Défis Humanitaires présente ici un résumé de la récente publication par OCHA – Nations unies sur l’avancement des travaux relatifs au suivi des engagements du 1er Sommet Humanitaire Mondial et du Grand Bargain. Cette analyse fait suite à la réunion du Grand Bargain qui s’est déroulée à New-York le 18 juin dernier et précède le Rapport annuel sur 2017 qui paraîtra à la fin de l’année. Elle a été conduite par OCHA avec les contributions de leurs partenaires, au nombre de 152, dont on retrouvera les contributions, qu’elles émanent d’ONG ou d’États comme la France. En apprendre plus sur ces contributions.
Et nous croyons savoir que les résultats sur le nexus humanitaire-développement, la localisation et la simplification administrative sont décevants de l’avis de divers participants. Cette présentation ne vaut pas adhésion, même si nous soutenons sans réserve l’objectif d’amélioration de l’action humanitaire. Elle vise à informer les publics concernés et à contribuer au débat indispensable sur cette vaste entreprise de réforme humanitaire pilotée par les Nations unies.
Cette présentation nous donne l’occasion de rappeler ici nos préoccupations et réserves qui se veulent constructives :
- L’absence de prise en compte de l’action humanitaire d’urgence et de ses faiblesses et limites dans les situations de crise.
- La confusion sur le rôle et la responsabilité des divers acteurs, notamment des ONG, dans le cadre du « New Way of Working » dont le cadre est par ailleurs logique
- Le risque d’erreur dans l’évaluation des priorités qui peut finalement les desservir comme cela est le cas avec la « localisation » dont la nécessité a été mal présentée à l’origine.
- L’obligation de progrès qualitatifs de l’action humanitaire ne doit pas masquer la nécessité d’augmenter les budgets de celle-ci pour répondre aux besoins des populations en danger.
- L’intérêt du travail réalisé en commun à une large échelle doit éviter les risques de bureaucratisation et d’appauvrissement des capacités d’acteurs complémentaires et différents.
- L’aide humanitaire s’adresse à des êtres humains qui partagent une même humanité. Celle-ci est par nature diversifiée et doit être respectée comme un écosystème menacé par un risque d’uniformisation appauvrissant.
Défis Humanitaires présente ici un bref compte-rendu de ces études parues sur le site de l’Agenda pour l’Humanité et laisse le soin aux lecteurs comme aux acteurs humanitaires d’évaluer l’avancement ou non des transformations engagées et ce qui pourraient manquer pour améliorer l’action humanitaire. A vous maintenant d’apprécier ce point d’étape des Nations unis, dans le langage qui les caractérise, et d’accéder à l’ensemble du document.
Mr Ban Ki-moon lors du 1er Sommet Humanitaire Mondial en mai 2016 à Istanbul.
« Le monde se trouve à un moment critique de son histoire. La souffrance humaine a atteint un niveau inégalé depuis la Seconde Guerre mondiale ». C’est avec ce sombre constat que le précédent Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, annonçait le premier Sommet Mondial Humanitaire Mondial. Ainsi, à Istanbul les 23 et 24 mai 2016, ont été définies cinq responsabilités fondamentales divisées en 24 transformations pour diriger le changement de la gestion financière et opérationnelle de l’action humanitaire internationale vers ce nouvel « Agenda pour l’Humanité ». En plaçant la sécurité, la dignité et le droit au développement pour tous au centre des engagements, le Sommet Humanitaire Mondial entendait engager une transition vers une gestion plus humaine et une utilisation des ressources optimisée. Deux ans plus tard, qu’en est-il des promesses du Sommet selon ses promoteurs ?
Prévenir et faire cesser les conflits – Responsabilité fondamentale 1, engagement 5C
Pour parvenir à l’objectif ultime d’une paix durable, les acteurs de la gestion de crise ont su entamer la transition vers une gestion inclusive de la prévention et des crises. Cette avancée est notamment rendue possible par un resserrement des partenariats qui, bien qu’insuffisant, tend vers l’objectif de collaboration entre les différentes phases de gestion de crises – humanitaire, développement et processus de paix – et les acteurs internationaux et locaux, dont le rôle croissant doit être encouragé dans la mesure où leur intégration dans la prise de décision et le renforcement de leurs capacités permettent de combattre les crises directement à leurs racines et d’améliorer la résilience des pays. L’approche inclusive doit également toucher les femmes et les jeunes, en accord avec la troisième responsabilité fondamentale.
Des efforts sont encore à fournir dans la constitution de mécanismes financiers s’inscrivant dans le long terme, s’appuyant sur une disponibilité de données accrue, et donc de meilleures analyses des risques et de systèmes de traçage. Les actions de prévention sont encore insuffisamment soutenues par les bailleurs et les gouvernements, malgré leur reconnaissance de l’importance de la prévention, et les fonds multilatéraux dédies sont sous-financés. En substance, un « besoin d’actions concrètes, pas seulement de la rhétorique ».
La violence basée sur le genre dans les situations d’urgence – Engagement 2D
Ce rapport met en exergue les innovations des parties prenantes du « New Way of Working » (Nouvelles Formes de Travail) afin de mettre en œuvre une réponse plus adaptée aux violences contre les femmes dans les crises. La tendance est à un glissement vers une approche plus collaborative entre humanitaire et développement (engagement 4 C) malgré des obstacles – manque de financement, de planification multi-annuelle et une mentalité cloisonnant les deux secteurs -, avec des réponses plus locales. Ainsi, les différents acteurs se focalisent davantage sur les racines des problèmes liés à la violence basée sur le genre, en dédiant les aides aux actions de prévention et d’atténuation du phénomène, ainsi que l’intensification du rôle des femmes dans le processus de paix. Cette stratégie passe par le renforcement des capacités locales ainsi que l’établissement de standards et de directives, pour manager efficacement les risques et délivrer une assistance de qualité aux victimes de ce type de violence.
Un effort doit être fait sur l’augmentation des financements, la documentation sur la prévention, les populations vulnérables à ce type de violence et l’efficacité des systèmes mis en place. La question des violences envers les femmes et leur exploitation doit faire l’objet d’un engagement masculin, d’une sensibilisation et d’une responsabilisation accrus, car elle concerne une large part des actions de gestion de crise – sans y être forcément intégrée -, ainsi que l’ensemble des acteurs internationaux.
Réduire et gérer les déplacements – Engagement 3A
L’objectif à attendre est la réduction de moitié du nombre de déplacés internes d’ici 2030. À ce stade encore précoce de la transition, ce rapport piloté par l’OCHA (Bureau de la coordination des affaires humanitaires) souligne l’importance du lien entre humanitaire et développement pour la prévention, la gestion des crises prolongées ainsi que pour la collecte et l’analyse des données relatives à ces déplacés, aux causes et aux dynamiques de leurs déplacements. Plutôt que de répondre à ces situations par des déplacements transfrontaliers, les besoins de ces populations doivent prendre une part importante des solutions mises en œuvre, aux côtés des processus de résolutions de crises. Leur existence ne doit plus être laissée à l’abandon en attendant la résolution des conflits et des désastres dans leurs pays.
Les obstacles à ce changement de paradigme s’incarnent dans un manque de financement, de volonté politique de traiter réellement cette problématique et de coordination humanitaire/développement, axes majeurs de progression sans lesquels l’approche intégrée, préventive et pluri-annuelle ne peut se construire.
Autonomiser les femmes et les filles, le genre comme question transversale – Engagement 3D
La question du genre prend, au sein de l’ensemble des actions humanitaires, de plus en plus d’importance. À travers la mise en place de directives, d’outils et de politiques institutionnelles, la question se fait une place dans les processus humanitaires et financiers. Au-delà de cette dynamique encourageante, il est néanmoins nécessaire de repenser certaines actions inadéquates qui en limitent la progression.
Trois challenges principaux sont ainsi identifiés. Encore une fois, la machine financière n’est pas assez pourvue sur les questions de genre, tandis que les systèmes de traçage des fonds sont insuffisamment développés. Le rapport dénote également la faible participation de la part des femmes au niveau local. Enfin, l’absence de séparation à la fois de l’âge et du genre dans les données disponibles freine les analyses et limite la lucidité des prises de décisions relatives à ces problématiques de genre.
Anticiper les crises et investir en fonction du risque – Engagement 4B et 5B
Dans ce rapport aux notes optimistes, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) relève un accroissement des approches multi-acteurs permettant une meilleure gestion de la prévention et des crises. Des plateformes collaboratives se mettent en place à l’échelle des pays, en incluant les secteurs privés et universitaires, en plus des acteurs traditionnels. Les outils d’analyse des risques sont multipliés, améliorant la qualité des prises de décisions et l’allocation des ressources. Enfin, un effort est entrepris pour une planification à plus long terme, visant un impact durable dans la réduction des risques et des vulnérabilités.
Cette tendance devra être renforcée par un accroissement et un élargissement des efforts précédemment cités, une consolidation des bases de données constituées en coopération avec les acteurs locaux en profitant de leurs connaissances contextuelles tout en renforcer leurs capacités, une intensification du plaidoyer sur les processus de réductions des risques et l’établissement de standards pour des actions d’anticipation optimisées. La principale difficulté restant de réunir des fonds, en réalisant un nouveau modèle de financement adapté aux besoins relatifs aux missions de prévention, qui prend place dans la durée. Par ailleurs, la synergie entre humanitaire et développement doit tout particulièrement être renforcée pour parvenir à l’objectif de collaboration et de planification au cœur même de l’action d’anticipation et d’analyse du risque.
Dépasser la division entre humanitaire et développement et passer à un mode de financement plus flexible et à long terme – Engagement 4C et 5D
Une large part des rapports fait état d’une difficulté à parvenir à une collaboration entre acteurs de l’humanitaire et du développement et aux systèmes de financement pluri-annuels, en faisant un axe majeur de progression pour la réalisation des objectifs de l’Agenda pour l’Humanité. De plus, d’autres objectifs pour 2022 dépendent de cette transition, tels que la collecte et l’analyse de données sur les situations de crises en particulier ou encore la prévention. Il est notamment recommandé de traiter de manière commune les besoins, les vulnérabilités et les risques au sein de chaque pays pour des analyses et des processus joints. Si des avancées sont constatées dans le suivi du « New Way of Working » (Nouvelles Formes de Travail), notamment au niveau des pays, de nombreux obstacles freinent la transition, qui doit se faire grâce au support et aux incitations des parties prenantes et des donneurs. Très lié, le passage d’un système de « funding » à « financing », avec sa vision à long terme plus flexible et inclusive, s’amorcera dans la continuité de décisions privilégiant le financement d’actions respectant cet engagement de pluri-annualité transcendant la traditionnelle division humanitaire/développement.
Renforcer les systèmes locaux et investir dans les capacités locales – Engagement 4A et 5A
Les engagements de l’Agenda visant à respecter les systèmes locaux en les finançant de manière directe et prévisible, avec des actions de renforcement à long terme, sans les court-circuiter à travers des structures parallèles, sont-ils en voie de réalisation ? Si on observe des progrès encourageants relatifs à une volonté de faire passer la position des acteurs locaux du statut d’exécutants à celui de partenaires, des obstacles structurels en limitent l’essor. Sont ainsi évoquées les ressources humaines insuffisantes pour gérer une multiplication des subventions, les barrières législatives et de contrôle des flux, la répugnance face à la prise de risque ainsi que l’absence d’assez de mécanismes de financement adaptés à cette approche de localisation. Sur ce point, les participants à l’étude analysent que les fonds communs sont un des mécanismes de financement les plus efficaces en terme de quantité et de proportion des fonds perçus par les acteurs locaux.
Un travail sur l’évolution des mentalités doit également être mené alors que les relations entre les nationaux et les acteurs humanitaires sont parasitées par un manque de confiance, de communication et de coordination qui limite l’implication et le rôle des acteurs locaux, pourtant indispensables à une approche prenant en compte les spécificités contextuelles des crises. Pour dépasser cela, les donateurs ont usé de leur influence en mettant en place divers quotas ou incitations. Des actions sont également entreprises pour donner aux acteurs locaux une meilleure visibilité et reconnaissance, leur offrant une opportunité grandissante de faire entendre leurs voix et de prendre une part active aux processus de d’urgence et de stabilisation.