
Le « Rapport annuel indépendant sur le Grand Bargain 2019 » concernant l’année 2018 a été publié en juin dernier à l’occasion de la réunion annuelle à Genève des participants du Grand Bargain. Ce Rapport a été réalisé par un organisme indépendant, le Humanitarian Policy Group (HPG) dans le cadre de ODI (Overseas Development Institut) et financé par USAID pour cette édition.
Concernant le Grand Bargain, nous avons publié par le passé une interview d’Antoine Gérard d’OCHA en 2017 puis un article « Les Nations Unies à l’épreuve » en septembre 2018. Cette année, nous avons choisi de vous présenter un débat organisé à Genève le 8 juillet dernier par l’OCDE (Organisation pour la Coopération et le Développement Economique) et la revue The New Humanitarian qui a succédé à l’IRIN.
Ce débat s’est déroulé en marge de la réunion officielle du Grand Bargain et a regroupé des représentants d’organismes signataires ou non signataires du Grand Bargain. Animé par Ben Barker de The New Humanitarian, ce débat été diffusé sur YouTube en anglais et nous le présentons ici en français pour les lecteurs francophones de Défis Humanitaires.
Les intervenant sont :
- Sema Genel Karaosmanoğlu, Présidente du Conseil de direction du Réseau NEAR
- Jeremy Konyndyk, Senior Policy Fellow, Center for Global Development (CGD)
- Katie Sams, directrice des ressources externes du Comité international de la Croix-Rouge (CICR)
- Rachel Scott, chef d’équipe et analyste principale des politiques sur les crises et la fragilité de l’OCDE
- Bonaventure Gbétohoho Sokpoh, Chef de la politique, du plaidoyer et de l’apprentissage de Core Humanitarian Standard Alliance (CHS)
- Birgitta Tazelaar, Directrice générale adjointe pour la coopération internationale, Ministère des affaires étrangères des Pays-Bas
Ces interventions dénotent une grande variété de points de vue et d’appréciation sur l’état de santé dans lequel se trouve le Grand Bargain. Chacun se fera son opinion à ce sujet et vous retrouverez le Grand Bargain en bonne place dans l’Editorial de cette 30ème édition.
Ben Parker : Bienvenue à tous, merci d’être venus pour cette session matinale, pour une conversation agréable et, espérons-le, un début stimulant à une nouvelle journée de réunions passionnantes sur les questions humanitaires, ici à Genève.
Nous remercions le Comité international de la Croix-Rouge qui nous ont gentiment permis d’utiliser ce lieu, qui est exceptionnellement approprié et pratique, et qui, nous l’espérons, vous permettra de rejoindre sans délai vos réunions de l’autre côté de la rue. Nous remercions également l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) avec laquelle The New Humanitarian organise cet événement.
Notre objectif aujourd’hui est vraiment de jeter un coup d’œil au Grand Bargain et de voir où les choses pourraient être mieux faites et quelles devraient être les priorités. Et s’il y a des choses qui ne sont pas faites, ce qui devrait être fait, s’il y a des points qui pourraient être laissées de côté et s’il y a des objectifs sur lesquelles il faudrait se concentrer davantage.
Certains des panélistes seront dans la salle plus tard aujourd’hui, ils font partie des signataires du Grand Bargain et d’autres ne le sont pas. Cette initiative est délibérée. Nous ne voulons pas que le cercle restreint des signataires soit la seule source de débats et nous espérons que cette conversation se poursuivra et que vous serez nombreux à y participer.
Nous allons commencer par un petit sondage. Sarah, appuyez sur le bouton. Rendez-vous donc sur ce site Web et vous pouvez écrire un mot sur ce que vous pensez du Grand Bargain. Et à la fin, nous referons un sondage sur vos ressentis et ce que la conversation a apportée en termes de priorités. Je vais donc demander aux témoins de nous faire une brève présentation de ce qu’ils estiment être la question la plus importante ou la plus urgente de cette affaire.
Très bien, alors le Grand Bargain émerge actuellement de la petite enfance et il y a eu des débats sur la question : combien de temps doit-il se poursuivre ? Un consensus semble s’être établi sur la réponse suivante : encore deux ou trois ans. D’autres pensent le contraire. J’ai parcouru rapidement le document du rapport. Je ne peux pas dire que j’ai tout lu, mais l’analyse de la situation, fournie par l’Overseas Development Institute, est mitigée. C’est un peu le rapport du « verre à moitié plein », je pense.
La localisation : pas de changement dans la pratique.
La consolidation du reporting : ils mettent à l’essai les prémisses du « single form » pour les rapports. Il faut encore l’évaluer. La confiance reste faible.
Certains domaines se portent plutôt bien : le financement pluriannuel en cash par exemple. Le rapport indique plutôt gentiment qu’il existe de nombreux exemples positifs de collaboration sur ce point. Pour ceux d’entre vous qui ne travaillent pas dans le secteur de l’aide, vous pourriez vous attendre à ce que ce constat n’ait rien de nouveau, mais c’est en fait apparemment le cas.
Nous espérons donc aujourd’hui adopter un point de vue juste mais critique. Chacun des panélistes viendra avec son expertise et nous les encouragerons à se lancer des défis et à s’interroger les uns les autres, puis nous vous inclurons évidemment.
Je vais donc m’arrêter là et aller de gauche à droite. Dites-nous quelles sont les points les plus importants ou les plus urgents du Grand Bargain selon vous. Je vous remercie.
Bonaventure Gbétohoho Sokpoh : Merci Ben. Je mettrai l’accent sur les gens que nous accompagnons et je ne surprendrai personne ici si je dis qu’il s’agit de rendre des comptes aux gens. C’est là-dessus que nous débattons actuellement dans ce secteur.
Nous avons lancé de nombreuses initiatives. Cependant lorsque nous examinons les études et tout ce qui est dit, nous constatons que nous devons vraiment faire davantage dans ce domaine et je pense que le fait de rendre des comptes aux populations que nous assistons est quelque chose de moral et d’éthique qui contribue vraiment à l’efficacité de notre travail.
Et nous devons le faire dès le début de notre travail et nous assurer que la façon dont nous communiquons et travaillons avec eux est complètement intégrée dans tout notre travail. Nous devons le démontrer par des outils concrets. J’aurai le temps de parler un peu plus des outils dont nous disposons par la suite. Mais c’est surtout le Core humanitarian Standard (CHS) qui nous aide à le faire et c’était l’un des indicateurs du workstream sur la révolution de la participation du Grand Bargain. Nous devons donc vraiment aller de l’avant dans ce domaine.
Et j’ajouterai à cela quelque chose qui est très important pour nous et nous l’avons vu dans de nombreuses discussions : comment pouvons-nous initier un changement dans notre culture ? La culture de nos organisations, l’attitude que nous avons envers les gens. J’ai été surpris lorsque nous étions avec différentes personnes sur le terrain. Quand je parlais aux gens, ils disaient : ” Il n’y a pas d’équilibre des pouvoirs entre nous et les travailleurs humanitaires “. Si vous parlez aux organisations sur le terrain, elles disent : ” il n’y a pas d’équilibre des pouvoirs entre nous et les organisations internationales “. Et c’est la même chose avec les bailleurs. Nous devons donc tous, à chaque niveau, transcender notre pouvoir et aller de l’avant, faire quelque chose de concret qui atteindra le terrain.
Ben Paker : Merci beaucoup. Je vais donner la parole à Rachel.
Rachel Scott : Merci. Et c’est très important ce que vous dites. La seule chose que je ferais… En fait, il y en a deux, mais la première est très courte et c’est assez concret. La deuxième que je ferais serait de ramener le workstream 10 : « renforcer l’engagement entre les acteurs humanitaires et les acteurs du développement », mais cette fois-ci j’ajouterais aussi les acteurs de la paix.
Nous pensons donc que les changements apportés au système humanitaire n’ont de sens que s’ils font réellement une différence dans la vie des personnes touchées sur le terrain. C’est pourquoi, au cours des deux dernières années, nous avons travaillé en partenariat avec Ground Truth Solutions et, par la suite, nous avons interrogé à deux reprises des gens dans sept situations de crise différentes, leur demandant ce qu’ils pensaient de la qualité de l’aide qu’ils recevaient, pour savoir si les changements dans le système international avaient réellement un impact pour ceux sur le terrain.
Voilà ce qu’on a trouvé : tout d’abord, nous avons constaté que l’aide humanitaire reçue n’est jamais suffisante pour répondre aux besoins fondamentaux des populations sur le terrain. Les gens, s’ils ont de la chance, se tournent vers d’autres moyens de subsistance pour compléter l’aide humanitaire, mais un certain nombre d’entre eux se retrouve avec des dettes et des capacités d’adaptation négatives.
Nous devons donc faire quelque chose de beaucoup plus approfondi et nous attaquer aux causes profondes plutôt que de nous contenter de l’aide humanitaire. Les gens qui reçoivent de l’aide disent constamment que d’autres en sont privés et qu’il y a des types de besoins qu’ils ont et qui ne sont pas couverts. Ainsi, en Haïti, 45 % de la population du pays croient toujours que l’aide ne va pas à ceux qui en ont le plus besoin, sachant que ce chiffre représente tout de même une amélioration par rapport aux résultats que nous avons obtenus la première fois.
D’autre part, et cela va dans le sens de ce que vous disiez tout à l’heure, 80 % des travailleurs humanitaires en Haïti pensent que l’aide parvient effectivement à ceux qui sont le plus laissés pour compte. C’est un point très intéressant que Jeremy pourrait faire commenter plus tard. Cela questionne la façon dont nous travaillons en termes de mandat et de groupe cible puisque cela signifie que nous pensons que nous atteignons les personnes visées par notre mandat, les gens de notre groupe cible. Mais ceux qui restent à l’extérieur, ceux qui restent non documentés, des groupes de personnes comme les handicapés par exemple, tombent en dehors de ce que nous faisons.
Troisièmement, l’une des principales doléances des personnes qui reçoivent de l’aide en ce moment est le manque de débouchés économiques. C’est l’une des principales choses qu’ils demandent. Et la plupart des gens conviennent que l’aide humanitaire n’est pas un bon outil pour promouvoir la résilience ou promouvoir leur propre autonomie. Ainsi, en Irak, 71% des gens disent que l’aide humanitaire qu’ils ont reçue ne les aide pas à passer à l’autosuffisance. Dans un autre contexte, en Afghanistan, il est passé à 48%, ce qui est le meilleur score. 94% des Libanais estiment cependant pour leur part que l’aide humanitaire ne les aide pas à devenir autonomes. Tout cela montre donc que nous avons besoin de quelque chose de plus que de l’aide humanitaire pour répondre aux besoins des personnes en situation de crise.
Si j’avais une baguette magique, il y a donc trois choses que je ferais, trois choses que le Grand Bargain doit faire :
- Comprendre et produire des directives sur la façon d’interagir avec les acteurs du développement et de la paix tout en respectant les principes humanitaires.
- Jeter un regard neuf sur la vulnérabilité dans les situations de crise et comprendre qu’elle n’est pas nécessairement sectorielle ou basée sur des objectifs, mais qu’elle est beaucoup plus multidimensionnelle que cela.
- La troisième, c’est que je laisserais tomber le mot « humanitaire » dans le mot « crise humanitaire ». Parce qu’en qualifiant une crise « d’humanitaire », nous disons en fait que l’humanitaire peut répondre à tous les besoins de cette crise alors qu’il y a aussi des besoins politiques, des besoins de développement et des besoins de paix, entre autre, dans ces situations.
Voilà donc trois choses que je demande au Grand Bargain de faire. Je vous remercie.
Ben Parker : Alors Jeremy, puisque Rachel a fait trois observations, ça ne veut pas dire que tu dois en faire quatre.
Jeremy Konyndyk : J’en ai juste une pour l’instant mais j’en aurai d’autres plus tard. Je pense donc qu’il est temps de sortir le Grand Bargain des salles de comité et de le mettre en œuvre dans trois pays pilotes. Il faut essayer de tout mettre à l’essai, d’un seul coup, et voir si ça marche sur le terrain.
J’ai été vraiment frappé ces derniers mois. Grâce à mes recherches au CGD, j’ai parlé à beaucoup d’organismes d’aide et de bailleurs. J’ai été frappé par le pessimisme que j’ai ressenti à l’égard des perspectives du Grand Bargain au cours de la dernière année. J’ai entendu des choses comme : « il pédale dans le vide. Il est sous respirateur artificiel. On est sur le point d’arrêter le respirateur artificiel. » Et c’est dommage parce que les priorités du Grand Bargain sont de bonnes priorités.
Ce sont des choses que nous devons faire dans le secteur humanitaire. Mais, de toute évidence, on a aussi l’impression que cela fait maintenant trois ans et qu’il n’apporte pas les changements que nous espérions. Et j’étais l’un de ceux qui soutenait le Grand Bargain lorsque j’étais au gouvernement américain. C’est moi qui ai aidé à le négocier. Mais pour l’instant, il n’apporte pas le genre de changement que nous avions espéré lorsqu’il a été lancé en 2016.
Vous lisez le rapport de 2019 et j’ai un sentiment de déjà-vu. Cela ressemble beaucoup à toutes les réunions auxquelles j’ai participé de 2013 à 2016 avec des groupes de directeurs des opérations, où nous avions parlé et parlé de processus et d’engagements, de changements, de guides, de directives, de règles et de normes, etc. Mais cela ne s’est pas traduit par un changement. Donc, dans le rapport Grand Bargain, les résultats correspondent en effet à l’image du verre à moitié plein, comme vous l’avez dit, mais c’est un verre à moitié plein de processus. Et la moitié vide, c’est l’impact. Le rapport dit très clairement : ” il est difficile d’évaluer avec précision les progrès tangibles qui sont réalisés ». Ce n’est pas moi qui parle, même si je vais le dire.
Nous sommes donc toujours un peu au point auquel nous en sommes arrivés dans les discussions avec les bailleurs de fonds et les organismes d’aide en 2014-2015, alors que nous étions à plusieurs années du programme de transformation et qu’il y avait des tonnes de nouveaux documents d’orientation. Nous avions alors tué de nombreuses forêts avec toutes les nouvelles directives qui avaient été produites par les groupes de travail IASE. Et pourtant, cela ne se traduit pas par des changements concrets dans la pratique, sur le terrain.
Il est temps, je pense, de déplacer le centre de gravité du Grand Bargain, sortir des comités, des processus et de la création de normes, pour choisir trois pays, de mobiliser cinq bailleurs et un groupe réunissant les principales agences humanitaires et de dire : ” nous allons nous engager. Ça va être dur, mais on s’engage dans ces trois pays. Nous allons faire les exigences du reporting. Nous allons regrouper les exigences en matière de redevabilité bailleurs. Nous trouverons un moyen de nous accorder sur des procédures administratives communes et de cette manière nous accomplirons toutes ces choses en une fois. Voyons si l’on peut y arriver. Parce que si nous n’y parvenons pas dans trois pays, quel espoir pouvons-nous avoir à l’échelle mondiale ?
Et si cela fonctionne, cela donnera, je l’espère, l’élan, la volonté politique et l’optimisme qu’il nous faut pour ensuite passer à l’échelle et reproduire ces acquis au niveau mondial.

Ben Parker : Merci. Katie, notre hôte bien sûr, nous vous souhaitons la bienvenue.
Katie Sams : Merci. Merci. Bonjour tout le monde. Vous êtes en quelque sorte témoin de mes débuts en tant que sherpa du CICR. Le CICR a participé au Grand Bargain et à une partie du processus que vous décrivez depuis le début.
Pour nous, je pense que je devrais simplement dire que c’est la meilleure façon d’aller de l’avant pour débloquer certaines de ces questions. Et nous l’avons dit au début et je pense que notre conclusion qu’il reste encore quatre ans au Grand Bargain.
A propos du rapport, nous en arrivons également à tirer ces conclusions : le fait que le processus est sur-géré et sous-gouverné. Et cela rejoint ce que vous avez tous dit de différentes manières. Et c’est là, c’est là, pour nous, un point clé pour l’avenir du Grand Bargain.
Nous faisons maintenant partie de ce processus et nous sommes tout à fait d’accord pour dire que nous devons obtenir des résultats pour les personnes touchées sur le terrain. Il en est de même pour les projets pilotes. L’important est de garder les populations au centre. C’est en revenant sur l’accord que nous avons conclu afin d’essayer d’améliorer l’efficacité et l’efficience des interventions humanitaires.
Alors comment allons-nous nous y prendre dans le processus ? Le CICR co-organise l’un des workstream, nous avons donc essayé de répondre à cette question, un peu à travers le prisme de ce workstream. En fait, nous continuons même de faire valoir l’importance du processus et du workstream que nous sommes en train de co-organiser, à savoir la fusion des workstream 7 et 8 sur le financement de qualité. Nous avons bien sûr eu pas mal de difficultés à avancer sur celui-ci. Mais alors la question devient : comment faire en sorte que tout cela ne soit pas vain ?
Nous faisons donc le lien entre les problèmes de qualité de financement afin de comprendre la façon dont est liée la transparence aux workstream. Comment cela est-il lié aux questions relatives aux exigences en matière de reporting ? Comment cela est-il lié aux questions d’efficacité et à la nécessité de ne pas s’enliser dans les détails de tout cela.
Comment pouvons-nous élever ces discussions ? Les consultations par le bas, bien sûr. Obtenir des résultats sur le terrain. Mais comment pouvons-nous aussi encourager et pousser au niveau politique à maintenir ces questionnements et ne pas se laisser noyer par les 51 engagements et tout le travail qu’ils impliquent. Notre axe serait donc de dire : Continuons à produire des résultats sur le terrain, mais maintenons aussi ce niveau élevé de discussion au plan politique et poussons pour qu’à ce niveau les engagements qui ont été pris soient tenus. Je vous remercie.
Ben Parker : Merci beaucoup. Bienvenue Brigitta, qui fait partie du gouvernement des Pays-Bas. Vous représentez le gouvernement des Pays-Bas où Sigrid Kaag a été nommée et se distingue en tant que nouvelle personnalité éminente. C’est pourquoi nous aimerions que vous nous parliez de sa stratégie et de la position des Pays-Bas. Je vous remercie.
Birgitta Tazelaar : Merci beaucoup Ben. Vous avez dit que le verre était à moitié plein et quand j’ai lu le rapport, c’est exactement ce que j’ai ressenti. Non seulement le verre est à moitié plein, mais je pense qu’il est encore étincelant. Il n’y a pas que la tristesse et la malédiction. Je pense que de réels progrès ont été réalisés dans un certain nombre de domaines et il serait dommage que l’on ait l’impression qu’ils sont tous trop négatifs. Il y a des victoires à fêter.
Cependant, bien sûr, il y a encore des défis à relever et il y a des choses qui m’inquiètent au sujet du rapport. Je veux dire que ce Grand Bargain est un moyen de discuter des problèmes et d’améliorer le système. Ce n’est pas possible si nous ne savons pas quelle est la vision derrière tout cela, comme le souligne le rapport. Si nous ne savons pas ce que l’efficience et l’efficacité signifient, il nous incombe de clarifier cela et de trouver des indicateurs qui nous permettront de déterminer si nous sommes sur la bonne voie ou non. Et quand tout cela sera terminé c’est alors qu’on pourra mettre un « ruban » autour, qu’on pourra être fière de nous.
Donc je dirais : ne jetez pas le bébé avec l’eau du bain. Nous sommes sur la bonne voie. Et pour nous rappeler quelqu’un qui nous manque à tous, je pense que ” yes, we can “. C’est possible. On peut faire quelque chose de différent ici. Je ne veux pas seulement parler de processus. Le processus seul n’est pas important et nous devrions rendre le système plus efficace. Nous pouvons le mettre œuvre sur le terrain. Nous pouvons parler d’impact, de pays pilotes, pourquoi pas. Nous pouvons utiliser ce « véhicule » [le Grand Bargain] pour être créatifs et je sais que vous pouvez tous le faire parce que vous êtes dans ce domaine depuis longtemps déjà. Si vous ne pouvez pas le faire, personne ne le fera jamais. Cela ne sera pas parfait, mais on peut peut-être arriver à ce que cela soit presque parfait.
Jeremy, vous avez dit que vous aviez été témoin de beaucoup de réactions négatives et pour être honnête, j’en vois également. Les gens disaient : qu’est-ce que tu fais avec le Grand Bargain, es-tu folle? Mais Sigrid Kaag est très très engagée, extrêmement engagée. Et elle n’accepte pas de résultats négatifs et nous laissera travailler jusqu’à ce que le changement soit là. Donc, elle est là pour les choses sérieuses et elle sera là toute la journée pour travailler avec vous.
Ben Parker : Merci. Bienvenue Sema.
Sema Genel Karaosmanoğlu : Bonjour à tous. Je m’appelle Sema et je suis la présidente du réseau NEAR. En tant que NEAR, nous sommes actuellement un réseau de 243 acteurs locaux du Sud, engagés dans le système humanitaire ou qui connaissent bien le système.
Donc pour nous, en tant qu’acteurs locaux, le Grand Bargain vient tout juste de commencer et nous sommes très enthousiasmés par les discussions qui vont se dérouler ici. Ce qui compte c’est que nous parlions de cela. C’est même devenu un axe prioritaire pour de nombreuses parties prenantes et pour de nombreux acteurs du secteur humanitaire. Nous voulons donc absolument que cela continue.
Cependant, nous n’en sommes qu’au tout début parce que nous estimons que nous, en tant qu’acteurs locaux, ne sommes pas vraiment inclus et impliqués dans la discussion. Il y a une tendance à dévier du chemin et nous devons ramener la discussion là où elle doit vraiment avoir lieu. Nous parlons de « changement de pouvoir », mais donc nous devons considérer les acteurs locaux sur un pied d’égalité. Nous devons les mettre face à face et tenir de véritables discussions. Nous pensons donc que le Grand Bargain, en particulier en ce qui concerne la localisation où nous avons été les premiers activités en tant que réseau NEAR, c’est dans cette direction que les choses doivent aller.
Maintenant, en théorie, bien sûr, en principe, personne n’est en désaccord. Mais dans la pratique, tant que nous n’avons pas les moyens et les ressources pour le faire, il est très difficile pour les acteurs locaux, qui ont déjà des tâches multiples à réaliser, d’avoir un programme supplémentaire, ce qui est un gros problème pour eux. Il faut donc nous efforcer de concilier cela et nous assurer d’avoir les ressources pour pouvoir le faire.
Lorsque nous voyons les ONG internationales, il y a par exemple une personne à plein temps qui s’occupe de localisation. Nous, nous n’avons pas ce genre de ressource. Il est donc très important d’essayer de voir comment nous pouvons nous dépasser et être présents. Par exemple, en tant que réseau NEAR, nous sommes très intéressés par l’idée de devenir l’un des organisateurs du workstream sur la localisation et nous ne voyons pas pourquoi nous ne devrions pas être présents, puisque nous représentons la grande variété des acteurs locaux qui sont en fait au centre de la localisation. Nous ne voulons donc pas parler au nom des acteurs locaux, mais nous voulons qu’ils soient présents.
Ceci est également important pour ce qui est d’amener les discussions à l’échelle régionale, au niveau du Sud où elles doivent avoir lieu. Nous participons en effet à beaucoup de discussions au niveau politique et à l’échelle mondiale. Mais il faut vraiment que cela se fasse au niveau régional et que nous ayons, non seulement les acteurs locaux, mais aussi d’autres acteurs régionaux pour que les gouvernements locaux s’engagent vraiment. Ils devraient devenir signataires. Nous avons besoin d’une plus grande diversité parmi les signataires parce que nous devons tous assumer la responsabilité de cela et nous devons tous nous engager.
Donc, pour finir, je vais évoquer le domaine de la localisation plus particulièrement. Nous avons parlé de capacités organisationnelles, opérationnelles, de capacités pour les acteurs locaux, mais ce dont nous avons vraiment besoin, c’est de capacités collectives. Il y en a déjà, surtout au Bangladesh : c’est un très bon exemple d’acteurs locaux mobilisés. Mais nous devons être en mesure d’en faire plus. Nous avons besoin de plus de ressources pour vraiment investir dans ces capacités collectives. Je parle d’investir dans le leadership local. Nous devons vraiment examiner la façon dont nous investissons dans les capacités collectives, ce qui, à mon avis, est extrêmement important si nous voulons apporter de véritables changements. Je vous remercie.
Ben Parker : Merci beaucoup. Nous allons donc maintenant faire un autre sondage. Tous ces panélistes ont fait valoir leurs points de vue et leurs préférences particulières dans le cadre des différents workstreams. Mais lequel est le plus important ?
Pour en revenir au dernier point de Sema. Pouvons-nous changer les signataires ? Pouvons-nous « mélanger la meute » ? Pouvons-nous changer les accords comme l’a dit Sema ? Comment pouvons-nous avoir un workstream sur la localisation qui ne soit pas dirigé par des ONG locales ? Pouvons-nous changer les choses ?
Birgitta Tazelaar : Je suis toujours un peu « Alice au pays des merveilles », donc oui. Pourquoi pas ? Je veux dire : l’accord existe, mais il n’est pas gravé dans le marbre, alors s’il y a des moyens de mieux atteindre nos objectifs, nous devrions discuter de ces questions. Le Grand Bargain à nouveau est « un véhicule » il n’est pas gravé dans la pierre.
Ben Parker : Et Rachel, tu veux réintroduire le nexus ? Le triple, le quadruple ?
Jeremy Konyndyk : Est-ce qu’il a vraiment été mis de côté ?
Ben Parker : Oui, oui ! Le Nexus a été mis au placard au cours de certains amendements du Grand Bargain.
Rachel Scott : Oui, malheureusement, le nexus a été mis de côté, le nexus en tant que workstream à lui seul. Mais, si je comprends bien, il a été intégré aux autres workstreams au lieu d’être complètement écarté.
Cependant je pense que le nexus a besoin d’une attention particulière. Nous avons constaté qu’en fait, les humanitaires ne sont pas très à l’aise lorsqu’il s’agit d’établir un nexus car pendant des années les humanitaires ont dit : où sont les gens du développement qui dessinent de belles cartes de la Corne de l’Afrique en disant « nous travaillons ici et vous travaillez là-bas, vous. » Et cela de si obstinément que ça ne marche pas. Et maintenant, ce sont les gens du développement qui reviennent. Les humanitaires mettent alors en avant les principes humanitaires qui fonctionnent comme un écran de fumée et se disent « eh bien non, nous ne voulons pas travailler avec vous parce que nous avons des principes et vous êtes tous mauvais », ou quelque chose comme ça. Donc oui, je pense que nous devons nous sentir plus à l’aise, en tant qu’humanitaire, de travailler dans l’espace du nexus.

Ben Parker : Donc, si ces conversations n’ont pas lieu dans le cadre du Grand Bargain, où se déroulent-elles ?
Rachel Scott : Nous avons ici, dans la salle, quelqu’un qui copréside le réseau international sur les conflits et la fragilité. Ces conversations ont en fait lieu entre les acteurs du développement et de la paix. Nous avons eu quelques humanitaires, qui sont venus de temps en temps, ce qui a été extraordinaire, et nous aimerions qu’ils soient plus nombreux. Mais je pense que ces discussions ont vraiment besoin d’être menée quelque part où elles pourront prendre de l’ampleur. C’est là que le Grand Bargain peut intervenir et jouer un rôle important à ce sujet.
Ben Parker : Je vois que c’est assez convivial. Katie ?
Katie Sams : Oui. Je pense que cela a été l’un de nos défis. Ce que vous avez dit m’a vraiment interpellé et c’est très lié à notre stratégie internationale, à notre stratégie institutionnelle où nous nous positionnons vraiment sur la question des conflits prolongés et ce que cela signifie pour nous. Nous ne cherchons donc pas nécessairement à discuter du nexus en soi mais il s’est retrouvé central, il y a deux semaines dans nos réflexions avec notre groupe de soutien aux bailleurs : ” restez dans le cadre de votre mandat, soyez clairs sur ce que vous faites “. Mais, d’un autre côté, la réalité est qu’avec les caractéristiques d’un conflit prolongé, vous savez, chacun a un rôle différent à jouer. La question est : comment pouvons-nous le faire de façon efficiente et efficace ?
Ben Parker : Jeremy, vous menez une réflexion approfondie sur l’avenir de l’humanitaire. Donc, quand vous pensez à la façon de changer les choses, pensez-vous que « je dois appeler les gens de Grand Bargain » ou est-ce que vous traitez avec d’autres personnes ? Où est votre point d’entrée ?
Jeremy Konyndyk : C’est une très bonne question. J’ai publié, il y a environ un an, un document sur ce que j’ai appelé « le business model humanitaire », qui porte essentiellement sur les incitations créées par l’interaction entre le comportement et les pratiques des bailleurs et les modèles traditionnels de collecte de fonds et de financement des grandes agences des Nations Unies dans le secteur des ONG. Ce que notre recherche soutient, c’est que ce qui a le moins changé au cours des 20 dernières années dans le secteur humanitaire, n’est autre que le comportement des bailleurs de fonds. Si l’on examine les dernières décennies, vous avez encore fondamentalement les mêmes proportions d’argent qui vont au même ensemble d’organisations de base, pour les mêmes activités de base.
Nous avons donc établi statistiquement que la répartition du financement proportionnel, puisque le financement a été multiplié par à peu près trois ou quatre fois au cours des 20 dernières années – donc une augmentation massive et une forte augmentation du financement humanitaire – était restée à peu près la même. L’allocation proportionnelle de base, pour les trois grandes agences des Nations Unies, les autres agences des Nations Unies, le mouvement de la Croix-Rouge, le secteur des ONG internationales, le secteur des ONG locales et tous les autres, est très statique. Elle est presque inchangée. Il y a 50 % qui va au HCR, à l’UNICEF, au PAM. Il y en a encore 10 % pour le reste de l’ONU, environ 20 à 25 % pour le secteur des ONG internationales et ainsi de suite, et environ 10% pour le mouvement de la Croix-Rouge.
Il n’est donc pas difficile de comprendre pourquoi il n’y a pas eu d’autres changements si l’on regarde les choses sous cet angle. J’ai travaillé longtemps dans la communauté des ONG, les choses que vous devez faire pour obtenir de l’argent conditionnerons beaucoup de comportements organisationnels. Si le bailleur ne change pas les choses que vous devez faire pour obtenir votre argent, ce qui n’est pas le cas pour la plupart, alors ce n’est pas une incitation au changement. Je pense donc que c’est l’un des points de départ vraiment importants. Et dans certaines des recherches que je fais au CGD (Center for Global Development), nous travaillons à esquisser ce à quoi ressembleraient des modèles de financement alternatifs. Pas plus d’argent ou moins d’argent, mais de l’argent acheminé différemment pour inciter à des comportements différents.
Ben Parker : Merci beaucoup.
Débat basé sur le sondage :
- A propos des outils de révolution de la participation (workstream), de l’accréditation CHS (Core Humanitarian Standard), pourquoi si peu d’ONG se sont inscrites pour utiliser ces outils ? Parce que ces outils, bien qu’ils soient déjà opérationnels et efficaces, nous devons encore les développer. Déjà, certains bailleurs demandent aux ONG d’utiliser ces outils : le Committee on International Disaster Assistance (CIDA), par exemple.
- L’un des défis consiste à donner plus d’outils aux acteurs locaux pour aller de l’avant.
- La conformité (compliance) est un problème croissant qui touche tout le monde, y compris le CICR. Le Grand Bargain travaillent sur cette question en ce moment même.
- Les bailleurs de fonds sont un peu trop humbles quant au rôle qu’ils jouent dans le secteur et ils ne participent donc pas assez au débat. Utilisent-ils tous les leviers dont ils disposent dans leur action ? Depuis le début du Grand Bargain, ils ont fait preuve d’une réelle volonté de changement et ont fait beaucoup de progrès. Mais les choses ne changent pas du jour au lendemain et il faut continuer dans cette direction. Nous devons également cesser de penser qu’un bon financement n’est tout simplement qu’une question de non-affectation des fonds. C’est plus que cela : il s’agit de trouver le bon financement, les bons outils, d’arriver au bon moment et à un moment donné avant le déclenchement de la crise si possible, et enfin d’impulser les bonnes initiatives.
The New Humanitarian n’est pas responsable de la traduction du débat, elle est effectuée par l’équipe de Défis Humanitaires.
Une réflexion au sujet de « Le Grand Bargain à la croisée des chemins. »
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