
Humanitaire : s’adapter face aux crises.
L’expérience montre que l’une des règles essentielles de l’humanitaire est de savoir s’adapter. S’adapter à des changements brusques, des ruptures, des imprévus qui nécessitent des secours tout en les entravant. Et c’est bien le cas de la Covid-19 depuis qu’elle a été déclarée pandémie mondiale par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à la fin du mois de janvier.
Le paradoxe, c’est que l’accès des secours aux populations s’est trouvée entravée (frontières, transport aérien, manque de matériels) alors que le confinement est une condition majeure de la sécurité individuelle et collective. Bien sûr, nous avons l’expérience d’autres épidémies comme Ebola et le Choléra dont le taux de mortalité est beaucoup plus élevé, mais que nous parvenons généralement à isoler pour en circonscrire la propagation. Avec la Covid-19, la pandémie est mondiale et évolue en peau de léopard sous forme de foyers infectieux mouvants. Il y a tout à la fois un changement d’échelle et une forte accélération mondiale du virus.
Que l’on juge. Le 3 juillet, il y avait dans le monde 10 millions de cas d’infection et 500.000 décès selon l’OMS. Le 29 juillet, trois semaines plus tard, l’Agence France Presse (AFP) décompte 17 millions de cas et 627.307 décès. L’Afrique, jusqu’à présent relativement épargnée, connaît une forte croissance de l’épidémie. Ainsi, Il a fallu 98 jours pour atteindre 100.000 cas, 9 jours pour passer de 300 à 400.000 cas et une semaine pour passer de 400 à 500.000 cas. Et le pic reste à venir.
Dans ce contexte d’aggravation, loin de paniquer ou d’être paralysé par la peur, la question est donc bien comment s’adapter, non seulement pour mener à bien les programmes d’urgence humanitaire qui étaient déjà en cours, mais également pour riposter dans la durée à la Covid-19 et à ses conséquences collatérales qui vont dégrader les situations préexistantes.
Adapter les secours au contexte pour mieux répondre aux besoins vitaux.
Les réponses sont multiples et peuvent varier d’un acteur humanitaire à l’autre, d’un pays ou d’une région à l’autre et selon le moment et le type de programme. Ce qui est certain, c’est que les besoins humanitaires augmentent et que les réponses sont plus difficiles (accès, déplacement, approvisionnement, distribution). Les expatriés vont devoir rester plus longtemps sur place, les cadres locaux vont devoir assumer plus de responsabilités, une partie de la coordination et de l’expertise technique va se faire à distance, une coopération plus étroite entre acteurs de l’aide doit se développer, le système D peut conduire à l’innovation, les programmes doivent être si nécessaire priorisés en fonction de l’urgence comme la chirurgie de guerre, d’autant que cette crise est partie pour durer.
Les gouvernements doivent aussi s’adapter et prendre leurs responsabilités qui ne sont pas celles des ONG. Ainsi, au Sahel, face à ce que les humanitaires appellent le « virus de la faim », le risque de famine n’est pas un vain mot. La fermeture des frontières, les difficultés d’accès aux marchés, le confinement provoquent une raréfaction des médicaments, du fioul, des semences, des ventes de bétail et une dégradation du marché du travail. Pour les pays qui ont peu de filets sociaux, on bascule vite dans la pénurie si ce n’est dans la détresse. Au Sahel, nous sommes en saison des pluies et en période de soudure durant laquelle les greniers sont presque vides. Le prix des denrées alimentaires a augmenté de 10% au Mali et de 35% au Nigéria. De surcroit, le Mali qui est l’épicentre de la crise sécuritaire au Sahel, connait une situation politique et institutionnelle très troublée. Les ONG n’ont ni la responsabilité, ni la légitimité de prendre les décisions politiques. C’est le rôle des Etats appuyés par les organisations internationales. Et c’est urgent pour les populations, dont un million et demi de personnes déplacées de force au Sahel.
Nous sommes également très inquiets pour le Liban où l’Etat est pratiquement en cessation de paiement. 60% de la population vit sous le seuil de pauvreté et 35% de la population active est au chômage. Et que dire des réfugiés syriens au nombre de 1 million et demi, soit le quart de la population libanaise. Le dollar qui s’échangeait il y a peu encore contre 1500 livres libanaises s’échangent actuellement contre 10.000 livres. Et demain, face à une inflation galopante, quel sera le taux de change ? Là aussi, il y a urgence absolue et c’est d’abord entre les mains des autorités que se trouve la solution politique et économique, comme à Bamako. Certains commentateurs parlent du Liban comme d’un nouveau Venezuela. Mais, où les libanais pourraient-ils se réfugier en grand nombre dans la région ? La solution est au Liban et c’est aux dirigeants politiques qu’il incombe d’abord de secourir leurs concitoyens. Ils doivent eux aussi s’adapter pour être à la hauteur ou bien se démettre !

S’adapter, espérer et s’obstiner.
S’adapter dans le respect de nos principes humanitaires. S’adapter et même changer pour mieux être soi-même. C’est une histoire que j’ai vécu avec nombre de compagnons depuis 40 ans avec l’ONG Solidarités International. A l’occasion de son anniversaire, l’association publie un livre qui sera en librairie au mois de septembre avec pour titre « Aider plus loin – 40 ans de crises, 40 ans d’action » publié aux éditions Autrement.
Au fond, ce livre est un message d’espoir. Espoir dans l’action solidaire, espoir de sortir des crises. Ce livre est celui d’un engagement qui traverse le temps en s’adaptant pays par pays, par grande période géopolitique, avec toujours au fond la même mission, secourir les populations en danger et les accompagner à s’en sortir durablement. Ce livre, plein de beaux témoignages et de photos, anticipe aussi les défis à venir. C’est sur une période de 40 ans une belle leçon d’adaptation, aujourd’hui des plus utile pour prendre du recul, en tirer des leçons pour mieux s’adapter et se projeter. Je vous reparlerai de ce livre en septembre, promis.
Dans l’immédiat, je vous invite à lire l’interview de Marie Houel et Fabrice Perrot sur le pont aérien humanitaire mis en œuvre par le Réseau Logistique Humanitaire (RLH), mais également l’article de Méline Peyrot qui fait un point complet sur l’enjeu humain et géopolitique du barrage renaissance sur le Nil, et enfin l’étude de Marion Péchayre de MSF-Crash sur le management humanitaire qui doit nous stimuler à faire mieux.
La prochaine édition paraîtra début septembre et comprendra entre autre une présentation détaillée de l’aide humanitaire internationale.
En attendant, bonne lecture à partager avec vos proches et à très bientôt pour relever ensemble les défis humanitaires.
Alain Boinet.
Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire.