
Avec cette « édition spéciale », nous sommes heureux de vous proposer huit articles au lieu de quatre habituellement. Cela montre ce que nous pourrions faire de mieux avec votre soutien (faireundon) et celui de partenaires comme des Fondations pour Défis Humanitaires. Merci à celles et ceux qui nous soutiennent déjà ou qui vont le faire aujourd’hui.
Cet éditorial « lanceur d’alerte » aborde ici quatre situations d’urgence ainsi que la Turquie et la Syrie après le séisme. Après la phase de recherche des victimes, il y a celle de l’aide humanitaire (abris, chauffage, alimentation, eau potable, assainissement, soins). Puis viendra le temps de la reconstruction. Au-delà de l’émotion, notre solidarité doit être durable.
Il y a l’Ukraine, un an après l’invasion Russe, qui entame sa 10ème année de guerre depuis ses débuts en 2014. Dans les mois qui ont suivi l’attaque Russe du 24 février 2022, il était légitime de se poser la question des causes de cette guerre entre la volonté d’Empire de Vladimir Poutine et les risques pris par l’OTAN dans son extension aux frontières de la Russie.
Cette interrogation a depuis laissé la place au terrible constat du bilan humain de cette guerre pour l’Ukraine. Les chiffres sont connus, réfugiés et déplacés, nombre élevé de morts et de blessés, crimes de guerre qui se répètent et qui ne sont pas des accidents, destruction méthodique des infrastructures essentielles, l’Ukraine est en voie de destruction progressive. Cela va se poursuivre jusqu’à la paix qui conclura la guerre. Avec les Ukrainiens, nous sommes du coté des victimes.
L’expérience montre que la paix résulte soit de la victoire totale de l’un des camps, soit de l’équilibre des forces par épuisement réciproque qui conduit à la négociation. Nous en sommes encore loin et cette guerre d’attrition va donc poursuivre son œuvre macabre.
Pour les humanitaires, la mission est claire, poursuivre sans relâche les secours, gagner en efficacité, s’adapter à une grande diversité de situation et, pour certains financeurs, arrêter l’excès de zèle bureaucratique qui retarde et complique l’accès de l’aide.
Une autre leçon à méditer est celle du courage des Ukrainiens qui donnent leur vie pour leur pays, la nation ukrainienne. Unanimement salué, ce courage est le ressort historique qui protège tant la liberté et l’indépendance face à l’agression extérieure que l’unité vitale face au risque du délitement intérieur du chacun pour soi.
Encore un mot sur l’Ukraine. En 2006, comme un livre récent le révèle (1), le président français Jacques Chirac proposa de « …donner à l’Ukraine une protection croisée assurée par l’OTAN et la Russie. Le Conseil Otan-Russie en assurerait la surveillance. C’était là une manière d’assurer la neutralité de l’Ukraine, c’est-à-dire son indépendance et sa pérennité… ». On connait la suite.
La guerre en Ukraine signe un changement majeur d’époque tant pour l’Europe que pour le monde. Sans doute faudra-t-il réfléchir, en temps utile, à l’architecture future de sécurité en Europe qui n’a pas permis d’éviter cette guerre. Dans l’immédiat, l’heure est à la solidarité avec l’Ukraine, tant pour sauver des vies, que pour préparer une paix qui ne soit pas sa défaite.
Danger pour les Arméniens du Haut Karabagh ou Artaskh.

Comme nous l’écrivions dans la précédente édition, le Haut-Karabagh ou Artsakh, où vivent 120.000 arméniens, est toujours coupé de l’Arménie par un blocus imposé par l’Azerbaïdjan depuis le 12 décembre. Le corridor de Latchine est le cordon ombilical pour approvisionner les habitants en alimentation, médicaments, en gaz et en électricité.
Mercredi 23 février, la Cour Internationale de Justice de l’ONU a « sommé l’Azerbaïdjan de mettre fin au blocus du corridor de Latchine » et à « assurer la circulation sans entraves des personnes, des véhicules et des marchandises le long du couloir de Latchine dans les deux sens
J’ai reçu via Nelly un courrier électronique d’Alexey, étudiant à Stepanakert, capitale de l’Artsakh dont voilà un passage « Près de 120 000 personnes demeurent coupées du monde, les réserves de nourriture s’épuisent, le gaz est coupé assez fréquemment. Chaque jour, nous avons un accès limité à l’électricité, et quand je quitte la maison, je ne vois que de longues files d’attente, nous faisons face à une catastrophe humanitaire. Les étals des supermarchés de Stepanakert mais aussi des rayons entiers sont vides, c’est la pénurie de produits alimentaires. Pain, fruits, légumes frais et médicaments sont devenus des denrées rares ».
Déjà de nombreuses institutions ont condamné ce blocus et ont exigé la réouverture sans délai du corridor. Qu’il s’agisse du Haut-Commissariat des Nations-Unies aux droits de l’homme, d’Amnesty International, de la Commission d’Helsinki, du Parlement français, du Sénat américain, du Parlement européen et de très nombreuses organisations et personnalités. En France, le Président de la République, Emmanuel Macron, est à la manœuvre pour que ce blocus cesse et qu’une aide humanitaire accède aux 120.000 arméniens du Haut-Karabagh. A ce jour, cela n’a pas suffit !
À la suite de la Conférence de Munich sur la sécurité le 18 février, Antony Blinken, secrétaire d’Etat américain, a réuni le premier ministre arménien, Nikol Pashinyan, et le président azéri, Ilham Aliyev, et le président du Conseil Européen, Charles Michel, a proposé d’accueillir les négociations arméno-azéris à Bruxelles. Voilà une bonne nouvelle si le corridor de Latchine est réouvert maintenant pour répondre aux besoins humanitaires de la population.
Le Forum Humanitaire Européen à Bruxelles les 21 et 22 mars.

Pour mémoire, ce Forum a vu le jour en mars 2021 à l’initiative de la présidence française de l’Union Européenne, en étroite coopération avec le commissaire européen Janez Lenarcic, sur le modèle de la Conférence Nationale Humanitaire (CNH) née en 2011 et qui se réunira à nouveau à Paris pour sa 6ème édition en septembre 2023.
Ce Forum organisé cette année par la présidence suédoise de l’UE avec la commission européenne et ECHO, en lien avec VOICE la coordination des ONG partenaires, ne manque pas de sujets de réflexion et de débat d’actualité. Parmi ceux-là, soulignons deux priorités majeures que sont le changement climatique et les moyens financiers.
Changement climatique qui provoque sécheresse, inondation, diminution des rendements agricoles et des ressources en eau, mortalité du bétail, extinction de la biodiversité et finalement des déplacements forcés de population toujours plus nombreuse. Alors que le réchauffement climatique se poursuit inexorablement, les humanitaires sont en première ligne pour soutenir et accompagner les populations en danger à s’adapter, innover, construire des solutions alternatives.
Dans ce contexte, il nous faut non seulement accélérer pour répondre à l’amplification des besoins, mais aussi élargir la question du changement climatique à celle de la ressource vitale en eau pour les populations, l’agriculture, le bétail ainsi qu’a la biodiversité comme sources de la vie quotidienne.
L’autre priorité urgente est celle de l’insuffisance des financements de l’aide humanitaire face à l’augmentation des besoins. Il y a dix ans, il y avait 50 millions de réfugiés et déplacés dans le monde, ils sont aujourd’hui 103 millions dont les deux tiers proviennent de pays en crise alimentaire. En 2023, 339 millions de personnes ont besoin d’aide humanitaire dans 68 pays alors qu’elles étaient 274 millions au début de 2022 selon le rapport de UNOCHA.
Pourtant, selon l’ALNAP, le financement de l’aide humanitaire internationale a stagné autour de 30 à 31,4 milliards de dollars entre 2018 et 2021. Or, cette année, les besoins sont évalué par les Nations-Unies à 51,4 milliards de dollars ! Alors, va-t-on manquer de 20 milliards de dollars cette année pour sauver des vies et secourir les victimes de guerre, des catastrophes et du changement climatique ! Il faut donc mobiliser de toute urgence 51,4 milliards de dollars. Cela est-il impossible quand le Produit Intérieur Brut (PIB) mondial est de 96.100 milliards de dollars en 2021 !
Les solutions sont connues. Face à « l’inégalité de la charge « soulignée par le commissaire européen Janez Lenarcic , qui est en fait celle de la solidarité qui fait reposer l’essentiel des financements sur un petit nombre de pays membres de l’OCDE, il est indispensable que nombre d’autres pays y contribuent pour financer les 20 milliards qui risquent de manquer cette année.
Par ailleurs, il y a une grande inégalité de participation à l’effort humanitaire parmi les 30 pays membres du Comité d’Aide au Développement (CAD) de l’OCDE qui sont les pays du continent européen, le Canada, les Etats-Unis, la Corée du sud et le Japon. Ainsi, quand certains pays consacrent plus de 25% de leur Aide Publique au Développement (APD) à l’humanitaire, d’autres n’y affectent que 2,6% voire 1%, la moyenne de l’ensemble des pays contributeurs s’établissant à 13% en 2020. Il y a là une réserve significative pour réunir les 51,4 milliards de dollars nécessaires si tous les pays y consacraient au moins 13% de leur APD.
Si la France s’est engagée en 2018 dans un exercice de « rattrapage » de son aide humanitaire et qu’elle l’a poursuivie en 2023 avec un budget de l’ordre d’un milliard d’euros, elle devrait faire mieux en consacrant au moins 13% de son APD à l’humanitaire, voire 20% pour mieux adapter son rôle aux défis du monde d’aujourd’hui. C’est notamment l’enjeu de la prochaine Conférence Nationale Humanitaire en septembre 2023 qui fera suite à la décision du CICID (Conseil Interministériel de la Coopération et le Développement). Ce sera l’épreuve de vérité !
Quant aux organisations humanitaires, elles peuvent tout à la fois agir auprès du grand public et des entreprises pour augmenter les dons privés collectés pour un montant de 6,4 milliards de dollars en 2021 au niveau international sur un total de 31,4 milliards avec les fonds publics. L’autre levier à mettre en œuvre est celui de l’optimisations des ressources disponibles, de la mutualisation des coûts, de la coordination des acteurs et de l’efficacité de l’action.
La Conférence de l’ONU sur l’eau du 22 au 25 mars à New-York.

La précédente réunion de l’ONU sur l’eau douce remonte à 46 ans à Mar del Plata en Argentine, c’était en 1977. Alors, cette conférence en 2023 comptera-t-elle pour peu ou sera-t-elle une conférence du sursaut pour réaliser les Objectifs de Développement Durable votés à l’unanimité des Etats en 2015.
Cette Conférence ne fera malheureusement ni déclaration ni conclusion politique. Mais les participants sont invités à contribuer au « Wash Action Agenda » ou agenda des actions pour l’eau qu’ils s’engagent à concrétiser. Mais à quoi s’engageront eux-mêmes les Etats et l’ONU à mi-parcours des ODD dont ils sont les premiers responsables !
Nous l’avons dit dès 2016, la politique menée et les moyens mobilisés signaient déjà l’échec des engagements pris. L’ONU reconnait maintenant qu’il faut multiplier par quatre les moyens financiers pour réaliser l’Objectif 6 d’accès universel à l’eau potable en 2030, et les multiplier par 23 dans les situations de crise. Sans parler de la gouvernance qui fait défaut !
Certes, les ODD sont ambitieux mais leur réalisation répond aux besoins essentiels des peuples et des nations partout dans le monde et singulièrement dans les situations de crise souvent oubliées.
Or, l’année 2023 nous offre l’opportunité exceptionnelle d’un tiercé avec trois rendez-vous successifs aux Nations-Unies : Conférence sur l’eau en mars, Forum politique de haut niveau à la mi-juillet et, enfin, sommet mondial des ODD le 18 septembre.
Le tiercé gagnant 2023 consisterait en la nomination d’un représentant spécial pour l’eau auprès du Secrétaire Général des Nations-Unies avec un secrétariat assuré par ONU-Eau, des réunions régulières de suivi par un groupe d’Etats, la préparation d’une ou plusieurs résolutions aux Nations-Unies à l’initiative d’Etats, incluant par exemple la mise en place d’un mécanisme financier international basé sur le PIB de chaque pays pour atteindre l’Objectif 6 pour l’eau et les ODD, une lutte résolue contre les maladies hydriques dues à l’eau insalubre, cause majeure de mortalité chez les enfants. Dans cet esprit, nous invitons à soutenir l’Appel à l’action lancé pour réunir 200 signataires d’ici le 22 mars. Est-il encore nécessaire de rappeler que l’eau c’est la vie et que la terre et ses habitants ont de plus en plus soif.
Conclusion.
Séisme en Turquie et Syrie, Ukraine, Haut Karabagh, forum humanitaire européen, conférence de l’ONU sur l’eau, autant de défis qui questionnent notre conscience et qui mesurent notre solidarité. Au-delà des déclarations d’intention, nous verrons bien la réalité des décisions prises et des actions engagées..
Avec cette « édition spéciale » je suis très heureux de vous proposer huit articles au lieu de quatre habituellement et je compte beaucoup sur votre soutien (faireundon) pour promouvoir l’humanitaire face aux grands défis qui sont devant nous. Merci.
Alain Boinet.
- Les autres ne pensent pas comme nous. Maurice Gourdault-Montagne. Bouquins Mémoires. Novembre 2022.
RFI Géopolitique – Les ONG internationales face à un risque majeur de paralysie ?
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