L’aide humanitaire à la peine !

Mohamad-Ali, 2 ans, a reçu deux gouttes de vaccin contre la polio à Kandahar, dans le sud de l’Afghanistan @ Sayed Maroof Hamdard

Martin Griffiths, le Secrétaire général adjoint de l’ONU aux affaires humanitaires et coordonnateur des secours d’urgence (OCHA /BCAH), a déclaré le 2 décembre à New-York que l’année prochaine, en 2022, 274 millions d’êtres humains dans le monde auraient besoin d’une aide humanitaire et que celle-ci nécessitait un budget de 41 milliards de dollars.

Nous nous souvenons qu’il y a un an, Mark Lowcock, qui occupait alors le poste de Martin Griffiths, avait lancé un appel pour 235 millions de personnes, contre 168 millions en 2020, pour un budget de 35,1 milliards de dollars selon le Global Humanitarian Overview d’OCHA (GHO). Dans son rapport, Martin Griffiths reconnait que l’ONU n’a pu aider en 2021 que 107 millions de victimes sur 168 millions !

Nous n’avons donc pas secouru toutes les populations en danger !  Que sont devenu les personnes qui n’ont pas ou peu été secourues ? Pourquoi ne parvient-on pas à les aider ? Qui est responsable ? Le système humanitaire est-il insuffisamment financé ou les acteurs de l’aide manquent-ils des capacités, si ce n’est de volonté, nécessaires ?

Mais, les évaluations sur le nombre de personnes à aider sont-elles pertinentes ? Les besoins d’aide sont de nature et en volume divers et nécessitent une approche globale mais également locales et ciblées. Est-ce le cas ? A-t-on été empêché d’accéder à certaines populations du fait de la guerre ou d’interdiction ?

Mon propos ici n’est en aucun cas de juger car je sais combien ces questions sont complexes, mais plutôt de questionner l’écosystème humanitaire et ses financeurs afin que les moyens répondent autant que possible aux besoins vitaux, tant la raison d’être de l’humanitaire est de sauver des vies, de ne laisser personne à l’abandon et d’anticiper la relance du développement.

Parmi les pays en crise majeure, il y a ceux-ci : Syrie, Yémen, Nigéria, Ethiopie, Myanmar, l’Afghanistan qui aujourd’hui illustre bien notre inquiétude et notre appel au sursaut.

L’Afghanistan au bord du gouffre.

Afghanistan (2020) @Omid-Fazel / UNICEF

Selon le rapport le 8 novembre du Programme Alimentaire Mondial (PAM) et de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), plus de la moitié de la population afghane, soit 22,8 millions sur 38 millions d’Afghans, est maintenant confrontée à une insécurité alimentaire aiguë.

En octobre déjà l’ONU déclarait que plus de trois millions d’enfants de moins de 5 ans devaient faire face à la malnutrition et l’UNICEF avait averti dès le mois de septembre que, sans traitement immédiat, un millions d’enfants risquaient de mourir de malnutrition. Oui, vous avez bien lu, un millions d’enfants sont en danger de mort !

 Le 15 août, tous les médias du monde se sont concentrés sur l’aéroport de Kaboul durant des semaines, ou sont-ils aujourd’hui ? On a alors beaucoup parlé à raison de droits humains, alors pourquoi n’en parle t’-on plus maintenant ? Les droits humains n’est-ce-pas aussi de boire, de manger, d’être soigné et abrité. Les droits humains seraient-ils soumis à des conditions politiques préalables décidées par qui et pour quoi?

On ne peut pas dire que l’on ne sait pas.

Et pourtant, on ne peut pas dire que l’on ne sait pas quand David Beasley, le directeur exécutif du PAM, déclare le 8 novembre sur la BBC : « C’est aussi grave que vous pouvez l’imaginer. En fait, nous assistons maintenant à la pire crise humanitaire sur terre. Pas moins de 95% des personnes n’ont pas assez de nourriture ».

Lors d’une Conférence de l’ONU pour l’Afghanistan le 13 septembre à Genève, il était alors estimé que l’aide humanitaire d’urgence avait besoin de 606 millions de dollars d’ici la fin de l’année pour subvenir aux besoins vitaux de 11 millions d’Afghans. Et Paris avait annoncé y contribuer à hauteur de 100 millions d’euros selon le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian.

Antonio Gueterres, le Secrétaire Général des Nations-Unies, avait alors déclaré : « Soyons-clairs : cette conférence ne porte pas simplement sur ce que nous allons donner au peuple afghan. Il s’agit de ce que nous devons ».

Le PAM doit négocier un passage pour l’aide alimentaire a travers l’Afghanistan. @PAM / Massoud Hossaini.

Trois mois plus tard, nous constatons que le nombre d’afghans à secourir est passé de 11 millions à 22,8 millions. Cela donne une idée vertigineuse de la course de vitesse contre le pire. Alors, les 606 millions de dollars ont-ils bien été réunis et sont-ils bien mis en œuvre pour sauver des vies ? Comment compléter ces fonds quand le nombre d’afghans en danger a doublé en 3 mois ! Comme le dit encore David Beasley « La faim gagne du terrain et des enfants meurent ».

C’est une lutte à mort contre le temps qui est engagée. Les Afghans sont victimes des effets conjugués de la sécheresse, de longues années de conflit et de leurs conséquences, de la covid-19 et de la crise économique qui sévit depuis le mois d’aout. La question de la responsabilité de la communauté internationale, de l’ONU, de l’OTAN finira t’elle par se poser ?

Selon des témoignages d’humanitaires que j’ai joint en Afghanistan et à Paris : « Il n’y a actuellement aucune entrave ni interférence avec notre action humanitaire et l’amélioration des conditions de sécurité permet de faire des trajets qui n’étaient pas possible auparavant ». D’autres humanitaires témoignent « Les principales contraintes sont les sanctions internationales, la paralysie du système bancaire, les difficultés d’accès au pays ».

Prévenir plutôt que compter les victimes.

Récemment de retour d’Afghanistan, le directeur des opérations du CICR (Comité International de la Croix Rouge), Dominique Stillhart a publié une tribune libre lucide et courageuse dans laquelle il écrit « Pourquoi la colère ? Parce que ces souffrances n’ont rien d’une fatalité. Les sanctions économiques censés punir les personnes au pouvoir à Kaboul ne font que priver des millions d’Afghans des biens et services essentiels dont ils ont besoin pour survivre. La communauté internationale tourne le dos au pays tandis qu’il court à une catastrophe provoquée par l’homme ».

Prévenir la catastrophe humanitaire est bien la priorité absolue et pour cela la communauté internationale doit changer de posture. Dans le dernier rapport du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC) publié par le PAM et la FAO, il est indiqué que pendant la période de soudure, de novembre 2021 à mars 2022, plus d’un Afghan sur deux sera victime de l’insécurité alimentaire aigüe. Tout le monde est prévenu.

Quelle responsabilité pour la communauté internationale.

Réagir est urgent pour prévenir la catastrophe humanitaire qui est maintenant enclenchée alors que l’hiver rigoureux va isoler une grande partie du pays et des millions de personnes, notamment les agriculteurs. Comme le déclare M.Qu Donggyu, directeur général de la FAO : « Nous ne pouvons rester les bras croisés face à la catastrophe humanitaire qui se produit sous nos yeux, c’est inacceptable ».

Les camions du PAM livrent des vivres dans des zones reculées et difficiles d’accès dans le Nord-Est de la province du Badakhshan avant que les routes ne soient bloquées par la neige @PAM Afghanistan

C’est Martin Griffiths qui donne une estimation des moyens financiers indispensables pour faire face à cette crise humanitaire majeure quand il déclare à la tribune des Nations-Unies le 2 décembre que « le plus grand appel humanitaire au monde de 4,47 milliards de dollars est pour l’Afghanistan, suivi de près par les appels en Syrie et au Yémen ».

Mon expérience de l’Afghanistan m’a appris qu’il y avait deux erreurs à ne pas faire. La première est de ne pas abandonner ce pays comme cela a été le cas après le retrait des troupes soviétiques en février 1989, puis en 1992 quand la résistance afghane s’est emparée de Kaboul face au régime communiste. On en a vu les conséquences. La seconde erreur est d’acculer les Afghans au risque de contribuer à leur radicalisation et à finir par passer des alliances qui ont fait leur malheur comme le nôtre avec Al Qaïda.

C’est le rôle de la diplomatie d’éviter le pire en dégageant les compromis nécessaires acceptables pour tous en sachant bien que ça ne sera pas simple. Mais, on ne va pas recommencer une guerre !

En attendant, comme le dit justement l’Union Européenne évoquant notamment l’aide humanitaire « Le dialogue n’implique pas la reconnaissance du gouvernement taliban ».

Enfin, il ne faudrait pas que la communauté internationale, singulièrement les occidentaux, puisse être un jour accusé d’avoir laissé la famine tuer massivement des Afghans. Il ne faudrait pas non plus, que l’Afghanistan revienne à une sorte d’enjeu d’une nouvelle guerre froide entre deux camps comme au temps de l’occupation soviétique. Personne n’a le droit de jouer aux apprentis sorciers avec un si grand nombre de vies en danger de mort. Face à la souffrance humaine, la seule réponse est la solidarité.

Alain Boinet.

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