
- Enfin en 21 juillet 2009 ; loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, qui introduit la création des fondations hospitalières.
Une France, sans loi sur les fondations jusqu‘en 1990, rattrape avec une impressionnante dynamique son retard par rapport à ses voisins du Nord !
Si on excepte la pléthore de fonds de dotation statiques pour ne pas dire dormants, la Fondation de France comptabilise près de 5400 fonds de dotations et fondations, y compris les 1742 fondations abritées.
Que nous dit ce tableau ?
Les récentes lois ont fait émerger de nouveaux véhicules plébiscités par les philanthropes et mécènes. i.e. philanthropes = particuliers et mécènes=entreprises.
Les Fonds de dotation et les Fondations Abritées ont été largement préférés aux fondations RUP et aux fondations d’entreprise.
Une grande variété de fondateurs : particuliers, entreprises, associations, hôpitaux, universités, collectivités etc. ont choisi des cadres plus souples et moins exigeants en termes de dotation.
Ces entités représentent un poids économique croissant dans le tiers secteur
Les 14 milliards d’€ de dépenses sont à rapprocher des 60 milliards d’€ que pèse le secteur. C’est à dire que 0,5 % du nombre d’organisations non-profit pèsent dès lors près de 25 % des dépenses globales.
Il est, toutefois, regrettable que cette excellente étude ne précise pas quelles sont les dépenses qui relèvent, principalement pour les fondations opératrices, de la générosité du public et des entreprises et celles découlant de prix de journées, de conventions, de subventions ou de prestations de services.
Cette distinction aurait permis de connaître la proportion des fonds mobilisés par les fondations opératrices et par les redistributrices.
Précisons, pour mieux comprendre les dynamiques des données présentées dans ce rapport, à quel type de structures nous avons à faire.
Les fondations opérationnelles et distributrices sont deux grands types de fondations, dans le paysage philanthropique. Ces fondations ont différentes caractéristiques en termes de structure, de fonctionnement, et de mission.
Une fondation opérationnelle, également appelée “fondation de plein exercice”, mène directement des activités pour réaliser son objet social. Elle développe ses propres programmes et projets, étant, pour les plus puissantes gestionnaires d’établissements.
Les fondations distributrices, n’exercent pas elles-mêmes d’activités opérationnelles, mais accordent des subventions à d’autres organisations qui travaillent dans leur domaine d’intérêt. Ce sont elles qui connaissent la plus forte croissance en nombre de créations.
Il est important de noter que certaines fondations peuvent avoir une nature hybride, c’est-à-dire qu’elles peuvent à la fois mener leurs propres actions et soutenir d’autres organisations. Ces fondations sont souvent appelées “fondations mixtes”.
Il est à noter aussi que ces deux types de fondations peuvent relever d’un financement découlant d’une dotation ou de dotations successives faites par leurs fondateurs. Dès lors celles-ci n’ont pas recourt à des concours extérieurs.
Perspectives d’évolution de ces deux types de fondations
- Fonds et Fondations à dotation
Les fondations à dotation, qu’elles soient opérationnelles ou distributrices ont à l’évidence un potentiel important du fait de la socialisation de plus en plus fréquentes de patrimoines et de fortunes, qu’elles soient intergénérationnelles ou entrepreneuriales. Comme indiqué dans l’étude plus de deux tiers de celles-ci sont créées par des particuliers et des entreprises qui à l’évidence ne feront pas appel à la générosité publique.
S’il fallait n’en citer que quelques-unes[4], parmi les plus puissantes, on pense bien entendu à la Fondation actionnaire Pierre Fabre, à la fondation abritée Daniel et Nina Carasso et au fonds de dotation Anyama.
- Fonds et Fondations collectrices, qu’elles soient opérationnelles ou distributrices
Le développement des fondations collectrices : opérationnelles ou distributrices est moins évident. Il est clair que la création de ce type de véhicule sera moins dynamique, voire stagnant, tant la compétition pour l’euro philanthropique est forte.
Pour les redistributrices, la voie est quasiment bouchée, sauf à naître d’une initiative de levée de fonds inédite, ex : Ze Event[5], loteries solidaires, comme Novamedia[6] au Pays-Bas, une cause portée par une Star : cf. RED et Bono[7], ou par une foule généreuse qui mobiliserait des millions de donateurs, à l’image de Time for the Planet[8] bien que ce ne soit pas une fondation.
Pour les fondations opérationnelles, si elles n’ont pas engagé un processus de collecte de fonds depuis quelques années, la barrière à l’entrée devient prohibitive, car elle nécessite un investissement assurant un retour sur investissement lointain.
Que nous inspirent au bilan cette étude ?
Comme déjà évoqué, la montée en puissance des fondations marque un véritable point d’inflexion.
Elle illustre la concentration des moyens entre les mains de quelques milliers de particuliers fortunés et de puissantes entreprises.
Ce changement de paradigme ne cesse d’interroger sur la représentativité démocratique de ces organisations et leur capacité à dicter les choix sur les sujets d’intérêt général.
Mais autant, le philanthrope américain agit en concurrence avec l’État et ses satellites, autant le philanthrope et mécène d’Europe continentale agissent en complément de l’action de l’État providence.
A la différence aussi de l’immense philanthropie américaine qui est tournée vers le plus grand bénéfice des donateurs eux-mêmes (soutiens communautaires, éducation, santé) ; en France, la générosité des donateurs particuliers et entreprises, qui ont doté leurs fondations, va majoritairement à des causes sociales et de recherche médicale, ce qui laisse espérer une moindre main- mise des despotes philanthropiques éclairés sur l’intérêt général.
Antoine Vaccaro
Titulaire d’un doctorat en science des organisations.Après un parcours professionnel dans de grandes organisations non gouvernementales et groupe de communication : Fondation de France, Médecins du Monde, TBWA ; il préside le CerPhi et Force for Good. Administrateur au sein d’associations et de fondations.Co-Fondateur de plusieurs organismes professionnels : Association Française des Fundraisers, Comité de la Charte de déontologie des organismes faisant appel à la générosité publique, Euconsult, La chaire de Philanthropie de l’Essec. Investisseur chez Heoh, Qu’est ce qui tourne ? My Quick Win. Il a publié divers ouvrages et articles sur la philanthropie et le fund-raising.
[1] Francis Charhon
[2] https://www.fondationdefrance.org/fr/les-fondations-et-fonds-de-dotation-en-france/etude-fondations-2023
[3] https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000791289
[4] https://www.fondationpierrefabre.org/fr/
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